Eglises d'Asie

“NOUS LUTTONS POUR QUE LES DALITS CHRETIENS AIENT ACCES AUX MEMES BENEFICES QUE LES AUTRES DALITS” Une interview de Mgr Michael Augustine, archevêque de Pondichéry

Publié le 18/03/2010




Monseigneur, vous êtes l’un des évêques les plus actifs sur le problème des dalits. Quelle est l’origine du problème ?

Il faut remonter à la période de la formation des castes en Inde pour bien comprendre de quoi il s’agit. Tout a commencé à l’époque très ancienne de l’invasion de l’Inde par des Aryens qui venaient du nord. Comme ils étaient blancs, ce sont eux qui ont amené la premières division de la société entre “Aryas” et “Dasas” (blancs et noirs). C’est ce que l’on apelle le “Varna”. C’était la période védique de l’histoire de l’Inde.

Après cela, au fur et à mesure que les Aryens avançaient vers le sud et rencontraient des résistances, d’autres divisions apparaissent qui sont liées à la division du travail. On trouve ainsi la classe des “brahmanes” qui sont enseignants, prêtres et intellectuels, celle des “chatryas” ou “protecteurs” qui sont les princes et la noblesse militaire en général, celle des “vaysias”, classe des marchands, et enfin les “sudras” qui sont les serviteurs des classes précédentes.

Vous parlez de “classes”. On ne peut donc pas encore parler de “castes”…

En effet. Il existera pendant longtemps une réelle mobilité sociale entre ces classes. On peut passer de l’une à l’autre selon le travail que l’on fait. On n’appartient pas par naissance à l’une ou l’autre classe.

Après la conquête de l’Inde du sud, c’est la classe des prêtres ou “brahmanes” qui domine. C’est seulement à partir de ce moment-là qu’apparaît la division entre castes étanches dont on hérite par naissance. Vite après naîtront le bouddhisme et le jaïnisme qui sont des formes de résistance à cette division de la société en castes.

La société védique va alors se stratifier de plus en plus. Les castes deviennent rigides, les bouddhistes et les jaïns sont persécutés, les mariages inter-castes sont interdits : la punition infligée pour toute infraction dans le domaine du mariage était précisément la mise hors caste. C’est aussi à cette époque-là que des tribus dravidiennes du sud de l’Inde sont déclarées hors-caste. Seules les trois castes supérieures ont le droit d’apprendre les védas et de réciter les prières mais les membres des quatre castes sont “touchables”. Les autres sont “intouchables”. Peu à peu s’ajoute une autre discrimination, géographique celle-là, quand on force les “intouchables” à vivre en dehors des villes et des villages occupés par les gens de caste. Le nom du village ou de la ville est toujours celui du village ou de la ville de caste. Le village des “intouchables” même s’il est beaucoup plus important est sans nom et sans identité.

Des centaines d’années de cette oppression ont dû avoir des conséquences terribles.

Oui. Les effets de cet esclavage particulier ont eu des conséquences physiques bien entendu, mais aussi psychologiques très lourdes. Les “intouchables” ont souffert d’une aliénation presque totale qui a affecté tous leurs comportements.

Depuis quelques dizaines d’années, la situation a tout de même évolué, surtout au moment de l’indépendance de l’Inde…

La situation a commencé à évoluer quand les missionnaires chrétiens sont arrivés. Ceux-ci ont amené avec eux des conceptions occidentales d’égalité, et ils ont aussi donné accès à l’éducation et contribué à la conscientisation de la société indienne. Indirectement, ils ont même fait évoluer la religion hindoue. Par la suite, avant et après l’indépendance de l’Inde, un certain nombre de lois vont entrer en vigueur pour aider les “intouchables” à sortir de leur misère et pour éliminer le stigma social dont ils souffrent. En 1950, en particulier, des mesures furent prises pour que les “intouchables” puissent jouir de privilèges spéciaux en ce qui concerne l’accès à l’éducation, aux soins de santé et aux emplois dans l’administration. Au cours des années suivantes, ces privilèges ont été étendus aussi aux basses castes (Backward Casts) et aux peuples minoritaires de l’Inde qu’on appelle “Scheduled Tribes” qui sont très souvent eux aussi dans une situation économique difficile. Les “intouchables” sont classés comme “castes répertoriées” (Scheduled Casts). En 1970, le gouvernement fédéral a fait voter l'”Untouchability Act” qui rend punissable par la loi le fait d’appeler quelqu’un “intouchable”.

Ces lois sont-elles efficaces ?

Elle le sont d’une certaine manière mais elles sont très insuffisantes. Au début, elles ne concernaient que les “intouchables” de religion hindoue. On estimait que, les castes n’existant pas dans les autres religions, il n’y avait pas lieu de faire bénéficier les “intouchables” non hindous de ces privilèges. Peu à peu, les sikhs et les bouddhistes ont obtenu que la loi soit amendée pour les inclure. Mais les chrétiens “intouchables” ne sont toujours pas reconnus comme tels. Non seulement ils ne bénéficient pas des privilèges accordés aux autres dalits mais ils ne bénéficient pas non plus de la protection accordée par la loi aux autres dalits. Depuis plusieurs années, les évêques catholiques luttent pour que cesse cette discrimination. Jusqu’à présent nous avons eu droit à des promesses, mais rien de concret n’a été fait. L’une des conséquences de cet état de fait, c’est que les chrétiens “dalits” sont incités à se reconvertir à l’hindouisme pour avoir droit aux privilèges de gouvernement.

Vous avez parlé des “intouchables” et maintenant vous parlez de “dalits”. Je suppose qu’il s’agit des mêmes personnes. Comment en est-on arrivé à ce changement de vocabulaire ?

Le terme “dalit” signifie ‘brisé’, ‘opprimé’. Le Mahatma Gandhi préférait parler de “harijan” qui signifie ‘enfant de Dieu’ pour désigner les intouchables. Mais les dalits eux-mêmes ont refusé ce terme parce que, dans la littérature indienne, ce mot était utilisé pour désigner les enfants des prostituées des temples. Ils ont préféré ce terme de “dalit”.

Vous parlez de dalits chrétiens. Cela veut-il dire que le système des castes fonctionne aussi dans l’Eglise?

Il a fonctionné pendant très longtemps. Quand les jésuites du “Padroado” sont arrivés en Inde ils ont cru devoir respecter le système des castes. Il y a donc eu des prêtres qui ne travaillaient que dans le milieu des hautes castes et n’en sortaient jamais, et des prêtres qui ne travaillaient que chez les “dalits”. C’est ainsi que les castes ont fait leur entrée dans l’Eglise. Mais dans les années 50, les évêques indiens ont décidé qu’il n’y aurait plus de séparation de castes dans les églises à aucun niveau. On peut dire qu’aujourd’hui cette décision des évêques est largement acceptée. Au début, il y eut cependant de très fortes résistances et un certain nombre d’églises furent fermées à cause des conflits nés de cette décision. Aujourd’hui, dans les paroisses il n’y a pas de discrimination pour l’accès au sacerdoce ou pour devenir enfant de choeur, ou pour participer au conseil paroissial. Des prêtres “dalits” travaillent dans des villages de caste et vice-versa.

L’Eglise catholique participe-t-elle à la promotion sociale des “dalits” chrétiens ?

Dans les diocèses du Tamil Nadu, chaque année de très fortes sommes d’argent sont consacrées à des bourses d’études pour les enfants “dalits” ou de basse caste. Par ailleurs, chaque diocèse possède une commission spéciale chargée de coordonner les activités et de lutter contre la discrimination dont souffrent les chrétiens “dalits”. Bien entendu, l’Eglise n’a pas les moyens de tout faire par elle-même et il faut que l’Etat lui aussi prenne en considération les problèmes sociaux et économiques dont souffrent les dalits chrétiens.

Que pensez-vous du Mouvement chrétien de libération des dalits ?

Ce sont de jeunes jésuites qui ont fondé ce mouvement il y a quelques années et qui continuent à le diriger même si aujourd’hui la direction officielle est passée entre les mains des laïcs. Le but du mouvement est d’organiser les dalits chrétiens en créant dans tous les villages des groupes d’action. Les cibles principales de leurs pressions sont les évêques et les prêtres. Ces groupes demandent à ce que l’Eglise fasse davantage de place aux dalits dans l’administration de l’Eglise. Malheureusement, ils ne coordonnent pas leurs activités avec les commissions diocésaines qui travaillent à la promotion des dalits. Leur stratégie est une stratégie de lutte des classes à l’intérieur de l’Eglise. C’est une stratégie qui sème la division.

Nous préférons quant à nous fonder de nouvelles écoles dans les villages dalits.