Eglises d'Asie

Le journal du syndicat officiel des travailleurs vietnamiens propose de réhabiliter Alexandre de Rhodes

Publié le 18/03/2010




Les mérites d’Alexandre de Rhodes vis-à-vis de la culture vietnamienne sont éminents: sa contribution à la création de l’écriture nationale du Vietnam, le “quôc ngu”, la première oeuvre publiée dans cette nouvelle écriture, “Le catéchisme en huit journées” (13), le premier dictionnaire vietnamien. Pourtant, l’historiographie communiste vietnamienne, même si elle reconnaît au missionnaire jésuite un certain nombre de mérites, ne l’a jamais traité avec beaucoup d’égards. Les livres (14) abordant la période d’histoire où il a vécu l’ont souvent classé parmi les fourriers du colonialisme à venir, comme d’ailleurs les autres fondateurs occidentaux de la chrétienté vietnamienne. Les allusions à son oeuvre sont rapides et évasives. Prenant délibérément le contre-pied de cette tradition, à l’occasion du quatrième centenaire de sa naissance, le journal “Lao Dông”, organe du syndicat des travailleurs vietnamiens, vient de proposer aux autorités culturelles du pays de procéder à sa réhabilitation.

Dans un premier article publié le 21 novembre 1993 et intitulé “Réhabilitons Alexandre de Rhodes” (15), le “Lao dông” qui est aujourd’hui la publication la plus libre de ton de tout le pays, s’en est pris à la présentation du jésuite avignonnais dans les manuels d’histoire vietnamienne, aux citations fausses ou déformées utilisées pour faire de lui un précurseur de l’invasion colonialiste. L’auteur de l’article, Minh Hiên, relève en particulier une phrase attribuée à Alexandre de Rhodes, citée dans le premier tome d’une “Histoire du Vietnam”, publiée à Hanoi en 1971 et patronnée par le Comité des sciences sociales du Vietnam. Dans sa traduction vietnamienne, la phrase présente le Vietnam aux Européens en ces termes: “Voilà un lieu à conquérir; une fois conquis, les commerçants français y trouveront une abondante source de profits et de ressources”. Une note indique même les références précises de cette phrase dans l’oeuvre du jésuite : les pages 109 et 110 de “Divers voyages et missions en la Chine et autres pays d’Orient”. Grâce à cette citation, l’historien fait du missionnaire un précurseur du colonialisme, et de son oeuvre une description des ressources du Vietnam à l’intention des appétits capitalistes de l’Europe.

Or, ajoute l’auteur de l’article, cette phrase n’a jamais été écrite par Alexandre de Rhodes. Elle est introuvable, non seulement dans l’ouvrage cité en note par l'”Histoire du Vietnam”, mais dans toute son oeuvre qui, au contraire, témoigne à l’évidence de l’admiration et de la sympathie éprouvées par le missionnaire pour le pays qu’il est venu évangéliser. En conclusion, le journaliste demande au Comité des sciences sociales de faire retirer de l’ouvrage incriminé tout le passage concernant Alexandre de Rhodes. Il souhaite aussi que soit célébré le quatrième centenaire de sa naissance.

Trois mois plus tard, le 24 février 1994, le même journal récidivait sur le même sujet et présentait à ses lecteurs, le texte français de la phrase en question. Elle a été extraite d’un livre d’A. Thomazi (16) qui l’attribue faussement à A. de Rhodes sans indiquer aucune référence. Pour les besoins de la cause, la traduction de l'”Histoire du Vietnam” a, de plus, grandement gauchi le sens de la phrase dont les termes exacts chez A. Thomazi étaient les suivants: “Il y a là une place à prendre et, en s’y établissant, les marchands d’Europe pourraient y trouver une source féconde de profits et de richesse”.

Enfin, le 17 mars 1994, c’est une des plus hautes autorités de l’histoire vietnamienne qui intervenait dans le débat, en la personne de M. Phan Huy Lê, président de l’Association historique du Vietnam. Dans un article intitulé “Il est nécessaire de réexaminer la contribution culturelle d’Alexandre de Rhodes”, l’historien reconnaissait d’emblée: “Dans l’état actuel des documents et de nos études, rien ne démontre qu’Alexandre de Rhodes ait tenté d’intervenir politiquement au Vietnam, en collusion avec le colonialisme”. Ce premier jugement, suivi d’une série d’appréciations élogieuses sur l’oeuvre du missionnaire avignonnais amène l’auteur à conclure à la nécessité de réhabiliter A. de Rhodes.

Selon M. Phan Huy Lê, désormais les manuels historiques vietnamiens devront s’efforcer de porter un jugement plus juste sur les mérites et les contributions d’Alexandre de Rhodes à la culture vietnamienne. L’historien annonce également que le premier tome d’une encyclopédie vietnamienne qui paraît cette année comportera un article sur lui. Il souhaite aussi qu’un certain nombre de rues au Vietnam portent son nom et que l’on songe à élever de nouveau une statue à sa mémoire.