Eglises d'Asie

IRIAN JAYA : MISSION IMPOSSIBLE Les activités missionnaires y sont gênées par des refus de visas

Publié le 18/03/2010




Quarante ans après que les premiers missionnaires ont entrepris la tâche, souvent dangereuse et quelquefois mortelle, de convertir au christianisme les tribus primitives de l’Irian Jaya, les hommes d’Eglise qui travaillent aujourd’hui dans cette province éloignée ont appris à vivre sereinement au milieu de leur troupeau. Mais alors que les menaces de la maladie et du cannibalisme ont disparu, un nouveau danger, probablement plus fatal, est apparu: la bureaucratie. Les fonctionnaires de l’immigration à Jakarta, désireux de diminuer l’influence des missionnaires étrangers, ont réduit le nombre de visas accordés aux missionnaires, mettant ainsi en danger l’avenir d’une ligne aérienne vitale pour la province, et celui d’une entreprise de longue haleine, la transcription de quelques-unes des 250 langues du territoire.

L’Irian Jaya, la province la plus orientale de l’Indonésie, fait plus de la moitié de la grande île de Nouvelle Guinée. Peu peuplé, comparativement au reste de l’Indonésie, le territoire est ce qui se rapproche le plus d’une base chrétienne dans un archipel largement dominé par l’islam. Sur une population d’un million sept-cent mille personnes, cinq cent mille environ sont des convertis, protestants ou catholiques. Parmi eux, deux cent mille appartiennent aux tribus montagnardes de la chaîne centrale de l’île.

En cinq ans, la Fraternité missionnaire – alliance de sept groupes missionnaires protestants américains et australiens – a vu ses membres diminuer de 400 à 170. Les autorités de l’immigration semblent avoir pris pour cible les missionnaires présents en Indonésie depuis plus de quinze ans. Seuls une poignée d’entre eux ont accepté l’offre de citoyenneté indonésienne qui leur a été faite.

La situation est devenue plus sérieuse au cours de l’année dernière quand le gouvernement a annoncé que les étrangers engagés dans un travail de développement social recevraient des visas valables deux ans et renouvelables pour une année seulement. Les missionnaires appartiennent à cette catégorie. “Ils deviennent de plus en plus strictsdit Ardyce Worsley de l’Alliance missionnaire chrétienne, le groupe protestant le plus ancien. “Les changements sont drastiques”.

Essayer de savoir d’où viennent les pressions pour clairsemer les rangs des missionnaires étrangers est un exercice difficile. Elles tiennent en partie à la politique gouvernementale d’indonésianiser les activités de l’Eglise. Le Kalimantan est fermé à de nouveaux missionnaires étrangers depuis 1990, et ceux qui y restent vont bientôt partir. L’Irian Jaya est cependant encore considéré comme un cas particulier et les fonctionnaires sont incapables de dire dans quel délai seront appliquées les règles communes.

Quelques-uns suspectent le gouvernement de céder aux pressions de groupes musulmans, de Java particulièrement, qui s’inquiètent de voir les missionnaires chrétiens attirer des musulmans hors de l’islam. Le sujet est difficile à aborder en Indonésie, très fière de ses succès dans la protection des droits des minorités religieuses. Mais les tensions entre religions existent et, à l’occasion, apparaissent ouvertement. Une église brûlée par des musulmans dans l’est de Java à la fin de l’année 1992 (1) en est un exemple récent. Un tract distribué par un prêcheur protestant local qui dénigrait l’islam avait soulevé la colère des musulmans de la région.

Le directeur général des affaires chrétiennes au département ministériel des affaires religieuses de Jakarta refuse de commenter les mesures anti-missionnaires. Un membre de l’association indonésienne des intellectuels musulmans, rassemblement politiquement influent de dirigeants islamiques, nie que l’association fasse pression pour réduire le nombre des missionnaires: “La politique de l’association, dit-il, est de développer de bonnes relations avec les groupes chrétiens

Le but ultime des missionnaires est de se rendre inutiles et de passer la main aux Eglises locales, telle l’Eglise chrétienne indonésienne forte de 160000 membres. Ils s’inquiètent néanmoins parce que le changement arrive trop vite. “Il est très difficile de faire des plans à l’avancedit Wally Wiley, directeur de programme de l’Irian Jaya oriental pour la “Compagnie missionnaire de l’air”, la seule ligne d’aviation qui dessert l’intérieur du territoire. L’une des inquiétudes de Wiley concerne les agences étrangères d’aide au développement qui pourraient cesser leurs opérations de financement de la ligne d’aviation si les rangs des missionnaires étrangers s’éclaircissent.

Le gouverneur de l’Irian Jaya, Jacob Pattipi, 56 ans, est originaire de Fakfak sur la côte sud. Vétéran du service public, il préférerait que le nombre des missionnaires ne change pas. “Jusqu’à présent, nous avons toujours demandé au gouvernement central de les garder ici, dit-il. Ils apportent beaucoup parce qu’ils ont le souci des indigènes, ils aident à leur éducation et à leur transport”.

Pattipi s’inquiète plus particulièrement au sujet de la “Compagnie missionnaire de l’air”, ligne vitale pour les agences gouvernementales autant que support logistique pour les sept groupes protestants. “La compagnie est très importante parce qu’elle nous aide à atteindre des lieux autrement inaccessibles. La compagnie peut transporter les urnes, par exemple, et permettre que les résultats des élections soient connus en vingt-quatre heures”.

Les dix-sept avions de la ligne et les autres équipements ont été donnés et chacun des quarante-cinq membres de la compagnie est soutenu par des Eglises et des amis, la plupart en Amérique du Nord. D’après Wiley le prix que la compagnie demande pour ses services ne couvre que les coûts de fonctionnement.

Les fonctionnaires du gouvernement insistent pour dire que les visas des employés étrangers de la compagnie ne sont pas menacés, mais Wiley s’inquiète tout de même à cause de l’incertitude qui entoure la présence des missionnaires. Les 20 pilotes seraient difficiles à remplacer, en partie parce que la nature même du travail et ses profits plus que modestes exigent des candidats une motivation spirituelle.

Cependant, alors que le statut des missionnaires relève normalement de l’agence nationale de la sécurité intérieure, les quarante-cinq visas de la Compagnie missionnaire de l’air sont délivrés par le département ministériel des transports. A l’heure qu’il est, même la compagnie aérienne domestique Merpati Nusantara est obligée d’employer des pilotes étrangers par manque de personnel qualifié. “Je crois que nous n’avons rien à craindre”, dit un porte-parole de la Compagnie missionnaire de l’air à Jakarta.

Pendant ce temps, les missionnaires sur le terrain voient leur nombre diminuer chaque jour. “C’est malheureux parce que c’est général”, dit Laurie Quarmby, de la mission chrétienne d’Australie-Pacifique, qui travaille depuis six ans avec les enfants indigènes de la vallée de Baliem. “On découvre encore quelques groupes de population inconnus. L’année dernière encore, un hélicoptère est entré en contact avec un de ces groupes pour la première fois” (2).

Naturellement, les missionnaires mettent l’accent sur leurs résultats profanes plutôt que sur leur prosélytisme. Ils reconnaissent avoir fait des erreurs dans les premières années, en particulier en interdisant les “protège-penis” dans les églises, mais ils se considèrent comme des intermédiaires culturels pour des populations qui sortent graduellement de leurs coutumes primitives. “Les groupes missionnaires, dit Quarmby, ont fourni aux populations indigènes des coussins de protection pour affronter le monde extérieur

L’alphabétisation est considérée comme un des aspects les plus importants de cette transition. L’Irian Jaya et la Papouasie-Nouvelle Guinée voisine comptent ensemble un millier de langues, un cinquième du total mondial. “C’est incroyable, dit Wiley arrivé en Indonésie en 1970. Les gens d’une vallée ne comprennent pas ceux de la vallée voisine. Ils parlent deux langues totalement différentes”. L’alliance missionnaire chrétienne, le plus ancien des groupes missionnaires, a étudié jusqu’à présent quatorze langues, dont les dialectes des deux groupes de population les plus importants de la région, les Dani des hauts plateaux de l’intérieur (150 000 personnes) et les Ekari (120 000) qui vivent plus loin vers l’ouest. Il y a presque toujours une motivation spirituelle derrière le travail de l’alliance, mais comme le dit un missionnaire, “il est plus facile d’apprendre la langue nationale si vous pouvez déjà lire et écrire votre propre langue”.

Bien qu’il prétende ne pas faire de prosélytisme, l’un des groupes étrangers les plus touchés par la politique suivie en Irian Jaya est l’institut de linguistique de Dallas. Il a perdu 150 visas quand son contrat avec l’Education nationale s’est terminé en 1990. Il a tout de même réussi à sauvegarder une partie de son activité en se rattachant au département des affaires sociales. En même temps que des projets de développement communautaire, de santé et d’agriculture, l’institut vient de mener à bonne fin le projet commencé il y a vingt ans de transcrire le berik, la langue parlée par une petite tribu le long de la rivière Tor, sur la côte nord de l’Irian Jaya. L’institut travaille aussi sur douze autres langues parlées par des groupes de population qui vivent dans les endroits les plus reculés de la province.

Le gouvernement ne s’intéresse pas à la transcription des dialectes et les Eglises locales ne semblent pas avoir les moyens de la continuer de manière efficace. Seule une fondation indonésienne s’en préoccupe.

L’une de nos sources nous a dit en parlant des missionnaires : “On n’est pas envahi par eux. Ils s’adonnent à l’aide du prochain. Il est naturel qu’ils aient à coeur de voir ce genre de travail continuer