Eglises d'Asie

Mindanao : l’extrémisme musulman monte en puissance aux dépens du Front moro de libération

Publié le 18/03/2010




La situation à Basilan est “plus explosive que ne le pensent nos compatriotes et les autorités du pays”, ont déclaré le 10 juin 1994 dans un communiqué commun Mgr Romulo de la Cruz, évêque d’Isabela, et son prédécesseur en retraite, Mgr Jose Maria Querexeta. Ils demandent que le pays prenne au sérieux les problèmes de l’ouest de Mindanao où les gens, qu’ils soient musulmans ou chrétiens, vivent dans une peur grandissante.

Basilan est l’île située au sud-ouest de Mindanao où le groupe musulman Abu Sayyaf s’est livré le 8 juin à l’enlèvement et au massacre de quinze chrétiens (15), en représailles, croit-on, contre une offensive de l’armée sur une base des extrémistes dans l’île de Sulu, qui aurait coûté la vie à une quarantaine de leurs hommes.

A Mindanao, l’extrémisme islamiste “monte vraiment en puissance”, pense le père Eliseo Mercado, islamologue, président de l’université Notre-Dame de Cotabato. Selon lui, le gouvernement “qui a été incapable de répondre aux besoins élémentaires de la population Moro”, les ethnies musulmanes de Mindanao, est la principale cause du progrès des mouvements religieux fondamentalistes chez les musulmans des Philippines. Les insurgés tels que le Front Moro de libération nationale, engagé maintenant dans des pourparlers de paix avec le gouvernement philippin, n’ont pas réussi à satisfaire les dissidents parmi les trois millions de musulmans du pays qui vivent en majorité à Mindanao. Le père Mercado voit ces organisations dites de libération des Moro “se traîner péniblement dans l’arène politique”, alors que les fondamentalistes veulent établir un système politique religieux. Pour eux, la religion et la politique ne se séparent pas.

Plusieurs des groupes qui épousent ce fondamentalisme islamiste passent pour avoir gagné du terrain à Mindanao : Abu Sayyaf, Guraba, Tablig, le Jihad islamique. De bons connaisseurs affirment qu’ils ont été bâtis sur le modèle de groupes du monde arabe. Abdurajak Abubakar Janjalani, qui a lancé Abu Sayyaf à Basilan à la fin des années 80, aurait suivi une formation en Libye. Ancien professeur d’islam dans une école islamique locale, il est décrit par un de ses anciens élèves comme “un chef et un prédicateur charismatique, très convaincant en chaire. Quand il prêche, il appelle toujours à la guerre sainte (Jihad)”. Selon ce témoin qui a demandé qu’on ne donne pas son nom, les membres d’Abu Sayyaf croient que “mourir au combat, c’est aller tout droit dans les mains de Dieu”.

Depuis la tragédie du 8 juin à Basilan, les militaires ne se vantent plus d’avoir “pulvérisé” Abu Sayyaf. L’espoir d’une solution militaire face à l’extrémisme islamiste a diminué. Pourtant le pouvoir ne semble pas avoir de solution de rechange. Or le temps se fait court, Mgr de la Cruz l’a redit en présidant les obsèques des victimes du massacre de Basilan. Il a mis en garde contre le risque d’une guerre entre chrétiens et musulmans. “Les chrétiens se plaignent à moi de l’incapacité des autorités militaires, qui semblent ne rien comprendre, et des autorités civiles, qu’on croirait indifférentes, à faire cesser les atrocités dont sont victimes les civils. Ils ont de plus en plus envie de recourir à la solution : oeil pour oeil, dent pour dent, vie pour vie”.

La presse internationale vient de rapporter qu’à Basilan, sept musulmans ont été tués et dix, blessés, dans des attentats commis les 18 et 19 juin par des auteurs non identifiés. Les autorités philippines attribuent ces meurtres à des combats entre clans musulmans de la région, ils ne seraient pas une revanche de la tuerie perpétrée par Abu Sayyaf.