I. INTRODUCTION
1) Les migrations internationales ont, dans le monde entier, pris des proportions inconnues jusque-là. En Asie, le phénomène ne cesse de croître. Et les Philippines sont l’un des pays d’Asie qui fournissent le plus grand nombre de travailleurs émigrés. Ils sont employés temporairement, avec ou sans contrat, légalement ou illégalement. La majorité sont des femmes. Envoyés par les conférences épiscopales ou les diverses commissions formées dans l’Eglise au Japon, en Corée du Sud, à Taiwan, à Hongkong, à Macao, à Singapour, en Thaïlande, en Malaisie et aux Philippines, nous nous sommes retrouvés à Hongkong afin de partager nos expériences entre nous et avec les migrants philippins.
2) Nous avons pu mieux comprendre la réalité du phénomène migratoire et son impact sur la vie des peuples. Nous avons pris conscience plus clairement, à la lumière de l’Evangile et de l’enseignement social de l’Eglise, des défis qui se posent à l’Eglise en Asie. C’est le cri de nos frères moins privilégiés qui nous a réunis et nous invite à renouveler notre engagement de les servir. Nous reconnaissons la nécessité de faire nôtres l’esprit et le coeur de Jésus, et, inspirés par son zèle, nous nous sentons en permanence appelés à nous faire les gardiens de la justice, du développement et de la liberté. Leaders et travailleurs pastoraux dans l’Eglise, nous désirons donc faire route avec les travailleurs émigrés pour travailler avec eux à édifier une vie plus humaine pour les individus, les familles et la société en général.
3) Dans notre recherche et au cours de notre pèlerinage en compagnie des travailleurs émigrés, nous reconnaissons la nécessité de “servir les peuples d’Asie dans leur quête de Dieu et leur poursuite d’une vie humaine meilleure” (FABC, assemblée générale, Bandung 1990). Ce qui nous invite à faire nôtres la perspective de l’Evangile et la doctrine sociale de l’Eglise. C’est ce qu’exprime, pour ce continent, la déclaration finale du “Colloque sur la doctrine sociale de l’Eglise dans le contexte de l’Asie” (janvier 1992, en Thaïlande).
En conséquence:
Nous dénonçons:
1) Le système économique: en donnant la priorité à l’argent et au marché, il s’oppose violemment au droit qui est celui des pauvres en Asie, de vivre dans la dignité, comme des être humains, comme des fils et des filles de Dieu.
2) Le système politique et les pouvoirs dont les intérêts masqués mettent en danger la vie et la liberté des pauvres en Asie et les empêche de s’élever à la dignité de personnes humaines épanouis.
3) La culture consumériste et matérialiste qui donne la primauté à des valeurs anti-évangéliques et traite personnes et environnement comme des biens de consommation ou de simples matières premières. Une culture qui entraîne la dépersonnalisation des êtres humains, la destruction de la vie humaine et des systèmes nécessaires au maintien de la vie.
4) Les violations des droits de l’homme: non seulement des individus, mais aussi des communautés, au nom de la loi, du développement, de la religion et de la race.
Nous reconnaissons le besoin:
1) De remettre en question le modèle de développement qui prévaut dans le monde et qui a été imposé à nos société asiatiques, avec tous ses incidences négatives sur nos valeurs, nos traditions et nos manières de vivre.
2) De reconnaître l’unité des êtres humains dans l’ensemble de la création, la présence de Dieu au sein de cette réalité, l’obligation pour les être humains de respecter, vénérer, prendre soin de la terre.
3) De redécouvrir notre héritage culturel, afin de retrouver ses valeurs vraiment humaines et de les utiliser comme bases de départ pour d’autres modèles de développement authentique.
4) D’adhérer aux valeurs évangéliques et de les accepter comme la norme définitive permettant de porter un jugement sur tous les modèles de développement.
4) Dans nos efforts pour nous immerger totalement au sein des luttes et des vies de nos frères, nous devons, en tant qu’Eglise, prendre davantage conscience des valeurs sous-jacentes aux différents modèles de développement socio-économique. Notre réflexion sur l’Evangile et l’enseignement social de l’Eglise nous amène à regarder de plus près à la fois “les inquiétudes et les peurs“les joies et les espoirs”. Il est évident qu’en plus des avantages économiques dont profiteront les bénéficiaires, existent des implications religieuses et culturelles qu’il faudra prendre en considération, si nous voulons parvenir à une compréhension totale du phénomène des migrations. L’émigration agit à la fois positivement et négativement, sur le pays d’origine aussi bien que sur le pays d’arrivée. Nous comprenons bien qu’il nous faut donner aux personnes une dimension plus humaine afin de restaurer la dignité et la valeur de la famille et du mariage.
II. LA REALITE DE L’EMIGRATION ET DU TRAVAILLEUR EMIGRE
Migration des Philippines vers les autres pays d’Asie
5) Depuis qu’à été formulé, en 1974, le programme philippin du travail, – et celui-ci était la conséquence de la crise économique provoquée par les événements internationaux -, des millions de Philippins sont partis chercher du travail à l’étranger. La majorité sont employés au Moyen-Orient, comme maçons ou au sein d’équipes d’entretien. L’Asie de l’ouest accueille toujours plus de 60% des Philippins émigrés. Ces derniers s’occupent surtout de travaux d’entretien, dans les entreprises ou sont employés domestiques. Depuis quelques années cependant, de plus en plus de Philippins émigrent vers les pays de l’Asie de l’est et du sud-est. Ils sont employés en particulier comme employés de maison à Hongkong, en Malaisie, à Singapour; ou comme ouvriers d’usine en Corée du Sud et à Taïwan. Au Japon, beaucoup travaillent dans le monde du spectacle. Dans tous ces pays, se trouvent aussi des milliers de travailleurs dont on ne sait rien.
6) Cette explosion de départs “forcés” des Philippines est le résultat d’un système économique mondial qui, en donnant la primauté à l’argent et au marché, constitue une agression violente contre le droit des pauvres des Philippines à vivre, dans leur propre pays, comme des hommes, comme des fils et des filles de Dieu. Certains pays de l’Asie de l’est ont progressé à pas de géants dans la voie de l’industrialisation. Ils ne connaissent pas le chômage; certains secteurs de leur économie manquent même de bras. La stagnation économique qui affecte les Philippines, l’accroissement rapide de la population, contribuent au chômage et au sous-emploi. La différence des salaires avec les autres sociétés de l’Asie de l’est attire irrésistiblement les travailleurs en quête d’un meilleur emploi et cherchant à se libérer d’un avenir sans espoir.
7) La demande de travailleurs, particulièrement dans les petites industries de l’Asie, n’intervient pas dans les politiques d’immigration: celles-ci, en effet, ne tiennent pas compte des travailleurs sans spécialité. En même temps, une importante industrie du recrutement fleurit aux Philippines, ainsi que dans les pays demandeurs, ce qui contribue à alimenter les rêves d’un emploi à l’étranger. Les services fournis par les recruteurs et les intermédiaires font s’élever les coûts de l’émigration, au point que, pour beaucoup de travailleurs, l’émigration commence par un emprunt. Les possibilités offertes par les économies asiatiques, les politiques de restriction de l’immigration, les activités illégales de recruteurs peu scrupuleux et la mentalité migratoire des Philippines, tout cela contribue à engendrer l’irrégularité dans l’émigration.
8) Les pays d’accueil bénéficient énormément de la productivité des travailleurs immigrés. Cependant, les limitations apportées aux contrats des travailleurs, que l’on dit nécessaires pour des raisons économiques mais qui en fait sont établies pour des raisons culturelles, réduisent le travailleur à un facteur économique. On continue de mettre en question les avantages tirés de l’émigration par les Philippines. Celle-ci aide l’économie à survivre, mais elle ne favorise en rien la régularité du développement. Quant à son influence à long terme sur les valeurs et la culture philippines, il faudra encore du temps pour en juger. Il faut pourtant reconnaître que la montée d’une mentalité consumériste, la montée de l’individualisme et l’affaiblissement des valeurs familiales montrent l’influence réciproque de l’émigration et de la culture sur la société philippine. De plus, le départ de citoyens éduqués et spécialisés vers d’autres économies, prive les Philippines de personnel qualifié pour le processus de développement.
9) Le travail acharné, les sacrifices consentis par les travailleurs philippins émigrés, leur ont permis d’améliorer la qualité de vie de leurs familles et d’assurer une meilleure éducation à leurs enfants. En même temps, cependant, l’expérience que les Philippins font de l’émigration reste marquée par les difficultés engendrées par les abus et les irrégularités. Les contrats de travail ne sont pas respectés, ou bien à l’arrivée on leur substitue des textes moins avantageux; les salaires sont retenus ou non payés; le temps de travail s’allonge au-delà des limites raisonnables; le taux d’accidents est élevé; on décourage ou on interdit les activités syndicales. Les malentendus provoqués par les différences de cultures et de traditions contribuent à faire donner une image négative des Philippines dans les médias; ils deviennes facilement les boucs émissaires sur lesquels on empile les problèmes de la société locale et les raids anti-crime les prennent souvent comme objectif.
10) La situation des femmes philippines émigrées est encore plus vulnérable. Beaucoup d’entre elles sont employées de maison ou travaillent dans l’industrie des loisirs. Elles deviennent souvent les victimes d’humiliation, de vexation ou de harcèlement sexuel. On les soumet à des contrôles de grossesse, on leur interdit de se marier avec les citoyens de certains pays, leurs droits sont souvent méprisés.
11) Les marins de commerce et les marins pêcheurs, qui constituent le groupe le plus important, sont particulièrement visés par les agences de recrutement illégal. Une fois à bord, ils tombent sous le coup de persécutions physiques ou verbales. Lorsqu’ils sont victimes d’accidents, les compensations sont rares et il arrive que leurs réclamations leur coûtent la vie.
12) Souvent motivée par les besoins de la famille, l’émigration a un impact important sur la vie familiale. L’immigration pour raisons familiales n’existe pas en Asie. Le conjoint laissé derrière, surtout s’il s’agit du père, est souvent incapable de pourvoir à la formation de ses enfants ou de s’occuper des questions d’éducation. Ces responsabilités sont parfois confiées aux parents plus éloignés, ce qui peut devenir la source de nouveaux problèmes. L’anomalie créée par l’émigration est particulièrement significative parce que, dans beaucoup de cas, c’est la mère qui est absente. Il arrive que l’émigration donne à la femme une occasion de se libérer des contraintes imposées par les traditions sociales et d’acquérir une nouvelle conscience de son identité. Mais il arrive aussi parfois que l’émigration devienne l’occasion d’infidélités conjugales: on assiste à la formation de familles irrégulières. Les enfants non reconnus des émigrants deviennent les victimes innocentes de la solitude et de l’infidélité.
13) A leur retour, les émigrés connaissent des difficultés de réintégration. Les possibilités d’emploi ne sont pas meilleures qu’à l’époque de leur départ et les économies qu’ils ont pu rapporter ne leur permettent pas de se lancer dans de nouveaux projets. Certains Philippins font preuve d’un remarquable esprit d’entreprise; mais pour d’autres, l’émigration n’aura que peu servi et certains se verront obligés de repartir chercher du travail à l’étranger. Ceci nous amène à penser que l’émigration devrait être organisée de façon à produire des fruits durables plutôt que des avantages immédiats.
14) Mais nous reconnaissons aussi des signes d’espoir. Ces derniers nous disent que le Seigneur vit toujours au milieu de son peuple.
a – L’émigration fait partie de l’expérience historique et de la réalité de l’Eglise et on peut la considérer comme un signe du développement et de la croissance de l’Eglise aujourd’hui.
b – Mouvement de personnes, elle rappelle l’universalité de l’Eglise elle-même, où les barrières entre nations ou les frontières deviennent arbitraires. Il faut que croisse la conscience de cette réalité que le monde appartient à chacun et que tous ont le droit d’émigrer.
c – La migration montre aussi l’interdépendance grandissante entre les nations et elle peut devenir la base d’un nouvel ordre mondial fondé sur les principes de justice et d’égalité. De là peut résulter un plus grand respect pour la personne humaine et les droits des nations.
15) Les “cris d’angoisse” venant des milliers de travailleurs émigrés, et en particulier des travailleurs philippins expatriés, nous amène à prendre conscience d’autres problèmes encore:
a – Les travailleurs émigrés et le travail humain ne peuvent être considérés comme des marchandises. Les considérations économiques ne peuvent être la seule et unique raison de promouvoir l’émigration sous contrat.
b – Il nous faut reconnaître que certains aspects de l’émigration sous contrat sont tout simplement criminels et doivent être éliminés. Si les injustices inhérentes aux processus de recrutement et à la formulation des contrats ne sont pas reconnus, ce sont les travailleurs eux-mêmes qui continueront de souffrir dans leur personne, au niveau de la famille et de la société dans son ensemble.
c – Nous reconnaissons que le droit de trouver du travail dans son propre pays d’origine est un droit fondamental et qu’il passe avant le droit d’émigrer.
d – Le nombre croissant des femmes qui émigrent pour travailler implique des conséquences à long terme et affecte la vie familiale. Alors que dans le pays d’accueil beaucoup de femmes peuvent aller au travail, c’est aux employées immigrées qu’incombe la responsabilité de donner un foyer aux enfants et de les élever. Les travailleurs immigrés abandonnent leur propre rôle et leur responsabilité dans leur pays. Nous ne faisons que commencer à réaliser les effets de cette situation sur la famille, spécialement sur les enfants qui vivent dans un tel environnement: on commence à les voir, ces résultats, dans le nombre croissant de mariages brisés, dans la délinquance juvénile, dans l’infidélité conjugale, pour n’en citer que quelques-uns.
16) En résumé, voici ce que nous pouvons dire:
a – Chaque personne, chaque pays a le droit de prendre ses propres décisions, en matière d’émigration, quand il s’agit d’améliorer la qualité de la vie de ses habitants.
b – L’émigration ne doit pas avoir pour conséquance la perte de la dignité humaine, elle ne doit pas soumettre les gens à des conditions de vie et de travail inhumaines.
c – L’émigration ne doit pas être forcée et il faut faire très attention au respect de la dignité humaine et des droits de l’homme. La vie familiale et les mariages doivent être considérés comme sacrés. Ils ne doivent pas être soumis aux impératifs d’un ordre du jour économique ou politique.
d – Il faut faire comprendre à quel point il est nécessaire que l’émigration, spécialement aux Philippines, doit être analysée de façon critique et que dans l’Eglise les décisions appropriées soient prises.
e – Le phénomène auquel nous nous trouvons confrontés est une dépendance croissante à l’égard de l’émigration forcée pour résoudre les problèmes d’une économie de plus en plus stagnante. Nous invitons instamment l’Eglise d’origine et l’Eglise du pays d’accueil à étudier les causes profondes de l’émigration et à jouer le rôle prophétique qui est le leur, dans la recherche de solutions. Cela inclut toutes les questions en rapport avec la pauvreté, la dette internationale, le sous-développement, la corruption, les structures économiques injustes dans le pays d’origine lui-même et dans les relations de celui-ci avec ses voisins.
III. UNE VISION PASTORALE ET SES IMPLICATIONS POUR L’ASIE
17) Si nous essayons de formuler une vision de l’Eglise qui est en Asie, par rapport à la réalité de la vie des travailleurs sous contrat à l’étranger et aux conséquences pour eux-mêmes et leurs familles, il nous paraît de la plus grande importance de nous référer aux déclarations de la FABC.
“Nous nous rappelons les paroles prononcées par le pape Paul VI à Manille. L’histoire des peuples qui habitent le continent asiatique, a-t-il dit, montre ‘le sens des valeurs spirituelles qui domine la pensée de leurs sages et la vie de leurs vastes multitudes’. Nous sommes frappés aussi par l’ascèse, un sens religieux profond et inné, la piété filiale et l’attachement à la famille, la primauté du spirituel, une recherche incessante de Dieu et la faim pour le surnaturel”.
“Et pourtant, les bouleversements dont nous sommes les témoins en ce moment de l’histoire de nos peuples – nous y avions fait allusion, avec une certaine anxiété, au cours de notre première assemblée générale – ces bouleversement menacent précisément les valeurs qui forment notre héritage spirituel. Le monde moderne, en dépit de progrès indéniables, amène la dégradation de nos sociétés traditionnelles, avec les résultats que nous savons sur la vie des peuples. On perd le sens de l’appartenance à une communauté, les relations deviennes impersonnelles, on se retrouve désorienté, esseulé: tout cela fait désormais partie de la vie de tant de nos peuples. Il faut y ajouter la sécularisation, avec son culte de la technologie, son matérialisme étroit, son laïcisme, sa fièvre de consommation, son pluralisme idéologique – qui se réalise de manières différentes selon les sociétés. Nous voyons de nos jours les valeurs spirituelles s’éroder avec une telle rapidité et bien souvent, surtout parmi les jeunes, les aspirations de l’esprit humain se trouvent étouffées. Les générations qui montent de nos jours, ont tendance à perdre le sens de Dieu, le sens de sa présence dans le monde, de Sa providence en nos vies. Quelle que soit leur religion, les croyants, y compris les chrétiens, ne sont pas à l’abri de ces influences. Eux aussi sont tentés d’abandonner la prière et les choses de l’esprit” (2ème assemblée plénière de la FABC, novembre 1978, n° 7-8).
Le rôle de l’Eglise d’accueil
18) Comprenant la réalité des travailleurs émigrés en Asie et son impact sur leur vie, nous entendons un appel à nous engager à leur service. Nous ressentons le besoin urgent de devenir une Eglise qui accueille, qui est pleine d’attention. Les migrants devraient pouvoir entrer en contact avec l’Eglise locale, participer à ses diverses activités, s’intégrer à elle. En même temps, il devraient être capables de partager avec elles et avec les habitants (du pays d’accueil) leur foi et leur héritage culturel.
19) Nous voyons bien qu’il est nécessaire d’accompagner le migrant comme une personne humaine, selon l’exemple donné par le Christ lui-même. Cette marche de l’Eglise en compagnie du travailleur émigré est un signe de la solidarité qui existe au sein de l’Eglise universelle: elle est un partage de la mission commune d’évangélisation confiée à tous les disciples du Christ. Cette croissance dans la foi comme Eglise locale faite de gens de nationalités différentes est un signe nouveau de l’unité. Elle nous permet de devenir de vrais témoins de l’appel de Jésus: “Père, qu’ils soient un comme toi et moi sommes unCette avancée missionnaire ensemble devient ainsi vraiment une marche commune des peuples.
20) Travaillant à faire l’unité, l’Eglise d’accueil doit en même temps reconnaître la nécessité d’une diversité d’expression. Cet esprit d’acceptation mutuelle servira de point de départ vers un plus grand enrichissement mutuel, grâce à un processus d’inculturation.
21) Il est nécessaire que l’Eglise d’accueil sache, avec compassion et en esprit de solidarité, discerner en permanence les nombreux besoins des travailleurs immigrés. Cela ne pourra se faire en permanence que par une nouvelle prise de consicence de ce que les travailleurs migrants étrangers ne sont pas “des étrangers dans leur paysmais des membres à part entière de l’Eglise locale.
22) Les situations déshumanisantes sont de plus en plus fréquentes parmi les travailleurs immigrés: il est temps que l’Eglise fasse preuve de créativité et lance des initiatives qui répondent à leurs difficultés. Cela suppose qu’elle ne cesse de marcher avec eux durant ces périodes difficiles et pénibles de leur vie. Les sacrements, les services spirituels rendus par l’Eglise d’accueil, seront une source de grande force qui les aidera à surmonter leurs nombreux obstacles et épreuves qu’ils trouvent sur leur chemin. Il est nécessaire que l’Eglise prenne en charge les besoins spéciaux des migrants, que soient mis sur pied des programmes et des services spéciaux pour aider à leur développement intégral.
23) La protection des droits de ces travailleurs immigrés incombe aussi à la communauté locale, qui peut leur porter secours et faire que leur dignité soit respectée. C’est la responsabilité de l’Eglise d’accueil de travailler en étroite relation avec le gouvernement de l’endroit afin que les services soient à la disposition des travailleurs immigrés qui forment une part importante de la force de travail et apportent leur contribution à l’économie et à la société.
24) Le travailleur migrant devient ainsi un lien supplémentaire entre l’Eglise qui l’accueille et son Eglise d’origine. Un partage continuel des expériences ne peut que mener à un mutuel enrichissement.
25) Il est aussi nécessaire d’inviter les travailleurs migrants à affermir la foi de leurs co-émigrés, par la proclamation de l’Evangile et de ses valeurs et par la conformité de leur vie avec ces mêmes valeurs. Si les travailleurs émigrés se regroupent en petites communautés, cela pourra les aider à approfondir leur foi par la prière, l’adoration, l’écoute de la Parole de Dieu. Leur esprit de communauté et le soutien mutuel aux moments difficiles leur permettront d’avancer vers “une nouvelle manière d’être l’Eglise”.
Le rôle de l’Eglise d’origine
26) Dans sa lettre intitulée “L’Eglise en marche”, le Conseil pontifical pour la pastorale des migrants et des peuples déplacés écrit: “L’Eglise veut aussi faire de l’Evangile le levain de cette réalité qu’est l’émigration afin que celle-ci devienne si possible un moyen d’évangélisation”.
27) Pour que le travailleur migrant devienne un véritable évangélisateur, il est crucial qu’il soit d’abord lui-même évangélisé, par une formation convenable à la foi, par l’adoration et la participation aux sacrements. l’Eglise d’origine doit y pourvoir.
28) Une évangélisation intégrale exige que, consacrés par le baptême, nous devenions des témoins des valeurs et des préceptes évangéliques. Les migrants originaires des Philippines nous donnent de nombreux exemples de témoignage chrétien. D’un autre côté, s’ils ne sont pas suffisamment formés aux réalités de la foi et surtout si leurs motivations sont d’ordre exclusivement économique, ils peuvent aisément porter un contre-témoignage à l’Evangile dans les pays où ils sont envoyés. Ceci est une cause sérieuse d’inquiétude, qui a été exprimée en divers pays d’accueil. Dans les pays asiatiques, où la majorité de la population n’est pas chrétienne, l’Eglise doit être consciente de ce danger très sérieux. Lorsque les travailleurs immigrés ne vont pas à l’église, lorsqu’ils ne font rien pour entrer en contact avec la communauté chrétienne locale, celle-ci voit ses moyens d’intervention pastorale très limités. Et cette attitude a bien souvent pour résultat une compromission dans des activités indésirables, comme le trafic de la drogue et du sexe. Il est nécessaire de faire prendre conscience à l’Eglise d’origine de sa responsabilité: il est urgent, si l’on veut que soit possible une “évangélisation intégrale”, que les migrants eux-mêmes soient évangélisés. Les missionnaires ne peuvent prêcher sans avoir d’abord intériorisé leur foi.
29) C’est donc la responsabilité de l’Eglise d’origine, non seulement de préparer les migrants, mais aussi de s’assurer qu’une législation convenable a été mise en place afin que soient respectés la dignité et les droits de tous. l’Eglise d’origine et l’Eglise d’accueil doivent toutes deux affirmer clairement ce que doit être la politique en matière d’émigration, afin que les responsables du gouvernement et toutes les personnes concernées se laissent guider par les impératifs moraux de l’Evangile et fondent leur action sur l’enseignement social de l’Eglise. Il faut que l’Eglise s’élève contre les injustices et les attitudes politiques inhumaines à l’égard des travailleurs migrants. Nous devons entrer en contact avec les dirigeants civils et les éveiller aux besoins et aux aspirations des travailleurs. Nous devons jouer un rôle actif dans la protection des droits des travailleurs immigrés. Nous devons nous faire “les défenseurs des opprimés” et être prêts à assumer les conséquences de notre action pour atteindre notre but.
Autres soucis pastoraux
30) Il est nécessaire qu’un dialogue plus intense entre l’Eglise d’origine et l’Eglise d’accueil soit établi. Les travailleurs pastoraux sont dans l’angoisse lorsque, chaque jour, ils doivent faire face à des problèmes aussi sérieux que l’infidélité conjugale et la naissance d’enfants hors-mariage: il est urgent d’éveiller l’Eglise d’origine à ces questions. Le besoin se fait sentir d’une préparation spéciale de travailleurs pastoraux qui seraient à la disposition de ces travailleurs émigrés: cela devrait se faire en collaboration avec l’Eglise d’accueil.
31) Le souci pastoral ne peut se restreindre à la seule administration des sacrements. Il faut aussi essayer de comprendre les causes sous-jacentes aux nombreux facteurs déshumanisants en rapport avec les migrations et les travailleurs migrants. Le souci pastoral trouve son origine dans le Christ, dont les pasteurs et les travailleurs pastoraux se font les collaborateurs. Il est nécessaire que nous comprenions mieux et participions davantage à la vie de ces gens qui nous sont étrangers.
32) Il est grand temps que nous nous mettions à étudier les conséquences de l’émigration sur le mariage et la vie de famille. Les implications sociales, morales et spirituelles demandent d’urgence que tous se penchent sur la question. La séparation entre époux, la séparation enfants-parents, sont les conséquences directes du système d’émigration avec contrat de travail. Ménages et familles montrent des signes de destruction. La famille, qui est, aux Philippines, la cellule de base la plus importante à la fois de la société et de l’Eglise, est en danger de se désintégrer sous l’action des migrations avec contrat. Cela doit devenir une priorité pastorale pour tous dans l’Eglise.
IV. CONCLUSION
33) Devant les défis posés par l’émigration et son impact sur les travailleurs, le Symposium recommande qu’une série de programmes et de plans d’actions soient mis au point par l’OHD-FABC, par les commissions épiscopales nationales ainsi qu’au niveau diocésain et paroissial.
34) Nous qui sommes venus à la fois de l’Eglise d’origine et des Eglises d’accueil, nous constatons le besoin où nous sommes de travailler plus étroitement les uns avec les autres, dans le but de provoquer des prises de conscience et d’être davantage au service des travailleurs émigrés. Les réflexions qui précèdent nous donneront une orientation de base. Elles nous aideront à formuler de nouvelles initiatives, tout en gardant à l’esprit le caractère unique et la diversité de chacun de nos pays.
35) Après avoir participé à ce “voyage de foi” et fait l’expérience du dialogue et du discernement, nous en avons tiré la conviction que nous sommes appelés à nous compromettre. C’est ce qu’exprime la 5ème assemblée générale de la FABC (n°9.1):
Au centre de cette nouvelle manière d’être l’Eglise, se trouve l’action de l’Esprit de Jésus, qui guide les croyants aussi bien que la communauté dans son ensemble et les pousse à mener une vie remplie de l’Esprit – c’est-à-dire à vivre une spiritualité authentique. Ceci consiste, à devenir de vrais disciples dans le contexte de l’Asie”.
Pour nous, cela veut dire que nous devons apporter notre attention aux migrants, travailler avec eux, afin de donner une dimensions plus humaine à chaque aspect de la vie d’aujourd’hui; afin que tous aient la possibilité de vivre dans la dignité, comme personnes, qu’ils fassent l’expérience de la liberté en communauté et travaillent ensemble pour le bien commun de tout l’humanité. Notre programme d’action pastorale doit refléter cette dimension intégrale de service, de développement, et de justice. Et cela veut dire: une évangélisation intégrale.
Nous le savons: “Il est venu afin que nous ayons la vie et que nous l’ayons en abondance” (Jn 10,10). Et ceci est valable pour toute l’humanité, en particulier pour les travailleurs migrants à travers toute l’Asie. Nous prions pour que ce voyage ensemble se fasse dans la plénitude de la compassion. Et que par là se réalise la prière du Seigneur: “Que ton règne vienne. Que ta volonté soit faite”.