Eglises d'Asie – Vietnam
Lettre ouverte du P. Chan Tin à propos de la nomination d’un administrateur apostolique à Hô Chi Minh-Ville
Publié le 18/03/2010
Le 15 septembre 1993
Nous avons appris récemment que, par une décision unilatérale du Saint-Siège, l’évêque Huynh Van Nghi du diocèse de Phan Thiêt avait été nommé administrateur apostolique du diocèse de Hô Chi Minh-Ville. A ce propos, le Comité populaire de Hô Chi Minh-Ville publie le communiqué suivant qui apporte toute la clarté nécessaire à nos compatriotes.
1 – Voilà déjà longtemps, que, dans le diocèse de Hô Chi Minh-Ville, la question de la succession du vénéré (2) archevêque Nguyên Van Binh est posée. En 1975, le Saint-Siège avait nommé Monsieur Nguyên Van Thuân, archevêque coadjuteur avec droit de succession; mais celui-ci n’a pas été accepté par le gouvernement et il ne le sera jamais: Monsieur Nguyên Van Thuân a participé à l’oeuvre de division et d’oppression religieuses. Il a contracté une dette de sang à l’égard du peuple.
2 – Il y a peu de temps, le Saint-Siège a discuté avec le bureau des Affaires religieuses du gouvernement de la nomination de l’évêque Huynh Van Nghi comme coadjuteur du vénéré archevêque Nguyên Van Binh avec droit de succession. Mais, le Vatican vient de nommer l’évêque Huynh Van Nghi du diocèse de Phan Thiêt comme administrateur du diocèse de Saigon par une décision unilatérale, sans avoir conféré auparavant avec le gouvernement, avec l’arrière-pensée de permettre à Monsieur Nguyên Van Thuân d’exercer des activités religieuses à Hô Chi Minh-Ville.
3 – Dans la matinée du 25 août 1993, les représentants du Front patriotique et du bureau des Affaires religieuses avaient directement informé l’évêque Huynh Van Nghi que sa nomination au poste d’administrateur apostolique du diocèse de Hô Chi Minh-Ville, décidée unilatéralement par le Saint-Siège, n’était pas conforme aux dispositions législatives de la République socialiste du Vietnam, et, pour cette raison, ne pouvait être acceptée.
4 – Dans la matinée du 5 septembre, des représentants qualifiés du comité populaire de la ville avaient rappelé à l’évêque Huynh Van Nghi qu’il devait respecter la législation de l’Etat de la République socialiste du Vietnam et l’avaient sommé de mettre un terme aux activités liées au titre d’administrateur apostolique du diocèse de Hô Chi Minh-Ville.
5 – Mettant rigoureusement en pratique la politique de liberté de croyance de l’Etat de la République socialiste du Vietnam, le Comité populaire de Hô Chi Minh-Ville est prêt a établir toutes les conditions nécessaires pour que les compatriotes croyants puissent harmoniser leurs devoirs religieux et profanes, mais il n’acceptera aucune pression qui attenterait à l’indépendance du Vietnam et ne serait pas conforme aux intérêts du peuple.
6 – A Hô Chi Minh-Ville, le vénéré archevêque Nguyên Van Binh qui, il y a quelque temps, a dû se faire soigner quelques jours à l’hôpital, a maintenant retrouvé la santé et repris ses activités normales à l’archevêché. Le Comité populaire considère que c’est lui qui préside à l’exercice des activités de la religion catholique dans le diocèse de Hô Chi Minh-Ville.
Le Comité populaire a confiance que la population de la ville se donnera toujours comme principe de vivre et de travailler dans la légalité et considère comme très regrettable ce qui s’est passé à la suite de l’intervention du Vatican (extrait de Saigon Giai Phong, le 16 septembre 1993).
Père Chân Tin, Rédemptoriste
38 Ky Dông, 3( arr., Hô Chi Minh-Ville Le 16 septembre 1993
A Monseigneur Nguyên Minh Nhât
Président de la Conférence épiscopale du Vietnam
Monseigneur,
J’ai en main le communiqué du Comité populaire de H.C.M.V. au sujet de la nomination d’un administrateur apostolique pour le diocèse de Hô Chi Minh-Ville, communiqué publié sur la première page de Saigon Giai Phong, daté d’aujourd’hui même, avec un éditorial portant le titre: « La liberté de croyance ne peut aller à l’encontre de la loiVoilà des déclarations qui ne s’accordent point aux slogans actuels d’ouverture et de renouveau, pas plus d’ailleurs qu’aux efforts consentis par l’Etat et l’Eglise pour se rapprocher davantage l’un de l’autre sur la base de la liberté et de la démocratie.
Je voudrais vous faire part de quelques remarques personnelles inspirées par la lecture du communiqué et de l’éditorial.
1 – Le communiqué affirme que le Saint-Siège « par une décision unilatérale » a nommé l’évêque Huynh Van Nghi comme administrateur du diocèse de Hô Chi Minh-Ville. Je ne sais quand prendra fin cette déplorable manie du gouvernement de se mêler des affaires intérieures de l’Eglise et d’exiger que lui soit demandée une permission chaque fois qu’une activité religieuse est organisée. La nomination d’un évêque, qu’il s’agisse d’un évêque principal, d’un coadjuteur ou encore d’un administrateur apostolique, est une affaire intérieure de l’Eglise et du Saint-Siège. L’Etat ne doit pas se mêler des affaires intérieures de l’Eglise. De plus, dans l’affaire de Mgr Nghi, c’est un organe administratif subalterne, voire municipal, qui a émis cette grotesque exigence à la place des instances nationales. On peut se demander aussi si ce sont ces dernières qui ont donné le feu vert aux responsables du Comité populaire pour que ceux-ci, sans pudeur aucune, calomnient honteusement Mgr Nguyên Van Thuân, en l’accusant « d’avoir participé à l’oeuvre de division et d’oppression religieuses et d’avoir contracté une dette de sang à l’égard du peupleIl y a trois ans, le responsable de la ville nous a aussi calomnié, Nguyên Ngoc Lan et moi, en nous accusant d’avoir attenté à la sûreté nationale, de nous être opposé au régime, d’avoir fait oeuvre de division religieuse, d’avoir saboté l’Eglise -tout cela pour justifier les peines de résidence surveillée et d’exil qui nous étaient infligées. Aujourd’hui, de cyniques accusations sont lancées contre Mgr Thuân. C’est une très grave atteinte à la dignité de cet évêque, à l’honneur d’un membre éminent de la hiérarchie catholique, à l’honneur du Vatican.
2 – Depuis le jour où l’archevêque coadjuteur, Mgr Nguyên Van Thuân, a été arrêté et amené en prison, jamais il n’y a eu de procès ni de condamnation contre lui. Or le communiqué de la ville l’accuse sans vergogne: « d’avoir participé à l’oeuvre de division et d’oppression religieuses et d’avoir contracté une dette de sang à l’égard du peupleLa déclaration internationale des droits de l’homme, tout comme la constitution vietnamienne, considèrent comme innocent, tout homme qui n’a pas fait l’objet d’un jugement du tribunal. De la part du Comité populaire de la ville, il s’agit donc d’une violation éhontée des droits de l’homme. C’est un comportement qui doit être condamné. Le monde pourra ainsi connaître de quelle façon les droits de l’homme sont respectés au Vietnam !
3 – Le communiqué affirme que « le Comité populaire considère que le vénéré Mgr Binh préside à l’exercice des activités de la religion catholique dans le diocèse de Hô Chi Minh-VilleCe faisant, le communiqué place Mgr Binh dans la position d’un évêque dissident vis-à-vis de l’Eglise, puisque s’il acceptait le point de vue du Comité, il s’opposerait à une décision d’Eglise, attitude que, nous en sommes sûrs, l’archevêque ne veut pas prendre, à laquelle il n’a jamais pensé. Je suis persuadé que Mgr Binh élèvera la voix pour protester auprès du Comité populaire et manifester clairement sa fidélité à l’Eglise, qu’il abandonnera sa juridiction sur le diocèse (3) et la cédera à l’administrateur apostolique qui remplace provisoirement Mgr Thuân, actuellement empêché.
J’ai l’impression que Mgr Binh est devenu l’unique bouée de sauvetage à laquelle se raccrochent les autorités communistes de cette ville. C’est précisément parce que l’archevêque est leur dernier recours, que lorsqu’il est tombé très gravement malade, le secrétaire général du Parti, Do Muoi, et le président du Comité populaire, venus lui rendre visite à l’hôpital « Thông Nhât », ont éprouvé le besoin de le soutenir chacun d’un côté. Cette émouvante image a été ensuite montrée à la télévision de la ville. Alors que tout le pays est au courant de la détérioration de l’état de santé de l’archevêque, âgé de 83 ans, le communiqué affirme qu’il a retrouvé la santé et repris ses activités normales. Comment comprendre le terme « normalLa normalité consisterait-elle à rester couché ou assis pour que les membres du groupe « patriotique » aient toute liberté d’agir à leur guise ? Ou alors voudrait-on par ce terme parler de l’image habituelle que nous donnent d’eux nos dirigeants politiques, ces vieillards à la parole incertaine et à l’esprit confus, qui continuent à s’accrocher à leur titre et à réclamer des ovations.
4 – Le communiqué nous apprend que « dans la matinée du 25 août 1993, les représentants du Front patriotique et du bureau des Affaires religieuses avaient directement informé l’évêque Huynh Van Nghi que sa nomination au poste d’administrateur apostolique du diocèse de Hô Chi Minh-Ville, décidée unilatéralement par le Saint- Siège, n’était pas conforme aux dispositions législatives de la République socialiste du Vietnam, et, pour cette raison, ne pouvait être acceptéeLe communiqué continue en disant que « dans la matinée du 5 septembre, des représentants qualifiés du comité populaire de la ville avait rappelé à l’évêque Huynh Van Nghi qu’il devait respecter la législation de l’Etat de la République socialiste du Vietnam et l’avaient sommé de mettre un terme aux activités liées au titre d’administrateur apostolique du diocèse de Hô Chi Minh-Ville » . Or, Mgr Huynh Van Nghi était présent aux deux retraites sacerdotales annuelles, du 6 au 9 et du 13 au 16 septembre 1993. Ici, l’évêque assume ouvertement son titre et sa juridiction sur les prêtres du diocèse, conformément à la décision du Saint-Siège. Nous apprécions cette attitude digne et nous voyons là un exemple à suivre.
5 – Est-ce une coïncidence fortuite ou le fruit d’un calcul ? – les représentants qualifiés du Comité populaire sont venus rappeler à l’ordre Mgr Huynh Van Nghi, le 3 septembre 1993. C’est ce jour-là que Công Giao và Dân Tôc publiait un article intitulé « Un administrateur apostolique de plus ? » (4) L’auteur , bien que sachant parfaitement pourquoi le Saint-Siège a dû choisir la solution consistant à désigner un administrateur apostolique, feint de s’interroger et suggère à ses lecteurs que le Saint-Siège aurait des arrière-pensées politiques. Ainsi, il a joué le rôle de précurseur du communiqué dont nous venons de parler. Lui et ses confrères de la rédaction de cet hebdomadaire s’étaient aussi montré précurseurs de la même manière dans l’affaire des canonisations en 1988.
6 – Il est divertissant de noter que les autorités municipales appellent le peuple à appliquer strictement la politique de respect de la liberté de croyance préconisée par l’Etat, alors que ce sont elles qui la violent sans vergogne, attentant à l’indépendance de l’Eglise dans les domaines qui sont les siens, comme l’ordination des prêtres, la nomination des évêques. Le communiqué rappelle aussi que le peuple doit se donner comme principe de vivre et de travailler dans la légalité, alors que l’Etat, lui, obéit à la loi de la jungle.
7 – L’éditorial de Saigon Giai Phong, intitulé « La liberté de croyances ne peut aller à l’encontre de la loi » dit la même chose que le communiqué. Cela n’est pas difficile à comprendre puisque Saigon Giai Phong, c’est « la voix du comité du Parti à H.C.M.Vmême si aujourd’hui, le journal a voulu se transformer et devenir « La voix du peupleCe peuple-là, c’est encore le Parti.
– Dans ce même éditorial, on trouve ce passage: « La liberté de croyance ne sera assuré que lorsque la religion collaborera avec la nation, liée aux intérêts de la nation, aux intérêts du pays, du peupleDans la pratique, on remplacera les mots, nation, pays et peuple, par les mots « Parti communiste ». Les valets du régime à l’intérieur des diverses religions auront toute liberté de nuire à leur religion pour servir le Parti sans tenir compte des intérêts de la nation, du pays ou du peuple.
– Monseigneur, comme le dit le proverbe: « L’arbre voudrait rester tranquille, mais c’est le vent qui ne s’arrête pasNous autres, fidèles, étions en train de nous dire: « Il nous faut oublier les persécutions dépassées, les manigances méprisables du Parti communiste, qu’elles s’exercent au grand jour ou en cachette, sur une grande ou petite échelle, pour nous engager dans l’édification de notre patrie en cette période dite de renouveaumais
ce communiqué du Comité populaire de la ville déçoit infiniment les espoirs que nous avions conçus. Les slogans appelant au renouveau ne sont guère que du vent . La suspicion, les persécutions à l’encontre des religions en général, et plus particulièrement de la religion catholique, sont toujours là.
Je vous souhaite la paix dans le Seigneur.