Eglises d'Asie – Indonésie
LUTTE POUR LE POUVOIR DANS L’EGLISE LUTHERIENNE BATAK
Publié le 18/03/2010
Mais certains observateurs politiques disent qu’une des règles non écrites de la politique indonésienne stipule qu’un Batak ne deviendra jamais président. La raison en est que les musulmans sont beaucoup plus nombreux que les chrétiens en Indonésie et que la plupart des Bataks appartiennent à l’Eglise Huria Kristen Batak Protestant (HKBP). Cette Eglise luthérienne est la plus importante Eglise protestante d’Indonésie avec 1,6 millions de membres et 2 575 temples. Historiquement, l’esprit combatif des Bataks a été plutôt utile à l’Indonésie spécialement dans l’armée nationale. Mais les autorités ecclésiales bataks estiment aussi que ce même esprit combatif amène aujourd’hui leur Eglise au bord du gouffre.
Depuis plusieurs années, les synodes successifs de la HKBP ont été marqués par les conflits et les “magouilles” politiciennes qui opposent les différentes factions. Les observateurs chrétiens extérieurs à l’Eglise ont parlé de lutte pour le pouvoir et pour le contrôle de l’Eglise, de ses hôpitaux et de l’université Nammernsen, l’une des plus importantes du pays (1). En 1992, des violences se sont produites au synode du mois de novembre : l’ancien évêque a été exclu et un nouveau nommé sous prétexte de Pancasila, la doctrine gouvernementale qui cherche à unifier les religions et les cultures de tout le pays. L’intervention du Bakorstanasda, la police politique d’Indonésie, fut sévèrement critiquée par Asia Watch et les leaders de l’Eglise luthérienne fidèles à l’évêque déposé, Soritui Nababan, qui estimaient que le droit de l’Eglise à la liberté de religion et d’association avait été violé. Les fidèles de Nababan déclarèrent que l’exclusion de celui-ci s’était faite en violation de la constitution de l’Eglise et refusèrent de se soumettre au nouvel évêque, S.M. Siahaan. Celui-ci fut finalement nommé responsable intérimaire de la HKBP. Depuis lors il est devenu secrétaire général de l’Eglise.
En février 1993, un synode spécial fut convoqué et un nouvel évêque élu, Parlindugan Wilfred T. Simanjuntak. Celui-ci nie que l’intervention gouvernementale se soit faite en violation des droits des membres de l’Eglise. “Le gouvernement a seulement aidé l’Eglise à résoudre le conflit, dit-il. Ce n’est pas une question de droits de l’hommeD’autres autorités de l’Eglise approuvent. Selon O.P.T. Simorangkir, ancien secrétaire général de l’Eglise, le synode de novembre 1992 avait été convoqué en partie pour résoudre les conflits internes “anciens” de l’Eglise. Dans un document d’explication de la querelle de novembre 1993, Siahaan dit que le synode s’était ouvert “dans le chaos total” : Nababan avait appelé la police et l’armée pour empêcher certains membres du conseil exécutif de l’Eglise d’entrer dans la salle. “Ce synode était lourd de menaces, de hurlements, et même de violence physique, ajoute Siahaan. C’était le synode le plus désastreux de toute l’histoire de la HKBP et j’espère qu’il ne se répétera pas
Simorangkir à déclaré à News Network International que les membres de l’Eglise n’étaient pas d’accord avec les changements que Nababan voulait introduire dans la liturgie, la structure de l’Eglise et dans ses relations avec le gouvernement. Selon certains officiels de l’Eglise, Nababan n’avait pas le soutien du synode. “L’évêque n’est pas tout puissant, dit Siahaan. Il y a une structure fine de partage des responsabilités entre l’évêque, le secrétaire général et le Conseil ecclésialCe conseil qui, avec l’évêque et le secrétaire général, comprend 11 pasteurs, 11 anciens et 5 “experts”, membres de l’Eglise, se réunit deux fois par an pour décider de la politique de l’Eglise. L’évêque et le secrétaire général sont les exécutants de ces décisions.
Les racines du conflit
Les deux factions sont d’accord pour dire que l’affaire remonte à 1986 quand Nababan fut nommé évêque et commença à permettre à des évangélistes venus de Jakarta de baptiser à Sumatra des membres de l’Eglise qui pratiquaient encore le culte des ancêtres. La décision irrita des leaders qui estimaient que c’était contraire à la profession de foi de l’Eglise. Selon la constitution de la HKBP, les évangélistes peuvent baptiser en territoire de mission mais seuls les pasteurs de la HKBP peuvent baptiser des membres de l’Eglise.
La vision de Nababan d’une Eglise engagée en faveur de la justice sociale ne passait pas très bien non plus avec les dirigeants de l’Eglise. Sous son impulsion, les pasteurs étaient encouragés à engager leurs communautés dans les projets de développement social. Selon Nababan, dit un pasteur, la grandeur d’une Eglise se mesure à son intérêt pour la justice sociale. “Par exemple, en Indonésie on coupe beaucoup d’arbres. Sous la direction de Nababan, la HKBP a fait des déclarations contre cela. Il a essayé d’organiser les membres de l’Eglise pour qu’ils prennent conscience de leurs droits, qu’ils s’organisent par eux-mêmes et qu’ils luttent contre l’injusticeLe pasteur d’une Eglise évangéliste de Jakarta dit que la théologie de Nababan est libérale, mais ne pense pas qu’il s’agisse d’une théologie de la libération, qui mettrait l’accent sur la transformation sociale et accepterait la violence pour la mettre en oeuvre. Quoi qu’il en soit, la vision de Nababan coûtait cher à ceux qui ne la partageaient pas, dit Siahaan : “Il licenciait, remplaçait et menaçait continuellement les permanents d’Eglise. Il a détruit la structure de pouvoir qu’il a trouvée, en remplaçant les chefs de bureaux et les directeurs de départements par des jeunes gens ambitieux qui lui étaient tout dévoués. Tout le temps qu’il était là, il n’y a pas eu d’audit financier de son administrationL’ancien secrétaire général, Simorangkir, dit que Nababan mettait la HKBP en danger en s’opposant au gouvernement.
Les officiels du quartier général de la HKBP, à Tarutung, estiment qu’un petit nombre de communautés soutiennent encore Nababan : peut-être 30 sur un total de 2 575. “Ce sont des extrémistes, ils aiment se battredit un ancien journaliste de Medan. Un autre pense qu’une véritable guerre aurait pu se déclencher entre factions bataks rivales si le gouvernement n’était pas intervenu. La même personne prétend que Nababan avait déclaré la guerre aux communautés qui ne le soutenaient pas et avait encouragé ses fidèles à utiliser des armes. En mai 1993, la police a dû intervenir dans une bagarre qui opposait les deux factions. Dans un autre endroit, des membres de l’Eglise ont violemment agressé les officiers de police envoyés pour restaurer l’ordre. Lors d’un autre incident encore la police a saisi des cocktails molotov et des lances. On ne sait pas laquelle des factions avait l’intention d’utiliser ces armes.
Des allégations de gestion financière douteuse
Des sources journalistiques prétendent qu’une enquête officielle serait en cours sur Nababan, soupçonné par les autorités indonésiennes de détournement des fonds de l’Eglise. Entre autres choses, l’évêque déposé est accusé d’avoir reçu plus d’un million de francs, le 22 janvier 1993, de la Mission évangéliste allemande : ces fonds auraient servi à payer des manifestants et à consolider sa position dans le conflit interne de l’Eglise. Mais le Rév. Joseph M. Pattiasina, secrétaire général de la Communion des Eglises indonésiennes, a démenti qu’il y ait enquête. Il a déclaré que la Mission avait prêté cet argent à Nababan afin qu’il puisse payer les salaires des 50 pasteurs de la HKBP licenciés après la prise de pouvoir de Siahaan le 31 décembre 1992. Nababan n’a pas pu être contacté pour commenter l’affaire. Siahaan, de son côté, a déclaré que les fonds provenant de la Mission allemande étaient versés sur un compte de la Communion des Eglises indonésiennes sans que le gouvernement soit au courant et en violation de la loi indonésienne. “J’appelle cela une attitude de puissance arrogante de la part des Allemands pour qui Nababan est le seul prêtre de la HKBP selon leur coeuraccuse-t-il. Siahaan lui-même, ancien doyen de faculté à l’université Nammernsen, a nié les allégations de détournement de fonds portées contre lui. Asia Watch a révélé en effet que Siahaan avait été condamné en 1976 à six mois de prison pour détournement de fonds, mais selon des journalistes de Medan il aurait été en fait acquitté lors du procès qui eut lieu à ce moment-là.
Emeutes et arrestations
Le 23 décembre 1992, plusieurs milliers de partisans de Nababan ont occupé pendant deux semaines le quartier général de la HKBP à Pearaja, au sud de Medan, pour empêcher l’intronisation officielle de Siahaan. Celle-ci fut alors déplacée à Sipholo, une ville voisine, où les manifestants “détruisirent des biens appartenant à la HKBP, retournèrent la voiture utilisée par l’ancien secrétaire général Pattiasina et menacèrent celui-ci de mortsi l’on en croit Siahaan. Les manifestants refusèrent de prendre en compte les avertissements lancés par la police et plusieurs pasteurs qui se trouvaient en tête de la manifestation furent arrêtés. Le 9 janvier 1993, Le gouvernement indonésien publia un décret interdisant à tout individu ou organisation de commenter le conflit concernant la HKBP. Le 15 janvier, le gouvernement arrêta plusieurs dirigeants de l’Eglise, et, le lendemain, évacua par la force une église occupée par des protestataires. Dans les jours suivants, plusieurs arrestations d’étudiants, de pasteurs et d’un avocat spécialisé dans les droits de l’homme qui défendait Nababan, furent opérées à Medan. Un proche de Nababan, arrêté à ce moment-là, a accusé la police de l’avoir torturé : “Ils nous ont donné des coups de pied et nous ont battus avec des cannes de bambou. Ils ont fait cela avant de nous forcer à accepter le décret du Bakorstanasda qui donne le pouvoir à Siahaan dans la HKBP
Depuis lors, tous ceux qui avaient été arrêtés ont été libérés, selon des journalistes de Medan. Mais il semble que la police continue à intimider les membres de l’Eglise qui restent fidèles à Nababan, alors même qu’un médiateur nommé par le gouvernement essaye de sceller une réconciliation entre Simanjuntak et Nababan. En juin 1993, le président Suharto lui-même est intervenu pour demander aux dirigeants des deux factions de faire la paix (…) Qu’il y ait réconciliation ou pas, il est clair que les deux factions devront trouver un compromis si elles ne veulent pas que le gouvernement intervienne à nouveau.