Eglises d'Asie

“JE VEUX QUE LES PRISONNIERS SE DEBARRASSENT DE LEUR COLERE” Une interview de Kiran Bedi directrice de la prison de Tihar

Publié le 18/03/2010




Quelle était la vie de la prison quand vous y avez été nommée ?

Tout d’abord, la nomination elle-même était considérée comme une sanction. Ceux qui m’ont précédée avaient l’habitude de laisser passer le temps de leur mandat sans rien faire, incapables qu’ils étaient de gérer plus de 8 000 prisonniers. Peu de gens de l’extérieur, en particulier des médias, recevaient la permission de regarder à l’intérieur, de l’autre côté des hautes grilles de fer. Des rumeurs concernant les terribles conditions de vie des prisonniers les plus pauvres parvenaient de temps en temps à l’extérieur. Les plus riches quant à eux jouissaient d’excellentes conditions grâce à la compréhension de fonctionnaires corrompus.

Quand j’ai pris mon poste, j’ai vu la condition terrible de la vie en prison. Sale et surpeuplée, la prison était un enfer. J’ai décidé d’ouvrir des fenêtres et de laisser entrer de l’air frais. J’ai pensé qu’une meilleure gestion des hommes pourrait faire des prisonniers de meilleurs êtres humains. Je voulais que les prisonniers rencontrent d’autres gens comme ils le feraient à l’extérieur. Je voulais aussi qu’ils se débarrassent de leur colère. Leurs émotions et leur sentiment de frustration devaient être contrôlés. Tout cela m’a déterminée à donner à leurs vies une touche d’humanité.

La corruption des fonctionnaires et le trafic de drogue étaient la règle à Tihar quand je suis arrivée. J’ai fait cesser toutes ces pratiques et les fonctionnaires corrompus se sont retrouvés derrière les barreaux. Aujourd’hui, Tihar n’est pas une prison, mais une habitation humaine.

Quelles réformes avez-vous introduites à Tihar ?

Il m’a semblé que les prisonniers gaspillaient leurs vies dans des cellules sans activités créatives. J’ai commencé des programmes d’éducation des prisonniers. La prison propose maintenant des leçons d’anglais de hindi, d’urdu, de punjabi et de sanskrit.

Ensuite, j’ai contacté l’université nationale Indira Gandhi afin d’ouvrir un centre d’études à Tihar. Celui-ci propose des diplômes en gestion et en informatique, en développement rural, en science de la nutrition et de l’hygiène ainsi qu’en expression écrite.

Notre but est l’éducation pour tous. Elle devrait rendre les êtres humains meilleurs. Le matin, la prison ressemble à une école. Des fonctionnaires et des membres d’organisations non gouvernementales viennent dispenser leur enseignement aux prisonniers. Les cours de morale sont considérés comme un sujet important.

Le sport est aussi devenu une caractéristique permanente. Les soirées des prisonniers y sont consacrées ainsi qu’aux activités culturelles.

Pourquoi avez-vous introduit la méditation et le yoga ?

Depuis que je suis ici, la seule obsession qui me travaille est : comment guérir l’esprit morbide des prisonniers ? J’ai essayé différentes méthodes. Finalement, la méditation a été la réponse à mes prières. Je trouve que la spiritualité peut transformer les esprits corrompus et réformer la pensée humaine. J’ai donc contacté le centre de méditation Vipassana Sadhana Sansthan et ils ont accepté de proposer des cours de méditation et de yoga aux prisonniers. Le yoga n’est pas un travail physique mais une méthode de contrôle de la pensée. Tous les prisonniers font maintenant de la méditation et du yoga. La méditation s’est avérée pouvoir proposer un message subtil et aider les prisonniers à changer d’attitude. Ils ne sont plus dominés par la colère. Ceux qui avaient l’habitude de boire ne s’y sentent plus contraints.

Tihar n’est plus une prison, c’est la maison de l’amour. J’ai ouvert un centre de méditation appelé Ashiana (maison d’amour). C’est le premier centre de méditation dans une prison. Tous les jours, des groupes de prisonniers font du vipassana qui est une forme indienne ancienne de méditation, supposée purifier l’esprit.

Est-ce que la religion est impliquée dans vos réformes ?

Il n’y a pas de religion dans mes réformes. La méditation et le yoga sont de simples méthodes pour guérir l’esprit des prisonniers. Mes réformes allient le meilleur du christianisme et de l’hindouisme. C’est la somme de toutes les religions. Mais aucun prisonnier ne souffre de discrimination pour des raisons religieuses. La méditation constitue un programme continu pour les prisonniers, pour l’administration de la prison et pour moi-même.

Les prisonniers sont-ils satifaits de vos réformes ?

Oui, je crois qu’ils le sont. Mais on verra le résultat quand ils sortiront avec une qualification pour un métier. Ils seront des êtres humains meilleurs.

Beaucoup de prisonniers viennent me voir pour me dire que les réformes ont radicalement transformé leur état d’esprit. Ceux qui abritaient des instincts passionnels de vengeance ont appris à pardonner. Ils ne sortiront pas d’ici comme s’ils n’étaient bons à rien.

Des cours de formation technique ont été introduits pour ceux qui veulent travailler ou apprendre un nouveau métier. Des organisations non gouvernementales viennent déjà proposer des emplois, mais nous en cherchons davantage car la communauté humaine de l’extérieur doit apprendre à regarder les prisonniers comme des êtres humains normaux.

En même temps, l’administration de la prison prépare des projets de travail à l’intérieur des murs : une boulangerie, une unité de reconversion des ordures, etc. Le profit ira à un fonds social de la prison.

Comment gérez-vous la surpopulation de la prison?

Tihar est composé de quatre prisons indépendantes. Sa population totale varie de 8 000 à 8 700 pensionnaires. Chacune des prisons compte de 1 000 à 2 700 personnes, alors que l’ensemble de la population ne devrait pas dépasser le chiffre de 2 500. Nous sommes en train de construire deux nouveaux bâtiments et le problème de la surpopulation devrait s’en trouver résolu pour une part.

A quelles difficultés devez-vous faire face à Tihar ?

Les procédures des tribunaux et le suivi après la prison. La rapidité ou la lenteur des tribunaux ne sont pas de mon ressort. Beaucoup de prisonniers croupissent en prison à cause du mauvais fonctionnement du système judiciaire. Il n’y a pas non plus de suivi pour les prisonniers une fois qu’ils ont achevé leur peine. J’ai dans l’idée d’organiser cela en lien avec le “Worldwide Prison Fellowship” (Amitié mondiale des prisons).