Eglises d'Asie

UNE EGLISE AU MILIEU DES HOMMESUne interview du cardinal Ricardo Vidal, archevêque de Cebu

Publié le 18/03/2010




Eminence, merci de nous recevoir, alors que vous prenez un moment de “récréation” au milieu de votre réunion. De quoi s’agit-il donc?

Il s’agit d’une réunion régulière, comme nous en avons depuis plusieurs années. Y participent les évêques de l’archidiocèse de Cebu, les leaders laïcs du diocèse ainsi qu’un certain nombre d’hommes d’affaires influents, désireux de vivre et de travailler en hommes d’affaires chrétiens. Aujourd’hui, nous voulons faire le point sur nos activités de ces dernières années et décider de la direction à prendre dans l’avenir.

L’Eglise à Cebu est très active en différents domaines. Pourriez-vous résumer quelques-unes de ces activités?

Si vous le voulez bien, je me contenterai de quelques mots sur l’action de l’Eglise en matière politique, sur le plan économique et en ce qui concerne certains problèmes d’ordre moral.

En matière politique, nous pensons que l’Eglise a un rôle important à jouer: en particulier un rôle d’avocat, si je puis dire. Nous n’hésitons pas à rappeler de façon très explicite au gouvernement ses engagements, les promesses faites au moment des élections entre autres: promesses qu’il aurait parfois tendance à oublier. L’Eglise veut être la conscience de la communauté.

Et sur le plan économique?

Tout d’abord, lorsque nous sommes, comme il y a quelques jours, frappés par un typhon ou tout autre désastre naturel, nous insistons auprès des commerçants pour qu’ils évitent de faire artificiellement monter les prix des denrées les plus nécessaires à la vie de tous les jours. Cela deviendrait presque automatique lorsque les communications sont coupées. Les marchands de riz en particulier sont très tentés d’augmenter leurs prix. A notre demande, ils acceptent habituellement de ne pas le faire.

Nous sommes aussi les victimes de désastres causés par l’homme, la déforestation par exemple.

On dit que l’archevêque de Cebu s’est fait planteur d’arbres… (2)

En effet, l’autre année, j’avais planté des arbres autour de l’archevêché. J’avais demandé aux prêtres des paroisses d’encourager leurs fidèles à en faire autant. Malheureusement, le typhon de décembre 1993 a presque tout détruit. Nous recommencerons… J’encourage le clergé du diocèse à conscientiser les catholiques sur ce point et à les organiser. La déforestation est à l’origine de véritables désastres. Au moment des pluies, la terre arable est emportée vers la mer. L’eau douce ne s’infiltre plus dans le sol. Depuis quelques années, nous constatons que l’eau salée parvient aux puits d’eau potable, jusqu’en ville. Par ailleurs, le long des côtes, des régions autrefois recouvertes de palétuviers, sont maintenant complétement dénudées. Avec ce résultat que les côtes perdent leur stabilité: la mer gagne sur la terre, le sable est entraîné par l’eau et les récifs de coraux disparaissent. Avec eux, c’est toute une faune sous-marine qui est en voie de destruction. Nous nous efforçons en ce moment de refaire notre patrimoine de palétuviers. A l’intérieur des terres, nous contruisons de petites retenues d’eau qui empêchent celle-ci de dévaler vers la mer et permettent une infiltrations dans le sol (3).

Connaissez-vous, à Cebu, un problème de chômage?

Beaucoup de gens descendent des montagnes ou viennent des campagnes vers la ville dans l’espoir de trouver du travail. Ils sont bien souvent déçus.

Vous avez fait allusion à certains problèmes d’ordre moral…

1994 a été déclarée année de la famille. Nous intensifions notre apostolat auprès des familles, plus particulièrement dans les campagnes. Naturellement, l’un des problèmes les plus graves auxquels nous sommes affrontés est celui posé par la campagne actuelle du gouvernement en faveur du contrôle des naissances (4). Dans les villages, beaucoup de gens ne réalisent pas qu’il y a là un problème moral. Il faut les instruire. Nous sommes de plus obligés de les mettre en garde contre certains agissements des représentants du gouvernement. Lorsque, par exemple, une femme se présente à l’hôpital pour accouchement, on la met devant un choix: ou bien elle accepte de se faire stériliser et elle bénéficiera d’importantes réductions sur le plan financier; ou bien elle refuse et elle recevra une note de frais complète, donc élevée.

Vous avez, je crois, lancé les communautés de base dans votre diocèse…

En effet. Nous nous sommes organisés au cours des années. L’établissement d’une “communauté écclesiale de base” se fait en trois étapes. Nous commençons par une information; puis vient la période la plus longue, celle de la formation; enfin, nous nous consacrons à un approfondissement de la foi. Cete dernière étape doit normalement déboucher sur des actions pratiques.

A l’heure actuelle, la plupart des communautés en sont encore à la période de formation. Quand elles atteindront la troisième étape, elles auront déjà une vie de foi et de prière approfondie. Les membres de ces communautés savent déjà utiliser la Bible. Lorsqu’ils auront atteint la troisième étape, ils deviendront actifs en d’autres domaines. Ils apprennent déjà à s’entraider, par exemple sur le plan économique.

On parle beaucoup du cardinal Vidal comme d’un homme de médiation … (5)

Il est vrai que j’ai souvent eu des occasions de jouer un rôle de médiateur. Dès 1984, lors d’une grève des transports, plusieurs personnes m’avaient demandé d’intervenir, car la situation à Cebu-City devenait grave. J’ai invité à l’archevêché des représentants des chauffeurs et des patrons, ainsi que du gouvernement. A la fin d’une très longue journée de dialogue, nous sommes parvenus à un accord: la grève était terminée. J’ai eu l’occasion d’intervenir en plusieurs autres affaires importantes et d’aider à trouver des solutions.

Dans toutes ces affaires, j’ai l’occasion de rencontrer les leaders politiques, les responsables syndicaux et beaucoup d’autres personnes. Et toutes circonstances, je tiens à rester politiquement neutre.