Eglises d'Asie – Vietnam
ENTRETIEN DE M. VO VAN KIET, CHEF DU GOUVERNEMENT, SUR UN CERTAIN NOMBRE DE QUESTIONS TOUCHANT LE CATHOLICISME
Publié le 18/03/2010
Dans le domaine religieux, les événements récents survenus à Huê et à Hô Chi Minh-Ville m’ont réellement beaucoup préoccupé.
Pendant longtemps, notre pays a subi le joug étranger et a été ravagé par la guerre; il a beaucoup souffert. Notre patrie est aujourd’hui indépendante et unifiée. De plus, il parait évident que nous sommes en train de progresser. Dans notre effort de rénovation, nous avons déjà obtenu les premiers résultats. Il est vrai qu’il reste encore de nombreux points discutables que nous devons corriger. Mais nous sommes résolus à maintenir la stabilité et nous continuerons de la maintenir fermement aussi bien sur le plan politique que social afin de pouvoir poursuivre notre développement économique sur un rythme plus rapide. Ceci est une très importante leçon que nous avons tirée de notre expérience passée.
Quel rôle attribuez-vous aux catholiques dans cette stabilité ?
J’ai toujours eu une très grande estime pour le patriotisme des catholiques de la ville. Je me souviens encore, qu’à une époque très difficile, alors que nos frontières de l’ouest et du nord étaient menacées et que la population de la ville devait se nourrir de grains de « bo bo » (1) et de patates, les catholiques associés à toute la population, accompagnés de leurs prêtres et de religieux, ont participé aux travaux hydrauliques ainsi qu’à la construction d’une ligne de défense. L’archevêque (2) Nguyên Van Binh, lui-même, s’est rendu au chantier agricole de Thai My pour y lancer le mouvement des travaux hydrauliques. Il est aussi allé à Hoc Mon pour participer à l’inauguration du chantier de construction de la ligne de défense (3). Certes son geste était symbolique, tout comme le mien d’ailleurs (3). Mais sa présence a eu beaucoup d’effets. Elle a permis aux catholiques de s’adapter rapidement au mode de vie nouveau; depuis lors, ils ont partagé les mêmes difficultés que la population de la ville et en éprouvent maintenant la même fierté. C’est peut-être à cause de cela que, récemment, bien que la décision unilatérale du Vatican de nommer un administrateur apostolique ait eu des conséquences fâcheuses sur l’ordination des prêtres, les catholiques ont gardé leur calme; ils ont continué de vaquer à leurs occupations ordinaires, de participer activement aux projets d’édification et aux entreprises sociales de la ville. Les fêtes de Noël ont été célébrées dans l’ordre, avec beaucoup de solennité et de joie.
Dans l’affaire de l’administrateur, nos compatriotes ont promptement reconnu que la réaction des autorités municipales avait pour seul objectif de protéger l’indépendance nationale, de faire respecter la législation de l’Etat et de maintenir fermement la stabilité nécessaire à la vie de tous. C’est sans doute aussi à cause de cet état d’esprit que le Comité d’union des catholiques de la ville a réussi à organiser son troisième Congrès avec une participation de prêtres et de religieux presque aussi nombreuse que les fois précédentes.
D’habitude, la nomination d’évêques et d’administrateurs fait l’objet de discussion et d’un règlement préalables entre l’Etat vietnamien et le Saint-Siège. Quelle est votre opinion dans la récente affaire de la nomination d’un administrateur?
Pour les nominations d’évêques selon l’usage international, de nombreuses nations dans le monde ont prévu qu’une discussion et un accord avec le gouvernement du pays concerné étaient nécessaires. Dans le plus récent des accords, signé entre le Vatican et l’Etat polonais, il y a aussi une disposition de ce type. Actuellement, nous n’avons pas signé d’accord avec le Vatican parce que nous n’avons pas de relations diplomatiques officielles. Cependant, nous nous étions accordés avec le Saint-Siège pour que la nomination des cardinaux, des évêques et des administrateurs soit l’objet d’une discussion préalable et obtienne d’abord l’accord du gouvernement. Or, des situations anormales continuent d’exister. Par exemple, le Vatican et le gouvernement se sont accordés sur certains noms d’évêques, or ceux-ci ne sont pas encore nommés par le Vatican. Il est très regrettable que récemment le Saint-Siège ait nommé un administrateur du diocèse de Hô Chi Minh-Ville sans en discuter avec le gouvernement vietnamien. Je pense que le Vatican devra réexaminer sérieusement cette question.
Cependant, nos évêques ont aussi pour devoir de se soumettre aux ordres du Saint-Siège.
Nous comprenons cela. Mais il ne faut pas oublier que les évêques sont aussi des citoyens du Vietnam comme tout le monde et qu’ils doivent appliquer la législation du Vietnam. De plus, je pense que dans un certain nombre de cas, il arrive que le Vatican peut ne saisisse pas correctement la situation actuelle du Vietnam. S’il était suffisamment bien informé, le Vatican prendrait des décisions appropriées. Je suis persuadé qu’il ne veut pas créer de tension et pousser les Eglises locales sur la voie de l’illégalité.
Nous savons que, dès avant que le gouvernement vietnamien refuse de reconnaître l’administrateur apostolique de Ho Chi Minh-Ville jusqu’à présent, le Vatican ne s’est pas manifesté officiellement et qu’il attend l’envoi de sa délégation au Vietnam pour négocier avec le gouvernement vietnamien.
A ma connaissance, la nomination des évêques est entièrement de la compétence du Saint-Siège. Cependant, avant cette nomination, selon les usages diplomatiques, le Vatican doit procéder à un échange de vue avec le gouvernement du pays concerné. De son côté, le gouvernement concerné peut accepter ou refuser selon des critères politiques. Pourriez-vous nous dire, dans le cas du Vietnam quels sont les conditions et les critères de cette acceptation?
Concernant la nomination des évêques au Vietnam, je voudrais énoncer clairement les points suivants.
1 – Actuellement, il reste des diocèses sans évêques pour lesquels il n’y a encore eu aucune nomination. Je tiens à affirmer que ce n’est pas du fait de l’Etat vietnamien. Car, le gouvernement vietnamien n’a opposé de refus que dans quelques cas et il reste au Vatican un très large éventail de choix.
2 – Pour Hô Chi Minh-Ville, grâce à la présence de l’archevêque Nguyên Van Binh à la tête du diocèse, nos compatriotes catholiques se sont grandement transformés et ont évolué d’une façon tous les jours plus heureuse. C’est pourquoi, alors que se pose la question de la succession, le gouvernement vietnamien tient à déclarer clairement: « Pour la stabilité de la ville ainsi que pour celle du pays, il est nécessaire que le successeur soit une personne qui continue de mettre en pratique la même orientation que celle qui est suivie aujourd’hui avec bonheur ».
J’estime que n’importe quel pays se doit de prendre des mesures destinées à sauvegarder l’indépendance nationale, à maintenir l’ordre et la sécurité, garantissant ainsi une vie paisible et heureuse pour tous. Si le Vatican est respectueux de l’autonomie nationale et soucieux de la normalisation de la vie des fidèles, il sera d’accord avec notre Etat sans aucune difficulté.
Jusqu’à présent, à travers quelques affaires, nous avons eu le sentiment que le Vatican ne saisit pas très bien la situation actuelle du Vietnam.
Pouvez-vous nous citer quelques-unes de ces affaires?
Par exemple la question des prêtres et des religieux participant à des organes issus du scrutin populaire ou encore au Comité d’union du catholicisme vietnamien …
En 1982, une instruction de Rome invitait prêtres et religieux à ne pas se porter candidats à l’Assemblée nationale ou aux conseils populaires. Elle leur interdisait aussi d’organiser, de fonder des associations susceptibles de créer la division dans l’Eglise et d’y participer. Mgr Nguyên Van Binh et un certain nombre d’autres évêques ont fait valoir auprès du Vatican qu’au Vietnam, le fait d’être député à l’assemblée nationale ou membre d’un conseil populaire n’était qu’un devoir civique et n’entraînait aucune lutte pour le pouvoir comme dans les autres pays. Le Comité d’union n’était qu’une organisation politique de citoyens, dont le seul but était de promouvoir le patriotisme des catholiques. Le Vatican semblait avoir compris et presque tous les évêques du Vietnam ont continué à laisser leurs prêtres participer aux comités du Front patriotique, aux organes issus du suffrage populaire ainsi qu’au Comité d’union du catholicisme. Mais en 1992, j’ai été averti que, se fondant sur je ne sais quelle situation nouvelle, le Vatican avait publié un texte (5) rappelant aux évêques du Vietnam qu’ils devaient interdire aux prêtres et aux religieux de participer aux divers organismes cités ci-dessus.
Pendant une période de dix ans, de 1982 à 1992, les évêques, les prêtres, les religieux et les fidèles au Vietnam ont pu constater que la participation des prêtres et des religieux aux organes issus du suffrage populaire et au Comité d’union non seulement n’avait pas porté tort, mais au contraire avait été utile au catholicisme ainsi qu’au pays. Pourquoi y a-t-il des évêques pour dire qu’ils obéissent au Vatican en interdisant aux prêtres et religieux cette participation.
J’estime que la participation des catholiques aux activités d’édification du pays est pour eux à la fois un devoir et un droit civiques.
S’il existe encore des réactions, c’est en partie parce que l’application de la politique religieuse ne satisfait pas encore nos compatriotes , par exemple en ce qui concerne la question des séminaires, celle des activités et de la formation dans les congrégations religieuses, celle de la restauration et de la construction des églises.
Si l’Etat doit encore manifester de la sévérité en un certain nombre de domaines, c’est pour garantir la stabilité – la stabilité générale de toute la société comme celle des activités religieuses. Si tout le monde avait cette même compréhension, le règlement des problèmes en serait simplifié. C’est pourquoi, pour chaque problème concret, il faut d’abord peser le pour et le contre, entendre les diverses opinions, puis se réunir pour parvenir à la solution, tout cela pour maintenir la stabilité générale.
Vous avez dit tout à l’heure que l’orientation qui devait être suivie était celle qui a été mise en place à Hô Chi Minh-Ville par Mgr Nguyên Van Binh pendant dix huit ans. A quoi pensiez-vous en disant cela?
Je pensais aux orientations que les évêques du Vietnam, eux-mêmes ont tracé dans la lettre commune du 1er mai 1980 (6), à savoir « Vivre l’évangile au sein du peuple au service du bonheur de nos compatriotes ». C’est à dire s’occuper de religion certes, mais aussi s’occuper de la vie, ou pour parler plus correctement, « la religion doit s’occuper de la vie ». Vivre l’évangile c’est se mettre au service du bonheur de nos compatriotes et pas seulement de ceux qui pratiquent la religion. Ceci implique une conception et une attitude à tenir durant toute une vie; aller au même rythme que son peuple, respecter les droits du peuple, respecter l’indépendance nationale, respecter la législation de l’Etat, souffrir des difficultés de son pays, se considérer comme concerné lorsqu’il est question des problèmes de son pays, y compris les problèmes de l’Eglise et de l’Etat …
Il faut regretter que tous les évêques ne soient pas persuadés de cela et qu’ils n’appliquent pas tous cette orientation dans leur diocèse.
A Hô Chi Minh-Ville, au contraire, l’archevêque Nguyên Van Binh s’est conformé à cet idéal, sans discontinuer dès après la libération. En tant que membre éminent de la hiérarchie religieuse, il s’est dépensé au service de la religion, mais en même temps, il n’a pas oublié ses obligations à l’égard de son peuple, il s’est préoccupé de ses intérêts.
J’ai le sentiment que l’Eglise catholique n’a pas encore apprécié à leur juste valeur les mérites de l’archevêque Nguyên Van Binh et n’a pas eu à son endroit un comportement très équitable. Pour une personne qui a vécu toute sa vie pour un idéal, le désir le plus cher est de voir se perpétuer ce qu’elle a commencé. De cela, nous sommes tous responsables.
En 1994, le diocèse de Hô Chi Minh-Ville célèbre le 150e anniversaire de sa fondation. C’est une occasion d’examiner le passé pour pouvoir nous retourner vers l’avenir
Oui, l’histoire nous a laissé un lourd héritage de préjugés entre païens et catholiques, entre catholiques et communistes.
Aujourd’hui, la situation a beaucoup changé, mais pas encore totalement. S’il existe des endroits où nous ne nous comprenons pas encore, il faut continuer à régler les problèmes. A Hô Chi Minh-Ville, il y a eu une évolution satisfaisante, parce que l’on y a appliqué la politique de respect de la liberté religieuse et que l’on y a réalisé l’objectif de l’harmonie entre le profane et le sacré. Il faut dire aussi que la contribution de l’archevêque Nguyên Van Binh, celle du Comité d’action des catholiques d’abord, du Comité d’union du catholicisme (7) ensuite ont été très importantes. Il faut donc faire en sorte que le successeur de Mgr Nguyên Van Binh à Hô Chi Minh n’adopte pas une orientation contraire à celle de son prédécesseur. Il faut que le Comité d’union du catholicisme et le journal « Le catholicisme et la nation » jouent leur rôle encore mieux et que, en association avec les milieux catholiques de la ville, ils apportent leur contribution sur le chemin où ils sont engagés avec le peuple tout entier.
On continue à parler de difficultés pour obtenir la permission de construire des églises. Cependant partout où je vais, je vois construire de nombreuses églises. Beaucoup sont de grande dimension et coûtent des milliards de dôngs. Naturellement, les catholiques ont besoin de lieux spacieux pour se rassembler et célébrer le culte. Mais, en certains endroits, des dépenses excessives ont été engagées, quelquefois dans des quartiers ouvriers très pauvres. C’est une question à laquelle l’Eglise devrait songer en priorité: l’aide matérielle et culturelle à apporter aux ouvriers catholiques, pour que leur vie en soit améliorée progressivement.
Il y a beaucoup d’autres sujets dont il faudrait parler. Mais je m’arrêterai ici. Je souhaite aux lecteurs de ce journal « Le catholicisme et la nation » et à tous mes compatriotes catholiques de Hô Chi Minh-Ville paix et bonheur. Croyants ou non, catholiques ou communistes, nous sommes tous des Vietnamiens; nous avons tous la même patrie. Récemment, certains ont pensé aller refaire leur vie ici ou là. Aujourd’hui, c’est clair; Pour nous, il n’existe pas d’autre endroit pour vivre en dehors de notre patrie. Nous devons ensemble nous efforcer d’édifier un pays prospère où puissent être menées de pair et dans l’harmonie la vie profane et la vie religieuse …