Eglises d'Asie

LA FRATERNITE “JESUS-CARITAS” EN ASIE Une interview du P. Emmanuel Asi

Publié le 18/03/2010




Dites-nous quelque chose sur la Fraternité Jésus-Caritas…

La Fraternité “Jésus-Caritas” est une association de prêtres diocésains (mais les religieux ne sont pas exclus) qui essaient d’imiter le Frère Charles de Foucauld dans sa vie et sa spiritualité. Cela inclut : l’adoration de l’Eucharistie, le partage d’Evangile, la révision de vie, le travail manuel, les jours de “désert”. La Fraternité comprend environ 4 000 membres, sur tous les continents. J’en fais partie depuis 1981.

Pourquoi la Fraternité est-elle si importante pour vous?

La Fraternité est un grand soutien pour les prêtres diocésains. Elle nous aide à approfondir notre vie de prière, notre fraternité sacerdotale et notre engagement au service des gens. Elle est particulièrement utile aux prêtres lorsqu’ils connaissent des moments de détresse, des crises, des conflits. La Fraternité peut jouer un rôle prophétique au sein des Eglises locales. Elle nous porte à revivre les mystères de l’incarnation et de la Résurrection et à transformer notre société par des moyens ordinaires, simples, humbles.

Vous venez de vivre une expérience d’immersion culturelle : qu’est-ce que l’inculturation ?

Si l’on veut réfléchir sur l’inculturation, il faut commencer par se demander ce qu’elle n’est pas. Elle ne consiste pas à intégrer une culture missionnaire dans une Eglise locale. Elle ne consiste pas à imposer une culture dominante à une autre culture qui serait dominée, ni à intégrer une culture supérieure, ou une industrie, une technologie, une connaissance, à une culture en voie de développement. Les cultures sont toujours des cultures développées. C’est la connaissance technique, pas la culture, qui est plus développée en certains pays. On ne peut pas utiliser le mot “sous-développé” quand on parle de culture. Les pays sous-développés” ont des cultures souvent plus développées.

Qu’est-ce donc que l’inculturation?

C’est la culture de l’Evangile dans ma culture, dans la culture de quelqu’un. C’est permettre à Dieu de devenir humain. C’est permettre à la culture de Dieu d’entrer dans la culture humaine. C’est ce qu’ont fait Moïse et Paul. Partout où ils sont allés, ils ont apporté avec eux la culture de Dieu, la culture de l’Evangile, tout en acceptant la culture indigène, locale. Ils n’ont pas introduit leur culture particulière, ethnique, mais la culture de Dieu et de l’Evangile.

L’inculturation suppose par conséquent un changement important dans notre théologie, dans notre ecclésiologie, notre spiritualité, notre christologie. Un changement dans notre manière de comprendre Dieu, l’Eglise, notre manière d’être l’Eglise, d’appartenir au Christ.

Au début du Nouveau Testament, lorsque Marie a été invitée à entrer dans la culture de Dieu, à permettre à la culture de Dieu d’entrer dans sa propre culture, elle a douté, elle a mal compris, elle avait des préjugés. Mais dans sa foi, elle a permis à la culture de Dieu de s’inculturer dans la sienne propre.

Que pensez-vous de l’importance que l’on donne aux femmes?

Je suis fier d’être né à “Mariamabad”, un village qui porte le nom d’une femme, Marie de Nazareth. Dans une culture de type patriarcal, il est rare qu’on donne le nom d’une femme à un village.

Etant donné que la femme est le moyen principal par lequel la foi, la culture, l’humanité, nous sont transmises, il est surprenant de constater que sur le plan théologique, elle n’est pas davantage acceptée, respectée, qu’on ne lui donne pas une plus grande place, une participation plus importante, dans l’Eglise. Elle n’a toujours pas d’existence, elle est sans voix – une “non-personne” dans l’Eglise et dans la société. Quel paradoxe et quelle oppression!

Dans l’islam, la femme est une demi-personne. Pratiquement, elle n’a pas le droit de prendre de décision, ni de donner son opinion dans la communauté. Sa vie est restreinte, sa fonction réduite à celle de produire des enfants.

Il est paradoxal que ne comptent pour rien celles qui donnent la vie. Elles transmettent la vie, mais sont privées de vie. Elles transmettent la foi, mais la foi ne reconnaît pas leur dignité. La femme est créée à l’image et à la ressemblance de Dieu. Plus elle découvrira cette vérité, et plus elle deviendra un sacrement de Dieu, une expression de la divinité. Selon la manière de voir traditionnelle, elle apparaît davantage comme un visage déformé de Dieu, ou un demi-visage, ou même comme ne lui ressemblant pas du tout.

La spiritualité encracinée dans la culture dont vous parlez semble s’élever contre les injustices?

Je considère la justice sociale comme la plénitude de la vie. Dieu a créé la personne humaine pour qu’elle vive pleinement. Si bien que tout acte ou toute pensée ou tout geste qui nie, limite ou ôte la vie est une injustice. On ne peut pas adorer Dieu sans accomplir la justice, non seulement dans le domaine social, mais aussi dans les affaires religieuses et spirituelles.

La justice sociale n’est pas une action, mais un mode de vie et une spiritualité. On parle et on agit “justice sociale”.

Qui vous a formé?

Je suis sorti d’une famille très pauvre. J’ai connu la discrimination, la pauvreté, l’oppression : j’en ai souffert, j’en ai littérarement goûté, pourrais-je dire. Spirituellement, j’ai beaucoup reçu de mes parents. Ils se privaient pour que notre vie soit comblée. De mon père, j’ai hérité son zèle et son amour pour l’Ecriture, la source de ma vie spirituelle.

Mes idées sur la justice sociale ont été influencées par ma propre vie et par l’Ecriture. Trois personnes leur ont donné forme: le P. Gustavo Gutierrez, le P. Tissa Balasuriya et le Frère Karl Gaspar.

Sur le plan spirituel, j’ai été influencé par St François d’Assise, le Mahatma Gandhi, le Frère Charles de Foucauld et la Mère Teresa de Calcutta.