Eglises d'Asie

UNE NOUVELLE APPROCHE DE LA RELIGION dans le Parti communiste vietnamien

Publié le 18/03/2010




Sommaire

– Introduction: Après l’effondrement de l’idéologie, le pragmatisme

“Réflexions sur la vie religieuse aujourd’hui” par Vu Huy Anh

– “Tolérance et réconciliation dans la pensée du Président Hô Chi Minh” par Ngô Phuong

“Qu’est-ce que l’évolution pacifique” par Pham Quôc Huynh

INTRODUCTION

APRES L’EFFONDREMENT DE L’IDEOLOGIE, LE PRAGMATISME

En novembre 1990, alors que la première délégation du Saint-Siège venue négocier avec le gouvernement vietnamien était en visite dans le centre du pays, le Bureau des affaires religieuses auprès du gouvernement convoquait un groupe d’évêques pour une communication tout à fait insolite (1). Les circonstances exceptionnelles de cette convocation laissaient deviner que les autorités attachaient une grande importance au message qui allait être communiqué aux dirigeants de la communauté catholique. Pourtant le discours qui leur fut tenu aurait pu se résumer en deux phrases, en apparence très banales, qui furent effectivement prononcées à cette occasion: “La religion n’est pas un épiphénomène, mais une réalité qui doit être prise en compte” (2); “Le Parti et l’Etat reconnaissent le rôle des religions pour le maintien et le progrès de la vie morale des citoyens dans la société.” (3).

Une brusque rupture avec l’ancienne orthodoxie marxiste en matière religieuse

Contrairement à ce que l’on a pu penser à l’époque, ces déclarations n’étaient pas destinées à donner le signal d’un véritable tournant en matière de politique religieuse. Les textes législatifs publiés par la suite, en particulier le décret n° 69 HDBT destiné à réglementer les activités religieuses (4), ont montré que le gouvernement restait toujours aussi soucieux qu’auparavant d’assurer le contrôle strict des manifestations religieuses sur son territoire. Certes, beaucoup d’anciennes limitations ont commencé alors à se relâcher; certaines sont même devenues désuètes. Cependant, on a pu constater que les différentes autorisations accordées plus libéralement aujourd’hui à l’Eglise catholique du Vietnam pouvaient aussi constituer un type de contrôle encore plus pointilleux que l’ancien.

En réalité, la transformation que les autorités voulaient mettre en relief devant les évêques était d’ordre strictement théorique, mais assez importante aux yeux des idéologues du Parti communiste vietnamien pour qu’ils éprouvent le besoin d’en faire part à leurs partenaires de la hiérarchie catholique.

Sur le plan théorique, l’événement en effet était considérable. Les propos tenus par les fonctionnaires du Bureau des affaires religieuses marquaient une rupture avec une vision strictement communiste de la religion, inspirée de la vulgate marxiste léniniste, enseignée et diffusée depuis plus de soixante ans au Vietnam. En effet, le contenu du message transmis aux évêques était fait d’éléments étrangers à l’idéologie officielle concernant la religion. Celle-ci, jusqu’à ces dernières années, avait toujours insisté sur le caractère illusoire et pernicieux du phénomène religieux, outil de résignation et obstacle à la lutte pour la révolution.

L’affirmation selon laquelle “la religion n’était pas un épiphénomène mais une réalité” qui devait être prise en compte en tant que telle mettait directement en cause un aspect très important de la tradition marxiste léniniste selon lequel la religion ne peut être qu’un reflet illusoire. Au Vietnam, beaucoup d’exposés officiels (5) sur la religion débutaient par la citation de Lénine très connue: “N’importe quelle religion n’est que le reflet illusoire, dans le cerveau des hommes, des forces extérieures qui régissent leur vie quotidienneC’est par cette phrase que commence par exemple le chapitre sur la religion d’un manuel destiné aux classes terminales du secondaire, “Le socialisme scientifique(pp 188 et ss, éditions des manuels marxistes léninistes, Hanoi 1980) (6). Les textes théoriques communistes vietnamiens avaient durci cette théorie du reflet au point de considérer la religion comme un véritable faux-semblant, un camouflage destiné davantage à cacher qu’à exprimer “la détresse réelle du peupleLes anciens théoriciens marxistes vietnamiens voyaient volontiers dans le phénomène religieux le masque derrière lequel s’avançait l’ennemi de la révolution.

Le deuxième point avancé dans la communication aux évêques de novembre 1990 mettait en valeur le rôle moral que pouvait jouer la religion au sein de la société vietnamienne. Une telle valorisation même indirecte de la religion était bien évidemment parfaitement étrangère à l’ancienne vision de la religion par le communisme vietnamien. Elle était inconciliable avec la théorie du dépérissement de la religion et le rôle joué par la transformation socialiste dans sa disparition définitive. Avant les années 90, aucun aspect du sentiment religieux ne trouvait grâce aux yeux des théoriciens qui affirmaient: “Le but, le contenu théologique, la conception du monde, la solution des problèmes sociaux proposés par la religion sont entièrement opposés à la théorie scientifique révolutionnaire du marxisme-léninisme

La communication aux évêques de novembre 91 a ainsi consacré et dévoilé l’effondrement de pans entiers de l’ancienne doctrine. C’était la première fois que les activités religieuses bénéficiaient d’une telle appréciation positive dans une déclaration officielle. Cependant, depuis quelque temps déjà, dans les milieux intellectuels du Parti communiste vietnamien, il était question d’une appréciation nouvelle du rôle exercé par les religions en matière culturelle et morale. Eglises d’Asie(Dossiers et documents octobre 89) avait en particulier traduit le texte étonnant d’un historien vietnamien membre du Parti, Tran Quoc Vuong qui réhabilitait la religion comme phénomène culturel essentiel. Il faisait du sentiment religieux une composante inaliénable de la condition humaine. Il y affirmait la nécessité du sacré: “Désacraliser toute chose est infiniment dangereux et ne peut conduire qu’à l’anarchie , au désordre, à la violence et peut-être au meurtreQuelque temps plus tard, à l’occasion de la préparation du plenum de mars 1990, Tran Bach Dang, ancien conseiller de Nguyên Van Linh émettait une opinion analogue: “Le Parti communiste est composé d’athées; notre société, elle, est encore religieuse. Les croyances y subsisteront longtemps” (8).

Depuis cette époque, l’ancien point de vue marxiste-léniniste sur la religion a été, de plus en plus, laissé dans l’ombre. Le rapport politique approuvé le 27 juin 1991 au cours du 7ème Congrès du Parti, a entériné cette nouvelle façon d’envisager le sentiment religieux et le rôle des religions à l’intérieur de la société civile. On peut y relever d’abord une sorte de reconnaissance officielle du sentiment religieux comme donnée quasi-permanente de la mentalité populaire: “Les croyances et les religions constituent le besoin spirituel d’une grande partie du peuple, besoin qui subsistera encore longtempsLe dépérissement de la religion est donc désormais reporté à une date ultérieure et l’accent est mis sur l’utilité sociale de la religion. “La morale religieuse contient de nombreux éléments particulièrement accordés à l’oeuvre d’édification d’une société nouvelle” (9) affirmait le rapport politique du septième congrès.

La nouvelle vision religieuse du Parti communiste vietnamien

Depuis l’effondrement idéologique, il n’y a donc plus de point de vue unificateur qui puisse donner une certaine cohésion à une nouvelle théorie de la religion. Les textes que nous avons réunis ci-dessous en témoignent. La plupart des notions et des concepts de mise dans les anciens textes théoriques ont désormais disparu. Il n’y est plus question de la théorie du reflet, pas plus que de la transformation socialiste devant conduire la religion vers son dépérissement. Les termes qui rythmaient l’ancien discours sur la religion ont été entraînés dans le même naufrage que l’idéologie. Les derniers témoins de l’ancienne langue qui s’y trouvent encore sont les termes liés, “le Parti et l’Etatmais ils désignent bien davantage les détenteurs du pouvoir et les acteurs d’une certaine tactique politique que les représentants du prolétariat. Un terme de la langue de bois encore utilisé comme “dialectique” n’a plus qu’un lointain rapport avec le concept emprunté par Marx à Hegel. Il est intéressant de constater par exemple que le mot “communisme” n’apparaît qu’une fois dans le deuxième texte sur Hô Chi Minh et qu’il est, de plus, placé dans la bouche de ses détracteurs.

Dans les textes théoriques traduits ci-dessous, on pourra déceler les quelques caractéristiques qui marquent désormais la vision du phénomène religieux par le communisme vietnamien.

Cette vision se veut réaliste, comme en témoigne notre premier texte. On y découvrira un effort pour débarrasser la réalité religieuse de sa gangue idéologique et des connotations morales qui étaient autrefois attachées à elle. Le phénomène religieux y est abordé d’une façon sociologique et apparaît comme une différence nécessaire au sein de la communauté nationale.

Le deuxième texte est consacré au comportement de Hô Chi Minh à l’égard de la religion et plus particulièrement du catholicisme. L’auteur s’efforce de compenser la disparition de la vision idéologique marxiste léniniste par une référence constante à la pensée et à l’exemple de l’ancêtre de la Révolution vietnamienne, Hô Chi Minh.

En fin de compte la nouvelle ligne religieuse du parti communiste vietnamien, marquée par le pragmatisme actuel, apparaît comme essentiellement politique. Le troisième texte met en place le contexte dans lequel les autorités vietnamiennes situent maintenant les activités religieuses. La religion est désormais envisagée en fonction d’un ordre social et politique menacé de l’extérieur et de l’intérieur par ce que l’on appelle l’évolution pacifique, à savoir par un certain nombre d’idéaux et de mouvements d’idées susceptible de bouleverser l’ordre établi. C’est désormais un pouvoir politique uniquement préoccupé par sa survie qui observe et contrôle les manifestations du sentiment religieux et sa possible utilisation par ses ennemis.

REFLEXIONS SUR LA VIE RELIGIEUSE AUJOURD’HUI

Par VU HUY ANH

[NDLR. Article paru dans la revue théorique du Parti communiste vietnamien “Tap Chi Công San” (Revue communiste), Hanoi, Août 1993]

Il est une réalité que tout le monde a pu facilement constater dans notre pays, ces dernières années: l’importance accrue de la vie religieuse. Des classes d’instruction religieuse bouddhique, des écoles de formation pour religieux bouddhistes ont été ouvertes dans presque toutes les provinces et elles accueillent en permanence des centaines d’étudiants. Dans les villes aussi bien qu’à la campagne, les quinzièmes jours de la lune et les premiers jours du mois, les fidèles des deux sexes viennent en foule faire brûler de l’encens et célébrer Bouddha. Parmi eux, les jeunes ne sont pas les moins nombreux. Dans les provinces du centre et du sud, les activités de la “famille bouddhiste” (1) ont été restaurées et rassemblent des milliers de jeunes gens.

On peut observer le même renouveau au sein du christianisme. Dans les paroisses, les messes se sont multipliées et les fidèles y participent de plus en plus nombreux. Il arrive que, en certains lieux, soient organisés des rassemblements religieux qui attirent des dizaines de milliers de personnes, comme ce fut le cas à Phat Diêm en 1989 (2) ou encore à La Vang en 1980 (3). Le nombre de personnes qui, aujourd’hui, obtiennent des autorités gouvernementales la permission de rentrer au couvent ou d’aller étudier dans les séminaires ne cesse d’augmenter. Chaque année, dans les diocèses catholiques, sont autorisées des ordinations de nouveaux prêtres répondant aux besoins réels; malgré cela, les ordinations clandestines continuent. De nombreuses délégations épiscopales ont obtenu l’autorisation de l’Etat pour aller accomplir la visite “ad limina” auprès du pape ou participer à des réunions organisées par le Saint-Siège. Un certain nombre de lieux de culte protestants qui, dans le Sud, avaient fermé leurs portes après 1975, viennent récemment d’être ouverts à nouveau, certains sans autorisation officielle. Le nombre de fidèles protestants a plusieurs fois doublé sur les Hauts-plateaux du Centre-Vietnam. Au nord, dans la région montagneuse habitée par les H’mongs, on assiste aujourd’hui à un mouvement de conversion au catholicisme (4).

La religion Hoa Hao et le sectes Cao Dai ont aussi étendu le champ de leurs activités. Les activités spirituelles, les fêtes en rapport avec la religion, les phénomènes de caractère superstitieux comme les séances de chamanisme ou de divination se sont aussi développés très vigoureusement. Constructions et restaurations de pagodes, de temples et d’églises, avec ou sans permission des autorités civiles, sont l’occasion de manifestations bruyantes et entraînent dans la population de considérables dépenses d’argent, de force de travail et de temps.

Cet état de chose pose un certain nombre de problèmes que nous devons prendre en considération:

1 – Une certaine façon de considérer la vie religieuse aujourd’hui

Quelle est donc la nature de cette vie religieuse? Le point de vue dialectique nous permet de distinguer dans cette vie religieuse en pleine croissance aujourd’hui, des éléments normaux associés à des éléments anormaux. Ces activités sont normales en tant qu’elles font partie de la vie ordinaire de la population. Elles sont anormales dans la mesure où elles ne sont pas uniquement religieuses mais utilisent la religion et la liberté de croyance au service de visées politiques réactionnaires et engendrent la superstition.

La situation actuelle de notre pays exige que notre conception de la religion – tout comme notre politique en ce domaine – soit marquée par la sérénité, le respect, la cohérence et l’esprit de renouveau. Faute d’une telle approche, on ne tarderait pas à adopter des attitudes et des comportements volontaristes, irréalistes, voire rétrogrades, qui seraient facilement exploités. La politique cohérente appliquée par le Parti et le gouvernement repose sur le respect et la protection de la liberté de croyance et de non-croyance du peuple, sur la prise en considération des valeurs spirituelles et des activités culturelles traditionnelles et modernes. La vie religieuse du peuple prend sa source dans un passé ancien et, très certainement, se perpétuera encore longtemps dans l’histoire. Les croyants et les non-croyants, les fidèles des diverses religions, doivent vivre ensemble aussi bien au sein des diverses ethnies qu’à l’intérieur du peuple; c’est là une nécessité qui subsistera longtemps. Ce n’est qu’en comprenant et en acceptant cette nécessité de vivre en commun, en reconnaissant aussi les droits et des devoirs des citoyens et des croyants, que seront surmontées toutes les différences et que se forgera l’union de tous dans la lutte pour les intérêts supérieurs de la nation et du peuple.

En réalité, la différence de croyances religieuses (entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas, comme entre les croyants des diverses religions) n’existe pas seulement depuis une centaine d’années. Elle est inscrite dans l’humanité depuis le début, depuis que les hommes éprouvent la nécessité d’avoir une croyance. Certains d’entre eux ont éprouvé l’ambition de soumettre les autres à la même croyance qu’eux par la violence, mais, en fin de compte, la différence religieuse a subsisté jusqu’à nos jours. Les larmes et le sang versés en ces affrontements constituent une leçon qui a éveillé l’esprit de l’homme moderne et lui a suggéré un comportement plus sage, plus raisonnable: il respecte désormais les particularités de la vie spirituelle; il ne laisse pas ces différences individuelles avoir une influence néfaste sur le bien commun ; il reconnaît et protège la vie de la communauté avec tous ses soucis et toutes ses charges qui sont loin d’être négligeables. En s’engageant avec toute la communauté, au service des objectifs communs, les religions ne manqueront pas d’engranger des résultats correspondants à leurs intérêts fondamentaux. De même, en apprenant à respecter la différence religieuse, la communauté nationale opérera un rassemblement plus large. Elle sera à même de réaliser ses propres buts et d’atteindre les objectifs de dimension nationale et internationale, propres à son époque, en particulier, la prospérité du peuple, la puissance de la nation, le progrès de la civilisation et de la société.

Chaque croyant, en même temps qu’il mène sa vie religieuse, mène une vie de citoyen, avec ses soucis et ses charges … S’il désertait ses activités civiques, sa vie profane mutilée ne lui permettrait pas d’avoir une vraie vie religieuse. Parallèlement, une vie religieuse authentique avec ses motivations charitables et morales contribuera à améliorer la vie de la communauté. C’est dans cette double perspective que tous les membres de la communauté aussi bien que la communauté elle-même renforceront leur respect mutuel, leur solidarité et leur concorde.

Dans la religion, les croyances sont associées à des formes dans lesquelles elles s’expriment, se maintiennent et se développent. Pour ne pas être un obstacle au progrès de la communauté, chacune des religions doit pouvoir se transformer et adapter ses formes et ses organisations. En vue du bien commun, la communauté nationale doit orienter, solliciter et accueillir de telles transformations pour le meilleur service de la communauté et pour le développement de l’humanité.

2 – Comment aborder la religion aujourd’hui?

En partant d’une analyse sommaire, il est possible d’isoler deux composantes de la religion: d’une part, l’ensemble des idées et des croyances, d’autre part, l’organisation ecclésiale. Si l’on veut aider les religions à emprunter le chemin du patriotisme et du progrès, veiller à faire obstacle aux attitudes et aux activités utilisant la religion avec des intentions politiques mauvaises, il faut prendre en considération les organisations religieuses, les ecclésiastiques, les croyants et essayer de les influencer. Il ne faut pas tenir compte uniquement des croyances et des dogmes religieux. Il y a dans la nature, dans la société, d’innombrables domaines que l’esprit scientifique de l’homme n’a pas encore compris ou expliqués: comment alors éviter qu’une partie de l’humanité ait recours et croie en des forces surnaturelles extérieures à l’homme! Il n’est pas certain que la peur soit l’unique motif qui pousse les hommes vers la religion; il faut aussi citer le besoin de croire, les besoins spirituels, l’attirance vers le bien.

De plus, après une guerre, les populations ont tendance à chercher à se procurer la joie, la consolation, et le retour au calme intérieur au moyen d’activités spirituelles et plus particulièrement religieuses. Ces dernières années, dans leurs façons de voir, dans leurs jugements, dans les solutions concrètes qu’ils ont adoptées, beaucoup de cadres, de membres du Parti, en particulier ceux qui sont chargés d’apporter des solutions aux questions directement en rapport avec la vie religieuse, ont manifesté leur esprit d’ouverture et de renouveau. L’orientation des directives et des documents que nous avons publiés témoignent que l’esprit de renouveau s’applique également au domaine religieux. Ainsi la “réglementation des activités religieuses” publiée par le gouvernement (5) comporte de nombreux articles nouveaux, ouverts, adaptés à la situation actuelle. Cela contribue à créer des conditions favorables à l’intensification de la vie religieuse.

Il est aussi nécessaire de parler d’un type de manifestation de caractère presque religieux puisqu’il a son origine dans la religion et le fond culturel traditionnel: le festival populaire (Lê Hôi). Dans notre pays, il exerce une attirance encore plus forte que la religion; il conditionne de nombreux aspects de la vie communautaire, en particulier la vie culturelle. Orienter ce type de fête, l’animer dans un esprit historique, culturel, en faire une distraction saine pour le peuple, tout cela relève de la responsabilité de la communauté, en particulier des organes compétents.

En un certain nombre d’endroits, subsistent encore des partis pris, des idées arrêtées et étroites à l’égard de la vie religieuse et des festivals annuels. Au contraire, en d’autres lieux, c’est le relâchement qui règne; on manifeste quelquefois même de la négligence en face de certains aspects négatifs de la religion, en particulier de son exploitation. En assurant le déroulement normal des activités religieuses, on renforcera chez nos compatriotes croyants la confiance dans le Parti et l’Etat ainsi que dans l’entreprise de rénovation du pays. On évitera les tensions inutiles et on ôtera aux mauvais éléments toute occasion d’exploiter et de provoquer les fidèles. Naturellement, les actions provocatrices et illégales entreprises contre les autorités par des éléments utilisant la religion, comme à Bui Chu – Phat Diêm (6) autrefois et comme à Huê-Thua Thiên récemment (7), doivent être sévèrement réprimées conformément à la loi.

Tout cela doit nécessairement être accompli de sorte que nos compatriotes croyants puissent mener en harmonie leur vie profane et leur vie religieuse et que soit assurée la bonne mise en oeuvre de la rénovation du pays.

TOLERANCE ET RECONCILIATION

DANS LA PENSEE DU PRESIDENT HO CHI MINH

[Article de Ngô Phuong Ba, membre de l’Institut d’histoire, paru dans “Tâp Chi Công San” (revue communiste), septembre 1993]

Le président Hô Chi Minh a joué un rôle unificateur à l’égard des nationalités (1) et des religions. Il a joui de la sympathie et du respect de millions de nos compatriotes catholiques et, grâce à cela, a transformé la nation toute entière en un bloc étroitement uni. Ses idées de tolérance et de réconciliation sont devenues la plus grande source de force pour la Révolution.

Il y a eu des gens pour dire que l’union avec les catholiques n’était qu’une question de tactique et d’opportunisme. Sur une longue période de temps, il serait impossible aux fidèles de collaborer avec les communistes. Pour ce qui concerne Hô Chi Minh, cette opinion est totalement fausse. Tout au long de sa vie révolutionnaire, le président Hô Chi Minh a préconisé de rassembler en un front d’union nationale tous les habitants du territoire vietnamien, sans distinction de race, de religion, de niveau culturel, ou d’orientation politique, … en vue d’obtenir l’indépendance, la liberté et l’unification pour le pays et d’apporter la subsistance et le bonheur à tous nos compatriotes. Tel est l’humanisme de l’oncle Hô, un humanisme non pas au service du perfectionnement personnel, mais au service de la Révolution.

Pour unir et rassembler de millions de croyants catholiques y compris ceux qui s’étaient égarés dans l’opposition à la Révolution, Hô Chi Minh a dû surmonter de nombreuses difficultés et s’efforcer de convaincre non seulement ses ennemis mais aussi ses propres camarades. Dans les rangs révolutionnaires, les parti-pris étroits étaient loin d’être rares; il ne manquait pas de cerveaux révolutionnaires bouillants pour faire obstacle à la conquête des coeurs des fidèles. Hô Chi Minh a su se comporter avec rigueur et délicatesse.

Le Père Trân Tâm Tinh a remarqué : “A l’égard de l’Eglise catholique, Hô Chi Minh s’est montré fort raisonnable. Dans le règlement des conflits entre les catholiques et le pouvoir révolutionnaire, il n’y a pas un seul signe qui puisse donner prise au reproche de mensonge. Il est d’abord une personne qui aime son pays au dessus de toutes chose. Les paroles de Hô critiques à l’égard de l’Eglise ne touchent jamais à la foi, mais se cantonnent au domaine de l’organisation et du politique“. Sainteny, représentant du gouvernement français dans les années 1945 1946 a confirmé l’esprit de tolérance de Hô Chi Minh à l’égard de la religion. Il a écrit: “En ce qui me concerne, je dois dire que je n’ai jamais remarqué dans ces programmes le moindre petit signe d’agressivité, de soupçon, d’ironie à l’égard d’une quelconque religion”.

Dans les oeuvres écrites avant la révolution d’août 1945, en même temps qu’il fait le procès du colonialisme et de certains dirigeants de l’Eglise, Nguyên Ai Quôc manifeste toute sa compréhension à l’égard des compatriotes catholiques qui n’ont pas toujours suivi le droit chemin. Après la victoire de la révolution en 1945, nos compatriotes catholiques sont devenus le peuple d’un pays indépendant. Notre Parti leur a offert toutes les conditions d’unité et de rassemblement au sein du Front uni de la nation. L’expérience a montré que partout où les autorités ont fait preuve d’étroitesse d’esprit, ont manqué de tolérance et de générosité, beaucoup d’occasions favorables ont été fournies aux réactionnaires pour qu’ils sèment la division religieuse et attirent à eux les compatriotes.

Le président Hô Chi Minh a lié le patriotisme à la vénération du Seigneur obtenant ainsi la confiance des catholiques. Pour la plupart de nos compatriotes qui se considèrent comme des membres indissociables de la grande famille nationale vietnamienne, vénérer le Seigneur en toute authenticité c’est aussi aimer véritablement sa patrie. Dans de nombreux écrits, Ho Chi Minh a associé religion et profane, patriotisme et vénération du Seigneur. Il a, par exemple, écrit. “Croyants et non-croyants unissons-nous pour détruire l’ennemi …”. “Par amour du Seigneur et de la patrie, nous devons lutter pour conserver la liberté de croyances et obtenir l’indépendance pour notre pays

Hô Chi Minh a fait l’éloge de Dieu comme étant la plus belle manifestation de la paix. C’est dans ce respect et cette exaltation de Dieu que Hô Chi Minh a conseillé aux catholiques de lier leur vénération du Seigneur à l’amour de la paix, à l’opposition à la guerre d’invasion des colonialistes français. Par des propos extrêmement francs, il a aidé nos compatriotes à comprendre clairement qu’il n’y a jamais eu d’opposition entre les révolutionnaires et les fidèles dans la lutte pour l’indépendance, la liberté, la paix, le bonheur de la nation et de la population. Durant la guerre de résistance contre les français, malgré les mille tâches dont il était chargé, il a toujours pris le temps d’écrire de nombreux articles pour exalter l’exemple de la lutte menée par les catholiques vietnamiens, comme par les catholiques de France et d’ailleurs contre la guerre d’invasion, pour la défense de la paix. Dans l’article intitulé “Deux bons prêtresHô Chi Minh a écrit: “De nombreux prêtres et catholiques français se sont vivement opposées à la guerre d’invasion au Vietnam. Ces personnes, ainsi que les pères Cagneux et Bouillet ont véritablement mis en pratique le commandement de Charité du Seigneur”.

Le président Hô s’est montré très proche de ses compatriotes lorsqu’il a parlé de Dieu ou des ancêtres. Tous savent qu’avec la mort tout finit, on retourne à la terre, mais chacun vénère les ancêtres. C’est une manifestation de reconnaissance, et de respect à l’égard de ceux qui sont partis, une très belle tradition culturelle de notre peuple et non pas une simple superstition. Hô Chi Minh a parlé de Dieu aussi sincèrement que les catholiques en parlent, qu’ils parlent de la Vierge ou de leurs saints, ou que des bouddhistes parlent de Bouddha. Nos compatriotes catholiques ont été très émus de la vénération de l’oncle à l’égard de Dieu et ils se sont aperçus alors qu’il était aussi près d’eux que des proches parents. Les étrangers se sont étonnés et l’ont admiré. Après avoir fait l’éloge de la courtoisie de l’oncle Hô dans ses rapports avec les dirigeants de l’Eglise de France en 1946, Sainteny écrit: “Le plus plaisant était de savoir que ce matérialiste pensait qu’après sa mort, il rencontrerait ses ancêtres dans la pensée comme il l’a écrit dans son testament: Je laisse ces quelques phrases, pour que lors que je serai allé rejoindre Karl Marx et Lénine et mes aînés dans la Révolutionce qui est une curieuse déclaration pour un athée.

Dans une lettre envoyée aux prêtres et à ses compatriotes catholiques à l’occasion de Noël en 1945, l’oncle Hô a parlé du Christ très solennellement: “Il y a deux mille ans, par une nuit froide, le Seigneur est né pour sauver l’humanité. Il a été un exemple de sacrifice total pour les opprimés, les peuples subissant l’esclavage, pour la paix et la justice … Depuis ce jour de Noël, l’esprit de charité du Seigneur s’est répandu partout et a tout imprégné en profondeur.”

Dans l’esprit et dans la sensibilité de Hô Chi Minh, l’image du Seigneur tenait une place comparable à celle des héros fondateurs de la nation. Il avait l’habitude de dire: “Que le Seigneur protège nos compatriotesDans une lettre datée du 24 décembre 1946, le président Hô au nom du gouvernement et de l’assemblé nationale “prie ardemment l’Etre suprême (Dieu des philosophes) pour qu’il protège le peuple vietnamien et aide le Vietnam à parvenir à la victoire finaleNon seulement, il le prie de protéger nos compatriotes afin qu’ils échappent aux fléaux mais pour qu’ils accomplissent leur tâche révolutionnaire. Dans une autre lettre, il écrit: “Je prie le Seigneur de protéger nos compatriotes pour qu’il les garde dans un patriotisme ardent, qu’il leur donne assez de force pour lutter contre l’ennemi français et mener à bien leur mission sacrée à savoir: servir leur Seigneur et servir leur patrie.

L’intelligence et la délicatesse avec laquelle l’oncle associe le religieux et le profane facilite la réception de son message.

La tolérance du président Hô est différente de la condescendance des anciens monarques. Lui ne se tenait pas au-dessus du peuple pour prodiguer sa générosité. Il a témoigné de sa tolérance par ses actes, par ses sentiments et par une authentique amitié. Sa conception de la tolérance l’a poussé à établir la concorde au sein de la classe dirigeante, entre les dirigeants et le peuple, entre les diverses classes, entre les personnes différentes par la race, par la religion, par les conditions de vie, par les caractères. Il avait l’habitude de dire: Dans les cinq doigts de la main il y en a de longs et il y en a de courts. Les hommes sont différents les uns des autres, mais tous doivent unir leurs forces pour que les choses avancent.

Parce qu’il a estimé et respecté la foi des catholiques, Hô Chi Minh a joui de la sympathie des fidèles et même des prêtres. Parce qu’il a été près du peuple, lié à lui et fondu en lui, il a bénéficié de tout son amour. Il est possible que, dans le monde, seules de très rares personnes lui aient ressemblé. Les fidèles et les dignitaires de l’Eglise ont été infiniment émus de savoir à quel point Hô Chi Minh comprenait et respectait leur foi, leur façon de vivre et de penser.

La ligne politique de “la grande union du peuple tout entierpréconisée par Hô Chi Minh, a attiré à la révolution des millions de catholiques. Après la révolution de 1945, répondant à son appel, la majorité des fidèles a participé avec enthousiasme aux campagnes contre la faim, contre l’analphabétisme et contre l’ennemi extérieur. Dans les affaires d’intérêt national, païens et catholiques se sont toujours rassemblés en réponse aux appels pour le salut de la patrie, lancés par le président Hô. Le 28 avril 1946, lors d’une visite à la province de Thai Binh, la population païenne et catholique lui avait fait présent de produits artisanaux, d’objets artistiques, de fleurs et autres objets. Il envoya à ces donateurs une lettre de remerciements: “Parmi tous les souvenirs, le tableau en soie, tissé par l’école catholique et offert par l’Union des catholiques m’a spécialement ému. A travers ses fils et ses broderies j’y vois l’amour que me portent les catholiques. Cela montre clairement que nos compatriotes ne sont pas divisés en païens et catholiques, mais que tous sont liés entre eux, étroitement unis pour ne faire qu’une seule masse”.

Au cours de la guerre de résistance dans les régions catholiques, une grande bataille était engagée entre l’ennemi et nous. Les réactionnaires sous le couvert du catholicisme fanatique voulaient entraîner nos compatriotes dans les rangs de l’ennemi, ou, du moins, les empêcher de soutenir la résistance. Leur stratagème familier consistait à utiliser les erreurs des cadres dans leur travail de mobilisation des milieux catholiques, à souligner les contradictions et à créer au sein de la population l’impression que le communisme allait éliminer le catholicisme. Mais les idées de tolérance de Hô Chi Minh ainsi que le respect qu’il a manifesté aidèrent les cadres du front patriotique – particulièrement ceux qui étaient engagés davantage dans le travail en régions catholiques – à mieux comprendre les populations et à les entraîner sur la voie tracée par le Parti. Dans un article, Hô Chi Minh a retracé les premières réussites obtenues dans la campagne destinée à persuader les catholiques de se tourner vers la résistance. Il y estimait que, malgré la présence d’un groupe de clercs revêtus de l’habit religieux, traîtres à leur Dieu, dévoués à l’ennemi et trompant les fidèles sans scrupule, la politique gouvernementale d’union, de respect des croyances et de clémence avait arraché nos compatriotes à leur léthargie. Beaucoup d’entre eux, égarés sur des chemins de l’erreur, étaient revenus vers la Résistance et vers la Patrie.

Hô Chi Minh y présentait aussi des exemples concrets démontrant l’efficacité de la politique d’union entre les païens et les catholiques. Plus de 100 catholiques égarés dans la milice à Kim Son et plus de 120 jeunes gens égarés dans l’armée fantoche avaient été ramenés au bon sens par nos soldats. Lors de leur retour chez eux, ils avaient écrit une lettre de remerciement à l’oncle Hô et au gouvernement. Ils se repentaient sincèrement et avaient fait la promesse de servir le Seigneur et leur Patrie de toutes leurs forces. Cet exemple démontrait que notre juste cause triomphait sans conteste des démons du colonialisme et de la trahison.

Lorsque l’on remonte dans l’histoire d’une centaine d’année, on ne peut nier les relations qui se sont nouées entre les catholiques et les forces colonialistes. La dynastie des Nguyên s’est trompée lourdement en poussant un nombre non négligeable de fidèles dans les bras des colonialistes. C’est précisément parce qu’ils n’ont pas réussi à unifier la majorité de la population que les Nguyên n’ont pas pu garder la nation. Depuis son enfance, Hô Chi Minh a médité très profondément sur la perte du pays. Par persuasion et par sympathie, il a attiré à lui des millions de personnes qui, au début, ne faisaient pas partie des rangs révolutionnaires. Plus que cela, il a retourné des hommes qui jusque là luttaient férocement contre la Révolution. On peut affirmer que les sentiments qu’il éprouvait, sa tolérance, le respect qu’il portait à la foi et à la manière de vivre des autres l’ont aidé d’abord à conquérir les coeurs et ensuite à les unifier. Il n’est pas vrai que la volonté, l’énergie humaine et les armes soient les seuls instruments de la révolution. Celle-ci a aussi besoin du dynamisme du coeur humain et de l’affectivité. C’est même la seule force durable qui engage les hommes dans la lutte et édifie la paix.

Le camarade Pham Van Dông, dès l’époque de la résistance anti-française avait fait remarquer: Dans la résistance vietnamienne, il n’y a plus de conflits religieux importants comme ailleurs. La raison de cet état des choses n’est pas à chercher seulement dans la ligne politique de Hô Chi Minh, qui répond aux aspirations du peuple, ni non plus dans la voie proposée par lui, unique chemin de survie pour notre peuple face au périls mortels du temps. Le vrai motif de cette paix religieuse réside dans le coeur de l’oncle aussi vaste que l’océan, dans une tolérance qui émeut chaque homme et l’entraîne vers l’union dans la lutte. A l’égard des égarés, la générosité de Hô Chi Minh est aussi immense. Il enseigne qu’il faut accueillir avec clémence et joie les enfants qui se sont égarés malgré eux.

Tel était l’état d’esprit préconisé par l’oncle au temps de la révolution et de la guerre de résistance. En période de paix, que les croyants et les païens préservent l’unité du peuple tout entier. En cette période nouvelle, bien que Hô Chi Minh soit désormais loin de nous, la sympathie qui l’unissait à ses compatriotes catholiques est encore présente. Elle est toujours à même de servir d’exemple à l’esprit de concertation qui doit régner entre les dirigeants et le peuple, à l’entraide et à l’union qui doivent exister entre les hommes, entre les communautés de personnes différentes par la croyance, l’origine, les idées et le caractère.

QU’EST-CE QUE L’EVOLUTION PACIFIQUE ?

[Traduit du vietnamien à partir d’un texte publié dans la revue de la Sûreté nationale, “Công An” du 17.09.93, sous la signature de Pham Quôc Huynh]

L’expression “s’opposer à l’évolution pacifique” peut, au premier abord, paraître abstraite. Cependant, si l’on parle des aspirations du peuple qui désire vivre en paix, subvenir à ses besoins, développer son économie dans la paix, l’indépendance, la liberté et dans un environnement politique et social normal, tout le monde comprend ce que cela veut dire et chacun est d’accord. Or, il existe un certain nombre de forces hostiles qui ne veulent pas que nous jouissions de telles conditions. Par tous les moyens, elles cherchent à saboter l’édification et le développement économiques, destinés à apporter la richesse à notre population, la force à notre pays et un haut degré de civilisation à notre peuple.

“S’opposer à l’évolution pacifiquec’est donc travailler à la sauvegarde de l’indépendance du pays, à la préservation de la paix et de l’ordre, au bon fonctionnement et à la défense du régime socialiste, à l’édification d’une nation pacifique et prospère. C’est parce qu’il revêt une si grande importance que le thème de “l’opposition à l’évolution pacifique” est l’objet de l’attention et des recherches de scientifiques appartenant à différentes disciplines. Il s’agit de répondre avec le plus de pertinence et d’objectivité possibles aux questions : “Qu’est-ce que l’évolution pacifique?”, et “Pourquoi et comment faut-il s’y opposer?”

Voilà plus d’un an, depuis le jour où leur a été proposé ce thème d’études, que des dizaines de scientifiques, spécialisés en divers domaines du savoir, politique, économie, culture, sociologie, relations extérieures, sécurité intérieure, défense nationale, ont mis en commun leurs connaissances pour faire déboucher leurs recherches sur l’élaboration de bases théoriques et pratiques d’une “opposition à l’évolution pacifiqueLes nouvelles tâches imposées par l’édification et le développement économiques, ainsi que par la rénovation de notre pays, rendent désormais urgente l’élaboration d’une théorie de l’opposition à “l’évolution pacifiqueDe nombreux colloques scientifiques ont été organisés. Le dernier a débuté le 29 juin à Hai Phong. Il avait pour objectif d’examiner le sujet dans toute son ampleur. De nombreux scientifiques y ont participé et les débats ont été fort animés; d’autant plus que les grandes questions traitées, déjà abordées dans les réunions précédentes, avaient, depuis, été illustrées et concrétisées par de récents événements survenus à l’étranger ou dans notre pays.

Nous n’avons pas l’intention de rapporter ici les opinions de l’ensemble des scientifiques participant au colloque, pas plus que le contenu des diverses interventions et conceptions, présentés à la discussion des spécialistes. Nous nous sommes surtout efforcés de rencontrer des dirigeants, des scientifiques et de converser avec eux au moment des pauses, pour recueillir les opinions et les idées qu’ils ont spontanément exprimées.

La vision globale des militaires

Lors d’un échange avec le général d’armée, Dang Vu Hiêp, vice président de la section politique de l’armée populaire, je lui ai demandé:

– “Beaucoup de personnes auront de la difficulté à comprendre la notion de l’évolution pacifique, telle qu’elle s’est exprimée dans ce colloque de scientifiques. Pouvez-vous nous l’expliquer avec des termes ordinaires?” .

Je pense, m’a-t-il répondu, que l’évolution pacifique est une manoeuvre des impérialistes qui peut revêtir plusieurs formes, à l’exception de formes directement militaires; elle a pour objectif d’éliminer le régime socialiste qui est le nôtre. Elle peut se présenter sous la forme de manoeuvres politiques, de propagande mensongère, destinées à affaiblir la confiance de notre peuple, à obscurcir ses idéaux, de telle sorte qu’il ne croie plus à notre régime et veuille adopter le capitalisme. Sur le plan culturel, l’impérialisme diffuse un mode de vie décadent qui, lorsqu’il est adopté par les Vietnamiens, leur fait perdre leurs racines nationales. Sur le plan économique, il peut utiliser de très nombreuses manigances destinées à empêcher que le développement économique de notre pays suive l’orientation socialiste qui consiste à procurer la richesse au peuple et la force au pays, à donner à chacun la nourriture, le vêtement et l’instruction. Les impérialistes peuvent même pousser le régime économique de notre pays dans une direction opposée, au service des intérêts d’une minorité de riches … Cet ensemble de manoeuvres, et beaucoup d’autres encore, contribueront à faire perdre la confiance que le peuple porte au pouvoir révolutionnaire, l’entraîneront à ne plus croire dans les objectifs que nous avons choisis, pour lesquels nous avons lutté et que nous avons arrachés aux colonialistes et aux impérialistes au prix d’innombrables sacrifices et de vies humaines. L’impérialisme pourra même inciter la population à exiger la dissolution de notre régime.

L’évolution pacifique et les religions

Je suis allé poser la même question : “Qu’est-ce que l’évolution pacifique” au vice-docteur Hông Vinh Huy. Il est membre de la rédaction du quotidien Nhân Dân et très proche de l’actualité quotidienne. L’exposé qu’il a présenté au colloque scientifique porte un titre très journalistique, en rapport étroit avec l’actualité: “Après les troubles de l’ordre et de la sécurité publique à Huê, provoqués sous le couvert du bouddhisme, que penser de la propagande parue dans la presse en faveur de l’opposition à l’évolution pacifique” . Je lui ai demandé: “A quoi pensiez-vous précisément en présentant un tel exposé au colloqueIl m’a répondu:

“Dans la stratégie de l’évolution pacifique, les forces adverses ont recours à de nombreuses manoeuvres pernicieuses pour contrer notre Etat. L’une d’entre elles consiste à utiliser la religion et la question des minorités ethniques pour semer le doute et éloigner le peuple du Parti. On prétexte du manque de démocratie, on répand des calomnies sur des prétendus manquements aux droits de l’homme, sur le non-respect de la liberté de croyances pour inciter la population à s’opposer aux autorités. Hông Vinh Huy estime que la tentative de ceux qui, sous l’habit monastique, ont perturbé l’ordre et la sécurité à Huê le 24 mai 1993 doit nous alerter sur les possibilités réelles des forces adverses: elles peuvent effectivement mettre en oeuvre la stratégie de l’évolution pacifique. Ce qui s’est passé à Huê démontre que les réactionnaires ont calculé la voie à suivre et les diverses étapes à franchir, qu’ils ont une direction ordonnée et qu’il existe une coordination étroite entre les divers groupes agissant sous couvert du bouddhisme dans le pays et à l’étranger.

C’est à partir de là, selon le journaliste, que devrait être élaborée la propagande à diffuser sur les médias: elle devrait mettre en évidence la nature de ce qui s’est passé et, en même temps, dénoncer les manoeuvres des forces réactionnaires qui empruntent les apparences de la religion. Ainsi, la population avertie ne succombera pas à ces manoeuvres.

L’évolution pacifique, un pourrissement intérieur

Le camarade Lê quang Thanh (membre du comité central), spécialiste de haut niveau au ministère de l’Intérieur, ancien recteur de l’institut scientifique de la Sûreté nationale a émis les idées suivantes: l’objectif fondamental de ce que l’on appelle “l’évolution pacifique” est de renverser notre régime et notre Etat en “le faisant pourrir de l’intérieur” peu à peu, sans bruit, par l’intermédiaire de manoeuvres d’ordre économique, politique, culturel, social ou encore diplomatique. Les éléments réactionnaires de l’intérieur sont ainsi incités à se manifester sans qu’il soit besoin d’utiliser des forces armées en provenance de l’extérieur. Cette conception a été renforcée dans l’opinion de nombreux scientifiques par l’illustration que les événements récents lui ont donnée. Depuis le mois de février 1993 (1), les réactionnaires en exil ont envoyé des émissaires dans notre pays pour lancer une campagne d’explosions à Hô Chi Minh-Ville destinée à susciter des bouleversements et le renversement du régime. Voilà une manifestation concrète de la stratégie de “l’évolution pacifique” mise en oeuvre par l’ennemi.

Pour une critique théorique de l’évolution pacifique

Bien que les scientifiques présents au colloque aient abordé cette question selon des approches souvent très voisines, l’angle de vision adopté par eux a été quelquefois différent. Le vice-docteur Trân Hâu de l’institut de recherches sur le marxisme-léninisme et la pensée de Hô Chi Minh a fait remarquer:

“Par le biais de toutes sortes de manoeuvres, la stratégie de l’évolution pacifique vise à diminuer la foi des cadres et des membres du Parti en leur idéal, ébranler leur volonté révolutionnaire, saper leur détermination, ruiner leurs convictions morales, altérer leurs sentiments révolutionnaires pour pouvoir ainsi disperser nos troupes et affaiblir nos forces. Leur objectif est de dénaturer le Parti communiste, de faire en sorte que le régime, peu à peu, change de substance et que notre société s’éloigne progressivement des idéaux du socialisme.”

C’est pour cela que le vice-docteur estime que l’opposition à “l’évolution pacifique” doit porter une attention toute particulière à la lutte sur le plan théorique. Elle doit garder intacte le marxisme-léninisme et la pensée de Hô Chi Minh, critiquer les doctrines réactionnaires, les conceptions erronées refusant ou déformant la marxisme léninisme et la pensée de Hô Chi Minh.

Evolution pacifique et économie

C’est un autre aspect qui a été abordé par le général d’armée Hoang Minh Thao, recteur de l’institut de stratégie militaire de la Défense nationale:

La stratégie de l’évolution pacifique commence par des apports culturels et idéologiques qui s’appuient sur des bases économiques. Avec la nouvelle politique d’ouverture et la mise en place d’une économie de marché à plusieurs composantes, à côté des aspects positifs apportés par ces changements, l’influence néfaste exercée désormais par le mode de vie occidental s’est accentuée. Le but de l’existence est devenu la jouissance individuelle et la course après l’argent. Un certain nombre de cadres et de membres du Parti ont été pervertis et ont perdu leur intégrité … Tel est l’environnement, propice à la mise en oeuvre de la stratégie de l’évolution pacifique par l’ennemi. Cette évolution qui touche aussi bien l’idéologie, la culture que l’économie est une oeuvre de longue haleine qui se réalise à travers plusieurs générations. Pour y faire obstacle, nous avons besoin en premier lieu d’un Parti ferme, d’une population calme et d’une armée forte. Le Parti doit pouvoir apporter la justice, la liberté et le bonheur à la population, éliminer la pauvreté et mener une lutte résolue contre la concussion, lutte qui garantira l’intégrité et détermination du Parti.

Une réponse économique à l’évolution pacifique

L’opposition à l’évolution pacifique sur le plan économique a été abordée par le vice-docteur Nguyên Khanh Bat, spécialiste des relations internationales à l’institut national politique Hô Chi Minh. Il a affirmé:

“Actuellement, l’ouverture et le développement économique sont l’orientation commune des nations et des peuples, sans distinction de régime politique, économique ou social. Utilisant ces rapports d’association et de collaboration économiques ainsi que certaines défaillances de notre vigilance, l’ennemi cherche à établir des bases politiques et sociales au service de la stratégie d’évolution pacifique appliquée par lui au Vietnam. Grâce aux investissements financiers et techniques, il exerce une pression sur notre économie pour qu’elle rentre dans la cadre du capitalisme. Les impérialistes nous transmettent l’équipement industriel dépassé dont ils se débarrassent afin de maintenir l’économie de notre pays dans une position de faiblesse et de dépendance vis à vis de l’étranger. Par ailleurs, grâce à l’aide économique, l’impérialisme maintient une pression politique et intervient dans nos affaires intérieures

Répondant à la question : “Que faut-il faire pour s’opposer à l’évolution pacifiqueNguyên Bat Khanh a répondu:

C’est la solidité de notre économie qui sera l’élément décisif dans notre lutte pour faire échouer l’évolution pacifique. L’élargissement de notre collaboration économique internationale devra aller de pair avec la défense de notre indépendance nationale, de notre autonomie, de la sécurité nationale et de l’intégrité de notre territoire. Le développement de la production dans le pays devra être préservée et nos caractéristiques nationales seront mises en valeur.

Sur la nature de l’opposition à mener contre “l’évolution pacifiquePham Quang Chi, spécialiste de haut niveau à l’institut d’études sur le marxisme léninisme et la pensée de Hô Chi Minh, a exprimé les vues suivantes:

“La population joue un rôle infiniment important dans l’opposition à au processus d’évolution pacifique mis en place pour susciter des troubles et des émeutes. Notre peuple n’acceptera jamais le capitalisme lorsqu’il aura compris que celui-ci, bien qu’il se caractérise aujourd’hui par un haut niveau de production et des revenus individuels élevés, est incapable de lui assurer la jouissance de nombreux biens fondamentaux que seul le socialisme peut lui apporter, à savoir l’indépendance et la liberté véritables, la satisfaction des besoins et la justice, la sécurité et la prospérité. Conscient de tout cela, le peuple s’engagera spontanément dans la défense du socialisme.

Les diverses méthodes susceptibles de faire triompher la lutte contre “l’évolution pacifique” ont suscité des débats extrêmement animés. Cependant beaucoup de scientifiques présents sont tombés d’accord pour estimer que notre force résidait dans l’union du peuple tout entier, dans la confiance en la réussite de l’oeuvre de rénovation du pays, entreprise conformément aux orientations socialistes. Notre Parti est fort, nos forces armées sont puissantes, notre économie est sur la voie du développement, l’environnement politique et social est stable, notre prestige international ne cesse de grandir. Nous continuerons de travailler à l’édification, au renforcement et au développement de ces points forts et ainsi l’ennemi aura du mal à mettre en oeuvre la stratégie de l’évolution pacifique.

Cependant notre combat est destiné à durer longtemps. C’est une lutte complexe où il est difficile de reconnaître son ennemi. Il est donc nécessaire de rester lucide, vigilant de façon à découvrir et à contrer les stratagèmes et les activités de l’ennemi dans le cadre de l’évolution pacifique.

Grâce à ces rencontres avec les scientifiques du colloque, j’ai découvert que leurs réflexions étaient animées par le sens des responsabilités qui sont les leurs dans cette tâche nationale. Ils partagent tous la même aspiration: faire comprendre aux diverses couches de la population les problèmes fondamentaux posés par la stratégie de l’évolution pacifique et par le combat qui doit lui être opposé, les aider à participer à cette lutte.