Eglises d'Asie

ENTRETIEN AVEC WANGLAT LOWANGCHA l’un des fondateurs laïcs de l’Eglise en Arunachal Pradesh

Publié le 18/03/2010




On vous présente souvent comme le premier catholique de l’Arunachal Pradesh : est-ce vrai?

Franchement, je ne sais pas ce que cela veut dire. Je ne prétends pas au titre. Ce que je sais, c’est que je suis devenu catholique en 1977, et depuis lors je n’ai jamais cessé d’inviter les autres à entrer dans l’Eglise. Cela m’a amené bien des difficultés. Aujourd’hui encore, lorsque les gens ont des difficultés ils ont tendance à se tourner vers moi comme si j’étais leur sauveur.

Y avait-il des catholiques dans cet Etat avant que vous ne receviez le baptême ?

Je pense qu’ici ou là il y avait quelques personnes baptisées avant moi, mais elles étaient toutes anonymes. C’est seulement à la suite des nombreux baptêmes qui ont été célébrés dans mon village le 2 août 1979 que l’Eglise a commencé à être connue en Arunachal Pradesh.

Vous dites que vous invitiez les gens à venir à la foi. Sont-ils venus en grand nombre ?

Je dois dire que Dieu s’est servi de moi pour accomplir un véritable miracle. J’ai commencé, puis des milliers ont suivi : jeunes et vieux, riches et pauvres, éduqués ou illettrés. En fait, aujourd’hui, l’Eglise est très connue dans toutes les ethnies de l’Arunachal Pradesh. Quelques-uns de ceux avec qui j’ai été en contact personnel occupent maintenant des postes importants dans l’Etat. Nous avons même un ministre.

Comment êtes-vous venu au christianisme ?

La réponse n’est pas simple. Je suis entré en contact avec la religion catholique au temps de mes études à l’école Saint-Pierre de Sillong, dans l’Etat de l’Assam. C’est là où j’ai grandi. Plus tard, je me suis demandé pourquoi on parlait tellement contre les chrétiens. J’ai embrassé la foi d’une manière un peu soudaine. J’ai rencontré le P. Thomas Menamparampil (3), qui était alors responsable de l’école Don Bosco à Shillong. Il a montré beaucoup d’intérêt pour l’Arunachal Pradesh. Un jour, en cachette, je l’ai amené chez moi. Là, il a eu un accident. J’ai décidé de me faire baptiser par lui le jour même, avec ma femme, mon fils et ma fille aînée, avant de le conduire à l’hôpital.

L’administration vous a-t-elle aidé ?

Je suis le fils aîné d’un chef coutumier. Je réussissais assez bien dans mes études : Raja, qui était le responsable politique du district de Tirap avant de devenir gouverneur de l’Arunachal Pradesh, s’est intéressé à moi. Un jour, il a envoyé un hélicoptère me chercher à l’école pour me conduire à une réunion publique. Une autre fois, il m’a dit qu’il voulait faire de moi l’homme le plus riche et le plus puissant de l’Etat. Mais il y mettait une condition : que je change d’avis au sujet de la laïcité. Je ne pouvais accepter cela. Alors, ma vie est devenue misérable.

Devant un ennemi aussi puissant, vous deviez être découragé…

Oui. Il m’en voulait bien avant que je me fasse baptiser. Après mon baptême, son opposition n’a fait qu’augmenter. Un jour, j’ai été arrêté sur une fausse accusation. Il y a eu des moments où je me demandais si Dieu existait vraiment et pourquoi il me mettait ainsi à l’épreuve. Aujourd’hui je lui suis reconnaissant de m’avoir guidé à travers ces épreuves et ces tribulations. Il me faudrait beaucoup de jours et des livres entiers pour raconter ce par quoi je suis passé et pour exprimer mes sentiments.

Laïc missionnaire, vous êtes un pionnier dans ce pays interdit : comment jugez-vous la situation actuelle de l’Eglise ?

Pour moi, l’Eglise en Arunachal Pradesh n’est rien d’autre qu’un miracle. Je n’aurais pu imaginer qu’elle devienne ce qu’elle est. Parmi les missionnaires que je connais, je trouve tant de zèle et d’amour. Je suis fier du zèle et de l’intérêt montrés par les laïcs surtout parmi les jeunes. Les prêtres aussi travaillent dur et s’organisent bien. Nous avons devant nous un avenir brillant et il n’est plus très loin devant nous.

Quel est le rôle du laïcat dans l’Arunachal Pradesh d’aujourd’hui ?

A ce sujet, notre manière de voir doit être celle de Jésus lorsqu’il nous demande d’être “sel et levain”, pour une société meilleure. Il y a du travail à faire. L’Esprit de Jésus peut vraiment changer notre société.

L’engagement du laïcat en Arunachal Pradesh est-il satisfaisant ?

Je voudrais dire qu’en Arunachal Pradesh on ne sent pas de séparation entre les laïcs et le clergé. Pour commencer, nous n’avons que peu de prêtres. Notre chance, c’est que tous vivent avec nous dans l’égalité avec les autres membres de la communauté tout en jouant un rôle différent. Nous sommes tous impliqués dans la préparation et la réalisation du travail. En fait, nous parlons souvent de cette merveilleuse harmonie. Nous sommes heureux d’avoir des prêtres qui insistent pour que notre Eglise ne tombe pas sous la domination du clergé, car cela amènerait dans l’avenir des conflits entre le clergé et les laïcs.

L’Eglise d’Arunachal Pradesh s’intéresse-t-elle seulement à la proclamation de l’Evangile ?

Nous nous rappelons souvent à nous-mêmes que Jésus allait “enseignant, guérissant et prêchant”. En fait, quelques prêtres nous répètent toujours “qu’un homme pleinement vivant est la gloire de Dieu”. L’Eglise d’Arunachal Pradesh est engagée dans une oeuvre de développement, d’éducation, de santé et ainsi de suite… Chacun fait ce qu’il peut. Nous travaillons à ce que chacun ressemble à l’homme parfait, le Christ, en toutes choses. Nous sommes très limités par l’absence de structures, de finances et de personnel. Nous venons de former une association pour le travail social et nous espérons qu’à travers elle nous ferons beaucoup de choses.

Vous semblez être satisfait en dépit de tout ce que vous avez eu à endurer…

Oui, je suis plus que satisfait aujourd’hui. J’ai beaucoup de raisons à cela. Je regarde mes enfants qui grandissent dans la crainte de Dieu. Ma femme, qui m’a inspiré et a souffert avec moi tout ce temps, est devenue profondément religieuse. Beaucoup de mes amis croyants occupent des positions respectables dans la vie et dans la société. Des prêtres et des religieuses viennent nous rendre souvent visite. Tous ces signes me convainquent qu’il valait la peine de passer par toutes ces difficultés. Je fais l’expérience de la présence puissante de Dieu dans l’Eglise. Maintenant, quand je m’asseois dans la belle église de mon village avec des centaines de croyants et parmi eux certains qui nous ont persécutés autrefois, j’ai juste envie de crier : Notre Dieu est grand, Il est tout-puissant.