Au début des années 70, les prêtres du diocèse de Hualien étaient conscients de l’émigration vers les villes qui affectait leurs paroisses. Mgr Vérineux, évêque de Hualien à l’époque, autorisa alors Gérard à venir se fixer à Taipei. Il fut rejoint par Jean-Marie en 1971. L’idée de départ était de retrouver les catholiques aborigènes originaires du diocèse de Hualien, d’aller les voir, de leur assurer la messe et les sacrements et, si possible, d’opérer un certain regroupement pour les servir dans leur vie spirituelle comme dans les autres domaines. Les débuts n’ont pas été faciles. Au bout d’un an de travail, notre fichier ne comptait guère plus de sept à huit cents adresses de familles installées à Taipei.
Comment vous êtes-vous organisés?
Nous avons commencé par identifier les quartiers, les usines, les chantiers de Taipei et des environs, où nous avions des chances de trouver des aborigènes. Nous nous sommes mis à les visiter régulièrement, à célébrer l’eucharistie avec eux. Nous avons commencé une catéchèse. A l’époque, certains avaient émigré avec femme et enfants, mais il y avait aussi beaucoup de jeunes qui se trouvaient isolés. Le contact avec eux était facile, à condition de savoir leur langue car, il y a vingt ans, peu de ces aborigènes parlaient correctement le mandarin, qui était déjà la langue officielle. Ils avaient donc du mal à s’intégrer à la société chinoise han.
Les choses ont-elles ensuite évolué ?
Les choses ont peu à peu changé. Des groupes d’aborigènes se sont constitués. Une certaine intégration dans les paroisses de Taipei s’est effectuée. De notre côté, nous sommes restés en liaison avec les prêtres du diocèse d’origine et avec ceux de l’archidiocèse de Taipei.
Qui accueillez-vous principalement ?
Nous nous adressons surtout aux membres des
ethnies Ami et Païwan. Il y a une dizaine d’années, nous avons essayé, sans grand succès, d’entrer en contact avec les Taroko. Depuis cinq ans environ, les pères jésuites de l’université Fujen ont relancé un apostolat auprès des Taroko de toute l’île.
Quelles sont vos relations avec les paroisses de Taipei?
Nous avons pris l’habitude de communiquer aux curés les listes et les adresses, telles que nous les connaissons, des aborigènes qui sont établis ou qui travaillent sur leur territoire. Nous faisons par exemple des préparations au baptême en dehors des paroisses, mais les baptêmes, comme les mariages, sont célébrés dans les paroisses. Assez souvent on nous appelle pour une sépulture, à cause des traditions culturelles importées de la région de Hualien. Et pour les mêmes raisons de langue et de culture, les aborigènes se tournent souvent vers nous pour que nous rendions visite à leurs malades.
Les paroisses nous font généralement bon accueil. Les premiers contacts n’ont pas toujours été faciles, c’est vrai. Nous suscitions quelquefois une réaction un peu négative. Puis, tout doucement, les aborigènes ont commencé à fréquenter les églises de Taipei. L’archevêque nous a publiquement reconnus comme ses prêtres : ce qui nous a facilité bien des choses. Dans les années 1977, 1978, au moment même où la pratique religieuse baissait sensiblement dans les paroisses chinoises, les aborigènes y sont venus de plus en plus nombreux. Les attitudes se sont alors modifiées. En plusieurs communautés catholiques de Taipei, des aborigènes sont maintenant chargés de responsabilités.
Et avec les paroisses du diocèse de Hualien ?
Nous connaissons tous les prêtres de ce diocèse, où nous avons nous-mêmes travaillé pendant plusieurs années. Les échanges sont nombreux. Certains confrères tiennent à venir voir fréquemment leurs paroissiens émigrés à Taipei et dans la région. Leurs visites sont sûrement très profitables. De notre côté, il faut le redire, nous ne célébrons ni mariages ni baptêmes, qui sont réservés aux paroisses soit de Hualien soit de Taipei.
Quelles formes votre apostolat a-t-il prises aujourd’hui ?
Deux soirs par semaine, nous allons visiter un quartier, une usine, un groupe. Ces rencontres sont des réunions de formation spirituelle. Elles se terminent par un repas très simple pris en commun. En fin de semaine, nous célébrons en langue ami dans l’une ou l’autre des paroisses. Une fois par an, nous organisons une rencontre de tous les Ami de la région. Plusieurs milliers s’y retrouvent le temps d’une matinée consacrée à l’Eucharistie et à d’autres activités spirituelles.
Notre principale préoccupation est la formation des responsables. Nous avons divisé la région en une douzaine de secteurs. Chaque secteur est doté d’un responsable et de son adjoint, d’un trésorier, d’une responsable des femmes, d’un responsable des jeunes. En principe, ils se retrouvent au centre une fois pas mois pour une session de vingt-quatre heures. Notre but est d’amener nos « militants » à se prendre eux-mêmes en charge.
Nous avons commencé en juillet 1993 à publier un petit journal en chinois. Il s’appelle « Le pont du coeur », pour tenter d’exprimer les liens que nous essayons de créer ou de développer entre Hualien et Taipei. En principe, il paraîtra tous les deux mois.
Qu’est devenu le fichier d’adresses des années 70 ?
Nous mettons en mémoire dans notre ordinateur le plus grand nombre possible de noms d’individus ou de familles, en les classant par lieu d’origine et par lieu d’habitation actuel. Comme pour un « census animarum » paroissial, nous notons les dates de naissance, de baptême, de confirmation, l’état matrimonial. Ces renseignement sont tenus à la disposition des curés, tant des paroisses d’origine que de celles où les aborigènes habitent actuellement. Nous recueillons aussi des renseignements auprès des paroisses. Nous avons actuellement plus de 15 000 noms. Mais il faut ajouter que certaines adresses ne sont pas précises.
Après vingt-trois années auprès de ces émigrés de l’intérieur, comment vous apparaissent-ils et comment voyez-vous votre propre action ?
La société aborigène a évolué, surtout les jeunes. Nous constatons entre seize et vingt-cinq ans un profond changement d’attitude. Beaucoup d’entre eux semblent fuir : leurs parents, leur clan, l’Eglise, toutes institutions qui dans leur région d’origine représentent à leurs yeux l’autorité. Dès qu’ils ont quitté Hualien, beaucoup de jeunes disparaissent purement et simplement. Il y a eu un temps où l’école, malgré tous ses apports positifs, a d’une certaine façon nui à la population aborigène. Des maîtres, souvent originaires de Chine continentale, inclinaient à mépriser leur élèves des ethnies aborigènes, certains disant : « Nous sommes à l’époque des spoutniks et vos parents sont encore à l’âge de pierre ». Beaucoup d’enfants et d’adolescents en sont alors venus à regarder de haut leur parents et leurs grands-parents, leurs traditions et leur culture.
Les jeunes qui ont grandi en ville n’ont pas connu cette crise. Par contre, comme ils sont des émigrés de la deuxième ou troisième génération, les voilà à la recherche de leurs propres racines. Si dans leur enfance ils ont été en contact avec des prêtres, il est facile de les aborder. Quant aux jeunes qui viennent aujourd’hui des villages du diocèse de Hualien, il arrive tout de même que la communauté chrétienne les récupère au moment de leur mariage, surtout quand il est célébré dans leur paroisse d’origine.
Avez-vous des conversions ?
En ce moment, nous préparons une soixantaine de catéchumènes adultes au baptême, qu’ils recevront à Noël prochain.