Eglises d'Asie

LES FRERES DES ECOLES CHRETIENNES AU VIETNAM, HIER ET AUJOURD’HUI

Publié le 18/03/2010




I – De l’origine à 1975

L’histoire des frères au Vietnam commence au milieu du XIXe siècle. La France venait d’occuper les six provinces du sud et allait imposer son protectorat au centre et au nord du pays. L’ensemble formera avec le Laos et la Cambodge, l’Indochine française.

Vers la fin de l’année 1865, six frères français s’embarquèrent à Toulon pour l’Indochine. Ils débarquèrent à Saigon en janvier 1866 et reçurent la direction du Collège d’Adran fondé en 1861 par les prêtres des Missions étrangères de Paris. L’école était ainsi dénommée en souvenir d’un illustre évêque missionnaire du XVIIIe siècle, Mgr Pigneau de Béhaine, évêque d’Adran.

Les frères logeaient dans une paillote basse, chaude et humide près de l’actuel jardin botanique. En 1869, la Mission leur donnait une maison en briques. Deux années après l’affluence des élèves obligeait de construire de nouvelles classes. En 1874, il s’y ajoutait une chapelle, construite avec les économies des frères et l’aide de l’Institut et des bienfaiteurs.

De Saigon, la renommée des nouveaux maîtres se répandit rapidement. A l’appel du clergé et de la population, les frères ouvrirent des écoles, à My Tho en 1867, à Cho Lon en 1868, à Vinh Long en 1869, à Bac Trang en 1869. Les autorités françaises favorisèrent le développement en accordant des bourses aux élèves, ce qui permit aux frères de vivre. Mais à partir de 1879, la France avait changé de politique scolaire. Dans la métropole les écoles congréganistes se voyaient limitées dans leur liberté d’enseignement, puis condamnées à disparaître. En Indochine et dans les autres colonies françaises, le gouvernement n’appliquait pas les nouvelles lois d’ostracisme mais il supprimait les bourses d’études aux élèves des écoles congréganistes. L’école d’Adran fut fermée, faute d’argent et faute de maîtres.

En 1873, un prêtre, le P. Kerlan, avait ouvert une école charitable en faveur des enfants abandonnés dont un certain nombre d’Eurasiens. L’école dirigée par les prêtres, portait le nom de Taberd, en mémoire de Mgr Taberd, évêque de Cochinchine de 1830 à 1840. Après la fermeture de l’école d’Adran, les parents envoyèrent leurs enfants à l’école Taberd. Les prêtres débordés firent des démarches pour rappeler les frères.

En 1889, neuf frères s’embarquèrent à Marseille. Après un voyage de vingt-huit jours, ils arrivèrent à Saigon, accueillis par une foule en liesse. L’école Taberd leur fut remise en 1890 avec 160 élèves dont la moitié étaient des pensionnaires. L’année suivante, le nombre d’élèves s’accrut, il fallut appeler cinq frères en renfort et ouvrir une section gratuite dans la propriété même de Taberd. Une école annexe fut aussi créée à Vung Tau (Cap Saint-Jacques). D’après les contrats passés avec la Mission, les frères étaient pris en charge par elle.

En janvier 1896, les frères d’Indochine furent détachés du district des Indes pour former un nouveau district, le district de Saigon. Au cours de la même année, la Mission cédait aux frères la propriété de Thu Duc, à 12 km de Saigon pour y bâtir un noviciat.

En 1897, une deuxième section gratuite fut ouverte à Taberd. En 1898, une école d’application pour futurs enseignants s’ouvrit à Thu Duc à côté du noviciat.

Un prêtre missionnaire, le P. Armar, avait ouvert une école pour les enfants sourds-muets, et il en confia les garçons aux frères. L’école établie à Lai Thiêu fut transférée ensuite à Gia Dinh et devint une école d’artisanat; les petits sourd-muets étaient initiés à la menuiserie, à la sculpture sur bois, à la cordonnerie.

En 1894, deux frères furent envoyés à Hanoi sur la demande de Mgr Gendreau. On mit à leur disposition une paillote près de l’Eglise pour y ouvrir une école. Ils réussirent si bien que devant l’affluence des élèves, l’évêque dut louer pour eux une maison plus vaste, rue Ferry, puis, finalement acheter un vaste terrain et y construire un grand collège, avec classes, chapelle et logement pour les frères. L’école fut inaugurée en 1897, c’est à dire trois ans seulement après l’arrivée des deux premiers frères à Hanoi: 400 élèves s’y pressaient. On donna à l’école le nom de Mgr Puginier, prédécesseur de Mgr Gendreau.

Le district comptait alors 6 maisons, 76 frères, 17 scolastiques et 6 novices.

Quoique dépourvue de toute aide de l’administration française, l’oeuvre des frères se développait rapidement: 1904, école Pellerin (Huê); 1906, école St Joseph (Hai Phong); 1908, école St Joseph (My Tho); 1906, école de Battabamg; 1911 école Miche (Pnompenh); 1924, école St Thomas d’Aquin (Nam Dinh); 1933, groupe de formation de Nha Trang; 1934, probatorium de Bui Chu; 1941, école Adran (Dalat); 1956, Lasan Kim Phude (Kontum); 1957, Lasan Binh Loi (Qui Nhon); 1958, Lasan Ban Me Thuôt…

A la veille des événements de 1975, le district comptait 300 frères et une quinzaine de novices; les frères dirigeaient 23 établissements, comprenant des écoles primaires, secondaires, techniques, des pensionnats pour vietnamiens et pour montagnards (minorités ethniques), un centre pour aveugles et un institut de pédagogie. Les mouvements d’action catholique ou de jeunes y trouvaient un terrain favorable; les coeurs vaillants, la jeunesse étudiante chrétienne, la congrégation mariale, le scoutisme…

A leur début, nos écoles étaient gratuites; elles devinrent peu à peu payantes. Rien d’étonnant à cela. Le terrain, les locaux étaient propriété de la Mission; celle-ci prenait les frères en charge (parfois avec l’aide du gouvernement sous forme de bourses alloués aux élèves). Avec le temps, le système de gratuité ne pouvait continuer; les écoles se développaient; il fallait des classes, des locaux, du mobilier, des terrains de jeu; il fallait monter des bibliothèques, des laboratoires …. L’Etat ne subventionnait pas, la Mission n’avait pas d’argent, force était de faire appel aux familles pour assurer et améliorer la formation de leurs enfants.

La tradition des frères depuis les origines ne fut pourtant pas oubliée. Les pauvres avaient leur part:

– A côté des écoles payantes furent maintenues des écoles gratuites ou à scolarité très réduite comme Phu Vang (Huê), Xom Bong (Nha Trang), Tuk Lak (Pnom Penh), Chanh Hung (Saigon) etc …

– Dans les écoles payantes, il devait y avoir un certains pourcentage d’élèves admis gratuitement, totalement ou partiellement.

– L’argent reçu servait à l’école, ce qui restait devait être réinvesti dans l’école ou dans la formation des maîtres (frères et laïcs).

Les écoles des frères étaient ouvertes à tous les enfants sans distinction de classes sociales ou de religion. Si la prière et le catéchisme faisaient partie du programme, les convictions religieuses de chacun étaient respectées, ce qui explique que cette situation d’école chrétienne en milieu non chrétien n’a jamais posé de problème aux frères.

Certes les écoles lasalliennes formaient un réseau relativement bien organisé, bien équipé, distribuant un enseignement et une éducation de valeur, toutefois ce qui les caractérisait, c’était cette relation de maître élève typique , en profonde harmonie avec la mentalité vietnamienne. En effet, l’école des frères est une famille. Le frère, en vietnamien “Su Huynh” (Su: maître; Huynh : frère) le dit bien: il est le maître qui instruit, forme à la façon du maître ancien (celui qui transmet le savoir et, en même temps, une façon d’être), mais il est aussi le frère aîné qui guide, accompagne les cadets avec tout l’amour et le dévouement de celui qui se trouve débarrassé de tout autre souci. C’est pourquoi, le frère est respecté et aimé. Et il faut entendre les personnes âgées parler de leurs anciens maîtres pour comprendre combien elles les apprécient. Pas de distinction entre riches et pauvres, entre chrétiens et bouddhistes; tous sont élèves, tous ont la même part aux soins dévoués du frère. Si besoin est de se montrer indulgent, compréhensif, c’est bien à l’égard de ceux qui se trouvent en difficulté matérielle ou spirituelle. C’est ainsi que l’école des frères promeut des valeurs de paix et de fraternité .

II – Après 1975

Les événements de 1975, comme une bourrasque ont tout balayé. Ecoles nationalisées, maisons occupées, communauté désorganisées; des frères partirent à l’étranger, d’autre se retirèrent en famille, d’autres sortirent. Les esprits étaient désemparés; on s’interrogeait sur l’avenir, on n’était même pas en sécurité pour le présent. A la fin de 1978, un décret renvoyait prêtres, religieux et religieuses de l’enseignement comme “inaptes à enseigner dans une école socialisteTous nos frères qui avaient loyalement accepté de rester pour servir, furent remerciés, excepté quelques-uns qui furent gardés parce que les directeurs d’école avaient besoin d’eux.

Il fallut calmer les esprits par des contacts, des lettres, des visites, aider les frères à trouver du travail, les encourager à reprendre la vie de communauté, prendre contact avec les frères retirés en famille.

La crise passée, on est entré dans la période de 1980-1987, appelée période de consolidation. Par des rencontres des visites aux communautés, par des rallyes à l’occasion des deuils et des fêtes, surtout par des retraites annuelles, des récollections mensuelles, des réunions de formation permanente, on a cherché à consolider les frères et les communautés de l’intérieur.

En 1987, commence une nouvelle période: celle de la mission.

Comme le système s’est desserré, les frères en ont profité pour reprendre petitement leurs activités de frères: enseignement, catéchèse, présence aux jeunes.

Ils sont 69 frères, dont la moitié à soixante ans et plus; cela ne veut pas dire qu’il y a trente frères en retraite; il n’y en a qu’une douzaine, les autres continuent de travailler.

Six frères enseignent dans des écoles d’Etat, ceux qui ont pu échapper à la purge. Un frère enseigne les mathématiques à la faculté d’architecture, trois frères enseignent dans les classes terminales des lycées, un frère enseigne dans un lycée technique et un autre est professeur d’éducation physique à l’Université. Ces frères ne se posent pas comme religieux, mais ne le cachent pas non plus. Les gens le savent, les apprécient pour leur conscience professionnelle. Le frère enseignant à la faculté d’architecture a été choisi à plusieurs reprises pour représenter sa faculté aux séminaires scientifiques tenus à Hanoi, le capitale.

Quant aux autres frères, voici leur champ d’action:

– Cours de langues, de mathématiques, de science de l’informatique

– Cours doctrinal aux religieuses et aux séminaristes du Nord-Vietnam

– Collaboration avec l’Union des religieux et des religieuses de Saigon pour les sessions de recyclage des religieux et religieuses.

– Catéchisme paroissial: une douzaine d frères font le catéchisme ou encadrent les catéchiste dans onze paroisses

– Animation des groupes de jeunes (réflexion, action sociale)

– Deux oeuvres méritent une mention spéciale: le cours d’apprentissage des frères de Lasan Duc Minh et les sessions de pédagogie catéchétique du Scolasticat.

Le cours d’apprentissage inauguré en septembre 1990 vise à pourvoir les jeunes d’un métier et, en même temps, à les former à la conscience professionnelle. Au début, il comprenait trois sections: réparation des vélomoteurs, tournage, électricité domestique et tuyauterie. Depuis août 1992, date de l’autorisation officielle, il ne reste au programme que la section de réparation des vélomoteurs avec des sessions réduites de trois mois.

102 élèves sont sortis de ce cours. Ils peuvent rentrer chez eux ou chercher un emploi chez un particulier. Ceux qui n’arrivent pas à trouver un point d’attache peuvent venir travailler dans un garage monté exprès pour eux, dans un local des frères d’une communauté voisine. Il y trouvent ainsi le moyen d’affiner leur talent tout en gagnant leur vie, en même temps qu’une ambiance familiale, fraternelle, celle qu’ils avaient connue auparavant.

Ce cours entièrement gratuit n’est possible que grâce au soutien des bienfaiteurs, en particulier de l’organisation “Espoir-Enfants du Vietnam” dont le vice-président est un ancien des frères de Duc Minh et de Taberd.

Depuis une vingtaine d’années, les pasteurs attachent une grande importance à la formation religieuses des enfants. Dans toutes les paroisses, des cours de catéchisme existent et les curés font appel aux religieuses, Aux mères de famille et aux grands jeunes gens pour les aider. Beaucoup s’offrent généreusement mais il leur manque une formation doctrinale et pédagogique adéquate. C’est pour répondre à ces besoins que les frères ont lancé des sessions courtes de pédagogie catéchétique. Ces sessions durent trois mois à raison d’une séance de deux heures par semaine. Plusieurs sessions ont eu lieu, suivies en moyenne par deux cents à trois cents personnes. Comme le catéchiste doit pouvoir dessiner, décorer …, des ateliers ont été créés pour les initiés. Le grand nombre d’inscrits a montré qu’ils répondaient à un besoin réel.

Les frères n’oublient pas la part des pauvres:

– les cours d’apprentissages mentionnés ci-dessus

– Les cours d’informatique rendus accessibles à un plus grand nombre grâce au tarif réduit.

– les leçons de chant aux jeunes aveugles, les cours de karaté aux petits sourds-muets

– les journées de l’enfant organisées par les novices et les scolastiques

– Les visites aux hospices de vieillards, aux léproseries, aux orphelinats, organisées pour les jeunes

III – Les priorités actuelles

Les objectifs

La première période, de 1975 à 1980 a été centrée sur la stabilisation des frères et des communautés, La deuxième période, de 1980 à 1987, a été consacrée à leur consolidation. La troisième période, depuis 1987, met l’accent sur la mission, on veut profiter des espaces de liberté ouverts par le mouvement de libéralisation: les frères sont invités:

– à travailler ensemble et par association, comme envoyés de la communauté.

– à affirmer leur présence dans la mesure du possible, tout en évitant qu’elle soit trop voyante, dans divers milieux, sacerdotal, religieux, auprès des jeunes.

– à avoir le souci des pauvres

– à attacher de l’importance à le catéchèse.

La Pastorale des vocations

Jusqu’à 1980, les frères ont mis résolument de côté la pastorale des vocations parce que leur propre identité était mise rudement à l’épreuve et que leurs communautés étaient sens dessus dessous.

Ce n’est qu’après 1980, c’est à dire une fois stabilisés, qu’ils ont pensé sérieusement à la question. Au début, c’étaient des anciens juvénistes qui leur revenaient. Parmi eux, certains avaient fait plusieurs années de camp de concentration. Puis d’autres les rejoignirent, attirés soit par un frère, soit par une communauté.

Le noviciat a été rouvert; il compte actuellement six novices en première année et six en deuxième année, avec une dizaine de postulants et d’aspirants. Les frères sont convaincus que Dieu n’abandonne pas son oeuvre, qu’il continue d’appeler et qu’il y a toujours des jeunes capables d’entendre son appel et de répondre. Mais il faut l’intermédiaire d’une personne, d’une communauté qui accepte de se prêter au jeu de Dieu, qui accepte d’être un signe, un signe qui fasse signe parce que visible et crédible, signe d’une présence proche, accueillante et porteuse de salut.

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Le régime se libéralise – par étapes – et c’est mieux ainsi. Un jour, la liberté de l’enseignement sera reconnue et, sans doute, on rendra aux frères une partie de leurs écoles. Les besoins sont immenses: 30 millions de jeunes! Des enfants qui abandonnent l’école, des jeunes délinquants ou tout simplement des jeunes en quête d’un sens pour leur vie, à la recherche de relations humaines plus significatives. Que vont faire les frères avec leur petit nombre ? IL faut donc pousser la pastorale des vocations, améliorer la qualité de la formation et promouvoir la Mission partagée. Les frères sont heureux qu’on leur laisse encore du temps pour s’y préparer.