Eglises d'Asie

CHRONIQUE D’UNE REPRESSION ORDINAIRE

Publié le 18/03/2010




Extraits de la correspondance de Mgr Belo

10 juillet 1993

J’ai rencontré aujourd’hui les prêtres de différentes paroisses. Les militaires sont en train d’arrêter un certain nombre de jeunes gens pour les interroger… Mais pas seulement pour les interroger. Les militaires les battent et les torturent. On m’a informé qu’ils avaient arrêté plus de 70 jeunes à Lautem, et environ 120 à Baucau. Vous pouvez voir que la persécution des jeunes à Timor Oriental ne cesse pas…

6 août 1993

Les militaires indonésiens continuent à assassiner des civils : hier, 5 août, à environ sept heures du soir deux chefs de village de Waigae et de Vemasse, dans le district de Baucau, ont été tués par les bérets rouges indonésiens. Les deux morts sont Armanso et Vicente. Armanso a été tué de trois balles et Vicente de sept. Après les avoir tués les soldats indonésiens les ont enterrés dans un endroit secret. C’est seulement le 7 août que les familles ont pu récupérer les corps.

5 septembre 1993

La situation ne change pas. C’est toujours la même atmosphère de terreur. Un exemple: avant la visite des représentants du Congrès américain, les Indonésiens ont manifesté leur puissance militaire en patrouillant intensément les rues de Dili et de ses environs. Des jeunes qui venaient à peine d’être libérés de prison ont été repris et emmenés dans cinq camions militaires et détenus en différentes casernes. Les dimanches, les églises de Dili sont gardées par des troupes indonésiennes lourdement armées, par peur des manifestations. Ce que je vois, c’est que l’Indonésie a peur des jeunes, elle a peur de la population de Timor Oriental. Aussi longtemps qu’il n’y aura pas une réduction des forces et du personnel militaires, la situation sera celle d’une occupation militaire dictatoriale…

… Les Indonésiens ont réussi à faire en sorte que les fidèles aient peur de parler avec leur évêque. Les 1er et 2 septembre j’étais dans les paroisses de Malihana et de Bobonaro. Les chrétiens du village de Saborai ont été empêchés par les militaires de participer aux services religieux. Quand le nonce apostolique a visité Bobonaro le 23 juillet, les étudiants de l’école d’agriculture n’ont pas pu venir à l’église pour participer à la messe parce que le commandant militaire les en a empêchés en même temps que quelques familles. Une telle peur a été créée chez les chrétiens qu’ils n’osent maintenant plus approcher l’évêque ou les prêtres… Les jeunes sont constamment sous surveillance, ils sont tendus et je crois qu’un jour il pourrait y avoir une explosion.

8 septembre 1993

Je veux vous dire un peu ce qui s’est passé dans ma résidence à Lecidere le 5 septembre dernier. C’était le jour où la visite des représentants du Congrès américain était prévue. Tôt dans la journée les militaires ont pris des mesures pour éviter toute espèce de manifestation des jeunes. A six heures du matin nous avons célébré la messe dans le patio de la résidence parce que le nombre de fidèles présents était très élevé et la chapelle trop petite. Le grand nombre était créé par les jeunes. Après la messe, quelques-uns d’entre eux se sont cachés dans les chambres, les salles de bains et la cuisine pour attendre le moment propice pour manifester devant les membres du Congrès. Il y avait environ une centaine de jeunes. Pendant la journée davantage sont arrivés. La plupart ont quitté la résidence quand je le leur ai demandé. Mais un groupe a réussi à rester caché dans les salles de bain. A cinq heures du soir, je les ai escortés moi-même à la porte de la résidence. Le problème était que la maison était assiégée par les soldats, la police et ses indicateurs, en tout 200 personnes environ. Après une longue discussion avec les jeunes, j’ai décidé de les emmener personnellement dans un camion et de les laisser près de leurs maisons respectives. De cette manière il n’y avait pas de manifestation. Mais devant la porte de ma résidence une cinquantaine de jeunes avaient été filmés à leur insu par la police indonésienne. Le lendemain, 6 septembre, les soldats les ont tous arrêtés et les ont emmenés à leur quartier général : ils n’avaient même pas manifesté devant les membres du Congrès et pourtant ils ont été battus et torturés de manière barbare.

Je vous en prie, priez pour moi car maintenant je suis pris entre deux feux : les soldats indonésiens continuent à m’accuser de favoriser les manifestations, et les jeunes Timorais m’accusent d’être vendu à l’Indonésie, parce que je ne leur permets pas d’utiliser ma résidence pour manifester…

16 septembre 1993

Hier je suis revenu de ma visite pastorale à Turiscai, Maubisse, Ainaro et Aileu. J’ai été à Turiscai pour y fonder une nouvelle paroisse… Dans tous ces endroits j’ai entendu beaucoup de doléances de la population : elle est constamment surveillée. Dans la région d’Alas, de Faturbeliu, les habitants ne peuvent pas s’éloigner de plus de deux kilomètres de leurs jardins de légumes. Les Indonésiens sont en train d’installer de plus en plus de familles originaires de Java comme « transmigrants » à Alas et Natarbora. Partout où je suis passé j’ai vu de nombreux postes de contrôle de l’armée indonésienne. A tous les points de contrôle, ils fouillent tout, y compris les portefeuilles, les serviettes, les valises. Le 5 septembre ils ont battu un jeune homme et l’ont laissé presque mort. A Dili, au quartier général des commandos de Kolmera, ils continuent à torturer des jeunes par chocs électriques.

Comme vous pouvez le voir, nous vivons dans un climat de terreur et d’oppression. Les Indonésiens disent qu’ils ont déjà retiré des bataillons de Timor Oriental, mais ce n’est pas vrai. Au contraire, ils sont en train d’augmenter la présence militaire partout sur le territoire. Je veux que vous sachiez que les unités militaires suivantes sont à Timor Oriental :

* « Batalyon Tempur », une unité de combat spécialisé dans la lutte contre le Fretilin.

* « Batalyon Territorial » : selon les Indonésiens, ce bataillon est chargé du développement. Mais il ne fait qu’espionner et battre les gens.

* « Kodim »: cette unité est formée par les soldats qui sont dans les districts, les centres administratifs et les villages pour des services sociaux et militaires, pour contrôler et collecter l’information.

* « 745 » et « 744 » sont des unités spéciales formées de Timorais et d’Indonésiens dont le but est de pénétrer en brousse et de combattre la guérilla.

* la Police : elle est partout.

* Les troupes de sécurité « Hansip » et « Ratih » : ce sont des civils timorais formés pour la collaboration avec les militaires.

* Les bataillons de commandos « Bérets rouges », connus à Timor Oriental sous le nom de « Nanggala ». Ce sont les pires. Ils sont chargés d’espionner, d’arrêter et de torturer.

C’est pourquoi, quand les Indonésiens disent qu’ils ont déjà réduit le nombre de leurs troupes et retiré leur bataillon de combat, « Batalyon Tempur », il est nécessaire d’analyser correctement la tactique de l’Indonésie…

Les Indonésiens sont maintenant en train de monter une campagne contre moi, m’accusant partout d’avoir organisé la manifestation du 5 septembre à l’occasion de la visite des membres du Congrès américain – alors même qu’il n’y a eu aucune manifestation ce jour-là – et d’avoir caché ceux qui y participaient. C’est une campagne pour me discréditer auprès des catholiques et pour essayer de les éloigner des églises. C’est la méthode qu’emploient les régimes communistes…