Eglises d'Asie

ETRE EGLISE EN ASIE AU XXIè SIECLE : EN MARCHE AVEC L’ESPRIT VERS LA VIE Déclaration finale du colloque théologique de Pattaya

Publié le 18/03/2010




INTRODUCTION

1- La vie. Vie vibrante qui palpite dans le sein de l’Asie féconde. Promesse et espérance d’une vie pleine dans nos Ecritures sacrées. Vie dans le Royaume de Dieu. Ce pourquoi Jésus est venu – que nous puissions avoir la vie en abondance (Jn 10, 10). Vie comme don et comme devoir. Le pèlerinage de la vie, cette lutte pour la vie, voilà le thème fondamental qui a conduit nos discussions au cours de ce colloque théologique international de Pattaya.

2- Rassemblés par l’Esprit de Dieu, nous avons prié et nous avons discerné par l’Esprit. Nous avons travaillé, réfléchi, décidé et célébré dans le même Esprit. C’est par l’Esprit que, venant de différentes races, langues, situations existentielles et cultures d’Asie, nous sommes arrivés à une unité de coeur dans notre souci pour l’Asie et pour l’Eglise. La vie vient dans l’Esprit. La vie est rafraichie et renouvelée – re-née – dans l’Esprit.

3- Grâce à cette foi dans l’Esprit de Jésus, nous avons eu la témérité d’explorer des questions difficiles. En tant qu’Eglise, comment pouvons-nous être à la fois vraiment de l’Asie et vraiment de Jésus ? Comment pouvons-nous, dans la situation minoritaire qui est la nôtre, remplir la mission d’annoncer à tout un chacun que Jésus donne la vie, qu’il est la Vie ? Quel service notre théologie peut-elle rendre pour promouvoir une vie plus juste et plus aimante ? Que pouvons-nous faire pour une vie plus humaine dans un continent vaste et souffrant où la marginalisation et les privations sont très répandues? Comment pouvons-nous, en tant qu’Eglise, nous mettre au service de la vie et dispenser l’espérance dans nos peuples d’Asie ?

4- Nous savons que notre manière de poser les questions n’est peut-être pas adéquate et appropriée. Nous savons que nos réponses entament difficilement le mystère qu’est l’Asie et encore moins le mystère de Jésus et de nous-mêmes, ses disciples. Mais nous offrons le fruit de nos réflexions pour le service de l’Eglise en Asie, afin que tous puissent connaître la vie et ressusciter vers la vie.

I – DEFIS ET MENACES

présentés par les phénomènes nouveaux en Asie

Notre réflexion commence avec un coup d’oeil sur la réalité asiatique.

5- Alors que l’Asie approche du XXIè siècle, des développements nouveaux et passionnants apparaissent dans les pays d’Asie. Le phénomène technologique a fait de notre monde tout entier un village global. L’émergence de la liberté et de la justice dans un petit coin de l’Asie attire l’attention des pays des autres continents en quelques secondes par les techniques de communication et les médias. Ce monde vaste est devenu un village où encouragements, inspiration et espérance peuvent rapidement être communiqués à des peuples frappés par des désastres. La connaissance explose bien au-delà de notre imagination. Les secrets de l’univers sont capturés dans de petits gadgets électroniques qui rendent l’accès aux connaissances, le service et l’amour des autres plus faciles. Le phénomène des mouvements féministes est lui aussi un développement positif. Ils augmentent en Asie et font que les femmes deviennent plus conscientes de leur potentiel et de leurs ressources, défiant ainsi des siècles de subordination aux hommes, les rendant capables de revendiquer leurs droits et la participation dans la vie publique. L’Esprit de Dieu est présent dans tous ces développements. Du point de vue biblique d’une création en gestation continue, nous pouvons attribuer toutes ces merveilles à Dieu et nous exclamer avec le psalmiste : ” Tes oeuvres sont merveilleuses Seigneur…”

6- Dans le domaine scientifique, dans la technologie et les sciences économiques, les progrès enregistrés facilitent divers mouvements déjà notés dans le passé par les assemblées de la FABC (voir par exemple FABC V, Bandung) : un mouvement vers davantage de communauté dans plusieurs pays asiatiques, un mouvement vers davantage de participation et une soif d’approfondissement du divin. Ce sont des mouvements vivants et pleins d’espérance qui traduisent la lutte de l’Asie pour une vie plus épanouie.

7- Pourtant notre optimisme doit prendre en compte l’indéniable ambivalence des changements en cours. Jetons un regard plus en profondeur dans la réalité de l’Asie.

Croissance économique et industrialisation

8- Le phénomène dont nous entendons parler presque tous les jours se situe dans le domaine économique : c’est le rêve de la croissance économique.

9- Un processus inexorable d’industrialisation a été mis en route en Asie. Il est fortement lié et dépendant du processus de globalisation de l’économie. L’afflux de capitaux étrangers, provenant de l’Occident et des pays plus développés d’Asie de l’est, introduit des méthodes de production et des technologies qui sont très largement au-dessus des capacités de quelques-uns de nos pays d’Asie. Le néo-colonialisme se renforce.

10- Des changements fondamentaux dans les modes de travail, dans les structures de base de nos économies et dans la nature même des relations humaines entre individus et entre communautés, sont en train de se produire. Les personnes deviennent des éléments mécaniques du processus de production et le résultat en est que le travail devient déshumanisant. Ceci est particulièrement vrai pour les femmes au travail. Les atrocités commises sur les femmes, sur leur travail et sur leurs enfants, s’intensifient. Les femmes sont souvent les premières à souffrir des licenciements économiques et de l’inflation. Elles sont souvent les dernières à être protégées et soignées.

11- Bien que la plus grande partie de nos économies soit encore rurale et agricole, la profonde négligence qui affecte ce secteur a un impact négatif et dévastateur sur la vie des individus et des communautés. Le secteur rural demeure stagnant.

Modernisation, sécularisation et médias

12- A l’intérieur du processus d’industrialisation, le besoin s’est fait sentir de moderniser le secteur commercial. Ce processus renforce des modes de vie de sociétés de consommation, et aujourd’hui même les pauvres y sont introduits. A travers la commercialisation de l’éducation et le contrôle des médias, l’économie est devenue le moteur de tous les aspects de la vie. Tout comme il n’y a pas de technologie moralement neutre, il n’y a pas non plus de média moralement neutre. Par la dissémination de l’information et du spectacle, les médias créent des valeurs, bonnes ou mauvaises, et favorisent une manière totalement nouvelle de regarder la vie. Un discernement sérieux doit être effectué à ce sujet. Les enfants et les jeunes d’Asie sont les plus exposés à ces notions “étrangères” qui affectent le sens même de la vie. L’image de la femme telle qu’elle est présentée dans les médias maintient et renforce une vision qui la subordonne à l’homme et en fait un objet de plaisir.

La sécularisation accompagne la dynamique de modernisation. Les relations traditionnellement étroites à l’intérieur de la famille asiatique commencent à s’éroder, mais de nouvelles formes d’intimité sont explorées et favorisées. Le sens profond de la religion et de la communauté qui caractérise la plupart des peuples d’Asie tend à se désintégrer.

Politique et participation

13- Nous percevons le rôle dominant joué par les conglomérats industriels et financiers qui contrôlent virtuellement des parties majeures de l’économie, particulièrement ceux qui sont étroitement liés aux oligarchies traditionnelles, les industriels modernes liés aux politiciens aussi bien que ceux qui sont liés aux militaires dans la plupart de nos pays. Une répression subtile des droits des individus et des communautés à participer de manière significative aux processus de décision est en train de prendre place. C’est tragique. Sous prétexte de sécurité nationale et de stabilité politique, les droits de l’homme sont violés. De nouvelles formes de dictature et de domination émergent. Il est triste de constater que la politique est le pouvoir de dominer plutôt que le service de la vaste majorité.

Un renouveau religieux est en train de se produire dans beaucoup de pays d’Asie et c’est souvent un mouvement très positif. Mais un mélange de fondamentalisme religieux et de chauvinisme ethnique crée des divisions, de nouvelles formes de violence et de haine.

14- Les changements attendus dans presque tous les aspects de la vie au XXIè siècle accompagnent ou sont peut-être causés par les développement dans les sciences, la technologie et les médias. Ces changements auront sûrement un impact significatif sur les cultures et sur les peuples d’Asie, pour le meilleur ou pour le pire. Les personnes ont besoin d’être enracinées dans le sens profond de la vie si elles veulent rester vraiment humaines. Si ces racines venaient à s’affaiblir – ou, pire encore, à être détruites – c’est une dislocation culturelle et une déshumanisation qui prendraient place.

15- La production de masse rendue possible par la haute technologie va démocratiser l’accès à une effarante multiplicité de biens et de services.

Des moyens de communication sophistiqués offriront de nouvelles possibilités de partager et de se rejoindre, à des peuples de cultures et de religions différentes. Mais la formation d’une société de masse va aussi, probablement, se caractériser par la dissolution de liens traditionnels, par l’anonymat et la marginalisation. Ceci doit être évalué de manière critique à la lumière de la liberté et de l’identité culturelle des peuples.

16- En Asie, une élite politiquement puissante, qui appartient habituellement à une minorité, porte avec elle une sous-culture dominante. Les sous-cultures populaires sont celles des pauvres et d’une majorité politiquement marginalisée. Les changements de société que l’on voit se profiler et qui amèneront la globalisation au XXIè siècle vont probablement accentuer encore et appauvrir la sous-culture des pauvres.

17- Ces projections sont en train de se confirmer. De notre point de vue, le progrès de quelques-uns a créé de faux espoirs chez les gens qui croient que l’abondance va irriguer toutes les communautés d’Asie.

18- Les économies autrefois auto-suffisantes et les communautés rurales, traditionnelles et tribales, sont les plus affectées par ces courants. La dépréciation de l’économie rurale et la dépendance qui s’amoindrit sur les commodités de base de l’échange international ont des implications dépressives pour l’avenir des communautés rurales.

19- Alors que des individus et des communautés entières deviennent victimes de ce processus, il en est de même de l’environnement et de la nature. La destruction des forêts tropicales et la pollution de l’environnement sont deux de ces conséquences négatives.

20- La nature du travail dans le secteur industriel moderne a aussi affecté la vie de famille et la santé. De nouveaux modes de relations de travail attaquent l’unité et la stabilité de la famille. Les enfants et les femmes en sont devenus les victimes les plus évidentes. Déjà victimes du mythe de la supériorité masculine, les femmes sont sujettes à de nouvelles formes de violence et d’aliénation culturelle.

21- La force obsessionnelle qui mène à la réussite économique et matérielle, la recherche de satisfaction des besoins créés par les médias et la nouvelle culture technologique amènent subtilement les gens à une vie sans racines morales et religieuses.

Perspective fondamentale et option de l’Eglise en Asie

22- A la lumière de ce contexte, l’Eglise en Asie va devoir reformuler son rôle. Ceci exige une nouvelle vision et un sens revitalisé de la mission, une conscience plus profonde de ses ressources humaines. Parmi ces ressources nous trouvons les suivantes.

a) La personne humaine : dotée d’une dignité donnée par Dieu depuis le premier moment de la vie, et de potentialités sans limites pour promouvoir une vie plus épanouie, la personne humaine est la première des ressources.

b) La famille : la famille asiatique est traditionnellement très unie, serviable et charitable, hospitalière et religieuse. C’est l’espérance de l’Eglise à son niveau le plus fondamental.

c) La jeunesse : Energiques, idéalistes, capables de s’engager dans les causes de la justice et de la liberté, les jeunes sont une ressource encore non entamée pour la mission et la vie.

d) Les femmes : partenaires des hommes, elles sont au coeur de la famille asiatique, elles sont les symboles durables de la compassion et du service, de l’harmonie et de l’amour. Donnant la vie et nourrissant la vie, elles sont en première ligne du combat pour la justice et la liberté.

Avec ces ressources humaines et d’autres, l’Eglise doit défier l’ambivalence des réalités asiatiques, utiliser leurs élements positifs pour un développement humain.

23- Au milieu de ces changements massifs en Asie, l’Eglise doit annoncer avec une vigueur renouvelée la signification divine de la vie et un mode alternatif de vie et d’existence, par sa parole, son être et son action. L’incarnation de l’Evangile appelle une nouvelle qualité de la vie qui consiste non pas seulement à “avoir plus” mais à “être plus” et à partager davantage.

24- Ceci signifie pour nous dans le contexte de l’Asie une plus grande conscience du sens de l’Eglise. Nous sommes un petit troupeau en Asie. Nous sommes seulement l’une au milieu d’une multitude de communautés marchant vers une vie plus pleine. Notre contribution spéciale à cette marche est notre ambition d’arriver à une “communion de communautés” qui commencerait avec la famille, une nouvelle manière d’être Eglise qui amènerait le nouveau visage du Christ à l’intérieur même de la société asiatique.

II – LE VISAGE DE JESUS EN ASIE

25- La manière dont l’Eglise répondra aux défis des nouveaux phénomènes dépend fondamentalement de la manière dont elle comprend le fait d’être disciple. Mais pour répondre à cette question, l’Eglise doit d’abord comprendre qui Jésus est dans le contexte asiatique.

Jésus Seigneur

26- Si Jésus devait nous demander aujourd’hui en Asie “Qui dites-vous que je suis”, nous déclarerions comme l’Eglise primitive : “Tu es l’image du Dieu invisible, le premier né de toute création” (Col.1,15), “tu es le Messie, le Sauveur, le Seigneur”, “tu es la Parole au commencement, tu es avec Dieu, tu es Dieu ” (Jn, 1, 11). Notre foi est celle des apôtres dans le Christ ressuscité.

Jésus et les pauvres : l’option préférentielle

27- Pourtant, quand nous réfléchissons sur le côté caché, dur, de l’Asie souffrante, l’image de Jésus qui capture notre imagination est le portrait humain que nous en donnent les Ecritures. Né d’une femme (Gal. 4,4), il est le Dieu qui plante sa tente parmi nous (Jn, 1, 14), il se vide lui-même pour être solidaire des petits, ceux qui sont traités comme des non-personnes, les pauvres et ceux qui ont faim, les exclus et les marginalisés, les opprimés et les piétinés, les malades, ceux qui ne comptent pas, les enfants et les femmes. Il s’en prend au penchant humain naturel de regarder vers le haut et il descend vers les opprimés, marche avec eux, vit avec eux, prend sur lui leurs fardeaux, les appelle ses amis (Lc, 4,18; 15,2). Cette prédilection pour les pauvres, nous l’appelons maintenant son option préférentielle.

Détruire les barrières

28- Il détruit les barrières sociales, encroûtés dans les coutumes et traditions et retranchées dans les structures sociales. Il défie l’exclusivisme religieux qui divise Juifs et Samaritains et annonce une manière radicalement nouvelle d’adorer Dieu “en Esprit et Vérité”. Il ose toucher l’intouchable, appelle des femmes comme disciples. Son amour touche la vie misérable des exclus, délie leurs chaînes d’indignité et d’insécurité, et les amène à la liberté et la joie qu’il partage avec son père. Il leur parle de son père comme de “Notre Père”, qui se soucie non seulement des oiseaux du ciel et des fleurs des champs, mais bien davantage encore des personnes (Mt 6, 25-32; Lc 12, 22-30). Il pardonne et réconcilie. Il est la personne d’harmonie. Il est la Paix (Jn, 14,27 ; 20, 21-23; Eph. 2,14).

Le Royaume de Dieu

29- Il parle avec confiance et autorité de Dieu et de son règne. Le Royaume est ici, au milieu de vous (Lc. 17,21). Il prend la multitude en compassion. Il pleure sur un individu (Jn. 11,35-36), il pleure sur une cité entière (Lc. 19,41-44). Il veut leur donner la vie. Il appelle les pauvres bienheureux, le Royaume de Dieu est à eux (Lc. 6,20). Les sans-abris, ceux qui ont faim, ceux qui sont nus, les petits, portent ses traits. Sans compromis dans la défense des petits, ses guérisons, ses paroles de pardon signalent l’irruption de la compassion du royaume de Dieu dans notre espace et dans notre temps.

L’audace prophétique

30- Pour eux, avec audace, il affronte les pouvoirs du jour et dénonce leur ambition et leur hypocrisie (Mt.23,13-36 ; Lc.12,1), la corruption et l’oppression, leur gestion du pouvoir, leur oubli du contenu le plus important de la Loi à savoir la justice, la miséricorde et la foi (Mt.23,23). Audacieux et courageux, ayant soif de justice, prophète des âges, ses paroles et ses actions renversent les valeurs de ce monde. Il parle de réconciliation avec les ennemis, de prier pour eux, de les aimer et de leur pardonner (Mt. 5,43-48 ; Lc.6,7-36). Un amour radical au-delà des mots.

Economie et politique : le signe de contradiction

31- Il entre dans le champ de l’économie, relativise la richesse, place tous les biens matériels au service du Royaume, condamne l’esclavage de Mammon, l’ambition et l’égoïsme qui caractérisent l’idolâtrie de la richesse (Lc.12,13-21 ; Mt.6,24). Il est le Chemin (Jn.14,6). Maître, il sert. Il montre ce que le pouvoir doit être, non pas un moyen de domination et d’oppression, mais un moyen de service (Jn.13,13-15 ; Lc.22,27 ; Mc.10,45). Il n’hésite pas à affronter les pouvoirs du jour. C’est en servant que l’on règne. Enseignant, il vit selon sa parole. Il est authenticité, transparence, crédibilité, la Vérité. Il est mis à mort parce que sa vision de la vérité va à l’encontre des revendications religieuses et l’idée de bien commun de l’élite au pouvoir.

La croix et l’eucharistie : amour et vie

32- Le don libre de soi jusqu’à la mort par exécution cruelle et brutale sur la croix démontrent ce que l’amour, le partage et le service signifient. Parce qu’il aime, il meurt pour nous. Parce qu’il aime, nous vivons.

33- L’eucharistie qu’il célèbre avec ses disciples la nuit avant sa mort fait entrer sacramentellement dans la mémoire cet amour total (Mc.14,22-25 ; Mt.26,26-29 ; Lc.22,14-20 ; Jn.13,1-5). C’est ce que signifie d’être l’Oint, le Christ, la Personne qui, en mourant, donne vie à l’humanité. Il accepte la coupe amère de la souffrance (Mc.14,36; Mt. 26, 39,42 ; Lc.22,42). Absurde, oui, mais dans la vulnérabilité la plus totale et la plus cruelle, dans l’expérience humaine la plus irrationnelle, se situent la puissance, la sagesse et l’amour de Dieu (1Cor.1,24).

34- Par sa souffrance et sa mort, Jésus conquiert la mort, restaure la vie. Sa résurrection des morts fait de lui “la victoire de l’humanité souffrante”. Ceci fait partie de la joie pascale qui doit pénétrer notre lutte et notre espérance. Il est le pain et l’eau de la vie, l’eau qui donne la vie (Jn.6,51 ; 4,10,13 ; 7,37-38). Il est la vie. Il accomplit les aspirations les plus profondes de l’humanité pour une vie pleine, une personne totalement pour les autres et totalement pour Dieu.

35- C’est ce Jésus que nous avons entendu, que nous avons d’une certaine manière touché et regardé dans les mystères que nous célébrons (1Jn.1,1). C’est comme cela que nous voyons Jésus avec un visage asiatique.

36- Il est donc la Parole de vie (1Jn.1,1) que nous devons partager avec nos frères d’Asie. De même qu’il était “Bonne Nouvelle” pour les pauvres de son temps, aujourd’hui il ne peut pas être autre chose que “Bonne Nouvelle” pour les millions d’habitants de l’Asie. Cette image humaine de Jésus, né d’une femme, Dieu fait pauvre, Dieu avec nous, notre paix, notre enseignant et prophète, guérisseur, personne d’harmonie, leader-serviteur souffrant, libérateur, donneur de vie, est une image qui résonne puissamment dans la situation de servitude de l’Asie, dans la lutte de l’Asie pour la justice et l’harmonie, dans notre lutte pour la vie.

Le visage de l’Eglise en Asie

37- Tel que le Maître, doit être la communauté-disciple, l’Eglise. Seulement lorsque nos paroles, nos actions, nos modes de vie, couleront de notre foi en Jésus pourrons-nous inviter les peuples à “venir et voir”. Le visage de Jésus attirera les peuples d’Asie dans et à travers le visage de l’Eglise.

Les disciples de Jésus Seigneur

38- La profession de foi “Jésus est Seigneur” (Phil. 2,11) donne naissance à une communauté de disciples. Etant une communauté qui reconnaît Jésus comme Seigneur, notre être profond de disciples est marqué par le service, par une manière d’être pour les autres. Ceci nous fait chercher continuellement, contempler et méditer le visage du Seigneur vivant. Nous, disciples de Jésus le Seigneur, sommes invités à présenter à l’Asie le visage d’une Eglise confessante, servante, discernante et contemplante.

39- Mais alors même que nous disons cela, nous sommes conscients de notre péché comme peuple et comme institution. Ce fut Pierre, le disciple, qui, face au Seigneur, confessa : “Seigneur, éloigne-toi de moi car je suis un pécheur”. Le triomphalisme, la discrimination, le cléricalisme, la domination, l’exclusion, les compromissions aux dépens de la justice et de la vérité sont seulement quelques-unes des attitudes qui affectent nos structures de l’intérieur. La confession de notre péché mène à la conversion et à une manière plus profonde d’être disciple.

Les disciples de Jésus, les pauvres

40- Comme le portrait humain de Jésus attire les peuples d’Asie, particulièrement les masses souffrantes et marginalisées, notre communauté est appelée à assumer une figure vraiment humaine : une Eglise qui ne s’oppose pas à être incarnée dans l’humanité faible. Une Eglise qui ne se détourne pas des croix de l’histoire. Une Eglise qui n’hésite pas à se vider elle-même. Une Eglise qui ne se scandalise pas parce qu’elle est pauvre. Une Eglise qui ose être l’Eglise des pauvres. A travers cette Eglise, le visage de Jésus qui aime les pauvres avec prédilection, pourra briller en Asie.

Disciples du Jésus de communion et d’harmonie

41- En Asie, le visage de Jésus comme réconciliation et paix possède un attrait spécial. En tant que communauté d’Eglise, nous sommes appelés à être le sacrement, le signe et l’instrument de la communion avec Dieu et avec l’humanité que Jésus apporte (cf. Lumen Gentium 1). Parce que notre vie interne de communauté d’Eglise est Esprit de communion, nous ne pourrons ignorer notre mission de détruire toutes les barrières qu’en niant notre propre identité.

42- Nous sommes appelés à la communion non seulement en tant qu’individus mais aussi en tant que peuples et communautés ecclésiales, afin de dépasser les divisions des Eglises chrétiennes. Par ceci, nous mettons l’accent sur le fait que la communauté-disciple est en effet le peuple de Dieu.

43- Dans un contexte de fondamentalisme religieux, de violence interreligieuse, de déstructuration sociale et de destruction écologique, nous affirmons la validité de l’intuition de la FABC d’être une Eglise de dialogue. Le dialogue est pour l’Eglise d’Asie le mode premier de la promotion de l’harmonie. Mais comme notre maître, nous ne pourrons faire avancer l’harmonie qu’en prenant le chemin d’un amour préférentiel pour les pauvres.

Disciples de Jésus-serviteur du Royaume de Dieu

44- De même que Jésus a passé toute sa vie au service du Royaume de Dieu, nous sommes invités à approfondir notre relation à cette vision fondamentale de Notre Seigneur. Elle exige qu’on se débarrasse de tout triomphalisme dans la vie de l’Eglise et ses structures, parce que le Royaume est plus grand que nous. Elle exige que nous ne nous félicitions que d’être d’humbles serviteurs du Royaume, puisque en dehors de cela nous perdons le sens de ce qu’est notre communauté. Elle nous oblige à être vraiment missionnaires parce que la vie qui nous est promise dans le Royaume doit être découverte et partagée avec les autres. Elle nous soumet constamment au jugement du Royaume parce que les valeurs du Royaume nous réuniront finalement à Notre Seigneur.

Disciples de Jésus, prophète et signe de contradiction

45- Jésus a servi le Royaume d’abord par un témoignage prophétique en êtant signe de contradiction. Il n’y a pas d’autre visage que l’Eglise en Asie puisse revêtir. Par notre proclamation, notre mode de vie et notre présence, nous devons dévoiler au grand jour les fausses valeurs si aisément acceptées dans l’Asie d’aujourd’hui, leurs effets déshumanisants, particulièrement sur les pauvres. Au milieu des manipulations, nous devons être les hérauts de la vérité et de la liberté. Au milieu du consumérisme vulgaire, de l’opulence et du matérialisme, nous devons être des symboles de simplicité et de tempérance évangéliques. Au milieu de la pauvreté et de la destitution, des promoteurs de la justice et de la libération. Au milieu du caractère obsessionnel du prestige et du pouvoir, des incarnations de la compassion, du souci des autres, de la miséricorde, de l’altruisme et de l’amour.

46- Pour projeter une telle image nous devons accepter de nous débarrasser de structures et de catégories mentales et humaines qui empêchent de distinguer le visage du prophète et du signe de contradiction que nous appelons Notre Seigneur.

Disciples du Seigneur crucifié

47- Le visage de Jésus nu sur la croix ne manque pas d’attirer les peuples d’Asie. La nuit de la foi dans l’abandon ressenti par notre Seigneur crucifié devient quelquefois notre propre expérience de disciples. Pour nous, le visage du Seigneur crucifié signifie un amour total de Dieu et du prochain. Le visage de l’Eglise doit être un visage d’amour pur, spécialement dans la nuit du non-amour. Mais nous savons que la croix est un symbole aussi du Christ ressuscité. Notre amour doit donc aider à remplir le monde de joie et d’espérance, avec un grand optimisme au milieu de la souffrance.

III – LES REPONSES DE L’EGLISE EN ASIE

Une théologie au service de la vie

48- Nous envisageons le travail de la théologie en Asie comme un service à la vie. Elle doit réfléchir systématiquement sur des thèmes importants : la marche commune de la vie avec les autres peuples d’Asie, la vie des chrétiens et de leurs Eglises en Asie, le travail des conférences épiscopales en Asie.

49- Elle doit rendre ce service d’une manière qui soit pastoralement fructueuse et adaptée à la vie, à la spiritualité et à la mission de la communauté-disciple. Pour cela, la théologie doit partir d’en bas, du côté caché de l’histoire, de la perspective de ceux qui luttent pour la vie, l’amour, la justice et la liberté. L’expérience vitale de la foi chrétienne des diverses Eglises en contexte asiatique sont les points de départ. La théologie est donc plus qu’une recherche de compréhension dans la foi, c’est une foi qui fait avancer la vie et l’amour, la justice et la liberté.

50- C’est de cette manière que la théologie devient un processus dynamique qui donne sens et qui facilite la marche de l’Asie vers la vie. Elle devient partie prenante du processus qui fait être et devenir Eglise en Asie.

Orientations pastorales

51- Le statut de disciple est un nouveau paradigme pour comprendre l’Eglise. Il exige que l’Eglise soit missionnaire. L’Eglise est donc appelée à un renouveau de l’évangélisation comme proclamation de Jésus. Dans le contexte asiatique, le renouveau de l’évangélisation exige une expression nouvelle, de nouvelles méthodes et une nouvelle ferveur. Une pastorale créative est nécessaire à cela.

52- Le statut de disciple dans l’Eglise appelle à une conversion radicale des chemins et des structures de mort vers une pratique de don de la vie, conversion qui présuppose un changement des schémas mentaux. Ceci signifie la création d’une communauté rassemblante qui ne discrimine pas en termes de culture, de classe sociale ou de sexe quand on en vient à la question de l’égalité mutuelle dans l’Eglise. Cela implique la promotion d’un authentique sentiment d’appartenance : en facilitant la réflexion sur la parole de Dieu dans de petits groupes ou de petites communautés ; en prenant des mesures concrètes pour faire de la liturgie quelque chose de significatif pour divers groupes ; en renforçant le sentiment d’être Eglise dans les familles où les valeurs du Royaume sont d’abord transmises ; en permettant au laïcat de participer à la vie et à la mission de l’Eglise qui sont leurs en vertu de leur baptême et de leur confirmation ; en mettant l’accent sur le partenariat entre hommes et femmes dans tous les secteurs de la vie de famille, de société et d’Eglise. En tant que communauté-disciple, nous aurons à explorer plus en profondeur la place et le rôle des femmes dans l’Eglise.

53- D’autres implications pastorales comprennent la correction de pratiques discriminatoires et injustes, particulièrement en ce qui concerne les femmes dans les structures ecclésiastiques, l’acceptation des jeunes comme partenaires à part entière et dignes de respect dans la mission, l’application d’un programme sérieux d’éducation théologique pour les laïcs et le clergé qui leur permette de se mettre au courant des avancées dans ce domaine et les aide à répondre de manière plus positive aux défis de la vie quotidienne.

54- Le statut de disciple dans la promotion de la vie appelle aussi à un engagement dans la transformation de la société. Aujourd’hui cela doit s’exprimer dans une solidarité engagée avec ceux qui sont économiquement privés de vie, dans un engagement sur les questions de justice et de paix, dans la lutte avec les pauvres et la création de programmes destinés à une amélioration économique. Cela signifie aussi l’acceptation par l’Eglise, comme si elle était la sienne, de la culture des gens, avec qui elle recherche ce qui donne vraiment la vie.

55- Pour cela, l’Eglise crée et développe un processus d’inculturation qui la met en confiance pour élaborer ses propres lettres pastorales et documents synodaux, et pour les partager avec les autres Eglises locales.

56- En tant que communauté de disciples, l’Eglise travaillera avec d’autres Eglises, communautés chrétiennes et personnes de bonne volonté – même celles dont la vision religieuse est très différente – en s’engageant, particulièrement par le laïcat, dans des mouvements profanes pour la promotion de la vie. Afin d’être crédible dans le domaine économique, elle doit non seulement promouvoir l’apprentissage des sciences économiques par l’examen critique des modèles économiques et des politiques gouvernementales, mais aussi encourager des alternatives viables et adopter pour elle-même un mode de vie simple. Les relations des dirigeants de l’Eglise avec les autres doivent être orientées sur la personne plutôt que sur la fonction. Il y a un besoin impérieux de corriger l’image autoritaire de pompe et de pouvoir donnée par l’Eglise et qui est contraire à l’image d’une Eglise des pauvres et d’une Eglise de dialogue.

57- Parce que l’Eglise est transmission de l’Evangile, elle doit cultiver de bonnes relations avec les professionnels des médias, devenir davantage consciente du pouvoir de ceux-ci, comprendre ses procédés et se donner une compétence réelle afin de faire preuve de discernement dans leur utilisation.

58- Dans son effort pour répondre aux impératifs de l’Evangile, l’Eglise doit s’assurer que ses structures humaines sont créées “d’en bas” en harmonie avec les besoins du temps et la culture du peuple. De ces diverses manières et dans la solidarité des uns avec les autres, l’Eglise peut réfléchir le visage de Jésus en Asie pour l’Asie.

CONCLUSION

59- Nous sommes témoins de la naissance d’un monde nouveau en Asie. Ce continent, grand et massif, riche non seulement de ses diverses cultures et religions, mais aussi de possibilités sans limites, et pourtant frappé d’incroyables dégradations de ses terres et de ses peuples, gémit dans les douleurs de l’enfantement. Un cri de profonde angoisse émerge des divisions, des conflits, de la violence, de la destruction de l’environnement, des innombrables injustices et de l’érosion culturelle qui blessent l’âme de l’Asie. C’est l’angoisse des pauvres. Les millions de pauvres asiatiques soupirent après une re-naissance, une re-création que seul l’Esprit de Jésus peut accomplir.

60- Conduits par l’amour, amour des peuples d’Asie et amour de Jésus, nous n’avons d’autre option que d’entendre ce cri. Une vie nouvelle est en train de naître. La forme et la qualité de cette création nouvelle ne peuvent être abandonnées aux manipulations des forces politiques et économiques. A l’instar du vieux prophète, l’Eglise aujourd’hui doit répondre : envoie moi, Seigneur, je suis ton serviteur.

61- Nous entreprenons cette mission, non pas seuls, mais avec les peuples d’Asie eux-mêmes, les diverses religions et cultures, leurs valeurs durables qui proviennent de l’Esprit et de la Parole de Dieu soufflée et parlée depuis le commencement des temps. Finalement, c’est le Dieu de tous les peuples qui appelle la communauté-disciple, et c’est le même Dieu en Jésus qui nous accompagne. Menés par l’Esprit nous nous embarquons pour cette mission.

62- Dieu d’amour qui donnes la vie, tu nous a appelés, nous en Asie, à la vie. Tu nous a enrichis d’une étonnante variété de cultures, de manières de vivre et de croire. Frères et soeurs dans une famille asiatique unique, nous te remercions et nous te louons pour tes dons.

63- Parmi nous, il y a les plus pauvres des pauvres, des millions qui chercent non seulement une vie meilleure mais la vie en plénitude que toi seul peux donner. Nous entendons ton appel à servir les autres, de la manière dont ton fils, Jésus, a servi les autres dans un amour total, dans un altruisme radical, dans l’eucharistie.

64- Envoie sur nous ton Esprit divin que nous puissions répondre ensemble et avec d’autres communautés à l’angoisse de nos soeurs et frères avec un amour courageux et généreux, et avec eux parvenir à la vie qui ne finit pas.

65- Puisse notre mère, Marie, voix et mère des pauvres, qui annonça la libération des sans-grade, être notre compagne en nous dirigeant vers le Chemin, la Vérité et la Vie dans ton Royaume pour les siècles des siècles. Amen.