Eglises d'Asie

Le premier ministre pèse de toute son autorité sur les actuelles négociations

Publié le 18/03/2010




Certains commentaires avaient laissé entendre que le différend qui oppose l’Eglise catholique vietnamienne et la municipalité de Hô Chi Minh-Ville à propos de la nomination par le Saintsiège d’un administrateur apostolique pour ce diocèse était une affaire régionale. On arguait du silence officiel des instances nationales concernées. Le doute n’est plus permis aujourd’hui. Dans cette affaire, l’intérêt national est en jeu; le premier ministre, M. Vo Van Kiêt l’a confirmé en s’avançant sur le devant de la scène et en exposant sans trop de détour la position et la stratégie de son gouvernement dans une interview accordée à la fin du mois de février 1994 au P. Truong Ba Can, historien et rédacteur en chef de l’organe du Comité d’union du catholicisme à Hô Chi Minh-Ville, l’hebdomadaire « Nation et catholicisme » (15).

Certes, l’actuel chef de gouvernement a montré dans son interview tout l’intérêt qu’il porte à l’ancienne capitale du Sud-Vietnam et les nombreux liens qu’il garde avec elle. De 1975, date du changement du régime, jusqu’à une date récente, en tant que secrétaire de la section du Parti communiste à Hô Chi Minh-Ville, il a été le premier personnage de cette immense agglomération; il s’y est fait un certain nombre de relations, entre autres, l’archevêque de la ville, Mgr Nguyên Van Binh, dont l’interview fait un éloge appuyé à plusieurs reprises.

Mais c’est du point de vue de l’intérêt de la nation socialiste que M. Vo Van Kiêt a voulu se prononcer. D’emblée, il a indiqué quelle était son approche des problèmes religieux; ceux-ci sont envisagés par lui dans la perspective de la « stabilité politique » (ôn dinh chinh tri). « Nous sommes résolus à maintenir la stabilité et nous la maintiendrons, déclare-t-il, aussi bien sur le plan politique que socialAinsi le promoteur de la politique d’ouverture économique est bien d’accord avec les autres membres plus conservateurs du Bureau politique sur la nécessité de la « stabilitéterme répété six fois dans l’interview, qu’éclaire bien une remarque d’un article récent du quotidien saigonais (16): « Aujourd’hui la défense de la patrie n’est pas seulement la protection de la souveraineté nationale et de l’intégrité du territoire, mais c’est aussi la protection du régime socialiste et son développement »

C’est de ce point de vue qu’a été prise la décision d’opposer un veto à la nomination d’un administrateur apostolique de Hô Chi Minh-Ville. Selon les déclarations de M. Kiêt, cette décision a été d’abord motivée par la volonté de faire respecter la souveraineté du gouvernement vietnamien et son droit de s’opposer aux candidats du Vatican. « Il est très regrettable que récemment le Saint-Siège ait nommé un administrateur du diocèse de Hô Chi Minh-Ville sans en discuter avec le gouvernement vietnamien. Je pense que le Vatican devra réexaminer sérieusement cette questionCependant l’interview fait apparaître que le principe de souveraineté n’est pas la seule cause du récent veto. Le premier ministre ne cache pas que le gouvernement refusera un futur évêque de Hô Chi Minh-Ville qui ne correspondrait pas aux critères politiques du gouvernement. « Pour la stabilité de la ville ainsi que pour celle du pays, il est nécessaire que le successeur (de Mgr Nguyên Van Binh) soit une personne qui continue de mettre en pratique la même orientation que celle qui est suivie aujourd’hui avec bonheur » a déclaré le chef du gouvernement. Il a répété plus loin: « Il faut donc faire en sorte que le successeur de Mgr Nguyên Van Binh à Hô Chi Minh n’adopte pas une orientation contraire à celle de son prédécesseurIl semble bien qu’aujourd’hui Mgr Huynh Van Nghi n’ait pas le profil politique qui convienne.

M. Vo Van Kiêt n’a pas borné ses exigences aux nominations d’évêques; il n’a pas déguisé l’objectif qu’il poursuit, le type d’Eglise qu’il voudrait voir se former au Vietnam. Il se réfère certes à la lettre commune des évêques de 1980, mais davantage encore au modèle de collaboration apportée par le Comité d’union du catholicisme. Car d’après le premier ministre, cette association a joué un rôle important dans l’histoire récente et « il faut que le Comité d’union du catholicisme et le journal « Catholicisme et nation » jouent leur rôle encore mieuxEn mettant en garde le clergé contre toute participation à l’association patriotique, la lettre du cardinal Sodano (17) n’a fait que manifester l’ignorance du Saint-siège sur la véritable réalité du Vietnam socialiste.

On peut penser que cette interview a volontairement durci les positions officielles en fonction des négociations à venir. Cependant, d’un point de vue plus général, elle confirme une certaine inflexion de la politique du gouvernement vietnamien à l’égard de la religion (18). Celle-ci est désormais uniquement envisagée en fonction d’un ordre social et politique menacé de l’extérieur et de l’intérieur par ce que l’on appelle « l’évolution pacifique