Eglises d'Asie

RETOUR A L’IDEOLOGIE SOCIALISTE ET CRITIQUES VIRULENTES DE PERSONNALITES CHRETIENNES

Publié le 18/03/2010




Alors que beaucoup de membres de la nomenclature ont déjà succombé aux attraits et aux séductions du libéralisme pratique, est-il cependant encore possible de redonner vie et vigueur à l’ancienne idéologie? C’est ce que vient d’essayer de faire le secrétaire général, M. Dô Muoi, dans le premier texte dont nous traduisons ci-dessous de larges extraits. Il refuse de se résigner au déclin général du marxisme dans le monde, le défend vigoureusement contre toutes les accusations dont il est aujourd’hui accablé, souligne les nombreux mérites de cette philosophie au Vietnam, arme essentielle de la lutte pour l’indépendance. Pour Dô Muoi, face au capitalisme toujours oppresseur, le communisme reste toujours la juste cause.

Cette invitation à revenir aux sources marxistes léninistes du régime, primitivement destinée aux seuls membres du Parti, n’est pas restée sans écho dans la société civile. En particulier, dans les milieux chrétiens proches de la dissidence, se sont élevées deux vigoureuse réponses (1), celles du P. Chân Tin et de M. Nguyên Ngoc Lan (2).

Le P. Chan Tin, dans un texte dactylographié diffusé clandestinement à Saigon, réplique point par point à l’argumentation du secrétaire général du Parti communiste vietnamien. Sa critique de la pratique communiste est radicale. Ce texte est traduit intégralement ci dessous, après la présentation de la causerie de M. Dô Muoi.

Le dernier texte traduit est celui d’une interview de M. Nguyên Ngoc Lan, accordée à Radio France international en langue vietnamienne, à l’occasion de la journée de la Presse au Vietnam. Il constitue lui aussi une réponse indirecte à l’apologie du marxisme de M. Dô Muoi, puisque l’auteur s’applique à mettre en lumière tous les méfaits causés par une presse asservie au Parti et à l’Etat, presse qu’il appelle “instrumentale

(1) Ces deux textes ont déjà été présentés dans EDA 182

(2) Le P. Chân Tin et M. Nguyên Ngoc Lan sont bien connus des lecteurs d’EDA pour leurs positions indépendantes. Ils avaient été récemment condamnés à 3 ans de résidence surveillée dont ils ont été libérés au mois de mai 1993.

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RETOUR A L’IDEOLOGIE SOCIALISTE

Causerie du camarade Dô Muoi,

secrétaire général du Parti communiste vietnamien

[NDLR – Cette causerie, semble-t-il improvisée, était primitivement adressée aux cadres supérieurs du Parti rassemblés à Hanoi, le 3 mars 1994. Le texte fut ensuite transmis pour discussion aux responsables des 47 cellules de base de la section du Parti communiste vietnamien à Hô Chi Minh-Ville. Il était accompagné d’un autre document intitulé “Activités d’un certain nombre de forces hostiles et oppositionnellesdécrivant quelques-uns des mouvements réactionnaires en oeuvre au Vietnam. L’adresse précisait que ces textes devaient faire l’objet de discussion durant les mois d’avril-mai et qu’un compte rendu des débats devait être renvoyé au comité central au plus tard à la fin du mois de mai. Les documents sont parvenus en France sous forme de polycopiés et ont été publiés par plusieurs revues de la diaspora vietnamienne.

Les dimensions de ces deux textes dépassant de beaucoup le cadre de notre document, EDA s’est contenté de traduire des extraits de la causerie du secrétaire général, regroupés ensuite par affinité de thèmes. Les subdivisions et les titres sont du traducteur.]

1 – En premier lieu , Il faut en revenir à la véritable idéologie marxiste léniniste.

Il est nécessaire de s’en tenir résolument à un point de vue de classe et de lutte des classes pour avoir une appréciation sur la situation actuelle et pour régler comme il faut les orientations actuelles. Ce n’est qu’en s’en tenant fermement au point de vue de classe et de lutte des classes, que l’on pourra apporter une appréciation juste, sans ambiguïté, sans se laisser abuser. Par suite les solutions apportées seront justes et l’on évitera que notre pays et la révolution subissent des dommages. …

2 – Face aux critiques contre le communisme, il faut exalter ses vrais mérites

Beaucoup de penseurs considèrent que le marxisme léninisme est dépassé, en désaccord avec le développement historique. Chez nous aussi existe un petit nombre de personnes qui pensent que, depuis la fondation du Parti communiste en passant par la victoire de la révolution en Russie, jusqu’à la dissolution récente du socialisme en Union soviétique, le marxisme n’a jamais été adapté et que finalement il aura un terme au 20e siècle. Actuellement toutes les forces hostiles concentrent leurs forces pour éliminer les dernières nations socialistes. Même au sein du Parti, il existe des gens pour critiquer le marxisme, parce qu’il est périmé et devenu une source d’inconvénients sans nombre. . .

Le marxisme a fait apparaître un besoin objectif de développement des nouvelles forces de production de notre époque. Il reflète les intérêts de la classe ouvrière, du peuple travailleur et des peuples opprimés. C’est l’influence puissante du marxisme-léninisme et du socialisme réel qui a objectivement forcé le capitalisme à modifier lui-même sa politique, à diminuer quelque peu son injustice sociale pour assurer sa survie. Telle est l’immense contribution que Marx, Engels et Lénine ont transmise aux générations suivantes. Ces idées grandioses et si humaines ont profondément marqué les esprits et les coeurs de centaines de millions de personnes. Il n’existe pas de force au monde qui pourrait les faire disparaître …

L’oncle Hô à la recherche du salut pour notre pays, a assimilé le marxisme-léninisme afin d’introduire la révolution au Vietnam. Il est le fondateur du Parti, il a élaboré la plate-forme, la stratégie et la ligne politique de la révolution vietnamienne. Il a fondé le Front national unifié et lancé le mot d’ordre: “Union, Union, grande union, réussite, réussite, grande réussite”. C’est grâce aux idées de Marx, Engels, Lénine assimilées et appliquées par l’oncle Hô et par notre Parti que notre pays a été libéré et qu’aujourd’hui, il jouit de son indépendance. Ce sont ces idées ainsi que la pensée de l’oncle, qui ont fourni à notre peuple la force inégalée qui lui a permis de vaincre l’invasion impérialiste et colonialiste. Cette doctrine et cette pensée sont devenues une puissante force pour l’édification et la défense de notre pays …

3 – Le Vietnam administré par le Parti communiste jouit de la véritable démocratie et n’a besoin ni du pluralisme ni du multipartisme.

( …) Les forces hostiles calomnient le Parti en prétendant qu’il est tyrannique, dépourvu de démocratie; elles préconisent le multipartisme, affirmant que c’est là la seule démocratie possible …

Le pluralisme, le multipartisme? Pourquoi faire? Notre parti est le parti de la classe ouvrière et représente ses intérêts, ceux du peuple travailleur et de toute la nation. Notre Parti continue d’assumer sa mission historique, qui est de diriger notre peuple dans le processus de rénovation afin de réaliser l’industrialisation et la modernisation du pays, de donner à notre peuple la prospérité, à notre pays la puissance et les bienfaits de la civilisation à notre société. Alors à qui servirait le multipartisme? Veut-on bouleverser la société ou prendre le risque de perdre notre souveraineté nationale une fois de plus?

(…) C’est le Parti qui dirige notre gouvernement, c’est le peuple qui en est le maître. Nous bâtissons un Etat de droit pour le peuple et qui émane de lui. Tout est fait dans l’intérêt du peuple. Voilà la véritable démocratie. Les partis capitalistes ne représentent eux que les intérêts de leurs classes et exercent leur tyrannie sur les ouvriers, le peuple travailleur …

Les droits de l’homme sont avant tout les droits du peuple et ils doivent être envisagés dans leur particularité régionale

Le premier point de la déclaration des droits de l’homme des Nations Unies, c’est le respect de l’indépendance, de la souveraineté et de l’autodétermination des peuples. C’est le droit le plus sacré. Qui viole ce droit? Autrefois, sous le joug des colonialistes et des fascistes, on arrêtait, torturait, emprisonnait et tuait les patriotes et les civils innocents. Pourquoi à cette époque-là, nos oppresseurs ne proclamaient-ils pas qu’il fallait protéger les droits de l’homme. Notre peuple a été soumis à leur pouvoir et a perdu ses droits les plus fondamentaux. C’étaient eux qui violaient le plus les droits de l’homme. ( … )

La déclaration des droits de l’homme est appliquée sans changement au monde entier, mais il faut remarquer que chaque pays a sa particularité, sa tradition, ses lois. Les particularités et les traditions de l’Orient diffèrent de celles de l’Occident. On ne peut appliquer à autrui ce qui ne concerne que soi. Nous n’exigeons de personne d’autre d’appliquer nos propres traditions. (…)

Récemment on a essayé de nous traduire devant les Nations Unies pour la question des droits de l’homme. Mais les gens de bonne volonté ont affirmé qu’au Vietnam, il n’y avait pas de violations des droits de l’homme méritant que l’on traduise ce pays devant les Nations Unies. Ainsi, nos ennemis ont échoué …

A propos du droit à la liberté, il nous faut d’abord répondre à la question: Qu’est-ce que la liberté? Tout, la nature, l’univers, la société humaine, chaque individu agit librement. Mais il s’agit d’une liberté en conformité avec des lois précises, à l’intérieur de contraintes et de limites déterminées. ( …) Depuis son enfance, jusqu’à la vieillesse, en famille comme dans la société, autrefois et aujourd’hui, tout homme obéit à des lois. Chacun a une liberté qui ne doit pas aliéner la liberté des autres et celle de la société.

La liberté de rassemblement et d’association est permise si elle est au service du peuple et du pays. Mais une telle liberté utilisée contre le peuple et le pays ne peut être permise. Elle est réprimée par le peuple lui-même …

Les forces hostiles exigent de nous que nous respections la liberté d’opinion. A l’époque où notre pays était au pouvoir des impérialistes et des colonialistes (…), cette liberté n’existait pas. Aujourd’hui nous respectons et écoutons les opinions différentes des personnes qui contribuent à édifier le pays; mais nous n’acceptons pas que ce droit soit utilisé pour faire de la propagande contre notre régime.

Nous respectons la liberté de croyance et de non-croyance. Entrer au couvent, se faire fidèle bouddhiste, adorer le Seigneur Jésus, être croyant, c’est le droit de chacun. Chacun a aussi le droit de n’adhérer à aucune religion. Pour ce qui nous concerne, naturellement, nous avons aussi le droit d’être communistes, de mettre en oeuvre dans notre pays l’idéal communiste, conformément aux aspirations de notre peuple. Alors, pourquoi les forces hostiles ne nous reconnaissent-elles pas ce droit et exigent-elles que le Parti communiste disparaisse …

4 – Il faut répondre à l’offensive générale qui vise à faire disparaître le communisme au Vietnam

Les cadres dans les instituts de recherches en sciences naturelles et sociales, les politologues, les hommes de culture doivent réagir et élever la voix. Pourquoi restons nous tranquilles et passifs devant les coups qui s’abattent sur nous depuis plusieurs années? Nous en recevrons encore davantage …

Un certain nombre de personnes ne voient que les bons aspects du capitalisme. Ils en oublient les mauvais côtés. Ils mènent campagne pour le pluralisme, le multipartisme, la démocratie. Il disent que nous ne pratiquons pas la démocratie. Qui donc est démocrate, un peu, beaucoup? D’abord une démocratie pour qui? Il faut éclaircir cette question et donner une réponse pour l’ensemble du parti et l’ensemble de la population.

Nous devons lutter contre le pluralisme et le multipartisme (…) Après le retrait de l’embargo, à côté d’avantages certains, il y aura de nombreuses difficultés. Les forces hostiles sont désireuses d’introduire les idées capitalistes et social-démocrates dans notre pays, d’infiltrer leur propagande. Elles vont utiliser les Vietnamiens eux-mêmes pour faire trébucher le Vietnam, elles se serviront des communistes insatisfaits, des problèmes religieux et ethniques pour diviser notre peuple. Elles n’ont pas réussi à le faire autrefois avec des fusils; aujourd’hui, elles utilisent les dollars pour introduire la subversion au sein du Parti. Ils nous faut avoir une claire conscience de cette situation, élever notre vigilance, et nous opposer aux tentatives et aux agissements de l’ennemi.

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REMARQUES AU SUJET DU DISCOURS DE M. DO MUOI

[NDLR – Texte de Chan Tin diffusé à Hô Chi Minh-Ville, publié en vietnamien par la revue Thông Luân, Paris, Juillet-Août 1994. Traduit du vietnamien par EDA.]

Dans le contexte de la levée de l’embargo américain, de l’ouverture de notre économie au marché libre des pays capitalistes, de “l’évolution pacifique” s’exerçant à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, M. Dô Muoi appelle les membres du parti “à maintenir fermement le concept de classe et de lutte de classe

De quelle classe s’agit-il donc? C’est la question fondamentale à poser. Est-ce la classe des travailleurs pauvres et opprimés aujourd’hui dans ce pays, ou bien “la classe laborieuse” qui n’a rien à voir avec les vrais travailleurs, mais qui est la classe des “mandarins de la révolutionla classe qui opprime le peuple travailleur jusqu’à la moelle? La lutte des classes a pour unique objectif de conserver pour toujours le monopole du pouvoir à cette classe dominante et de lui assurer la maîtrise totale de l’économie, de la politique, de la société et de l’éducation.

Pour se garantir le monopole du pouvoir, la “nouvelle classe” doit réduire en esclavage le peuple, fouler au pied la dignité de l’homme et ses droits les plus fondamentaux. En matière de droits de l’homme, il n’y a pas de particularité régionale. L’homme jouit de la liberté et personne n’a le droit de s’en emparer, en prétendant que “chaque pays a sa particularité, ses traditions et ses loisSi ces traditions ou ces lois sont injustes et oppriment l’homme, on doit les abandonner. Plus l’humanité avance dans la civilisation puis elle doit se débarrasser de telles lois et traditions. M. Dô Muoi s’appuie sur une tradition de dictature, une législation anticonstitutionnelle pour s’opposer à la déclaration internationale des droits de l’homme que la République socialiste du Vietnam elle même a signée avec les peuples civilisés.

M. Dô Muoi parle du mérite du Parti communiste vietnamien “qui a libéré la classe ouvrière, le peuple travailleur, qui a éliminé la joug de la domination de l’oppression et apporté la liberté et le bonheur à tous les hommesEst-ce la vérité? Les vrais ouvriers sont toujours pauvres, opprimés, davantage encore qu’à l’époque colonialiste. Seul le petit groupe de personnes qui “s’auto-proclame” la “classe ouvrière” jouit de la richesse, occupe les postes de commandement, et profite en parasite du travail des travailleurs pauvres qui, eux, vivent avec des salaires de misère. Ils ont libéré le peuple du joug colonialiste pour le charger d’un autre joug, bien plus lourd et bien plus sévère. Les 70 années de communisme en Union soviétique, les 45 ans en Europe de l’Est, son histoire actuelle en Chine, en Corée du Nord, à Cuba et dans la République socialiste du Vietnam ont illustré la nature de ce joug tyrannique avec son parti unique jouissant du monopole du pouvoir … L’oppression, la contrainte et l’injustice y sont beaucoup plus grandes que dans les anciens régimes colonialistes ou féodaux. Autrefois, le système féodal sévissait ici et là sans organisation. Les serfs n’y mouraient pas de faim ou de maladie. Ils n’étaient pas obligés de chanter les louanges du seigneur. Aujourd’hui, le communisme est un système féodal organisé. On y perd toute liberté. Il n’y a pas de bonheur, mais le peuple est obligé de dire qu’il est libre et heureux et qu’il vit sous un régime un million de fois plus démocratique que ne le sont les pays capitalistes.

Lorsque j’entends parler de lutte idéologique, je songe à Ha Si Phu, Nguyên Hô, Phan Dinh Diêu, Bui Tin, Lu Phuong, tous des membres du Parti de haut niveau, qui ont parlé du caractère dépassé, arriéré et même rétrograde du marxisme-léninisme.

Dans son éloge du marxisme, M. Dô Muoi ne fait que ressasser des refrains éculés. Marx, Engels et Lénine auraient analysé en profondeur la nature du capitalisme, montré le chemin de la lutte pour la libération de la classe ouvrière et du peuple travailleur. Il récite par coeur les leçons dont on a encombré son cerveau. Telle était, en effet, la doctrine! mais hélas, la réalité prouve le contraire, comme tout le monde aujourd’hui peut s’en apercevoir, y compris les intellectuels et les savants du Parti. S’opposant à tous les intellectuels, les savants qui, aujourd’hui, condamnent sévèrement le socialisme et le régime socialiste en Union soviétique, M. Dô Muoi s’énerve, frappe sur la table et déclare: Les cadres dans les instituts de recherches en sciences naturelles et sociales, les politologues, les hommes de culture doivent réagir et élever la voix. Pourquoi restons nous tranquilles et passifs devant les coups qui s’abattent sur nous depuis plusieurs années? Nous en recevrons encore davantageIl se lamente: “Ne les laissons pas voler et tuer, tout en appelant au secours les gens du village …” (1). Qui donc a agi de cette façon? Qui a dépouillé le peuple de tous ces droits humains et civiques et déclare ensuite que le régime est un million de fois plus démocratique que les autres. Il suffit de répondre à cette question pour identifier qui est l’agresseur se faisant passer pour une victime.

M. Do Muoi déclare aussi: “Un certain nombre de mauvais éléments ont dit que le vingtième siècle est celui où les communistes ont fait les plus grands massacres humains de l’histoire. C’est pourquoi, il faut aujourd’hui l’enterrerLe communisme et son régime n’ont subsisté que 70 ans en Union soviétique, 45 ans en Europe de l’Est, 40 ans au Vietnam, mais pendant ce temps, les massacres de Staline ont éliminé des millions de personnes innocentes, coupables seulement de n’être pas d’accord avec lui. Au Vietnam, tant de personnes sont mortes accusées publiquement de s’être emparé des terrains du peuple! et tant de purges d’écrivains, d’écrivains et d’intellectuels! En particulier, lors de l’affaire Nhân Van Giai Pham, tant d’hommes et de femmes emprisonnés, éliminés pour avoir dit autre chose que le Parti ! En Union soviétique, depuis l’avènement du mouvement démocratique on a révélé l’horrible réalité du communisme. Des milliers d’officiers polonais ont été massacrés à Katyn. Les communistes avaient d’abord rejeté la faute sur le national socialisme allemand, mais aujourd’hui il a été prouvé que c’est l’Union soviétique, elle-même qui les a éliminés un an avant l’arrivée des Allemands.

M. Dô Muoi interroge: “Qui a provoqué la deuxième guerre mondiale et la mort de dizaines de millions de personnesIl ne se souvient plus que cette guerre a été commencée par les Allemands avec la complicité de l’Union soviétique durant les premières années. De plus, il y a une grande différence entre les millions de personnes qui ont péri sous les bombes de la guerre et les millions de victimes innocentes et désarmées massacrées de sang-froid pour avoir eu un avis contraire à celui du Parti.

M. Dô Muoi accuse: “Les forces hostiles calomnient les membres du Parti qui seraient partisans de la dictature et antidémocratiques”. Mais “les forces hostiles” ne font que dire la vérité! Ou alors, appelons dictature la démocratie et vice versa! Les autres régimes font preuve de démocratie en de nombreux domaines. Ils la limitent en certains domaines. Au Vietnam, la dictature règne en tous les domaines: il n’y a pas de liberté de pensée, pas de liberté de presse, pas de liberté d’expression, pas de liberté religieuse permettant aux Eglises de s’organiser elles-mêmes, de nommer leur propre hiérarchie, d’éditer des livres religieux. Il n’y a ni liberté de circuler ni liberté de résidence. La carte de résidence (Hô Khâu) que les gens appelle “une entrave” (Hâu Khô) (2) est un véritable billet d’emprisonnement à domicile. Pour changer de résidence, il faut demander la permission, mais les mandarins de la révolution ont toute liberté de refuser. Quant aux élections libres, pour qu’elles soient véritablement libres, il faudrait que les candidatures soient libres. Au Vietnam il n’y a pas de candidats libres. On en laisse se présenter pour la forme; mais ou bien on s’en débarrasse avant les élections, ou bien il s’agit d’appeaux destinés à préparer le chemin aux mandarins de la révolution que le Parti a choisis par l’intermédiaire de ce qu’il appelle le “Front patriotique”.

Telle est la réalité que l’on voudrait qualifier de démocratique! Ce régime ne serait pas une dictature! Il serait cent fois plus démocratique que les autres! Pour parler ainsi, il faut avoir perdu toute pudeur ou prendre la population pour une bande d’enfants, ou une troupe d’esclaves qui s’inclinent, et qui approuvent lorsque le Parti dit que le noir est en réalité du blanc. Quel malheur et quelle humiliation pour un peuple qui a derrière lui 4 000 ans de civilisation.

A propos des droits de l’homme, M. Dô Muoi a déclaré “le premier article de la déclaration des Nations Unies est le respect de l’indépendance, de la souveraineté et de l’autodétermination des peuples”. Mais l’indépendance, la souveraineté, l’autodétermination, pourquoi sont-elles faites? pour apporter la liberté, le bonheur au peuple. S’il s’agit d’une indépendance destinée à isoler le pays par un régime oppresseur, ne laissant personne intervenir pour protéger la personne humaine, quel bénéfice le peuple pourrait-il tirer d’une telle indépendance?

Si la souveraineté est utilisée par un parti politique qui applique un système de gouvernement contraire aux droits humains fondamentaux, cette souveraineté n’est pas celle du peuple. Le Parti communiste vietnamien ne cesse de répéter que c’est le peuple qui a choisi le socialisme; de quel peuple parle-t-il donc? de ce groupe de personnes qui l’a mis en oeuvre et qui se proclame le peuple? Que le Parti communiste essaie donc d’organiser un référendum libre pour savoir combien de personnes soutiennent la socialisme et le régime socialiste dans le pays aujourd’hui. Mais il n’osera certainement pas.

Sur le plan économique, M. Dô Muoi prétend: “Nous sommes rentrés dans le marché … ” De quel marché parle-t-il? Le marché libre avec ses lois déterminées, sa tradition propre, ses réglementations ou alors un marché anarchique, sans loi précise, une situation où règnent la fraude et la concussion (tout le monde trafique aujourd’hui, les individus, les familles, les organes d’Etat, y compris le comité populaire et même la section du parti, comme l’a montré l’affaire de Binh Hot). Une économie qui a besoin de la gestion et de l’intervention de l’Etat et du Parti, comme le dit Do Muoi, une telle économie n’est profitable qu’à la nomenclature, à ceux qui détiennent le pouvoir et l’influence. Ils forment une sorte de mafia organisée partout, en chaque province du pays, pour faire des bénéfices en leur faveur et en faveur des étrangers. Ils se servent de la concussion pour obtenir des contrats à bas prix leur cédant des terrains, des bâtiments et des établissements. S’apercevant aujourd’hui que les entreprises nationales sont en faillite, ils se précipitent vers le marché libre de façon anarchique.

M. Dô Muoi parle de quatre dangers qui menacent le régime communiste au Vietnam: un danger objectif et trois autres d’ordre subjectif.

Le danger objectif, ce sont les forces hostiles qui veulent renverser le régime: “Elles nous attaquent, dit-il, nous riposteronsMais ce sont là de purs fantasmes. La période actuelle est appelée par le parti “la période de l’évolution pacifiqueLe Parti craint très fort cette “évolutionLe Parti a une grande habitude de se battre contre l’ennemi à coups de fusil. Il semble qu’il ne s’en lasse pas alors qu’il est déjà fatigué de la paix. Le processus de l’évolution pacifique consiste simplement en ceci: le peuple suit celui qui se comporte bien, celui qui lui apporte la liberté et le bonheur. Si le Parti remplissait ces conditions, alors il n’aurait pas à craindre l’évolution pacifique.

Quant aux trois dangers subjectifs, le premier cité par M. Dô Muoi c’est le déviationnisme. Cette déviation s’entend par rapport à quelle direction? celle du peuple, ou celle du Parti? La direction suivie par le Peuple, c’est la liberté, la démocratie, le respect de la dignité humaine, des droits de l’homme et du peuple. Celle que suit le Parti, c’est la dictature, la violation des droits de l’homme et du peuple. C’est donc le Parti qui est déviationniste par rapport au peuple, et ce que M. Dô Muoi appelle l’orientation du peuple est une déviation qui consiste à renforcer l’orientation dictatoriale et le monopole du pouvoir. Voilà le véritable danger déviationniste existant depuis déjà longtemps. Le Parti n’a pas encore changé de direction en fonction de celle du peuple.

Nguyên Trai a dit: “C’est la population qui maintient le bateau, c’est elle aussi qui le renverseIl ne faut pas craindre que les ennemis renversent le bateau. Conseillons plutôt à M. Dô Muoi de changer de direction et de suivre celle du peuple.

Pour la concussion, M. Dô Muoi se console en disant qu’il y en a toujours eu et que tous les pays en souffrent. Dans les autres pays, la concussion a des limites. On la dénonce et on traduit les coupables devant les tribunaux, même s’il s’agit du président de la République ou du premier ministre. Dans ce pays, on la trouve partout, en tout domaine et à tous les niveaux. Si on la réprime, c’est à un certain niveau. Les mandarins de la Révolution, ceux qui protègent les concussionnaires et les fraudeurs non seulement vivent en toute tranquillité, mais bien mieux ils montent en grade.

M. Dô Muoi parle aussi de la faiblesse de la base, de son manque d’esprit combatif. Lorsque le manque d’honnêteté règne au sommet, c’est le trouble qui règne chez les inférieurs. Allez donc enquêter dans les entreprises et vous verrez! Les membres du Parti sont les pires fauteurs de troubles. Ce sont eux qui organisent la concussion. Ce sont eux aussi qui sont proposés pour organiser la lutte contre la concussion. Comment alors anéantir ce fléau, comme M. Dô Muoi s’époumonne à le proclamer. La concussion se développe avec d’autant plus de vivacité que l’on lutte plus intensément contre elle, comme la presse du Parti vient de le publier.

En résumé, pas un point du discours de M. Dô Muoi qui ne résiste à la critique. Il veut le changement mais maintient les anciens dogmes. Il ne sait pas voir la réalité, aveuglé encore comme autrefois par les théories du marxisme-léninisme. La chute des pays communistes devrait ouvrir les yeux aux membres du Parti et les inciter à changer en fonction de l’orientation des populations. Demain, les partis communistes de Russie ou des pays de l’Europe de l’Est ne regagneront de l’influence auprès du peuple, que s’ils se renouvellent, exigent la démocratie, le pluralisme, le multipartisme, la liberté, les droits de l’homme comme tous les autres partis.

Si le Parti communiste vietnamien veut subsister, il doit respecter la dignité humaine, les droits de l’homme et du peuple, le pluralisme et le multipartisme.

A Saigon le 30 avril 1994

(1) Expression désignant les agresseurs qui se font passer pour des victimes.

(2) Jeu de mot en forme de contrepèterie, intraduisible

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UNE PRESSE LIBRE OU UNE PRESSE INSTRUMENTALE

[NDLR – Interview donnée à Radio France International à l’occasion de la journée de la liberté de la Presse, le 3 juin 1994, par M. Nguyên Ngoc Lan. Paru en langue vietnamienne dans Tin Nha, n° 16, juillet 1994. Traduit du vietnamien par EDA.]

Pendant les 19 dernières années, il y a eu deux courtes périodes au cours desquelles on a eu l’impression ou l’illusion d’un début de liberté d’expression dans la presse de la République socialiste du Vietnam. La première fois, ce fut au cours des années 1975-1980, avec la parution de deux journaux privés, la revue “Dung Dây” (Levons-nous) et le quotidien “Tin Sang” (Nouvelles du matin). Mais la revue ne fit paraître que 35 numéros, dont la moitié avant 1975; elle dut faire ses adieux aux lecteurs en décembre 1978. Quant au quotidien, bien qu’il ait accepté d’être lu en priorité par un représentant du Parti installé dans la salle de rédaction, il fut obligé de déclarer qu’il avait achevé sa mission le 30 juin 1980.

Une seconde fois, l’occasion se représenta. Ce fut au cours de la période allant de 1986 à 1988. Le vent de la transparence soufflant depuis l’Union soviétique parvint à faire sentir une partie de ses effets jusqu’au Vietnam. Des journaux comme Tuôi Tre (Jeunesse, organe des jeunesses communistes), Thanh Niên (Jeunes gens) s’épanouirent alors. Même dans le quotidien Saigon Giai Phong (Saigon libéré), ici ou là on trouvait quelques passages dignes d’être lus. En particulier, l’hebdomadaire Van Nghê (Les arts) se montra exceptionnel en publiant une suite d’articles de critique littéraire, tout à fait différents des anciens et surtout une série de nouvelles courtes, mais susceptibles de laisser une empreinte durable dans l’esprit des lecteurs, comme “Un général en retraite” ou “La femme à genouxMais à la fin de l’année 1988, l’écrivain Nguyên Ngoc, rédacteur en chef de la revue “Les arts” fut prié, d’une manière fort peu artistique, d’aller se faire voir ailleurs. En 1989, M. Tô Hoà rédacteur en chef de Saigon Giai Phong avait opéré un repli stratégique. Quant à M. Vo Nhu Lanh, ancien président de l’association des étudiants de l’université Van Hanh (Université bouddhiste fonctionnant avant 1975), rédacteur en chef adjoint du Saigon Giai Phong, c’était un homme dévoué mais sachant aussi se préoccuper de son sort. Il put se dégager un ou deux ans plus tard et alla chercher refuge dans un journal économique. En 1991, ce fut le tour de Madame Kim Hanh qui perdit alors son titre de rédacteur en chef du journal Tuoi Tre.

A vrai dire, il n’y rien d’étonnant dans tout cela. Chaque fois que revient le jour appelé Jour de la presse vietnamienne, le 21 juin de chaque année, les journaux se voient rappeler qu’ils sont les instruments du Parti et que dans ce régime, il n’existe que des journaux-instruments du Parti. On oublie cependant de noter que ces journaux-instruments du Parti vivent grâce à l’argent de la population. Si seule, la presse-instrument du Parti existe, cela signifie qu’il n’y a pas de liberté de presse, qu’il n’y a même pas de journaux au sens véritable du mot; il n’y a que des outils.

La loi sur la presse de 1989 a mis un terme à toutes les illusions. Alors que la loi n’était encore qu’un projet, elle fut diffusée pour que, disait-on alors, le peuple puisse donner son opinion. Il y eut cinq ou six séances de discussion ici et là. Partout, on n’entendit que des critiques. En particulier, lors de la séance du 3 décembre 1989 du comité de liaison des journalistes anciens résistants, comme je l’ai noté dans mon journal des années 1989-1990 (1), p. 156, M. Nguyên Ngoc Luong, un journaliste chevronné qui continue d’écrire a fait remarquer: “Jamais sous notre régime, il n’y a eu de journaliste. Il n’y a que des fonctionnaires de haut ou bas niveau écrivant dans les journaux. Malgré ce projet de loi, les choses resteront en état, personne n’espère qu’elles changeront. Il vaut donc mieux abandonner ce projet que de jouer une comédie qui fait rire tout le monde….” Le poète Chinh Van déclarait aussi à la même occasion: “La liberté de presse a derrière elle une tradition de deux siècles (depuis la révolution française de 1789). On peut dire que sa nature et son contenu sont maintenant universels. A quoi sert donc de se mettre tout d’un coup à élaborer une loi sur la presse qui ne ressemblerait à rien de connu”.

(En fait , cette loi a été élaborée dans l’unique but de recueillir des opinions à son sujet). Quelques semaines après seulement, au mois de décembre 1989, l’Assemblée nationale approuvait cette loi qui ne ressemblait à rien de connu. Il n’y était question que d’une “presse-instrument du PartiOn n’y faisait pas mention d’une presse du peuple, de la société.

La conclusion de l’interview du poète Nguyên Duy, accordée à “Tuöi Tre” à la fin de l’année 1988 au sujet de l’élimination de Nguyen Ngoc garde aujourd’hui toute son actualité: “Cela confirme une triste vérité: à peine les portes du changement en matière de presse avaient-elles été entrouvertes qu’elles ont été fermées à nouveau. Certains ont eu la main coincée; beaucoup d’autres se sont laissés gagner par le désespoirTuôi Tre du dimanche, 18 décembre 1988, p. 24).

La liberté de la presse est, pour ainsi dire, le souffle d’air destiné à la respiration de la société et du pays. Sans elle, pays et société étouffent, stagnent et régressent. Ils ne sont plus capables de se corriger et de changer véritablement. Prenons par exemple ce que l’on appelle la lutte contre la concussion, le trafic. Personne ne peut nier qu’il s’agit là d’un fléau national. Les journaux participent à cette lutte. Mais tant qu’il sont les instruments d’un Parti monopolisant la totalité du pouvoir, ils ne sont pas plus efficaces qu’un coiffeur ou un barbier: ils se contentent de rendre convenables les apparences alors qu’il faudrait procéder à une opération chirurgicale pour extraire les cellules cancéreuses de l’intérieur de l’organisme.

Il est superflu d’insister encore pour montrer à quel point l’absence de liberté de presse est nuisible au pays et à la société. Je voudrais simplement noter un certain nombre d’inconvénients liés à une presse considérée comme l’instrument du pouvoir qui la contrôle entièrement.

1 – La presse-instrument devient facilement un sorte de magasin d’objets funéraires. Les rédacteurs des journaux-instruments considèrent leurs lecteurs comme des êtres inanimés et en fin de compte sont dépourvus du moindre amour propre.

a – Dans mon journal de 1988, j’ai noté le cas du quotidien Saigon Giai Phong, qui, dans deux numéros différents, à trois semaines d’intervalle (le 10 avril et le 3 mai 1994) a publié en première page deux longs articles au sujet d’une certaine réunion tenue à Kiên Giang pour s’opposer aux canonisation des martyrs vietnamiens. Seuls, leurs titres étaient différents. Le corps des deux articles, également évasif sur la date où s’était tenue la réunion (le Comité du Front patriotique de la province de Kiên Giang vient d’organiser …”) était strictement identique. Il n’y a pas d’autres endroits au monde (sauf bien entendu dans les autres pays qui considèrent la presse comme un instrument) où les journalistes peuvent ainsi rédiger leurs journaux tout en dormant.

b – Depuis presque vingt ans, chaque année, le 26 décembre, après la fête de Noël, c’est toujours le même article qui est rédigé. Il annonce que nos compatriotes catholiques et protestants, sont venus nombreux célébrer avec joie la fête de Noël. Il est toujours illustré par une photo de la cathédrale. Le journaliste peut à coup sûr envoyer son article à l’avance et aller danser toute la nuit de Noël. Cette manière de faire est la source d’incidents à la fois tristes et risibles, du type de celui qui se produisit en 1992. Cette année là, Mgr Nguyên Van Binh, malade, ne put aller célébrer la messe à la cathédrale et fut remplacé par son auxiliaire, Mgr Pham Van Nam. Mais selon l’article publié par Saigon Giai Phong, c’était Mgr Binh qui célébrait et qui, dans son prêche, appelait les fidèles à édifier ceci et cela …

2 – La presse instrumentale est un instrument inefficace

a – La presse instrumentale est non seulement illisible, elle n’est pas lue. Même si la liberté de presse n’existe pas, les gens gardent la liberté de lire ou de ne pas lire, de lire ce qui leur plaît, de lire à leur manière.

Par exemple, le quotidien “Le Peuple” (Nhân Dân) (2), un journal-instrument à 100 %, est le journal que “le peuple” lit le moins. Sans exagérer 99 % des lecteurs de journaux à Hô Chi Minh-Ville sont comme moi, ils ne touchent à ce journal qu’une ou deux fois par an. Les autres journaux ne sont supportés que dans la mesure où l’on minimise leur rôle instrumental, c’est à dire la publication des éditoriaux, des résolutions, etc. Il reste les reportages de caractère social, les critiques de film et de théâtre, le sport, le football, les rubriques sentimentales et psychologiques. C’est en ce domaine que les journaux se disputent les lecteurs.

Le 30 avril dernier, j’étais assis sur les gradins du terrain de sport de Thông Nhât, regardant une partie de foot. A cinq heures de l’après-midi, la température était de 36 degrés et nous étions directement exposés au soleil. Un petit vendeur de journaux déluré, qui passait par là, a trouvé alors la formule qui s’applique le mieux à la presse de notre nouvelle époque. Il criait: “Le soleil est brûlant; pour ne pas avoir mal à la tête, achetez donc le journal!” Ce type de publicité me fit penser à l’époque où le papier d’emballage n’existait pas, les sacs en plastic étaient très rares. A l’heure où sortait le journal Nhân Dân, une foule nombreuse se pressait à la poste la ville pour se procurer des exemplaires de ce journal bon marché, qui servaient ensuite à toutes sortes d’usages. Je me souvins aussi d’un jour de septembre 1975 où tout étonné et encore naïf, j’écoutais le journaliste Hoang Tung raconter qu’avant 1975, chaque jour à Hanoi, on faisait la queue pour acheter un exemplaire du “Nhân Dân”.

b – Les journaux-instruments se lisent entre les lignes. Ce n’est pas sans raison qu’un journal parisien a reconnu à mon “journal”, le mérite d’aider à donner le courage de lire le Saïgon Giai Phong. Lorsque j’étais en résidence surveillée, alors que je subissais une séance de travail (3) avec un de mes amis, on se plaignit de moi: “Celui-ci continue à lire Saigon Giai Phong et Tuôi Tre

c – La presse instrumentale, en dernier ressort ne cache rien. Ainsi le 7 avril 1994, comme par hasard, on pouvait lire dans Saigon Giai Phong la courte nouvelle suivante: “A l’occasion de la fête des tombeaux, deux délégations de cadres de l’ambassade de Chine à Hanoi conduites par l’ambassadeur Truong Thanh et son collaborateur politique Tê Kiên se sont rendues sur la tombe des soldats chinois qui se sont sacrifiés au service de la lutte de résistance anti-américaine pour le salut de notre peuple, à Ha Bac et à Lao CaiCela suffit … !

3 – Enfin, la presse instrumentale est une arme à deux tranchants qui en fin de compte ne porte tort qu’au pouvoir qui l’utilise.

a – Du point de vue diplomatique, par exemple, sous ce régime, n’importe quel journal peut être considéré comme la voix officielle du Parti et de l’Etat. Par suite, à ce point de vue, le journal en tant que tel ne peut avoir d’opinion propre. (Ce qui n’est nullement le cas en France, par exemple, où le journal appelé “Le monde diplomatique” peut publier des articles de toute tendance sans gêner en rien la diplomatie française). Le caractère instrumental de notre presse peut créer des situations comiques comme celle qui vient de se produire. Un certain journal de notre ville, poussé par je ne sais quelle inspiration a publié à nouveau une photo, très célèbre en son temps (4), accompagnée de deux vers de Tô Huu (5): “La jeune et frêle partisane lève haut son fusil, l’Américain chancelle et s’avance la tête basseLa rédaction du journal a reçu des autorités supérieures un blâme pour “manque de délicatesseEn effet, les Américains venaient de lever l’embargo sur l’économie vietnamienne. Les temps ayant changé, les journaux doivent, tous ensemble et d’un même coeur, faire preuve de délicatesse à l’égard de l’hégémonisme chinois et de l’impérialisme américain.

b – Du point de vue intérieur, les inconvénients d’une telle presse ne sont pas moins graves. Dans un discours prononcé voilà un mois à Hanoi, le 3 mars 1994, à l’intention des cadres supérieurs (6), le secrétaire général Dô Muoi s’est lamenté ainsi: “Nous devons donc nous préoccuper de la lutte idéologique. Les cadres dans les instituts de recherches en sciences naturelles et sociales, les politologues, les hommes de culture doivent réagir et élever la voix. Pourquoi restons-nous tranquilles passifs devant les coups qui s’abattent sur nous depuis plusieurs années? Nous en recevrons encore davantage…”

Quelle est donc la situation évoquée par les soupirs du secrétaire général? Aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur, ces dernières années, on s’intéresse attentivement aux articles critiques émanant de Phan Dinh Diêu, Ha Si Phu, Lu Phuong, Hô Hiêu, Thanh Giang (7). Il ne s’agit que de quelques intellectuels. Or le malheur, c’est qu’il n’est pas vrai que Do Muoi et ses compagnons sont restés tranquilles et passifs. Au contraire, ils se sont agités en tous sens, ont fait publier dans la presse des centaines d’articles attaquant l’unique article de Ha Si Phu, qui lui n’a jamais pu être publié dans les journaux.

Il est possible que la plupart des intellectuels, sous ce régime, ne pensent pas différemment de Phan Dinh Diêu, Ha Si Phu, ou alors sont très proches d’eux. Mais ils ne peuvent l’écrire dans la presse officielle. Il est possible aussi que certains autres soient en désaccord avec ces dissidents, ce qui est tout à fait normal. Mais, comme ils ont un minimum de correction et de respect d’eux-mêmes, ils ne peuvent se permettre de s’exprimer seuls dans la presse. Ils ne pourraient entrer en discussion avec Phan Dinh Diêu ou Ha Si Phu que dans une presse libre, si elle existait. Ils ne peuvent tricher et frapper un adversaire dont les poignets ont été préalablement enchaînés. Ce serait se déshonorer.

Sans liberté de presse, il n’y a qu’une presse instrumentale et les libertés démocratiques sont absentes. Sans démocratie établie, la société et le pays n’ont aucune perspective d’avenir. En fin de compte, la presse instrumentale n’apporte aucun avantage. Elle ne comporte que des inconvénients pour le pouvoir qui la contrôle et c’est très regrettable.