Eglises d'Asie

Le mouvement de revendication bouddhiste hausse le ton tandis que la répression s’intensifie

Publié le 18/03/2010




C’est un véritable appel à l’affrontement direct qui a été lancé le 29 juillet 1993 par le vénérable Thich Huyên Quang, patriarche de l’Eglise bouddhique unifiée, dans un message invitant tous les fidèles bouddhistes vietnamiens à commémorer le trentième anniversaire (1963-1993) de la première tragédie bouddhiste (terme désignant le conflit qui a opposé en 1963 les bouddhistes au régime du président Ngô Dinh Diêm). « Malgré notre fidélité à la doctrine bouddhique qui enseigne la miséricorde, l’acceptation des injures et la sérénité, nous ne pouvons éviter de nous heurter à des forces politiques étrangères à notre peuple et pratiquant la discrimination : au moyen de nombreuses ruses et stratagèmes, elles prétendent faire disparaître le bouddhisme et les ressources spirituelles de notre peuple… La seconde tragédie du bouddhisme dure déjà depuis 18 ans… Religieux, compatriotes bouddhistes de tous les milieux, préparez-vous à affronter de dures épreuves dans les jours à venirCette commémoration devrait être accompagnée « d’une campagne de restauration des activités du bouddhisme unifié afin d’édifier l’esprit bouddhique vietnamien et de prendre en charge les affaires du pays » (16).

La réaction des dirigeants communistes ne s’est pas faite attendre. Ils ont même donné une publicité toute particulière à l’avertissement adressé par eux au patriarche Thich Huyên Quang, le 4 août 1993. L’Agence vietnamienne de presse (17), qui ne nomme le patriarche que par son nom civil, a rapporté que le dirigeant bouddhiste avait été convoqué au comité populaire du Quang Ngai pour y écouter la lecture d’une lettre rédigée à la requête du premier ministre, en réponse à sa lettre. Il lui été rappelé que le seul bouddhisme officiel reconnu est celui que pratique l’Eglise bouddhique du Vietnam, Eglise d’Etat fondée en 1981. Accusé d’obéir aux ordres de l’étranger, de parler de « deuxième tragédie bouddhistede saper l’Eglise, d’inviter les gouvernements étrangers à prolonger l’embargo sur le Vietnam, le patriarche a été pressé de mettre un terme à ses activités et d’abandonner le sceau de dirigeant suprême du Bouddhisme unifié dont il use dans sa correspondance.

Malgré les interventions de divers gouvernements étrangers en faveur du Bouddhisme unifié (18), les dirigeants n’hésitent donc plus à donner un caractère public à la répression du mouvement. Voilà déjà longtemps d’ailleurs que les médias officiels avaient lancé contre lui une campagne de presse. Depuis l’auto-immolation d’un fidèle bouddhiste dans l’enceinte de la pagode de la Dame céleste, le 21 mai 1993, cinquante-huit articles prenant à partie l’actuel patriarche du Bouddhisme unifié (19) et dénonçant les activités des religieux de la pagode de la Dame céleste à Huê, ont paru dans les principaux journaux du Vietnam (20). On y trouve, par exemple, des pétitions de religieux bouddhistes protestant contre les agissements du Vénérable Huyên Quang, comme celle parue sur le Nhân Dân du 6 août, au lendemain de la convocation du patriarche au Comité populaire du Quang Ngai (21). Certains organes de la presse officielle ont même fait paraître de fausses déclarations de dirigeants bouddhistes. Ainsi, le journal de la Sûreté de la province du Quang Nam a publié, dans les colonnes de son numéro du 12 juin 1993, une interview d’un haut dignitaire bouddhiste, le vénérable Thich Thiêm Siêu, critiquant très sévèrement les religieux contestataires. Deux jours plus tard, celui-ci adressait une lettre ouverte au journal, démentant avoir prononcé une seule des phrases qui lui étaient prêtées et dénonçant cette imposture. La lettre de démenti parvenue en Occident n’a pas été publiée par le journal du Quang Nam (22).

Les arrestations qui se multiplient confirment que les autorités vietnamiennes regardent désormais avec beaucoup d’inquiétude le mouvement de revendication du Bouddhisme unifié, né en avril 1992, lors de l’accession du vénérable Thich Huyên Quang au patriarcat (23), mouvement qui, loin de s’essouffler, semble aujourd’hui prendre plus d’ampleur.

Ainsi, le 29 juillet 1993, le jour même où paraissait la lettre du patriarche, le journal Thanh Niên (Jeunes gens) (24) annonçait que trois nouveaux religieux de la pagode de la « Dame céleste » (Thiên Mau Tu) à Huê avaient été inculpés et seraient prochainement traduits devant le tribunal populaire, en même temps que leur supérieur, le vénérable Thich Tri Tuu et les deux religieux arrêtés avec lui le 6 juin 1993 (25). Les charges retenues contre les nouveaux inculpés sont les mêmes que celles qui avaient été formulées contre leurs confrères. Ils sont accusés « d’être à l’origine de désordres sociaux et d’avoir attenté à la propriété socialisteSous leur forme stéréotypée, ces accusations visent la participation des personnes incriminées à la manifestation du 24 mai dernier: avec l’aide de la population de Huê (26), ils avaient arraché le vénérable Thich Tri Tuu des mains de la police et brûlé la voiture qui le transportait. Le journal provincial rapporte aussi, avec 10 jours de retard, que l’un de ces nouveaux inculpés, le vénérable Thich Hai Chanh a été arrêté le 19 juillet 1993, sans préciser quelle est la situation actuelle des deux autres inculpés, Thich Hai Dam et Thich Hai Lac, probablement incarcérés eux aussi.

La répression policière s’exerce à présent bien au-delà du cercle des anciens dirigeants de l’Eglise bouddhique unifiée. Désormais c’est dans les rangs de l’Eglise d’Etat elle-même que les autorités arrêtent certains partisans du mouvement d’indépendance du bouddhisme. Le vénérable Thich Hanh Duc, supérieur de la pagode Son Linh dans la province de Vung Tau-Ba Ria, arrêté le 9 juillet, avec dix-huit autres religieux et près de 100 fidèles (27), avait été nommé à son poste en 1982 par l’Eglise d’Etat, nouvellement fondée. En avril 1992, Thich Hanh Duc avait participé à l’enterrement de Thich Dôn Hau à Huê, cérémonie qui a marqué le début du mouvement ; depuis lors, il soutenait le nouveau patriarche Thich Huyên Quang et diffusait ses lettres ouvertes. Lors d’une première tentative du gouvernement pour l’expulser de sa pagode, le religieux avait même reçu le soutien de la direction de l’Eglise d’Etat. Mais ce soutien lui a été finalement retiré et les milliers de fidèles accourus autour de la pagode pour le défendre le 9 juillet dernier n’ont pu empêcher son arrestation qui s’est déroulée au milieu d’un grand déploiement de forces (28).