Eglises d'Asie

SEIMEIZAN 1987-1992 Cinq ans d’expérimentation interreligieuse

Publié le 18/03/2010




Cinq ans ont passé depuis que Seimeizan a été institué (1) comme lieu de prière et de rencontres interreligieuses sur les collines de Heboura, un magnifique petit village de Kikusui dans la préfecture de Kumamoto. Ces cinq années ont été remplies d’événements et même trop pleines surtout pour un lieu qui se veut d’abord un lieu de prière et d’échange spirituel.

Seimeizan : « La montagne de la vie »

Le Centre pour la rencontre interreligieuse, bien qu’abritant une communauté catholique, est appelé Seimeizan, nom à consonnance bouddhiste. Le fait intéressant est que le temple principal, un temple bouddhiste, possède un nom chrétien puisqu’il est habituellement connu comme Schweitzer Ji. En fait les deux ensembles forment une seule entité juridique (shukyohojin) : le Centre Seimeizan – Schweitzer pour la rencontre interreligieuse.

Quand il a été construit il y a cinq ans, Seimeizan comportait trois bâtiments principaux, tous dans un style simple en harmonie avec l’environnement naturel et dans la tradition japonaise bien enracinée et bien conservée des villages voisins. Cette année, deux petites constructions ont été ajoutées : deux ermitages dans les bois, à l’est du hall de la prière, afin de donner la possibilité à ceux qui le désirent de passer quelques jours dans un silence plus profond et dans la méditation.

La raison pour laquelle ces ermitages plus isolés ont été construits est que Seimeizan reçoit beaucoup plus de monde qu’il n’était prévu à l’origine, et il n’est pas toujours possible de garder le silence strict qui est tellement important pour une maison de prière ou Dojo.

En cinq ans 12 000 personnes sont passées à Seimeizan pour y passer quelques heures ou pour s’informer sur les activités proposées. La moyenne des visiteurs est de 2 500 à 3 000 par an. Ceux qui sont restés et se sont joints à la vie de la communauté de Seimeizan pendant quelques jours, quelques semaines ou quelques mois, ont été plus d’un millier ou une moyenne de 200 à 250 par an. Ceux qui viennent pour une brève visite (o-mairi) sont le plus souvent bouddhistes. Ceux qui restent pour quelques jours sont plus souvent chrétiens. Quelquefois, il y a des groupes d’étude, des retraites avec la participation de chrétiens et de non-chrétiens. En dehors de ces groupes organisés la plupart des personnes qui viennent se joignent simplement à la vie de la petite communauté qui comporte deux prêtres xavériens et trois soeurs, une xavérienne, une ursuline de Sendai et une soeur de l’Institut de Marie mère de miséricorde (Itsukushimi no Seibo Kai

Une maison de prière

Seimeizan est d’abord une maison de prière ou d’expérience spirituelle. Le dialogue entre différentes religions se déroule à différents niveaux et possède plusieurs aspects. Il existe un dialogue dans la recherche scientifique et les échanges intellectuels; il y a un dialogue de vie fait de coopération dans le domaine de la justice sociale, de la paix et de la construction d’un monde plus humain; et finalement, il y a un dialogue dans l’expérience spirituelle de personnes de différentes religions qui se proposent les unes aux autres leurs expressions respectives de la foi, la possibilité de partager autant que possible dans leurs modes respectifs de prière, de méditation et de quête de Dieu ou d’Absolu.

La prière à Seimeizan est centrée sur certains moments et sur certains aspects. Nous mettons l’accent sur la prière au contact de la nature. Cet aspect de la pratique de Seimeizan est liée d’une part à l’attention particulière que nous portons à la tradition du Shinto dans laquelle la nature porte une profonde signification religieuse, et d’autre part à notre souhait de procurer un élément commun d’expérience religieuse à tous ceux qui viennent, quelle que soit la religion à laquelle ils appartiennent. Il est bien connu que les Japonais sont particulièrement attentifs à la nature, à ses changements, à sa beauté et à sa vie mystérieuse.

Par ailleurs, à la suite d’une tradition chrétienne très ancienne, la prière du matin à Seimeizan se déroule toujours au moment du lever de soleil : une demi-heure de prière, à l’extérieur, face à l’orient dans l’attente du soleil levant derrière la magnifique chaîne montagneuse du volcan Aso et des collines alentour. L’été, la prière du matin commence à cinq heures et l’hiver à six heures.

La prière du matin est toujours précédée ou suivie par une demi-heure de méditation assise dans la tradition zen, mais avec une explication qui permet aux participants chrétiens de lui donner une dimension chrétienne particulière.

La messe est ensuite célébrée dans le hall de la prière. Elle s’inspire de la cérémonie traditionnelle du thé qui s’allie si bien à la signification et à l’esprit de l’Eucharistie (3).

A midi, dans le hall de la prière, un court service est organisé. Dans sa structure, cette prière ressemble à un typique o-kyo ou récitation de sutras telle qu’elle est faite dans les temples Jodo Shinshu (4): après la récitation commune d’un texte biblique (Jn 1, 1-18), le prêtre proclame le pouvoir salvateur de l’invocation du nom de Jésus faite dans la foi (Rm. 10, 8-13). Une prière litanique est récitée ensuite avec invocation de l' »Emmanuel-Amen » d’une manière qui rappelle les nenbutsu si appréciés dans les traditions bouddhistes jodo et jodo shinshu.

La réunion de prière suivante se déroule au coucher du soleil. Cette fois, nous prions face à l’ouest. Si le temps le permet cela se passe toujours à l’extérieur afin de contempler le coucher du soleil sur la mer Ariake.

Avant le repos au commencement de la nuit, la communauté se rassemble une fois encore dans la petite chapelle pour la prière de la nuit et à la fin de celle-ci, sur le petit porche devant la chapelle, avec une seule chandelle éclairant la statue de bois de la Vierge Marie, nous chantons le Salve Regina. Après cela, commence le silence strict qui durera jusqu’au matin suivant après le premier repas pris ensemble et le travail du jardin ou samu fait en commun dans la tradition des temples zen.

Par conséquent, la plupart des personnes qui viennent à Seimeizan y viennent pour prier, pour méditer, pour passer quelque temps en silence et en contact avec la nature, pour une expérience plus profonde de la Réalité Absolue qui est aussi le plus fondamental et le plus sûr point de rencontre et de communion entre les êtres humains.

La prière marque aussi les divers événements et moments de la vie du Centre Seimeizan-Schweitzer quand Roshi Furukawa, sa famille et quelques-uns de ses disciples se joignent à la communauté de Seimeizan pour une célébration ou un service commun. Ainsi par exemple, pour la cérémonie de dédication du premier bâtiment de Seimeizan ou du premier des deux ermitages, à l’anniversaire de l’inauguration, ou en d’autres occasions, un service bouddhiste a été conduit par Roshi Furukawa, suivi d’une liturgie chrétienne (6).

L’élément caractéristique de ces prières est que chacun y exprime clairement sa foi et en même temps, se trouvant en présence de personnes d’une autre tradition religieuse, essaye de rendre les textes et le rituel symbolique aussi accessibles que possible à ces personnes. De cette manière, la prière et les services religieux deviennent un témoignage réciproque de la foi de chacun et, autant que possible, une invitation au partage ou au moins à la compréhension de la richesse spirituelle contenue dans chacune des traditions religieuses en présence.

Rencontre et dialogue

Le premier et le plus immédiat espace de dialogue est le petit village de Heboura et la petite ville de Kikusui où le Seimeizan est situé. Le village a environ 250 habitants, et la ville 8 000. Il n’y a aucun catholique. Les contacts ont été fréquents et amicaux depuis le début. La plus grande partie de la population appartient au bouddhisme jodo shinshu. Beaucoup viennent souvent faire o-mairi à Seimeizan car il n’y a pas de temple bouddhiste à Heboura. Au moment du nouvel an, 300 personnes environ viennent ici pour hatsu mode (7). Nous accueillons chaque personne ou groupe avec une prière et une bénédiction (Nombres, 6, 24-27). Puis l’une des soeurs accompagne chacun à la salle à manger où amazake et o-cha sont servis à tous. Le hall de la prière est décoré pour l’occasion de Shimenawa et kadomatsu. A l’intérieur sur un mur bas et large qui ressemble à un tokonoma, il y a des gâteaux de riz, des fougères surmontées d’un hamikan et un peu de riz enveloppé dans du washi spécial. Le prêtre est habillé d’un kimono classique solennel.

Chaque année, l’association des anciens du village fait un spécial o-mairi et passe plusieurs heures au Seimeizan à écouter un sermon. Ils insistent pour avoir un discours d’une heure et demie et pour partager le déjeuner (o-bentoLe fujinkai, association des femmes, se comporte de la même manière. Le jour de leur rassemblement annuel, je dois donner un sermon qui doit durer lui aussi une heure et demie et écrire les noms des membres de l’association morts au cours de l’année : toutes ces tâches sont habituellement accomplies par un prêtre bouddhiste. En cinq ans, elles ont demandé trois fois au prêtre de Seimeizan de jouer ce rôle.

L’année de l’inauguration de Seimeizan, en 1987, la population du village demanda elle-même que nous fassions quelque chose pour expliquer aux enfants la signification réelle de Noël. Nous étions très heureux de le faire. Nous avons eu un service de Noël pour les enfants avec une grande crèche dans le hall de la prière, des diapositives, la narration de l’histoire de Bethléem, une procession aux chandelles et la lecture solennelle de l’évangile de la nativité. Ensuite, nous avons chanté des chants de Noël. Finalement, à la salle à manger, nous avons mangé des gâteaux de Noël et nous avons à nouveau chanté.

L’année suivante, un groupe de huit enfants est venu d’un village voisin pour demander s’ils pouvaient se joindre eux aussi à la célébration de Noël. Alors nous avons ouvert la célébration à quatre villages des alentours. Le lieu ne peut contenir plus de 80 à 100 personnes à la fois. Maintenant, cette célébration de Noël avec les enfants des villages alentour est en train de devenir une sorte de tradition.

Les gens viennent à Seimeizan aussi de la ville de Kikusui. A deux reprises, des groupes sont venus à pied (10km) avec des enfants et des vieux, demandant toujours un sermon et passant plusieurs heures sur les lieux avant de s’en retourner chez eux toujours à pied.

En même temps que ces moments collectifs de rencontre et de partage, nous apprécions aussi le contact quotidien avec des individus amis, des familles, et le shinbokukai annuel avec la population du village de Heboura, tout comme le Funayama Kofun Matsuri (fête) de Kikusui.

Une seconde catégorie de contacts amicaux est constituée par nos liens avec les temples bouddhistes de la région. Ces contacts et cette coopération sont évidemment en premier lieu avec le temple principal qu’est le temple Schweitzer à Tanana. Tous les mois nous participons à la réunion des disciples de Roshi Furukawa, et tous les deux mois nous avons une réunion similaire à Fukuoka. Depuis le tout début, il y a cinq ans, on me demande chaque fois de faire une causerie d’une heure sur le christianisme. Les participants sont bouddhistes pour la plupart. Quelquefois des chrétiens viennent aussi. Par ailleurs, la famille et les amis proches de Roshi Furukawa rencontrent souvent la communauté de Seimeizan pour travailler ensemble à divers projets. Seimeizan a aussi des contacts avec d’autres temples, par exemple Kanzeonji à Takezaki entre Nagasaki et la préfecture de Saga. Nous avons été présentés au prêtre principal par les Pères des Missions étrangères de Milan qui travaillent dans la préfecture de Saga et qui sont en termes très amicaux avec lui depuis très longtemps. Depuis quatre ans nous prenons part au matsuri très spécial de ce temple qu’on appelle nagarekanjo. Après le service bouddhiste il y a maintenant un service chrétien chaque année dans le petit port de Takezaki. Ensuite, prêtres et soeurs d’un côté et moines bouddhistes de l’autre, sur le même bateau, une impressionnante procession s’avance sur la mer qui fait face à la presqu’île de Shimabara. Le but est de prier pour les morts ainsi que pour le succès et la protection des pêcheurs dans l’année qui vient. Les prêtres et soeurs catholiques, en même temps que les moines bouddhistes, jettent ensuite ensemble, lentement et solennellement, à la mer, des fleurs et les petites tablettes sur lesquelles sont inscrits les noms des morts de l’année.

Le Rév. Sawa est devenu très ami du Seimeizan et nous a rendu visite déjà à trois reprises. C’est un prêtre Shingon et son temple est très ancien.

Le temple de Kiyomizu (Kiyomizudera) dans la ville de Yame appartient à la tradition Tendai. Nous avons établi des liens amicaux avec le prêtre principal, le Rév. Nabeshima, parce que sa femme est catholique. Les mêmes relations existent avec le Rév. Ide, prêtre principal de Sainenji, dans la préfecture de Saga. L’année dernière il m’a demandé de faire le sermon officiel du matsuri annuel de son temple, le jour anniversaire de la naissance de Shinran Shonin. Ce temple appartient au Jodo Shinshu de Nishi Honganji.

Cette forme de dialogue dans laquelle Seimeizan s’engage est avant tout faite d’amitié réciproque et d’un échange de témoignages au niveau de ces formes privilégiées d’expression de la foi que sont la prière, la célébration rituelle, l’expérience spirituelle. En parallèle avec le dialogue de vie et le dialogue de recherche scientifique, ce type de rencontre interreligieuse a aussi une grande importance si l’on veut que les religions se rencontrent, pour se connaître et pour échanger ce que chacune des traditions conserve en elle comme un trésor précieux. C’est dans cette forme de dialogue qu’avec sincérité et respect on peut témoigner de sa propre foi et, comme le souligne le récent document du conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, allier le dialogue avec la proclamation de l’Evangile du Christ sans porter tort aux deux aspects importants de la mission de l’Eglise (8).

Un cheminement en commun

En même temps que Seimeizan, comme branche chrétienne du temple Schweitzer, est régulièrement engagé dans les activités du temple principal (honji), il arrive aussi que le temple Schweitzer, à travers sa branche chrétienne, s’adresse à des audiences chrétiennes. Cette année par exemple, à la fin du mois de janvier, Roshi Furukawa et moi-même avons été invités comme intervenants à une session de trois jours des prêtres du diocèse de Kagoshima. L’évêque était présent lui aussi. D’autres occasions ont été données aussi à Roshi Furukawa de présenter sa foi bouddhiste et sa vision du dialogue bouddhiste – chrétien à des réunions de prêtres et de missionnaires. Une occasion inoubliable s’est présentée lors d’une session de trois jours sur le dialogue interreligieux organisée à Uji (Kyoto) à laquelle participait Mgr Pierre Rossano. Roshi Furukawa et l’évêque sont devenus bons amis et l’évêque a reçu Roshi Furukawa à l’université du Latran dont il est le recteur et l’a invité à donner un cours sur le bouddhisme jodo shinshu.

C’était en 1989. Avec l’une des soeurs j’ai accompagné Roshi Furukawa et sa famille dans un voyage d’un mois et demi en Italie et en Angleterre. Ce fut l’occasion de nombreuses rencontres dans des églises ou des institutions catholiques. Le clou de ce long voyage fut la rencontre du Saint-Père à Rome et celle de membres du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. En 1990, Mgr Michael Fitzgerald a rendu la politesse en venant lui aussi à Seimeizan et au temple Schweitzer.

Cette visite en Europe fut très importante pour Roshi Furukawa et sa famille. Entre autres choses il a renforcé son amitié pour la communauté saint-Egide de Rome dont quatre membres furent les hôtes du temple Schweitzer en 1987. C’est cette communauté, comptant plusieurs milliers de membres dans plusieurs pays, qui a pris l’initiative d’organiser une suite annuelle à la fameuse réunion d’Assise de 1986 durant laquelle, à l’invitation du pape, des représentants des grandes traditions religieuses mondiales s’assemblèrent pour une journée de prière et de jeûne en signe d’engagement pour la paix dans le monde. Depuis lors, chaque année, la communauté saint-Egide invite des représentants des religions à une rencontre de prière pour la paix en des lieux jugés significatifs comme Varsovie (avec la visite d’Auschwitz) à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie. Roshi Furukawa et l’une des soeurs ont participé presque chaque année à ces rencontres interreligieuses internationales, élargissant ainsi leur réseau de contacts amicaux dans le domaine du dialogue interreligieux.

Mais ce cheminement géographique est aussi le symbole d’un cheminement spirituel dans lequel le temple Schweitzer et sa branche chrétienne, le Seimeizan, sont engagés.

Roshi Furukawa, bien qu’ordonné prêtre bouddhiste dans la tradition shingon, est un disciple fervent de Shinran Shonin, croyant convaincu du Nenbutsu. Il a écrit plusieurs livres parmi lesquels deux volumes de commentaire du Tannisho, le texte fondamental de Jodo Shinshu (9). Pour entrer en profondeur dans la foi et la vie spirituelle de Roshi Furukawa, je me suis mis à l’étude du Tannisho et j’ai aussi traduit vers l’italien ce texte du treizième siècle. J’en ai profité pour traduire aussi et publier le commentaire de Roshi Furukawa. Cette traduction a été publiée en 1989. A la même période, un autre livre écrit par Maria De Giorgi, de la communauté du Seimeizan, a été publié : il narre l’histoire de notre cheminement commun bouddhiste-chrétien (10).

Au delà de cet intérêt réciproque pour la foi l’un de l’autre, il y a certainement eu aussi une influence mutuelle. Depuis cinq ans nous donnons des cours ensemble et nous nous écoutons l’un l’autre. Pendant une année entière nous avons aussi vécu ensemble à l’époque où Roshi Furukawa et sa famille m’ont accueilli dans leur temple de Tamana avant que le Seimeizan Katorikku Betsu In ne soit construit. La compréhension réciproque de plus en plus profonde de notre foi nous a donné la possibilité de partager des idées. Par exemple, il est bien connu que le bouddhisme n’utilise pas le terme de ‘Dieu’, et il ne connaît rien d’une ‘création’ par Dieu. Mais après que j’aie développé pendant deux ans l’idée chrétienne de Dieu lors de nos rencontres mensuelles de Fukuoka, j’ai remarqué que Roshi Furukawa a commencé à utiliser le terme ‘Dieu’ dans ses cours et à se référer fréquemment à la création de l’univers par Dieu, citant souvent le texte de la Genèse où il est dit que Dieu a créé l’être humain à son image : homme et femme Dieu les créa (Gen. 1, 26-27).

De mon côté, écoutant la présentation faite par Roshi Furukawa de Bouddha Amida et de son ‘voeu’ de sauver tous les êtres, j’en suis venu à prendre conscience que c’était certainement là un exemple de révélation divine, l’un de ces ‘rayons de lumière’, de ces ‘semences de la Parole’ que Dieu a distribué dans la vie religieuse de tous les peuples (11). Amida est certainement un « symbole de l’amour infini de Dieu » ainsi que Roshi Furukawa me l’a défini un jour. A travers lui, d’innombrables générations, se préparant à la rencontre de Dieu par Jésus-Christ, l’ont connu et ont cru en lui et en son amour salvateur.

Ce cheminement spirituel ne fait que commencer. Il est difficile de prévoir ce qui nous attend sur la route qui est devant nous. Mais nous vivons dans la confiance profonde que le chemin du dialogue est un chemin commun vers une compréhension mutuelle plus profonde de la foi l’un de l’autre ainsi qu’un partage graduel des dons de Dieu. En découvrant et en reconnaissant avec gratitude et joie les merveilles que Dieu a aussi accomplies dans les autres religions, le chrétien a l’occasion de partager sa foi en Christ, Parole de Dieu, qui, seul, a pleinement révélé et réalisé le plan de salut universel de Dieu et qui est venu « non pas abolir mais accomplir à la perfection » (Mt. 5,17).

Diffuser l’idée

Dans le document de 1991 du document du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, il est dit que « toutes les Eglises locales et tous leurs membres, même si tous de manière diverse, sont appelés à s’engager dans le dialogue interreligieux12). Le pape Jean-Paul II, dans son encyclique Redemptoris missio affirme que tous les fidèles et toutes les communautés chrétiennes sont appelés à pratiquer le dialogue avec les membres des autres religions, même si tous ne peuvent le faire de la même manière et au même degré » (13).

Ce que nous essayons de faire à Seimeizan n’est pas quelque chose de très spécial et limité à ce lieu ou d’autres semblables qui s’adonnent au dialogue interreligieux de manière spécifique. Tout au contraire, l’objectif du Seimeizan est de diffuser parmi les fidèles de toutes les religions cet esprit et cette mentalité, et d’inspirer et de soutenir de telles attitudes et activités dans l’Eglise, dans les autres religions et dans la société elle-même.

Pour ce faire, au delà de la présentation, de l’explication et de la suggestion d’une attitude de dialogue interreligieux à tous ceux qui viennent à Seimeizan, au delà aussi de notre contribution à la construction d’une spiritualité de ce type chez les chrétiens comme chez les fidèles des autres religions chaque fois que possible (sessions, retraites, réunions etc.), nous estimons nécessaire de commencer à former des personnes de manière spécifique pour ce devoir de dialogue interreligieux et de les inviter à s’engager pratiquement dans cette activité qui est pour les chrétiens une partie de la mission de l’Eglise (14).

Nous avons commencé d’abord avec un kenshukai, ou session d’étude, ouverte à tous ceux qui étaient intéressés au dialogue interreligieux à l’église de Tedori, qui est l’église principale de Kumamoto. Nous l’avons fait avec le soutien actif et la généreuse coopération du pasteur, le P. Joe Broderick, des Pères de Saint-Colomban. Roshi Furukawa et moi-même étions les intervenants. Plus d’une centaine de personnes sont venues pour cette session d’une journée. A la fin de la journée, nous avons demandé à ceux qui voulaient continuer la recherche dans ce domaine et s’engager dans une activité interreligieuse de donner leurs noms. Plus d’une cinquantaine se sont inscrits. Plus tard, nous avons écrit à chacun d’entre eux pour savoir quelles étaient leurs intentions, leur attente et quel type de programme pouvait être mis en route. Nous leur avons aussi demandé de faire une demande formelle individuelle pour se joindre au groupe. Plus de quarante personnes l’ont fait. Depuis le 11 février 1992 nous nous rencontrons tous les deux mois pour toute une après-midi d’étude et de consultation.

En ce moment nous étudions le directoire sur le dialogue interreligieux publié par le Conseil pontifical. Nous y sommes depuis presque un an. Après cela, nous avons l’intention d’inviter amis et cousins des autres religions à se joindre au groupe pour commencer un programme de ‘connaissance mutuelle’, pour créer des liens d’amitié et de confiance réciproques. Dans une troisième partie du programme, nous nous engagerons ensemble dans ce que l’on peut appeler un dialogue de vie et un dialogue d’engagement social (15) joignant nos forces et nos coeurs au service de la paix, de la justice et d’un monde plus humain.

Si cette première expérience d’un groupe de laïcs engagés dans le dialogue interreligieux donne de bons résultats, nous avons l’intention de commencer des groupes semblables dans d’autres lieux du diocèse de Fukuoka et peut-être, plus tard, dans d’autres diocèses.

Il est important que le dialogue interreligieux ne reste pas une sorte d’activité élitiste pour théologiens spécialisés ou experts, mais devienne une part essentielle de la vie des chrétiens et des fidèles des autres religions. Seimeizan veut servir de centre de soutien et d’assistance dans cette « diffusion de l’idée » et de la pratique du dialogue interreligieux à la base.

Dialogue de vie et engagement social

L’un des signes d’une expérience spirituelle réelle devrait être l’ouverture à une attitude de service et d’amour pour nos frères humains et pour l’ensemble de la création (16). Seimeizan, comme maison de prière, doit aussi être un lieu où les gens s’ouvrent à la conscience que « l’on ne peut pas dire qu’on aime Dieu si l’on n’aime pas ses frères humains » et qu’en effet celui qui n’aime pas son frère ne connaît pas Dieu car Dieu est Amour (17).

Quand Seimeizan fut inauguré le 23 novembre 1987, il y eut un rite chrétien de dédicace et un rite bouddhiste. Le rite chrétien comportait une lecture d’Ex. 3. Moïse rencontrant Dieu sur la montagne reçoit l’ordre de retourner en Egypte d’où il s’est enfui pour sauver sa vie, d’y retourner et de risquer sa vie pour sauver son peuple, afin de faire de ce peuple d’esclaves le peuple de Dieu. Un lieu de prière doit être lui aussi un lieu d’inspiration pour l’engagement social, pour la libération totale et le salut de l’humanité. Il est intéressant de noter que les directives et les suggestions du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux mettent l’accent sur la libération globale et intégrale des êtres humains et sur le développement et la justice sociale comme quelques-uns des objectifs du dialogue interreligieux (18).

Roshi Furukawa, le prêtre principal du temple Schweitzer dont Seimeizan est la branche chrétienne, a été, toute sa vie, actif dans les questions sociales. Pendant plus de 15 ans il a fait campagne pour empêcher l’exécution de deux hommes qu’il savait être innocents, et contre la peine de mort au Japon. Pendant presque dix ans il a été aussi engagé dans une autre campagne : faire reconnaître à la société japonaise que le Japon était responsable d’une agression injuste contre la Chine et des massacres innombrables qui eurent lieu pendant l’invasion et l’occupation japonaise du continent asiatique, le plus horrible étant celui de Nankin en 1937. Régulièrement il emmène des groupes en Chine pour des pèlerinages de pénitence et de réconciliation. Seimeizan a participé plusieurs fois à ces pèlerinages en 1988 et 1990 (19).

Conséquences de ces contacts avec la Chine, plusieurs projets ont pris forme : initiatives concrètes qui servent de signes de réconciliation et d’aveu de la part du Japon vis-à-vis de la Chine. Seimeizan coopère très concrètement à ces initiatives. L’une de celles-ci sous les auspices de la Croix-Rouge chinoise a pour objet de construire un petit hôpital pour les enfants handicapés de Chang-Chung, dans la province de Jiling. Un autre projet est d’aider un centre pour handicapés de Nankin. Un troisième projet consiste à venir en aide à une institution importante de Shanghai qui a pour but de soigner les enfants dans le besoin, handicapés, retardés, orphelins. Dans ces projets, chrétiens et bouddhistes joignent leurs mains et leurs coeurs dans un service d’assistance sociale qui est en même temps un service de réconciliation internationale pour ouvrir le chemin à une paix véritable et à l’amitié entre les nations.

Au delà de ces projets pour la Chine, le Seimeizan et son partenaire de dialogue interreligieux, le temple Schweitzer, sont aussi engagés dans une campagne d’aide au Mozambique qui, selon les statistiques de la banque mondiale, est le pays le plus pauvre du monde. Le projet consiste à construire des moulins à vent pour pomper l’eau souterraine et lutter ainsi contre une terrible sécheresse et la famine qui s’ensuit. Un autre projet est d’aider les enfants pauvres du Pérou où une longue et cruelle guérilla a fait tant d’orphelins, et où, récemment, une épidémie de choléra a fait de nombreuses victimes.

Roshi Furukawa affirme souvent que le dialogue avec les chrétiens l’a aidé à prendre conscience du besoin qu’a le bouddhisme d’améliorer son engagement social afin de venir au niveau du christianisme dans ce qui doit être considéré comme une dimension intégrale de la vie religieuse. Certainement, pour un disciple fervent de Jodo Shinshu, ce point soulève de nombreuses questions vis-à-vis des enseignements de Shinran. Le dialogue de vie et d’action sera l’un des domaines les plus fructueux où des personnes de différentes religions seront appelées à réfléchir sur leurs convictions respectives. Elles sentiront un changement du coeur et trouveront le chemin qui mène à une plus grande compréhension mutuelle et à une croissance en commun dans une véritable expérience spirituelle.

Seimeizan essaie aussi de rester en contact et de suivre les recherches qui se font à un niveau plus théorique dans le domaine du dialogue interreligieux. Nous participons à un groupe d’étude formé par des professeurs chrétiens et bouddhistes de l’université Seinan de Fukuoka. Nous collaborons avec le Sei to shi o kangaeru kai (association pour l’étude des problèmes en relation avec la vie humaine et la mort). Nous nous informons de ce qui est fait dans le domaine de la recherche scientifique concernant le dialogue entre le bouddhisme et le christianisme dans des centres comme l’Institut Nanzan pour la religion et la culture, et d’autres centres (20).

Seimeizan reste cependant avant tout une maison de prière et de rencontre interreligieuses au niveau de la vie concrète et du souci partagé pour nos frères les hommes qui nous apparaissent comme le terrain pour un témoignage réciproque de la foi des uns et des autres. L’idée fondamentale est que le dialogue interreligieux exige d’abord une profonde expérience religieuse personnelle, une foi personnelle profonde. Nous trouvons dans cette foi une raison de respecter la foi de l’autre et de nous y intéresser profondément comme à une partie de la même et unique histoire du salut, qui n’a qu’une source et une fin, comme il n’a qu’un seul coeur : le ‘coeur’ ou l’amour de Dieu pleinement manifesté en Jésus-Christ (21).