Eglises d'Asie

Leur position est devenue plus difficile mais les chrétiens d’Indonésie n’ont aucune raison de voir l’avenir en noir, pense un professeur jésuite

Publié le 18/03/2010




Le père jésuite Franz Magnis-Suseno, 58 ans, professeur de philosophie à l’institut Driyarkara et à l’université d’Etat de Jakarta, vit en Indonésie depuis 1961. Il en a acquis la citoyenneté. Dans une interview datée du 16 août 1994, il analyse ainsi la situation des chrétiens en Indonésie.

Quarante-neuf ans après l’indépendance, la marche devient plus rude pour les six millions de catholiques et les treize millions de protestants d’Indonésie. Au cours des cinq dernières années, l’influence de groupes islamiques n’a cessé d’augmenter dans la vie sociale et politique du pays, en particulier depuis qu’a été fondée il y a quatre ans l’association des intellectuels musulmans d’Indonésie, qui revendique parmi ses membres plusieurs ministres et beaucoup de personnalités de l’assemblée nationale. Pour la première fois depuis plus de trente ans, aucun des ministres du gouvernement n’est catholique. Il y a longtemps qu’il n’y a plus avantage à aller voir un chrétien pour obtenir une promotion. Dans certaines universités d’Etat, les chrétiens se sentent mis hors circuit. Il devient de plus en plus difficile d’obtenir le permis de construire pour une église. Périodiquement une église est attaquée et mise à sac et on déplore trois attentats sacrilèges envers le saint sacrement depuis douze mois, deux à Florès et un à Timor Oriental. Beaucoup de catholiques se plaignent de discrimination, de l’islamisation croissante. Qu’est-ce que l’avenir réserve aux chrétiens d’Indonésie ?

Il est certain que les chrétiens sentent le vent qui leur souffle au visage, mais, pour faire une évaluation réaliste de la situation, il importe d’éviter les généralisations et de partir des faits. En Indonésie il y a toujours eu, au niveau local, des cas de discrimination et d’intimidation. En général la vie catholique a été plus libre à la ville que dans les campagnes, davantage au centre qu’à l’ouest de Java. Mais le fait pertinent, c’est qu’en dépit des difficultés les chrétiens jouissent toujours d’une liberté religieuse quasi complète en Indonésie. C’est vrai depuis que l’Indonésie a déclaré son indépendance en 1945. En fait, la croissance véritable de l’Eglise catholique a commencé après l’indépendance et elle se poursuit. Les paroisses débordent d’activité. Les baptêmes ne subissent aucune entrave. Les associations catholiques sont florissantes. Des chrétiens occupent des postes élevés dans l’administration civile et militaire. Ils jouent un rôle actif dans la vie intellectuelle et culturelle de la nation. Depuis 1945, la constitution garantit la liberté de religion et de croyance. La doctrine officielle, le pancasila (cinq principes), donne des droits égaux à toutes les religions officiellement reconnues.

Cela peut étonner puisque l’Indonésie est le pays du monde qui compte le plus de musulmans et que les chrétiens n’y sont que dix pour cent des 186 millions d’habitants. C’est que l’islam indonésien est d’une manière générale tolérant. En 1945, les musulmans ont voté contre un Etat islamique et en faveur du pancasila. Ils soutiennent le pluralisme religieux et seraient heurtés par une islamisation trop voyante de la vie quotidienne. Les militaires, en particulier, défendent avec rigueur le pancasila. Dans l’islam indonésien, les fondamentalistes ne sont qu’un petit segment. Les deux plus grandes organisations musulmanes, le Nahdlatul Ulama (le réveil des intellectuels de l’islam) et le Muhammadiah ne sont pas d’orientation fondamentaliste. En général, les intellectuels musulmans indonésiens penchent plutôt vers l’ouverture et la tolérance. En fait, il y a beaucoup de relations positives entre musulmans et catholiques. Ils travaillent ensemble paisiblement dans beaucoup d’organisations privées, dans le mouvement démocratique, dans des groupes d’étudiants.

Cela veut-il dire qu’il n’y a pas de problèmes graves pour les chrétiens d’Indonésie ? Il y en a, certes. L’Indonésie n’échappera pas complètement à la tendance fondamentaliste qui est mondiale. La société y deviendra vraisemblablement plus islamique. Pour les chrétiens, tout va devenir un peu plus difficile.

Il y a aussi Timor Oriental, une épine dans la chair de l’Indonésie. La majorité des habitants de Timor Oriental sont catholiques. L’Eglise là-bas se tient ouvertement du côté de la population, alors que l’Eglise d’Indonésie agit selon d’autres règles. Sous l’Ordre nouveau inauguré avec l’élection du président Suharto en 1969, l’Eglise d’Indonésie fait l’expérience des contraintes imposées à l’expression des critiques, contraintes qu’un petit groupe minoritaire ne peut feindre d’ignorer.

Les conflits entre religions seront principalement politiques. Si l’Indonésie réussit à préserver sa stabilité politique et économique, des conflits religieux sérieux semblent improbables. Au total, les chrétiens d’Indonésie n’ont pas de raison d’être pessimistes pour l’avenir.