« Faire le bilan du passé, c’est assumer sa responsabilité pour l’avenir » est une phrase de l’appel lancé par Jean-Paul II à Hiroshima en 1981. Si on la retourne, elle affirme que quiconque veut se charger d’une responsabilité dans l’avenir doit examiner avec soin le passé. Si nous négligeons de le faire, nous serons incapables de voir la signification réelle du présent et ne pourrons que répéter les erreurs du passé. En 1985, à l’occasion du quarantième anniversaire de la défaite de l’Allemagne, le président Weizsacker de ce qui était alors l’Allemagne de l’ouest prononça un discours fameux au Bundestag, intitulé « Quarante ans dans le désert », dans lequel il a dit : « Qui ferme sa porte sur le passé se rend en réalité aveugle sur le présent
En ce moment, le Japon fait face à des changements en de nombreux domaines. Le Parti démocrate libéral, au pouvoir pendant quarante ans, a cédé à d’autres les rênes du gouvernement. L’actuel gouvernement de coalition dit qu’il continuera la politique suivie jusqu’à présent pour les affaires étrangères et la défense, mais certaines choses sont laissées dans l’ombre. Beaucoup de pays étrangers mettent sérieusement en question la responsabilité du Japon pendant la deuxième guerre mondiale et après. Pourquoi maintenant, cinquante ans après ? pourrions-nous demander. Mais avant d’en dire plus, il serait bon de regarder ce que le Japon a fait pendant ces cinquante ans. Le président de l’Allemagne dans son discours du 8 mai 1985 : « Quarante années dans le désert » rappelé plus haut, a énuméré en détail les crimes des nazis et demandé pardon à toutes leurs victimes. La même année, le 15 août, le premier ministre du Japon est allé s’incliner au temple de Yasukuni où sont vénérés les criminels de guerre de la classe A. L’année 1995 marquera le cinquantième anniversaire de la fin de la guerre. Que va dire le premier ministre à cette occasion ? Mais en fait, la question n’est pas de savoir ce que dit ou fait le premier ministre, ce que le gouvernement a fait. Elle est plutôt de savoir ce que nous, disciples du Christ, pensons de ces événements, quelle attitude nous prenons et ce que nous avons l’intention de faire à leur sujet.
Quand la guerre s’est terminée en 1945, quel Japon nous sommes-nous promis de construire ? Ce qui en apparaît le plus clairement est la constitution du Japon, promulguée le 3 novembre 1946 et entrée en application le 3 mai 1947. Dans son préambule, elle proclame les principes de démocratie, de paix mondiale et de souveraineté du peuple. Le 2 août 1947, le ministère de l’Education a publié une brochure intitulée « Comprendre la constitution », comme manuel des élèves de première année du secondaire dans tout le pays. On y lisait : « Le préambule de la constitution a deux buts. Il vise d’abord à servir de guide à ceux qui veulent comprendre la constitution, car le texte de celle-ci découle de la pensée exprimée dans le préambule. Nous ne pouvons donc pas l’interpréter dans une autre ligne de pensée. Le préambule a aussi pour but d’empêcher, en cas de modification de la constitution, qu’on puisse s’écarter de sa ligne de pensée » (p.5).
La brochure explique ensuite trois principes de base : « Il n’est pas bon qu’un pays soit gouverné selon l’opinion de quelques-uns. Il est mieux qu’un pays soit gouverné selon l’opinion de tous les citoyens. En d’autres termes, c’est le corps entier des citoyens qui gouverne le pays. C’est ce qu’on appelle un gouvernement démocratique » (p.7). « Quand les pays du monde évitent la guerre et maintiennent entre eux des relations amicales, on peut parler d’une politique de paix internationale… Pour avoir oublié ce principe et pensé seulement à notre propre pays, nous avons déclenché la guerre… C’est au contraire cette manière de penser qui conduit un pays à renoncer à la guerre, c’est-à-dire à renoncer à toute espèce de lutte par les armes » (pp.11-12). La page 13 explique ce qu’est la souveraineté du peuple par une illustration. Nous allons tenter de le faire ici avec des mots. Le peuple japonais tout entier, à travers ses opinions combinées, exerce sa souveraineté quand il élabore une constitution et l’amende, et gouverne le pays par le parlement qui fait les lois, le gouvernement qui les applique et les tribunaux qui les protègent.
Au cours du dernier demi-siècle, le Japon a-t-il maintenu l’esprit du préambule de sa constitution ? Avons-nous essayé de protéger notre constitution ? L’article 12 affirme justement que « les droits et les libertés garantis au peuple par cette constitution doivent être maintenus par un effort constant du peupleLa constitution elle-même affirme donc que son contenu le plus admirable restera lettre morte sans la vigilance constante du peuple. Ceci s’applique, non seulement aux droits et aux libertés, mais aussi à l’esprit de la constitution.
Notre renonciation à la guerre
Plutôt que de prendre les choses en détail, ce qui mènerait à une discussion sans fin, nous allons nous concentrer sur un seul point en revenant à la brochure « Comprendre la constitution ». On lit dans son chapitre
6 : « Renoncer à la guerre » (p.17), les lignes suivantes: « La guerre est enfin terminée. Vous espérez sûrement qu’une chose aussi triste et horrible ne se répétera pas. Qu’est-ce que le Japon a gagné par la guerre ? Rien. Il en est seulement résulté pour nous des choses tristes et horribles. La guerre est la ruine d’un peuple. Elle détruit les bonnes choses de la société. Il faut donc dire que le pays qui a commencé cette guerre porte une grave responsabilité …
« La nation japonaise a décidé deux choses en renonçant pour toujours à la guerre. D’abord de ne pas avoir d’armée, de marine de guerre, d’avions de combat ni quoi que ce soit qui puisse servir à faire la guerre. Dorénavant, le Japon ne possédera plus ni armée de terre ni forces navales ni armée de l’air. C’est cela renoncer à la guerre. Le mot ‘renoncer’ signifie abandonner complètement. Avant les autres pays, le Japon prend ainsi la bonne voie, car il n’y a rien de plus fort que le droit. Ensuite, le Japon a décidé qu’en cas de friction avec un autre pays, il n’essaiera pas de l’abattre par la guerre ou de lui imposer sa volonté par la force. Il tentera de parvenir à une solution par une discussion pacifique. La raison en est que les peuples qui commencent à se battre finissent toujours par ruiner leur propre pays. Il n’est désormais plus possible pour le Japon de provoquer un bain de sang, ni même de brandir la menace de l’usage de la force. Voilà ce que signifie ‘renoncer à la guerre’p.17).
Comparons ce texte avec ce que nous voyons autour de nous dans le Japon d’aujourd’hui. Laissons de côté les arguments et les prétextes et portons un jugement honnête. Pouvons-nous dire aujourd’hui qu’« avant les autres pays le Japon prend la bonne voie, car il n’y a rien de plus fort que le droit » ? Pouvons-nous dire aujourd’hui que le Japon tâche « de parvenir à une solution par une discussion pacifique » ?
« Le pays qui a commencé la guerre porte une grave responsabilitéLe ministère de l’Education a écrit cela en 1947, mais nous avons dû attendre quarante-six ans avant qu’un premier ministre du Japon reconnaisse que cette guerre a été une guerre d’agression. Alors qu’approche le cinquantième anniversaire de la fin de la guerre, le temps est venu de faire une véritable évaluation du passé. Ce n’est qu’en agissant ainsi que nous pouvons espérer « occuper une place honorable dans une communauté internationale qui tente de préserver la paix, de bannir à jamais de la surface de la terre la tyrannie et l’esclavage, l’oppression et l’intolérance » (préambule de la constitution).
II – LA SEPARATION DE L’ETAT ET DE LA RELIGION
Le 6 octobre 1980, la conférence des évêques a envoyé un mémorandum au premier ministre lui faisant part de leur opposition au projet de loi d’un soutien financier de l’Etat au sanctuaire de Yasukuni. Ce fut probablement la première expression publique de leur opinion sur ce qu’on appelle la séparation entre l’Etat et la religion. Par la suite, lors des funérailles de l’empereur Showa le 9 janvier 1989, puis au moment du couronnement de l’empereur actuel, le 9 novembre suivant, ils envoyèrent un mémorandum demandant que soit respectée la politique de séparation de la religion et de l’Etat. Dans ce dernier document, ils demandaient que l’offrande rituelle de nourriture (daijosai) soit séparée des cérémonies du couronnement et ne soit pas faite avec l’argent de l’Etat. Dans une nouvelle lettre du 8 décembre 1990, les évêques se plaignirent qu’il n’ait pas été tenu compte de leur lettre précédente et protestèrent parce que des éléments religieux avaient été introduits dans les cérémonies du couronnement (takamikuraque le daijosai avait été déclaré cérémonie de l’Etat et payé par des fonds publics, enfin que les chefs des trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire avaient assisté à ces cérémonies. Le mémorandum des évêques poursuivait en appelant à une stricte observance des articles de la constitution qui exigent la séparation de l’Etat et de la religion, la souveraineté du peuple et la renonciation à la guerre.
Auparavant, à l’occasion de la visite officielle du premier ministre Nakasone au sanctuaire de Yasukuni, le comité catholique « Justice et paix » avait publié un communiqué pour s’opposer à une telle visite et demander que soient respectées la liberté religieuse et la séparation entre l’Etat et la religion. C’était le 12 août 1985. On peut donc constater que l’Eglise catholique du Japon s’est préoccupée des principes de base de la constitution et s’est élevée contre leur violation par le gouvernement.
Rappel historique
Dans l’Europe du Moyen-âge, l’Etat et l’Eglise étaient si intimement liés qu’il n’y avait pas de liberté religieuse. Tout ce qui était en dehors de la religion reconnue par l’Etat était poursuivi comme diabolique ou hérétique. Vers le 17e siècle, une attitude plus généreuse commence à apparaître : les Etats qui prennent une position de neutralité deviennent plus nombreux. De nos jours, c’est un principe de base largement admis dans les constitutions que la religion et l’Etat soient séparés et que doit être garantie la liberté religieuse.
Au Japon, à l’époque Edo, le bouddhisme a joui d’une position de faveur. Quand un prêtre shintoïste (kannushi) mourait, on lui rasait la tête et on l’enterrait selon les rites bouddhistes. Dans la constitution de l’empire du Japon (appelée aussi Meiji ou vieille constitution), l’article 28 disposait que, « dans les limites de ce qui ne porte pas atteinte à la paix et à l’ordre et ne contredit pas leurs devoirs de sujets, les citoyens devront jouir de la liberté de religionFormulation des plus vagues qui selon son interprétation pouvait signifier tout et son contraire. Le danger existait qu’à la longue la liberté de religion disparaisse. Finalement le gouvernement déclara que le shintoïsme d’Etat n’était pas une religion et l’imposa à toute la population. Le christianisme et même la secte shinto furent sévèrement persécutés.
Les dispositions de la présente constitution
L’article 20 de la constitution du Japon contient les lignes suivantes : « La liberté de religion est garantie à tous. Aucune organisation religieuse ne devra bénéficier de privilèges de l’Etat ou exercer quelque autorité politique. Personne ne sera contraint de participer à des actes religieux, célébrations, rites ou pratiques religieuses. L’Etat et ses organes devront s’abstenir de l’enseignement religieux ou de toute autre activité religieuse« . Ainsi la liberté religieuse est garantie, la séparation de l’Etat et de la religion est affirmée et des dispositions sont prises pour séparer l’Etat et la religion. L’article 89 fixe des limites à l’utilisation des fonds publics : « L’argent public ou tout autre bien de l’Etat ne pourront être dépensés ou utilisés au profit ou pour l’entretien d’une institution ou association religieuse quelle qu’elle soit, ou de quelque entreprise de charité, d’enseignement ou d’action sociale que ce soit, qui n’est pas sous le contrôle de l’autorité publique
Lues avec un esprit sincère et ouvert, ces règles sont claires. Mais les choses ne sont pas si simples. Voyons quelques décisions de justice.
L’affaire de la municipalité de Tsu
En 1965, lors de la construction d’un centre sportif à Tsu, un fonctionnaire municipal chargé de l’ouverture du chantier invita des prêtres du temple shinto d’Oichi shinto à venir faire la cérémonie. Quatre prêtres de ce temple bénirent l’ouverture du chantier selon les rites shintoïstes. La ville paya avec des fonds publics pour la cérémonie et les offrandes rituelles. L’un des conseillers municipaux attaqua la ville en justice, parce que la cérémonie avait été un acte religieux contrevenant à l’article 20 de la constitution et que son paiement avec de l’argent public était contraire à l’article 89.
Le tribunal jugea en faveur de la municipalité, au motif que la cérémonie n’était qu’une coutume, pas une fonction religieuse, et donc pas contraire à la constitution. La Haute cour de Nagoya réforma ce jugement et trancha en faveur du plaignant. Considérant l’origine et l’histoire de la cérémonie de bénédiction, elle concluait ainsi : « Il est donc vrai de dire que la bénédiction d’ouverture du chantier en la présente espèce a été une cérémonie shintoïste effectuée selon les rites shintoïstes ». Ensuite la Cour développa l’argument que le shintoïsme est une religion, que, durant la cérémonie, les ministres étaient des prêtres shintoïstes reconnus, revêtus de leurs costumes liturgiques, que les rites « avaient suivi en grande partie le rituel approuvé par le ministère de l’Intérieur en 1907, qu’ils avaient été célébrés sur un site préparé avec un équipement spécifique, que l’histoire de ces rites remontant seulement à quelques décennies, ils n’appartenaient pas à une foi religieuse acceptée par toute la population ou n’avaient pas une telle valeur universelle qu’elle était prête à les admettre sans résistance et qu’en conséquence il ne s’agissait pas d’une action appartenant à la catégorie des us et coutumes. En résumé, à quelque point de vue qu’on se place, la cérémonie de la présente affaire que la ville de Tsu a fait célébrer avec le concours de prêtres shintoïstes, a été véritablement conduite selon les rites du temple shinto des sanctuaires et doit donc être considérée comme une cérémonie religieuse shintoïste. On ne peut pas la voir dans la même lumière que, par exemple, le « kadomatsu » du nouvel an ou l’arbre de Noël, qui n’ont qu’une signification religieuse minime. En conséquence elle ne peut d’aucune manière être appelée une coutume familière et ancienne ou une activité semi-religieuse
Les juges de la Cour traitent ensuite dans leur arrêt de la liberté religieuse et de la séparation de l’Etat et de la religion. Après avoir commenté le fait que la constitution de l’empire du Japon, en n’accordant qu’une liberté religieuse conditionnelle, avait en fait donné un statut national au shintoïsme d’Etat, ils font ressortir qu’en forçant tous les citoyens à venir rendre hommage dans un temple shintoïste, le gouvernement a eu recours à l’oppression et a gravement restreint la liberté religieuse. « Après la tragédie et l’expérience amère de la guerre, poursuit la Cour, la constitution du Japon garantit la liberté religieuse sans restriction aucune. Tout citoyen est libre de croire en une religion de son choix ou de ne pas croire, selon son inclination. En fixant fermement le principe fondamental de la séparation de l’Etat et de la religion, la constitution spécifie que ni l’Etat ni aucune autre autorité ne peut violer cette liberté (article 20). Elle renforce encore cette garantie en réglementant aussi les aspects financiers de l’exercice de cette liberté (article 89) ».
Au sujet de la séparation de l’Etat et de la religion la Cour dit ceci : « Pour une intelligence correcte du principe de séparation de l’Etat et de la religion au Japon, il faut se souvenir que la constitution l’a très clairement formulé à la lumière des nombreux abus causés par l’alliance entre l’Etat et le shintoïsme avant et pendant la guerreDans le système du shintoïsme d’Etat un grand nombre de religions et de sectes étaient opprimées : « Chaque religion était forcée de suivre les conceptions de l’Etat centrées sur le shintoLa Cour décrit ensuite les conditions qui ont prévalu avant et pendant la guerre : « Pendant la guerre, la religion était imposée au peuple par les visites aux temples. La liberté de religion garantie par la constitution était violée de manière flagrante, et le shintoïsme d’Etat devint le fondement psychologique de l’Etat militaristeLa Cour explique ensuite comment, après la guerre, sous l’occupation des alliés, le shintoïsme d’Etat fut démantelé et que cela a donné « un caractère spécial au principe fondamental de séparation de l’Etat et de la religion. Ce principe vise explicitement à faire complètement disparaître le pouvoir psychologique du shintoïsme d’Etat d’avant-guerre et de la période de la guerreDe plus, « même si une certaine activité religieuse de l’Etat ou d’une administration locale se trouvait en accord avec les sentiments religieux de la majorité de la population, et même si la somme d’argent dépensée à cette occasion était minime, on ne pourrait pas l’autoriser. La raison en est que ce qui relève des droits de l’homme ne doit pas être décidé sur la base de la règle de la majorité
Tirant ensuite argument de ce que la ville de Tsu comme organe local de l’Etat agit avec une autorité publique et doit donc être classée dans la catégorie « l’Etat et ses organesla Cour continue : « Le champ de l’activité religieuse que la constitution a en vue est extrêmement large. Le concept doit être interprété comme incluant tous les actes qui visent à faire de la publicité pour une religion, à la propager ou à la renforcer, en même temps que les prières, le culte, les rites et les cérémonies, – tous les actes quels qu’ils soient qui sont l’expression de la foi religieuseAjoutant alors que c’est la vraie raison pour laquelle le gouvernement interprète de manière si stricte le principe de base de la séparation de la religion et de l’Etat et administre en conséquence ses affaires, la Cour conclut son arrêt ainsi : « La bénédiction d’ouverture de chantier qui est en cause a été une cérémonie effectuée selon les rites d’une religion déterminée et mérite donc clairement d’être désignée comme une action religieuse interdite par l’article 20, section 3 de la constitution
La sentence de la Cour suprême
L’affaire s’est terminée devant la Cour suprême qui a jugé contre le plaignant, ce qui a constitué un deuxième renversement de la situation. Le raisonnement tenu a été le suivant : dans une cérémonie comme la bénédiction de cette ouverture de chantier, même conduite selon le rite spécial du shintoïsme par un prêtre shinto professionnel, on ne peut imaginer que le maire, ses conseillers et les autres invités étaient mus par des motifs religieux. On ne peut pas imaginer non plus que la cérémonie ait contribué en quoi que ce soit à rehausser la conscience religieuse de l’assistance ou du peuple en général. On ne peut pas dire que cette cérémonie a eu pour résultat d’aider, de soutenir ou de promouvoir le shintoïsme. Ce n’est donc pas une action religieuse interdite par l’article 20, section 3 de la constitution.
C’est ce que l’on appelle le principe de l’intention. Il signifie dans ce cas que, bien que l’action elle-même soit peut-être religieuse, si les personnes impliquées en elle – c’est-à-dire l’Etat ou ses organes – n’ont pas une intention religieuse, ou si la conséquence n’est pas d’aider ou d’opprimer une religion particulière, on ne contrevient pas à la constitution.
Une opinion minoritaire
Il y a quinze juges à la Cour suprême. Dans le cas qui nous occupe, cinq d’entre eux ont été d’avis opposé. Après avoir analysé l’histoire récente du Japon et les réformes de l’après-guerre, ils déclarent : « Quand on les lit à la lumière du passé, il est clair que les sections 1 et 3, les articles 20 et 89 exigent une séparation complète, c’est-à-dire que l’Etat et la religion doivent être distincts et indépendants l’un de l’autre sans aucun lien; la religion ne doit pas s’immiscer dans les affaires de l’Etat ni l’Etat dans la religion. Ces articles sont une affirmation de la nature non religieuse de l’EtatPour cette même raison, disent-ilsune alliance de la religion et de l’Etat pourrait aisément être approuvée. Nous ne pouvons échapper à la crainte qu’au pire elle pourrait faire obstacle à la liberté de religion
Parmi les points relevés par l’opinion minoritaire, par exemple les fautes commises par le Japon dans un passé récent, quelques-uns ont été admis par l’opinion majoritaire. Ils ont reconnu que la liberté religieuse accordée par l’ancienne constitution était imparfaite; qu’en fait, le shintoïsme avait reçu la position de religion d’Etat et que certaines religions avaient été sévèrement persécutées. Ce fut, ont-ils dit, pour cette raison que les forces alliées d’occupation ont séparé l’Etat et la religion par ce que l’on appela la directive de dénationalisation du shintoïsme. Les juges de l’opinion majoritaire reconnaissent que « la constitution promulguée le 3 novembre 1946, eu égard à tous les abus nés des relations entre l’Etat et le shintoïsme après la restauration de l’ère Meiji, garantit d’une manière nouvelle une liberté religieuse sans condition. La séparation de la religion et de l’Etat y a été stipulée pour renforcer cette garantie« . Il est difficile de concilier cette affirmation avec la décision prise par la Cour suprême.
Une lecture correcte de la constitution
Comme il ressort clairement de ce qui vient d’être dit, la constitution ne légifère pas d’une manière purement générale sur la séparation de la religion et de l’Etat. Consciente des fautes commises dans l’histoire récente du Japon et de ce qu’elles sont venues du lien entre l’Etat et le shintoïsme, la constitution vise à briser ce lien. Revenons sur cette disposition constitutionnelle et sur le critère de l’effet recherché. La sentence de la Cour suprême dans l’affaire de la ville de Tsu a été rendue le 13 juillet 1977. Le critère qu’elle a utilisée, le principe de l’effet recherché, allait avoir une grosse influence dans des litiges postérieurs touchant à la constitution.
Quand la Haute cour de Fukuoka rendit un arrêt le 18 décembre 1992 concernant le procès commencé à Nagasaki dit du « monument aux morts fidèles », les journaux du soir publièrent des titres du genre : « Une décision hésitante et inquiétanteAsahi/Seibu), « Une interprétation libérale de la séparation de l’Etat et de la religion » (Nishi Nippon). Le Yomiuri/seibu qui titrait « La séparation de l’Etat et de la religion tâtonne et hésite encore » publiait un article signé par Ito Hidetaka dont voici un extrait : « Le 18 décembre, la Haute Cour de Fukuoka, en jugeant sur l’affaire du monument ‘aux morts fidèles’ de Nagasaki a donné une interprétation libérale du principe de la séparation de la religion et de l’Etat, en prononçant que tout était conforme à la constitution. A un moment où on tend plutôt vers une interprétation plus stricte de ce principe, l’arrêt manifeste une fois encore les hésitations de la justice sur cette question. Les procès qui mettent en cause la séparation de l’Etat et de la religion couvrent un champ très vaste. Les ministres peuvent-ils se rendre au sanctuaire de Yasukuni ? Les autorités locales peuvent-elles utiliser leurs finances pour l’offrande de branches sacrées au Kami (tamagushi) ? Et ainsi de suite. Mais quand il s’agit de décider de la constitutionnalité d’un cas précis, tous les tribunaux se réfugient derrière la sentence de la Cour suprême dans l’affaire de la ville de Tsu, basée sur le principe de l’effet recherché. Ce principe, plutôt que de bannir uniformément toute connection entre l’Etat et la religion, décide de la constitutionnalité par une considération globale du but de l’action et de son influence. Des vues subjectives pénètrent facilement ici. Les jugements diffèrent d’un tribunal à l’autre parce qu’ils ne sont pas basés sur les faits mais sur leur interprétation
Dans son livre « Le procès Iwate Yasukunil’un des avocats, Sawafuji Toichiro, fait l’observation suivante: « Le principe de l’effet recherché que l’opinion majoritaire de la Cour suprême a inventé pour annuler l’arrêt de la Haute cour de Nagoya a effectivement atteint son but » (p.180). « Ce principe s’étend ou se contracte au gré de son utilisateur: c’est un étalon dépourvu de graduation. En fait, il ne joue pas le rôle d’une norme de mesure. En réalité, la décision de la Cour est décrétée ailleurs. Les juges font semblant d’appliquer ce principe pour donner à leur explication un semblant d’objectivité » (p.181). M. Sawafuji ne mâche pas ses mots.
Chose étrange, parce que le principe de l’effet recherché « s’étend ou se contracte au gré de l’utilisateurdans son arrêt sur l’affaire Iwate Yasukuni, la Haute Cour de Sendai utilise le même principe pour reprocher au gouvernement de n’avoir pas respecté la séparation de l’Etat et de la religion. On dit que cet arrêt a pris modèle sur celui de la Cour du district de Matsuyama dans l’affaire des ‘offrandes Ehime tamagushi’ (arrêt annulé par la Haute Cour de Takamatsu).
Le gouvernement a changé la signification de la constitution
Dans les affaires pénales, la décision dépend du fait qu’il y a suffisament de preuves démontrant que l’accusé est bien le coupable. S’il y a des preuves indubitables, l’accusé est coupable. Mais les avis peuvent différer quant à savoir si la preuve est irréfutable. Dès lors une Haute cour peut trancher autrement qu’une juridiction inférieure. Cependant, quand il s’agit du sens de la constitution, il n’y a pas de preuve claire, irréfutable, qu’elle doit être interprétée en tel sens. Certains tiennent que la force d’auto-défense est une armée et contrevient à la constitution, d’autres soutiennent la position contraire. Cela dépend de l’interprétation donnée à l’article 9. Comme nous l’avons vu dans la brochure du ministère de l’Education intitulée « Comprendre la constitution », le gouvernement de l’époque a donné de cet article l’interprétation la plus stricte. Puis, lorsque commença la guerre froide, les forces d’occupation changèrent de politique. On forma la force de police auxiliaire (précurseur de la force d’auto-défense) et l’interprétation gouvernementale de la constitution commença elle aussi de changer. On dit d’abord que la police auxiliaire n’était pas une armée. Plus tard ce fut : « Nous avons renoncé à la guerre mais pas au droit de nous défendreLe changement suivant fut de dire que ces forces spécifiquement défensives et n’allant pas outremer n’enfreignaient pas la constitution. Aujourd’hui, le gouvernement tient qu’elles contribuent à l’aide internationale, et que les forces armées peuvent participer outremer à des opérations de maintien de la paix.
Plus récemment encore – et cette fois il ne s’agit plus d’une contribution à une mission internationale de bonne volonté – certains tentent de changer la loi afin que les appareils de l’aviation militaire puissent aller n’importe où dans le monde au secours de citoyens japonais. Nous avons vu comment il est possible de changer une loi par la manière de l’interpréter, si bien que des actions jusqu’à présent interdites deviennent maintenant possibles. C’est ce que l’on appelle « changer la constitution par son interprétation ». Récemment toutefois, des gens ont réclamé sa « clarification par une reformulation ».
Il appartient au peuple de fixer la signification de la constitution
Vous vous rappellerez ce que le ministère de l’Education a dit au sujet du préambule de la constitution dans sa brochure « Comprendre la constitution ». Le préambule, a-t-il dit, vise à permettre de s’assurer qu’on ne s’écarte pas de l’esprit de la constitution quand on l’interprète ou quand on la modifie. Nous y lisons que « le gouvernement est le dépositaire de la confiance du peuple, son autorité lui vient du peuple, ses pouvoirs sont exercés par les représentants du peuple, et il oeuvre au profit du peuple« . Ces derniers mots signifient que tout ce que le gouvernement, le cabinet et les tribunaux font dans l’exercice de l’autorité qui leur a été déléguée doit contribuer au bonheur du peuple tout entier. C’est dans le but de procurer du bonheur au peuple que le gouvernement fait des lois et que le cabinet les applique. Les tribunaux doivent donc s’assurer que des lois qui ne feraient pas le bonheur du peuple ne soient pas adoptées et qu’une application erronée de la loi n’ait pas pour effet son malheur.
Par conséquent, en ce qui concerne la renonciation à la guerre ou la séparation de l’Etat et de la religion, c’est en nous, le peuple, que l’autorité réside, c’est nous qui devons déterminer si l’interprétation présente de la constitution par le gouvernement est vraiment ou non pour notre bonheur.
Aucune organisation religieuse ne sera favorisée par l’Etat
Nous avons dit jusqu’ici que l’Etat ne doit avoir aucun lien spécial avec une religion particulière. Or l’article 20, section 1, dispose que : « Aucune organisation religieuse ne recevra de privilèges de l’Etat ou n’exercera une autorité politiqueDans ce cas, c’est à la religion qu’on interdit de se lier à l’Etat. Parce que, si une religion particulière était liée à l’Etat, les autres religions courraient le danger d’être opprimées. Mais ce n’est pas tout. Aucune religion ne peut recevoir une protection particulière de l’Etat. Si une religion se rapproche de l’autorité de l’Etat, elle sera sans aucun doute utilisée par cette autorité. Il y a le risque qu’elle succombe à des exigences illégales. Pour une religion, se rapprocher de l’autorité de l’Etat équivaut à un suicide.
L’Eglise catholique du Japon pendant la guerre
Il n’est pour s’en convaincre que de voir dans quelle condition pitoyable l’Eglise catholique s’est trouvée pendant la guerre après s’être alignée sur les autorités pour se gagner leur bonne volonté. Dans le numéro de juin-juillet 1944 du mensuel catholique Koe (La voix), nous pouvons lire ce qui suit :
« Principes généraux :
1 – Ce corps religieux concentrera toutes ses énergies et s’efforcera d’atteindre les objectifs de la grande guerre de l’Asie orientale.
2 – Il propagera sa doctrine et s’efforcera de renouveler sa vie de foi en accord avec la politique de l’Etat.
Ensuite, dix objectifs immédiats sont fixés. En voici quatre :
n°1 – Montrer une fidélité toujours plus grande à l’empereur et au pays.
n°4 – S’efforcer d’éliminer les philosophies de libre pensée; maintenir une confiance toujours plus grande en la victoire; assurer la défense de notre pays par un esprit patriotique parfait.
n°6 – Contribuer à l’augmentation de notre puissance de combat en se portant volontaires pour des travaux pratiques.
n°9 – Renforcer les liens de bonne volonté avec les chrétiens de la grande sphère de l’Asie de l’est et contribuer ainsi à la grande oeuvre de construction de la grande Asie orientale.
Si l’on considère que « l’accord avec la politique de l’Etat » signifie la reconnaissance de l’empereur comme dieu et que l’établissement d’une « Asie orientale plus grande » signifie l’invasion du continent asiatique,
comment peut-on concilier cela avec l’idée de « propager sa doctrine et d’oeuvrer pour renouveler sa vie de foiIl est clair que l’Eglise de cette époque n’a pas réussi à séparer l’Etat et la religion et les résultats ont été désastreux.
D’un autre côté, garder la religion indépendante de l’Etat est très différent de protester quand le gouvernement fait ou se propose de faire des choses contraires à l’enseignement de l’Evangile. Le parlement a le devoir de gouverner le pays pour le bonheur du peuple. Si, en contradiction avec ce principe, il veut infliger des souffrances au peuple, alors nous devons, du point de vue de notre foi, lui résister. Dire que ce serait là une interférence de la religion dans les affaires de l’Etat serait se tromper complètement sur le sens de la ‘séparation de la religion et de l’Etat’.
III – LE SHINTOISME D’ETAT ET L’EMPEREUR
Depuis l’époque Meiji, les dirigeants japonais ont constamment manifesté la volonté de rejoindre les pays impérialistes industrialisés. Dans ce but, ils ont décidé que le Japon devait avoir une économie forte et une armée puissante. Le roman de Yamamoto Shigemi « Ah! Nomugi Toge » a pour sous-titre: la triste histoire des ouvrières des filatures. C’est l’histoire des filles de fermiers pauvres de Hida qui, pour rembourser les dettes de la famille, sont allées de l’autre côté de la montagne Nomugi pour travailler dans les filatures d’Okaya de la préfecture de Nagano. Le livre montre comment le fil tissé par ces filles est exporté et sert à acheter des armes. Elles aussi sont victimes de la politique de l’Etat de l’époque. Trente ans après s’être lancé dans cette politique, le Japon provoque la guerre avec la Chine et devient assez fort pour conquérir une nation puissante. Grâce à sa victoire dans cette guerre, il a rejoint le clan des pays impérialistes industrialisés, mais des conflits vont l’opposer à eux. Le militarisme apparaît ensuite et c’est finalement « la faute de tenter de conquérir le monde » (déclaration de Postdam, article 6). Le temps de rendre des comptes viendra le 15 août 1945 avec la défaite.
La directive shinto de 1945
Qu’est-ce qui a mis le Japon en route vers l’impérialisme ? Les puissances alliées l’ont attribué au fait que la démocratie moderne n’existait pas au Japon. La déclaration de Postdam dit Le gouvernement japonais doit lever tous les obstacles qui empêchent la résurrection de l’idéal démocratique dans le peuple japonais. Il doit instituer les principes de liberté de parole, d’opinion et de religion, en même temps que le respect des droits fondamentaux de l’homme
Les alliés jugèrent aussi que l’échec de la croissance et de l’épanouissement de la démocratie ici était dû au système impérial avec son autorité divine absolue liée au shintoïsme d’Etat. Pour cette raison, les forces d’occupation alliées publièrent le 4 octobre 1945 un mémorandum intitulé « La levée des restrictions aux libertés politiques, civiles et religieuses », qui ordonna l’abrogation de la loi sur l’organisation religieuse, passée en 1939, qui donnait à l’Etat le pouvoir d’intervenir dans les affaires religieuses et de contrôler les religions. A la suite de ce mémorandum, cette loi fut abrogée le 28 décembre 1945, et le même jour un décret sur les organisations religieuses fut promulgué. Dans les « Mémoires sur la religion après la guerre » publié par l’office de recherche de la « Nouvelle confédération des religions », nous lisons ceci : « La loi précédente sur les organisations religieuses, désormais annulée, a d’abord élevé le statut de la religion, mais elle a donné à l’Etat le droit d’intervenir vigoureusement dans les affaires religieuses et le gouvernement s’en est servi pendant la guerre pour contrôler les religions. Par contre, le nouveau décret sur les personnes morales religieuses ne tient aucun compte du contenu doctrinal d’une religion. Si elle possède suffisamment de ressources matérielles et financières, toute organisation religieuse peut devenir une personne morale religieuse. Le décret ne laisse aucune place à un éventuel contrôle de l’Etat. De plus, pour instituer une personne morale religieuse, aucune permission d’un service gouvernemental n’est requise. Il suffit d’élaborer des statuts et de se faire enregistrer comme religion. En d’autres termes, les formalités se limitent à une notification. Ainsi, en abolissant le système des licences et en le remplaçant par une notification, les alliés prouvent leur intention de séparer complètement l’Etat et la religion« .
Le 15 décembre 1945, le quartier général des forces alliées publia un autre mémorandum (appelée la directive shinto) relatif à « l’abolition de toute forme de soutien, de protection, de contrôle accordé au shintoïsme d’Etat pour le perpétuer et le répandre » (Kokka Shinto, Jinja Shinto), dont voici quelques-uns des points principaux. Le document souligne d’abord le but poursuivi par les alliés :
« 1 – Libérer le peuple japonais de l’obligation de croire en une religion officiellement désignée par l’Etat.
2 – Soulager le peuple japonais du joug de l’obligation de soutenir une idéologie qui a contribué à sa culpabilité dans la guerre, à sa défaite, à ses souffrances et privations et à sa déplorable situation actuelle.
3 – Empêcher le retour de la théorie perverse du shintoïsme et de la foi donnée à une propagande militariste, ultra-nationaliste, destinée à tromper le peuple japonais et à l’embarquer dans des guerres d’agression.
4 – Aider le peuple japonais à réorienter sa vie nationale vers la construction d’un nouveau Japon fondé sur des idéaux de paix perpétuelle et de démocratie
Suivent ensuite différentes interdictions et directives. Nous ne pouvons donner que la substance des principales :
« 1 – Les fonctionnaires agissant es-qualité ne peuvent pas soutenir, perpétuer, contrôler ou répandre la religion shintoïste.
2 – Tout soutien financier provenant de fonds publics et toute affiliation officielle au shintoïsme ou à des sanctuaires shinto sont interdits.
3 – Toute propagande et diffusion d’une idéologie militariste et ultra-nationaliste dans les doctrines, les pratiques, les rites et les cérémonies shintoïstes est interdite.
4 – Le conseil des sanctuaires (Jingi-in) du ministère de l’Intérieur sera aboli et ses fonctions présentes seront assumées par d’autres départements gouvernementaux.
5 – Toutes les institutions publiques d’enseignement dont la fonction première est la recherche et la diffusion du shintoïsme, ou la formation d’un clergé shintoïste seront abolies. Leurs fonctions présentes ne peuvent pas être assumées par un service du gouvernement.
6 – Les fonctions mentionnées ci-dessus peuvent être assumées par une organisation privée mais celle-ci ne peut pas être financée sur des fonds publics ni propager l’idéologie d’un Etat militariste.
7 – La diffusion des doctrines shintoïstes, sous toute forme, par tous moyens en un établissement d’enseignement aidé totalement ou en partie par des fonds publics est interdite. Tous les manuels d’enseignement utilisés à ce jour dans les établissements d’enseignement financés par des fonds publics seront censurés et toute doctrine shintoïste en sera extirpée. Les manuels d’enseignement qui seront publiés à l’avenir ne contiendront aucune doctrine shintoïste. Les visites à des sanctuaires shintoïstes, les rites, les pratiques et les cérémonies associées au shintoïsme sont interdites aux établissements d’enseignement financées entièrement ou en partie par des fonds publics.
8 – « Les principes cardinaux de l’entité nationale du Japon », « Le chemin du sujet » et tous les livres semblables de commentaire, d’interprétation ou d’enseignement du shintoïsme ne peuvent pas être distribués par le gouvernement.
9 – Il est interdit d’utiliser dans les écrits officiels des termes comme « La guerre pour une Asie orientale plus grande » ou « Le monde entier sous un seul toit », dont la connotation en japonais est inextricablement liée au shintoïsme d’Etat, au militarisme et à l’ultra-nationalisme.
10 – Aucun citoyen japonais ou résident au Japon ne peut faire l’objet de mesures discriminatoires parce qu’il refuse de croire ou de participer à des pratiques, rites ou cérémonies du shintoïsme d’Etat ou de toute autre religion.
11 – Un fonctionnaire public, local ou national, agissant dans le cadre de sa fonction, n’a pas le droit de rendre visite à un sanctuaire ou de participer à des cérémonies pour y représenter le gouvernement.
Ce sont là les principales clauses du document. Plusieurs paragraphes explicitent ensuite ou clarifient l’intention du texte (…)
Le shintoïsme d’Etat est à l’origine des erreurs du Japon moderne
D’après la dernière partie du décret, il est clair que, du point de vue des alliés, ce qui a conduit le Japon à une guerre d’agression a été le mythe de la divinité de l’empereur et l’ultra-nationalisme militariste méprisant à l’égard des autres peuples, toutes choses fondées sur l’idéologie du shintoïsme d’Etat. Ce qui a soutenu l’impérialisme japonais, c’est le système impérial avec son autorité divine absolue, soutenu en retour par le shintoïsme d’Etat.
La divinité de l’empereur
La conséquence naturelle de ce qui précède a été le désaveu de l’autorité divine de l’empereur. Le discours impérial du Nouvel an publié le premier janvier 1946 contient ce qu’on a appelé la déclaration de la nature humaine de l’empereur. Pourtant, nulle part dans le document nous ne trouvons des mots qui signifient « Je ne suis pas dieu ». Après avoir souhaité voir se construire un nouveau Japon fondé sur les principes dont nous avons déjà parlé, le discours en arrive au point important : « Les liens entre nous et le peuple du Japon sont des liens fondés sur la confiance mutuelle et ne s’originent pas simplement dans des mythes ou des légendes. Faire de l’empereur un dieu vivant ou dire que le peuple japonais est supérieur aux autres peuples, ou qu’il a mission de régner sur le monde, tout cela est fondé sur des concepts vides de sens ».
La syntaxe du texte original japonais est pour le moins compliquée, mais à l’analyse on s’aperçoit que si la divinité de l’empereur est indirectement niée, nulle part n’est affirmée sa nature humaine. Tomura Masahiro, dans son livre « Shinwa to Saigi » dit que le texte anglais du message était le suivant: « Sa majesté désavoue entièrement toute déification ou mythologisation de sa personneSi le texte japonais correspondait à cela, ce serait en effet une négation claire de la divinité.
L’empereur comme symbole
Devenu un mortel ordinaire, l’empereur est maintenant un empereur symbolique et ne possède plus une autorité divine, absolue. Dans la constitution, nous lisons ceci : « L’empereur sera le symbole de l’Etat et de l’unité du peuple. Sa position découle de la volonté du peuple en qui réside le pouvoir souverain » (article 1). « L’avis et l’approbation du cabinet seront nécessaires pour tous les actes de l’empereur dans les affaires de l’Etat, et le cabinet en sera en conséquence responsable » (article 3). « L’empereur n’agira dans les affaires concernant l’Etat que dans les limites prévues par la constitution et il n’aura aucun pouvoir de gouvernement » (article 4, section 1). Ce qu’il peut faire en pratique est stipulé dans l’article 6 : « L’empereur nommera le juge principal de la Cour suprême après qu’il aura été désigné par le cabinetSuivent ensuite les dix fonctions d’Etat énumérées dans l’article 7.
La brochure du ministère de l’Education « Comprendre la constitution » explique le sens d’un empereur symbolique : « En regardant le badge de l’école, vous savez à quelle école un garçon ou une fille appartient. Le badge représente l’école. C’est un symbole. Un symbole est quelque chose de visible qui représente quelque chose d’invisible. L’article premier de la constitution du Japon fait de l’empereur le symbole du Japon. En d’autres termes, l’empereur est un signe qui représente la nation japonaise. L’article premier dit aussi que l’empereur sera le symbole de l’unité du peuple. Unité signifie que les membres du peuple sont liés entre eux comme ne faisant qu’un. Par conséquent, sa majesté l’empereur est le symbole d’un peuple japonais uni » (pp.15-17). Il faut noter que le ministère de l’Education parle de « symbole du peuple uni » et non de « symbole d’unification du peuple ». Nous y reviendrons.
Arrière-plan historique
Autrefois le gouvernement qui renversa le Tokugawa Bakufu avait hâte de rejoindre les pays développés du monde, mais il n’y avait personne dans la nation qui pût jouer le rôle de figure de proue. Le Shogun n’était plus d’aucune utilité. Ni Satsuma ni Choshu n’avaient suffisamment d’autorité pour forcer l’obéissance de toute la nation. La seule personne à laquelle pouvait penser le gouvernement était l’empereur. Mais celui-ci n’avait pas exercé d’autorité politique depuis des siècles et il n’était donc d’aucune utilité. De plus, l’homme qui venait de monter sur le trône n’avait que seize ans. Le gouvernement imagina donc un nouveau plan pour instaurer une autorité centrale. Il démantela le système féodal et utilisa tous les moyens à sa disposition pour vendre au peuple l’image d’un empereur-dieu. En se fondant sur de vieux mythes, le gouvernement essaya de présenter l’empereur comme le descendant d’Amaterasu Omikami et de faire du shintoïsme la religion d’Etat. Ce plan échoua pour diverses raisons et le gouvernement choisit alors une autre direction. Il déclara que le shintoïsme n’était pas une religion et que l’empereur étant divin, il était le dieu du peuple japonais tout entier.
Ce fut un succès complet grâce aux tournées impériales dans les provinces. De 1868 à 1912, l’empereur Meiji fit chaque année une tournée dans l’une des provinces du pays. Il en fit 97 au cours de ses 45 ans de règne. Visites dans les sanctuaires, sur les tombes impériales, revues militaires, revues de la flotte, les raisons de ses visites étaient diverses, mais elles eurent pour effet de rendre l’empereur divin proche de la population. Il pouvait apparaître très éloigné d’elle, mais d’un autre côté le peuple était heureux que quelqu’un de si important et de tellement au-dessus d’eux vienne se mêler à eux. Ce fut une mise en scène très adroite. C’est ainsi que le mythe de l’autorité divine de l’empereur a été établi. La constitution de l’empire du Japon, promulguée en 1889, a rendu l’empereur sacré et inviolable (article 3). Elle en a fait aussi le commandant en chef de l’armée et de la flotte, concentrant ainsi en sa personne tous les pouvoirs de régner et de gouverner (article 1 et article 4).
L’histoire des années suivantes est marquée par de nombreuses guerres : avec la Chine (1894-1895), avec la Russie (1904-1905), l’annexion de la Corée (1910), la première guerre mondiale (1914-1918), l’intervention en Sibérie (1918-1925), les expéditions du Shandong (1927-1928), l’incident de Mandchourie qui commença une guerre de quinze ans avec la Chine et finalement la guerre du Pacifique.
L’Etat de nouveau lié au shintoïsme impérial
Quand le traité de paix avec le Japon fut signé le 28 avril 1952, la directive shinto perdit de sa force, mais son intention profonde avait été incorporée dans la constitution. Il n’est pas besoin de souligner que l’article 20 de la constitution exige la stricte séparation de l’Etat et de la religion. Mais il faut aussi comprendre, bien que ce ne soit pas explicitement affirmé, que cet article implique aussi l’interdiction d’un retour au shintoïsme d’Etat.
Malgré cela, les visites du premier ministre et de membres du cabinet au sanctuaire de Yasukuni posent problème chaque année. Ce sanctuaire est maintenant une société religieuse et donc une institution religieuse. De plus, les morts qui y sont honorés comptent des soldats gouvernementaux morts pendant la guerre civile (qui renversa le régime Bakufu), d’autres morts pour l’empereur au cours des guerres de Chine et de Russie. Il y a aussi des criminels de guerre de classe A condamnés par le tribunal militaire.
Il y a aussi une autre chose que tous ceux qui ont visité le sanctuaire ont remarquée : c’est à l’évidence un sanctuaire qui glorifie la guerre. Dans le Yushu Kan du sanctuaire, on lit : « Il y a encore des gens à prendre en pitié qui ont peur de parler de la guerre de la grande Asie orientale
Aucune raison ne saurait permettre au premier ministre et aux membres de son cabinet de se rendre en visite officielle à un sanctuaire qui est sans aucun doute un établissement religieux, qui a fourni un soutien psychologique à une guerre d’agression et qui continue aujourd’hui à glorifier la guerre. Il y a encore moins de raison de tolérer qu’on nationalise le sanctuaire de Yasukuni ou qu’on l’entretienne avec des fonds publics. Parce que ceux qui sont enterrés là sont morts pour l’empereur, les partisans de ces visites officielles voudraient que l’empereur lui-même se
déplace et y fasse une visite officielle. Jusqu’à présent cela ne s’est pas encore produit.
Au lieu de cela, un enterrement impérial, des cérémonies d’accession au trône, et le Daijosai (grande offrande de nourriture) qui sont tous des rites shintoïstes, ont été célébrés comme des cérémonies de l’Etat. De plus, les mariages de la famille impériale qui sont des affaires strictement privées sont devenus des cérémonies d’Etat. Le plus important du rite du mariage se passe devant un miroir du kashikodokoro, au coeur du palais impérial. Le miroir est l’un des emblèmes sacrés, censé représenter Amaterasu Omikami, et le rite de mariage est donc célébré devant Amaterasu Omikami. Nous voilà revenus aux « concepts mythiques et vides de sens
Il est difficile d’échapper à l’impression que l’Etat est en train de se lier à nouveau au shintoïsme impérial.