Eglises d'Asie – Philippines
Le renouveau religieux de l’islam ne s’accompagne pas d’un mouvement politique uni
Publié le 18/03/2010
Autrefois, les Moros, ainsi qu’ils avaient été appelés par les colonisateurs espagnols, tendaient à adopter les manières de vivre des chrétiens, prenaient des noms et des surnoms philippins. “Volontairement ou non, les Moros perdaient leurs noms si beaux. La décadence morale s’infiltrait peu à peu dans leur communauté”, dit un responsable musulman, Maulawi Calimba. En 1954 quatre-vingt pour cent des musulmans ne savaient pratiquement rien du Coran.
Après l’indépendance, le gouvernement a encouragé l’assimilation des musulmans, qui tenaient leur héritage culturel de l’Indonésie, de la Malaisie et des pays du Moyen Orient. Mais l’institut des études islamiques a été fondé en 1973 à l’université des Philippines, en même temps que le centre Faiçal des études arabes et islamiques à l’université d’Etat de Mindanao. La même année a été créée la “Philippine Amanah Bank”, la première institution financière du pays dont le fonctionnement obéit aux règles de la sharia. En 1981, la ville de Marawi a été rebaptisée “cité islamique de Marawi”.
Le nombre des pélerins de la Mecque a augmenté de 81% entre 1974 et 1989. On a compté en moyenne dix-huit-cents pèlerins par an dans les années 80. “Les mosquées sont pleines. Les gens reviennent à l’islam”, dit l’imam Achman Magaran de Marawi, au centre d’une région à très forte majorité musulmane. Il y avait 54 mosquées aux Philippines en 1918, 1 500 en 1983.
Le renouveau de l’islam est surtout manifeste dans la prolifération des écoles islamiques. De tout temps les Moros ont hésité à envoyer leurs enfants dans les écoles publiques. Aujourd’hui, selon un député musulman, Abdul Morahombsar, “chaque bourg a sa mosquée et chaque mosquée son école”. Dans l’ensemble du pays le nombre de ces écoles islamiques est passé de 1 134 en 1981 à 2 000 en 1989.
On peut se demander d’où sont venus les fonds nécessaires, car les provinces à majorité musulmane n’ont guère fait de progrès économiques en comparaison des provinces à majorité chrétienne. Certains dirigeants admettent que les pays arabes contribuent puissamment au financement de leurs institutions. En outre, le gouvernement des Philippines a versé d’importantes indemnités après les dévastations du conflit Moro de 1970 à 1974.
Résultat de ce réveil islamique, de nombreux jeunes sont endoctrinés et propagent à leur tour la foi islamique. Certains chefs religieux, qui soutiennent contre l’opinion des historiens sérieux que les Philippines étaient entièrement musulmanes avant la colonisation espagnole, espèrent qu’elles redeviendront un jour une nation islamique.
Mais présentement, les musulmans de Mindanao restent très divisés. Certains sont plus que compromis avec le pouvoir de Manille. Les différences qui séparent divers groupes ethniques n’ont pas été réduites par l’essor de l’islam, de sorte que, pour se comprendre, les ethnies qui parlent des langues différentes doivent recourir à l’anglais ou à la langue nationale, le tagalog.
Un dirigeant musulman, Nur Misuari, aurait peut-être pu faire l’unité. A la tête du “Front Moro de libération nationale”, il est l’un des interlocuteurs privilégiés du gouvernement dans les pourparlers de paix qui se poursuivent (6). Mais il vit en exil, en Libye, et son éloignement, joint à son désir de compromis, ont détaché de lui certains de ses partisans. Plusieurs groupes fondamentalistes se sont séparés du Front Moro et se signalent périodiquement par des enlèvements ou des attentats sanglants. Qui, en fait, peut parler au nom des Moros ? Selon A. Alilayah, vice-doyen du centre Faiçal de Marawi, “les vrais représentants des Moros sont les mujahiddins, qui sont partout, dans les bureaux comme dans les montagnes. Mais ils ne sont pas organisés”.