Eglises d'Asie

UNE DELEGATION DU SAINT-SIEGE AU VIETNAM ET AU CAMBODGE

Publié le 18/03/2010




Du 4 au 16 mars 1994, une délégation du Saint-Siège composée de Mgr Claudio Celli, haut responsable de la Secrétairerie d’Etat et de Mgr Barnabé Nguyên Van Phuong, chargé d’un certain nombre de pays d’Asie à la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, a effectué une visite des Eglises des deux pays, le Vietnam et le Cambodge.

Dans une lettre adressée à l’Union des religieux vietnamiens à Rome, Mgr Phuong avait écrit : « Un des objectifs prioritaires de ce voyage est de discuter avec le gouvernement de Hanoi de la nomination d’évêques dans les diocèses où le siège est vacant, à savoir Hanoi, Thanh Hoa, Hung Hoa. Cependant la question essentielle et la plus difficile à régler reste celle de Mgr François-Xavier Nguyên Van Thuân, archevêque coadjuteur de Hô Chi Minh-Ville à qui le gouvernement n’a toujours pas permis de revenir au Vietnam après l’avoir forcé à partir. Vient ensuite celle de la nomination de Mgr Nicolas Huynh Van Nghi, évêque de Phan Thiêt au poste d’administrateur apostolique de Hô Chi Minh-Ville, nomination non reconnue par l’Etat.

Le voyage a pour deuxième objectif de rencontrer les évêques, de les écouter, de dialoguer avec eux, de les soutenir pour ensuite faire un compte rendu au souverain pontife et au Saint-Siège des joies, des espérances ainsi que des épreuves et des difficultés rencontrées par les évêques et l’Eglise du Vietnam dans l’action pastorale. Le souverain pontife lui-même a été informé et a déterminé une certain nombre de points importants avant que la délégation ne se mette en route.

A travers l’épiscopat, la délégation veut aussi rencontrer les prêtres, les religieux et religieuses, les laïcs vietnamiens et leur apporter l’assurance de l’affection du Saint Père et sa bénédiction » (1).

Un très difficile voyage

Depuis le mois de juillet 1989, c’est la cinquième fois qu’une délégation du Saint-Siège s’est rendue au Vietnam. Mais, ce voyage a certainement été le plus difficile de tous ; du début jusqu’à la fin, il s’est déroulé dans un climat de grande tension.

Quelques jours avant le départ de la représentation vaticane, l’Etat avait élevé le ton pour critiquer le Vatican et lui reprocher ce qu’il a appelé la nomination « unilatérale » de Mgr Huynh Van Nghi, comme administrateur apostolique de Ho Chi Minh-Ville. Le 27 février, le premier ministre a donné une interview au père Truong Ba Can de « Catholicisme et nation », publiée dans le numéro du 27 février 1994 (2). Il y affirmait que le Vatican doit respecter la souveraineté nationale du Vietnam lors de la nomination des évêques. Selon le chef du gouvernement, le retard pris par les nominations épiscopales au Vietnam « n’est pas dû à l’Etat vietnamien, car le gouvernement vietnamien n’a opposé de refus que dans quelques cas et il reste au Vatican un très large éventail de choix ».

L’interview de M. Kiêt exaltait avec beaucoup de chaleur les mérites de Mgr Nguyên Van Binh: « grâce à sa présence à la tête du diocèse de Hô Chi Minh-Ville, nos compatriotes catholiques se sont grandement transformés et ont évolué d’une façon tous les jours plus heureuse. C’est pourquoi, alors que se pose la question de la succession, le gouvernement vietnamien tient à déclarer clairement : pour la stabilité de la ville ainsi que pour celle du pays, il est nécessaire que le successeur soit une personne qui continue de mettre en pratique la même orientation que celle qui est suivie aujourd’hui avec bonheur ». Selon le premier ministre, « l’Eglise catholique n’a pas encore apprécié à leur juste valeur les mérites de l’archevêque Nguyên Van Binh et n’a pas eu à son endroit un comportement très équitable ». Enfin, M. Kiêt faisait grief au Vatican d’avoir interdit aux prêtres vietnamiens d’adhérer au Comité d’union des catholiques patriotes, lui reprochant de ne pas être au courant de la situation du Vietnam.

Par ailleurs, le 3 mars 1994, le journal « Saigon Giai Phong » a publié un communiqué du vice-président du Comité populaire de Hô Chi Minh-Ville interdisant à Mgr Nghi d’exercer son ministère à Saigon (3). Le 21 février précédent, alors qu’il était à Saigon, l’évêque avait reçu une convocation de la police. Il s’était présenté le lendemain et avait été soumis à un interrogatoire. Au cours de celui-ci, on enregistra sur vidéocassette ses déclarations qui exposaient les raisons pour lesquelles il accomplissait son ministère à Saigon malgré l’interdiction de l’Etat.

Dans ce climat de tension entretenu par l’Etat vietnamien, de nombreux jours se passèrent avant que les autorités veuillent bien donner le feu vert au départ de la délégation. Les représentants du Saint-Siège avaient demandé que leur arrivée à Hanoi ait lieu le 3 mars 1994. Or à cette date, le gouvernement vietnamien n’était pas encore sorti de son silence, obligeant Mgr Celli à le rappeler à l’ordre. Par son ambassade à Rome, Hanoi faisait alors répondre que la délégation ne serait reçue qu’à partir du 7 mars 1994. Elle ne pourrait pas se rendre à Saigon et à Nha Trang, deux villes qu’elle avait demandé à voir; par contre, il lui serait possible de visiter Huê et Da Nang, où elle était déjà allée lors de son dernier voyage en février 1993. Une telle attitude, en totale contradiction avec les déclarations de Vo Van Kiêt dans l’interview de Công Giao và Dân Tôc, dénotait assez clairement quel était le degré de bonne volonté du gouvernement.

La délégation du Saint-Siège a finalement quitté Rome pour le Vietnam, le 4 mars 1994 (4). Après un court séjour à la nonciature de Bangkok, elle arrivait à Hanoi le 6 mars 1994.

Les négociations

Durant son séjour au Vietnam, la délégation a rencontré presque tous les évêques du Vietnam, en particulier les membres du Bureau permanent de la Conférence épiscopale (…) parmi lesquels Mgr Huynh Van Nghi, adjoint au secrétaire général. Mgr Huynh Dông Cac, évêque de Quy Nhon, paralysé, et Mgr Bui Chu Tao, âgé et faible, n’ont pu se rendre à Hanoi.

Au cours de ces rencontres qui ont eu lieu avant et après l’entrevue avec le Bureau des Affaires religieuses, les évêques et la délégation se sont entretenus des problèmes de l’Eglise catholique au Vietnam et de la position du Saint-Siège à ce sujet. C’est la première fois que la délégation peut ainsi rencontrer la presque totalité de l’épiscopat vietnamien pour des discussions officielles et libres. Ces entretiens ont témoigné de la communion qui existe entre la Conférence épiscopale vietnamienne et le Saint-Siège. Par ailleurs, durant les deux jours de négociations avec l’Etat, la délégation a continué de rester en rapport avec les évêques membres du Bureau permanent de la Conférence. Lors des précédents voyages, l’Etat n’avait jamais permis à la délégation de rencontrer les évêques en corps constitué.

A partir du lundi matin 7 mars, la délégation a, pendant deux jours pleins, travaillé avec le Bureau des Affaires religieuses, dont M. Vu Quang est le directeur. De l’extérieur, l’accueil et les rapports ont pu apparaître chaleureux, empreints de courtoisie, mais en réalité, les conversations se sont déroulées dans un climat tendu et difficile, en particulier lorsqu’il a été question de la liberté religieuse et de la nomination d’un archevêque pour le diocèse de Saigon. Les représentants de l’Etat affirmaient que le Vietnam jouissait de la liberté religieuse, (comprise par eux comme la liberté d’aller à l’Eglise pour les fidèles et de célébrer le culte pour les prêtres …). Du côté de la délégation du Saint-Siège, on a fait remarquer que malgré quelques progrès, elle était encore beaucoup trop limitée. Il est encore nécessaire de demander une permission à tout propos : par suite, les activités de l’Eglise ne sont jamais assurées, restent toujours incertaines et il est impossible d’élaborer des projets à longue échéance. De plus, la réponse à la permission demandée varie en fonction de l’inspiration des autorités ou encore des régions. Le chef de la délégation romaine a même comparé la liberté de l’Eglise du Vietnam à celle d’un oiseau en cage.

C’est la même tension qui a régné lorsque les entretiens ont porté sur la nomination d’un évêque pour le diocèse de Hô Chi Minh-Ville. Avec obstination, les représentants de l’Etat vietnamien ont reproché au Vatican la nomination « unilatérale » de Mgr Nghi au poste d’administrateur apostolique de Hô Chi Minh-Ville sans l’accord préalable des autorités du pays. Pourtant la délégation avait expliqué que, du moment que l’Etat vietnamien avait accepté précédemment que Mgr Nghi soit nommé coadjuteur avec droit de succession, il était normal de penser qu’il consentirait sans peine qu’il soit nommé administrateur, titre moins élevé que le précédent. De plus, la nomination de Mgr Nghi au poste provisoire d’administrateur était une mesure de circonstance : Mgr Binh était alors gravement malade, en danger de mort, et avait demandé un remplaçant au Saint-Siège pour pouvoir s’en aller en paix. Malgré ces explications, la délégation de l’Etat vietnamien a continué d’affirmer que le geste du Vatican était irrespectueux à l’égard du gouvernement du pays. Ainsi, tout au long de la négociation, les représentants de l’Etat n’ont cessé de déclarer qu’ils ne reconnaissaient pas Mgr Nghi et ont exigé du Vatican qu’il laisse Mgr Nguyên Van Binh administrer ce diocèse jusqu’à sa mort. La délégation a alors fait remarquer que Mgr Binh était âgé et malade et qu’il avait lui-même demandé sa démission afin de pouvoir se retirer.

Selon une dépêche de l’A.F.P. du 17 mars 1994, le porte-parole des Affaires étrangères de Hanoi, Mme Hô Thê Lan a déclaré que le Vatican a informé le gouvernement vietnamien que le Saint Père nommerait Mgr François-Xavier Nguyên Van Thuân à un poste au Saint-Siège et que le Vietnam avait accepté cet arrangement.

Le problème des noviciats pour les diverses congrégations et ordres religieux a aussi été posé durant ces entretiens, mais l’Etat vietnamien n’a pas accepté de lui donner une solution. En réalité, les congrégations religieuses ont toutes des noviciats clandestins et les autorités ferment les yeux. Cependant le Saint-Siège a voulu poser cette question officiellement pour que l’Etat donne une permission officielle.

Les résultats

Malgré l’impasse à laquelle ont abouti les négociations sur le diocèse de Hô Chi Minh-Ville, certains progrès mineurs ont cependant été réalisés sur d’autres points.

L’Etat vietnamien a donné son accord pour que le Saint-Siège nomme un archevêque principal et un coadjuteur à Hanoi, ainsi qu’un administrateur à Huê. La radio française R.F.I, citant le gouvernement de Hanoi, a informé que ce dernier avait donné son approbation à la nomination de Mgr Pham Dinh Tung comme archevêque de Hanoi. Il est actuellement évêque de Bac Ninh et administrateur du diocèse de Hanoi. Le père Lê Dac Trong, âgé de 73 ans, actuellement vicaire général du diocèse, deviendra coadjuteur de Hanoi. Mgr Nguyên Nhu Thê sera nommé administrateur apostolique de Huê.

La nomination d’évêques pour les diocèses de Hung Hoa et Thanh Hoa a été proposée par le Saint-Siège mais la partie vietnamienne a fait savoir qu’elle ne donnerait sa réponse que dans un mois.

La création d’un grand séminaire à Huê a aussi été acceptée, ce qui porte à six le nombre d’établissements de formation au sacerdoce dans le pays, deux au nord, deux au centre et deux au sud. La délégation a aussi demandé l’ouverture de deux grands séminaires supplémentaires, un à Thai Binh l’autre à Xuân Lôc. La réponse faite a été la même que bien souvent: « Nous y réfléchirons et examinerons le problème avec attention ».

L’Etat vietnamien a encore acquiescé à la proposition de créer auprès de chacun des grands séminaires actuels une classe préparatoire pour les candidats désireux d’entrer dans ces établissements. Ce qui ne satisfait pas entièrement les demandes de l’épiscopat vietnamien désireux d’ouvrir des écoles propédeutiques au grand séminaire dans chaque diocèse, avec un programme d’études de trois ans. Les séminaristes sont actuellement à l’étroit et manquent de place …

La visite du pays

Après les entretiens avec le Bureau des Affaires religieuses, le 10 mars, la délégation s’est rendue dans le diocèse de Nha Trang. Au début, la permission d’aller dans cette région avait été refusée; mais ensuite les autorités sont revenues sur leur décision. Le représentants de Rome y ont rencontré l’évêque, Mgr Nguyên Van Hoa, les prêtres, religieux et religieuses. Une messe y a été célébrée avec une grande affluence de fidèles. Cette visite fut des plus fructueuses; elle a laissé la meilleure impression à la délégation romaine.

Sur le chemin du retour à Hanoi, le lendemain, la délégation s’arrêta à l’évêché de Da Nang pendant deux heures, le temps de rencontrer quelques évêques dont Mgr Nguyên Nhu Thê, des prêtres, des religieuses, particulièrement, les soeurs de Saint Paul de Chartres. L’évêché de Bac Ninh reçut aussi la visite des représentants du Saint-Siège. Au cours d’un précédent voyage, il y a deux ans, ils avaient posé la première pierre de ce bâtiment dont la construction est aujourd’hui achevée.

Le dimanche 13 mars, à 6 heures du matin avant de prendre l’avion, les membres de la délégation ont concélébré dans la cathédrale de Hanoi une messe que présidait Mgr Nguyên Van Nhât, président de la Conférence épiscopale et à laquelle participaient les membres du Bureau permanent ainsi que l’archevêque du lieu, Mgr Tung. Les catholiques de Hanoi s’y pressaient en grand nombre. Cette messe symbolisait à merveille la communion du Saint-Siège avec l’Eglise locale, message que la délégation tenait à faire parvenir à l’Etat vietnamien. On ne peut dialoguer avec le Saint-Siège sans dialoguer avec la Conférence épiscopale locale. Les deux instances forment une unique Eglise.

Un dernier incident indique bien le climat tendu dans lequel s’est déroulée cette visite. La délégation n’avait demandé à rencontrer ni le premier ministre ni d’autres dirigeants du Vietnam à l’exception des membres du Bureau des Affaires religieuses. C’est ce Bureau qui, en fin de compte, a, de son propre chef, organisé une rencontre avec le secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères M. Nguyên Dy Niên, juste avant le départ de la délégation.

Après une escale à Phnom Penh, le lundi 14 mars 1994, les représentants du Saint-Siège sont arrivés à Bangkok où ils sont restés 24 heures. Ils y ont rencontré l’évêque, les prêtres, et les religieux missionnaires en activité, ainsi que les autorités civiles. Au cours de la rencontre entre Mgr Celli et le ministre des Affaires étrangères, le prince Norodom Sirivudh, les deux parties sont parvenues à un accord pour l’établissement de relations diplomatiques entre le Saint-Siège et le Cambodge (5).

Dans le programme de voyage établi primitivement, une visite du Laos avait été prévue sur l’invitation du gouvernement de ce pays. Cependant à cause du report de la date du départ pour le Vietnam dû à la décision du gouvernement vietnamien, il a fallu renoncer à ce voyage. Le gouvernement laotien, lui aussi, s’apprête à entamer les négociations pour l’établissement de relations diplomatiques avec le Saint-Siège.