Eglises d'Asie

Selon une enquête récente le sida est devenu “un risque menaçant pour le destin national”

Publié le 18/03/2010




Selon l’organisation non gouvernementale Care international, qui vient d’achever l’enquête la plus complète jamais réalisée au Vietnam sur l’épidémie du sida (11), ce pays serait aujourd’hui dans la même situation que la Thaïlande en 1988. A cette époque, l’épidémie y sévissait surtout dans les milieux des toxicomanes et des prostituées. Ce sont les mêmes milieux qui sont atteints aujourd’hui au Vietnam, non seulement à Hô Chi Minh-Ville mais aussi dans les provinces voisines et à Hanoi. Au mois de juin 1993, le comité national contre le sida a relevé 549 cas de personnes séropositives dans le pays. Le directeur du comité reconnaissait pourtant qu’il ne s’agissait sans doute que de la “portion émergée de l’icebergl’échantillon trop réduit de la population examinée (150 000) ne permettant pas une estimation fiable. Les experts de Care international considèrent qu’il est temps que les autorités réagissent vigoureusement pour protéger la population d’une évolution de l’épidémie semblable à celle de la Thaïlande où toutes les couches de la société sont aujourd’hui touchées.

Pourtant, il n’y a pas si longtemps, les experts internationaux louaient les autorités vietnamiennes pour avoir lancé à temps le travail de prévention de cette terrible épidémie. Bien avant la découverte du premier cas de séropositivité au mois de janvier 1991 à Hô Chi Minh-Ville (12), dès 1989 un comité national contre le sida avait été créé et avait commencé les premiers dépistages.

Les premiers résultats furent négatifs et pendant longtemps l’épidémie du sida a été considérée comme un phénomène étranger au Vietnam. C’était même un des arguments invoqués par le clan conservateur au pouvoir pour refuser le libéralisme économique et l’introduction des investissements étrangers au Vietnam. Ceux-ci ne manqueraient pas d’introduire à leur suite “espionnage, sida et propagande anti-gouvernementalecomme le disait encore le Quân Dôi Nhân Dân en 1992 (13).

Les premières enquêtes sur le sida semblèrent d’ailleurs justifier ce point de vue. Peu après l’établissement, au mois de septembre 1991, de dix-huit centres de consultation et d’information sur l’épidémie dans tout le pays (14), trente-et-un porteurs de virus étaient dépistés, parmi lesquels trente étrangers (15) (une majorité de pêcheurs thaïlandais). Un an plus tard, au mois d’octobre, le nombre des personnes testées séropositives avait plus que doublé (76), mais le taux d’étrangers était toujours aussi fort parmi les personnes contaminées (71) (16). Cette perception de l’épidémie comme une agression étrangère conduisit les autorités vietnamiennes à prendre de très sévères mesures de dépistage chez les touristes et les étrangers résidant au Vietnam. En janvier 1993, un décret ministériel obligeait les étrangers demandant à résider plus de trois mois au Vietnam à se soumettre à un test de dépistage du sida (17). Le mois suivant, un artiste de Hongkong, séropositif, Michael Gavin, se voyait, pour cette raison, refuser son visa d’entrée au Vietnam où il devait entreprendre une tournée théâtrale (18). Se justifiant de cette politique lors d’un voyage en Malaisie, le vice-ministre de la Santé plaidait la légitime défense (19).

Ce n’est que vers le mois de février 1993 que l’épidémie commença à apparaître non plus seulement comme une intrusion étrangère, mais comme “le risque le plus grand menaçant le destin nationalselon l’expression du vice-président du comité vietnamien contre le sida. Ce mois-là, la presse saïgonaise (20) signalait dix-sept cas supplémentaires de personnes contaminées, détectés à Hô Chi Minh-Ville, portant le nombre de citoyens vietnamiens séropositifs à vingt-neuf. Quatorze d’entre elles étaient des toxicomanes, deux étaient des prostituées. Au mois de mars, la même presse annonçait les deux premiers morts vietnamiens du sida (21). Le mois suivant, lors d’un dépistage effectué dans un camp de rééducation pour toxicomanes dans la région de Cam Ranh, on découvrait que la totalité des 32 pensionnaires étaient contaminés (22). Ce mois-là, on comptait déjà 215 cas de séropositivité pour tout le pays.

Depuis cette époque, huit autres Vietnamiens sont morts de cette maladie et la population contaminée par le virus du sida a plus que doublé, comme le souligne l’enquête effectuée par Care international, qui ajoute que le Vietnam est sous la menace d’une explosion du sida aussi spectaculaire qu’en Thaïlande si la population ne change pas radicalement ses moeurs sexuelles. Bien que l’épidémie reste, pour le moment, limitée aux milieux marginaux des toxicomanes et des prostituées (23), le nombre des séropositifs ne cesse de grimper rapidement et régulièrement.

Les résultats de l’enquête effectuée par Care international laissent apparaître que la manque d’information constitue le point le plus faible du dispositif mis en place contre cette épidémie au Vietnam. Si 97% des personnes interrogées ont entendu parler du sida, 75% seulement savent comment se transmet la maladie. Beaucoup ignorent que l’on peut contracter le virus auprès du partenaire sexuel. Beaucoup croient aussi qu’il s’agit d’une maladie étrangère dont seraient immunisés les Vietnamiens. Au Nord-Vietnam, certains sont persuadés que le sida ne sévit qu’au Sud, particulièrement à Hô Chi Minh-Ville.