Eglises d'Asie

“L’INDE NE SE LAISSERA PAS SUBMERGER PAR LE FONDAMENTALISME HINDOU” Une interview de Mgr Alphonse Mathias, archevêque de Bangalore

Publié le 18/03/2010




Monseigneur, vous avez été pendant longtemps président de la conférence épiscopale indienne et, à ce titre, vous avez été confronté aux questions qui se posent à l’Eglise de l’Inde au niveau national. Aujourd’hui il semble que l’Eglise doive faire face à la menace du fondamentalisme hindou.

Tous les fondamentalismes sont dangereux pour l’Eglise. Evidemment, en Inde, comme les hindous forment la très grande majorité de la population, c’est le fondamentalisme hindou qui nous inquiète plus particulièrement. Il faut noter tout d’abord que le fondamentalisme ne concerne qu’une petite minorité d’hindous. La grande majorité d’entre eux sont d’esprit tolérant, désireux de paix et d’harmonie. En cela, ils sont dans la continuité de la tradition hindoue qui a toujours fait place aux autres religions.

Le fondamentalisme est un phénomène mondial. En Inde, il a commencé par être une réaction au fondamentalisme musulman qui se développait dans une communauté qui forme 10 à 12% de la population indienne. Par ailleurs les musulmans étaient perçus comme étant très actifs dans tous les domaines et de plus en plus nombreux.

Par la suite, ce renouveau hindou “fondamentaliste” a été utilisé par des partis politiques qui essayent encore aujourd’hui de se construire une base sociale à partir de la religion et de l’appartenance à une communauté. C’est ce que nous appelons en Inde le “communalisme”. C’est une menace grave pour la laïcité à l’indienne.

Comment pensez-vous que l’Eglise catholique doive réagir face à cette menace?

L’Eglise est très consciente de la situation. Les chrétiens ne représentent que 2,5% de la population, mais leur influence et leur visibilité dans la société sont beaucoup plus importantes que leur nombre ne pourrait le laisser penser, grâce surtout à leurs écoles et leurs hôpitaux. La volonté de la Conférence des évêques de l’Inde et celle de la communauté chrétienne toute entière est d’abord de ne pas se laisser aller elles-mêmes au fondamentalisme : ce serait une erreur et aussi une absence de pragmatisme. Tout au contraire, nous devons appliquer les principes de l’Evangile à cette situation. Avec beaucoup d’humilité, nous devons améliorer et augmenter nos services à la population dans son ensemble en faisant attention de ne pas afficher, à travers la puissance de nos institutions, une arrogance qui serait insupportable. Nous devons devenir de plus en plus une Eglise servante. Plus encore que nous ne le faisons aujourd’hui, nous devons travailler à la paix, promouvoir l’idée que tous les hommes sont frères, que la tolérance est nécessaire. A travers tous les réseaux dans lesquels l’Eglise est présente nous devons travailler au dialogue interreligieux, promouvoir les rencontres entre hommes de fois différentes, participer davantage aux fêtes organisées par les diverses communautés.

Mais est-ce que la communauté hindoue est prête à accepter cette image de l’Eglise qui n’est peut-être pas toujours celle qui lui est offerte ?

La population hindoue dans son ensemble accepte et apprécie cette image que donne l’Eglise même si beaucoup craignent que nous ne fassions tout cela que pour obtenir des conversions. Mais les faits et les chiffres montrent que ce n’est pas là notre but : après deux mille ans de présence en Inde, les chrétiens ne sont toujours que 2,5% de la population. Je crois que l’Eglise aujourd’hui en Inde est en bonne position pour jouer un rôle d’intermédiaire et de pont entre les différentes communautés et plus particulièrement entre les hindous et les musulmans.

Ce fondamentalisme religieux hindou se donne aujourd’hui une traduction politique inquiétante dans des partis comme le Bharatiya Janata Party (BJP) ou des organisations comme le Rashtrya Swayam Sewak (RSS).

Les partis politiques qui utilisent le fondamentalisme religieux hindou pour essayer d’arriver au pouvoir sont de tendance totalitaire et proches d’une sorte de nazisme. Ils veulent construire l'”Hindutva” ou l’Inde pour les hindous seuls. Leur idéologie est porteuse d’un totalitarisme qui affecte non seulement la vie religieuse mais toute la vie politique, sociale et économique du pays. Les hindous de bonne volonté – et il y en a beaucoup – s’opposent vigoureusement à cette idée. La morale démocratique et les valeurs spirituelles qui sont contenues dans toutes les religions de l’Inde opposent une résistance très forte à ce mouvement. Aujourd’hui, on voit apparaître et grandir ici et là des mouvements de résistance explicite à cette idéologie à l’intérieur même de la communauté hindoue.

Vous n’êtes donc pas trop inquiet face à cette idéologie totalitaire.

On l’est toujours un peu, mais dans le passé l’Inde a dû faire face à des menaces similaires à plusieurs reprises et a toujours trouvé les ressources nécessaires pour y faire face. Je ne doute pas qu’il en sera de même aujourd’hui et je ne crois pas que l’Inde sera submergée par le fondamentalisme hindou. L’ordre économique actuel, l’ouverture à l’économie de marché inspirée par la conscience d’une globalisation nécessaire, tout cela indique que l’Inde n’est pas en train de se replier sur elle-même, tout au contraire. Elle ne rétrécit pas son horizon mais continue à l’élargir, et cela me paraît une autre manière de faire face avec succès à la menace fondamentaliste.

Quels sont aujourd’hui les défis majeurs auxquels l’Eglise de l’inde doit faire face, selon vous ?

Il y a d’abord le matérialisme et l’appétit de consommation croissants qui nous viennent de l’Occident et qui sont les menaces les plus graves qu’ait connues l’Inde dans son histoire. Les valeurs culturelles et religieuses indiennes seront-elles capables de résister à cette vague? En ce qui nous concerne, nous devons travailler à renforcer les fondements spirituels de notre pays.

Il y a aussi une érosion des valeurs morales. La corruption à tous les niveaux est devenue endémique et on n’y voit pas de solution à court terme. La tradition indienne n’est pas une tradition révolutionnaire. Les solutions sont donc difficiles à trouver.

Par ailleurs, comment maintenir et protéger la dignité des hommes et des femmes de ce pays au vu de l’individualisme créé par la compétition économique ? Le système économique dans son ensemble provoque beaucoup de questions qui affectent les valeurs humaines.

Il y a encore la nécessité urgente de relever le statut des femmes dans la société. L’Eglise doit s’engager à fond dans cette entreprise.

Le communalisme est lui aussi un défi majeur. Le système des castes, les différences ethniques, religieuses, linguistiques posent à l’Inde un ensemble de problèmes qu’aucun pays au monde ne connaît avec la même ampleur. Toutes les variétés de problèmes identitaires se trouvent rassemblées ici. Dans ce contexte, une question plus précise se pose à l’Eglise : quel mode d’évangélisation devons-nous adopter ?

Voilà quelques-uns des défis majeurs auxquels l’Eglise de l’Inde se doit de répondre aujourd’hui.