Eglises d'Asie

LA VIE RELIGIEUSE AU VIETNAM HISTOIRE ET PERSPECTIVES

Publié le 18/03/2010




I – HISTOIRE

par Mgr Nguyên Van Hoà, évêque de Nha Trang.

(…). L’histoire de l’Eglise au Vietnam a été profondément marquée par la présence des religieux. En effet, les premiers missionnaires à mettre le pied sur le sol de notre pays, il y a plus de trois siècles, furent les jésuites, les franciscains, les dominicains, et enfin les prêtres des Missions étrangères de Paris. L’histoire a même retenu qu’en 1645, quatre moniales clarisses en route pour les Philippines (1), se sont arrêtées au Vietnam. Elles furent accueillies par le grand mandarin et à leur départ, la femme de ce dernier demandait aux soeurs d’emmener avec elle une de ses filles. Quand on connaît la force des attaches familiales en Asie, on mesure la forte impression faite par les filles de Sainte Claire, symbole de l’attrait que la vie consacrée a toujours exercé sur les âmes simples et nobles.

Face au champ immense qui s’offrait à leur labeur apostolique, les missionnaires n’étaient plus assez nombreux. Ils avaient besoin de collaborateurs. C’est pour cela que, dès les premières années de leur arrivée au Vietnam, ils fondèrent pour les hommes la société des catéchistes, et la société des amantes de la croix pour les femmes. Les uns et les autres devaient garder le célibat, vivre en communauté, dans la vertu et la soumission à un réglement strict, entièrement dévoués à l’Eglise, chargés de l’enseignement du catéchisme, de l’animation des prières et du soin des malades. Ils furent les indispensables collaborateurs des missionnaires, particulièrement les catéchistes qui faisaient partie de la maison-Dieu (Nhà Chua), c’est à dire la famille de Dieu (2).

Nous commémorons cette année le 350ème anniversaire du martyre du premier témoin du Christ, le catéchiste André originaire de la province du Phu Yên (3), mis à mort en 1644 à l’âge de 19 ans. Durant les sanglantes persécutions des 17ème et 18ème siècles, de nombreux catéchistes et amantes de la croix ont enduré tortures, emprisonnement et exil. Dans la liste des 117 martyrs canonisés par Jean Paul II en 1988, on compte 15 catéchistes. Les catéchistes et les amantes de la croix ont rendu et continuent de rendre d’immenses services à l’Eglise et à la société.

Dans la seconde moitié du 19ème siècle, à l’appel des évêques, arrivaient au Vietnam les soeurs de St Paul de Chartres (1860), les carmélites (1861), les frères des écoles chrétiennes (1866) … bientôt suivis par d’autres congrégations. Malgré les difficultés rencontrées ici et là, tous ont trouvé au Vietnam un terrain favorable à leur développement.

En 1954, les accords de Genève mirent fin à la guerre et consacrèrent le partage du pays en deux zones, le nord sous régime communiste et le sud sous régime nationaliste : ce qui donna lieu à un exode au cours duquel des centaines de milliers de chrétiens et de non chrétiens se réfugièrent au Sud, parmi eux des prêtres, des religieux et des religieuses. Durant plusieurs décennies et aujourd’hui encore, l’Eglise du Nord-Vietnam a dû endurer les graves conséquences de cet exode. Pendant ce temps, l’Eglise du Sud était en plein essor. De nouvelles paroisses et de nouveaux diocèses étaient fondés en grand nombre, la vie chrétienne se renouvelait. Les oeuvres éducatives et caritatives se multipliaient : écoles, pensions, orphelinats, dispensaires, hôpitaux, jardins d’enfants, léproseries. L’Eglise affirmait sa présence et son rôle dans une nouvelle société en train de naître.

Les événements d’avril 1975 et ce qui s’en suivait mettaient l’Eglise et les instituts religieux dans une situation critique : activités religieuses restreintes, écoles et hôpitaux nationalisés, maisons de formation fermées, couvents occupés, communautés dispersées, religieux emprisonnés ou envoyés dans les camps de concentration …. Les religieux tenaient bon sous la tempête et lorsque le calme fut revenu, ils se remirent à l’oeuvre, restaurant la vie religieuse et la vie communautaire un moment désorganisées, s’adaptant courageusement à la nouvelle situation par de nouveaux modes de présence et d’action dans un monde où chrétiens et religieux éveillaient plus de soupçons que de sympathie.

Depuis 1986 , un vent de libéralisation souffle sur le Vietnam : ouverture économique à coup sûr, ouverture religieuse aussi quoique encore timide! Les instituts religieux profitent des espaces de liberté qu’on leur laisse pour se réorganiser, plus particulièrement dans le domaine de la formation initiale et permanente, et pour adapter leurs projets apostoliques au contexte nouveau.

C’est ainsi qu’il existe à Hô Chi Minh-Ville des sessions de recyclage doctrinal et pastoral pour les religieuses et des cours de théologie pour les religieux. Ces sessions et cours sont dûs à l’initiative de l’Union des religieux et religieuses, avec l’encouragement de l’archevêque et l’approbation des autorités. Depuis quelques années, les religieuses sont autorisées à tenir des crèches, et des jardins d’enfants. Le succès qu’elles rencontrent dans cette tâche témoigne de la confiance que les familles leur réservent (…)

LES PERSPECTIVES

par Mgr Nguyên Nhu Thê, administrateur apostolique de Huê

(…). Quelles sont nos raisons d’espérer? Nous les puisons aussi bien dans notre peuple que dans la situation actuelle qui est la nôtre.

Le peuple vietnamien possède depuis toujours un grand sens religieux associé à un respect traditionnel des valeurs morales et spirituelles. Tout Vietnamien sait qu’il existe une “Voie” (Dao), qui est la voie de la rectitude (công Chinh) qu’il faut suivre sous peine d’être considéré comme indigne. Lorsqu’il est animé par un idéal, le Vietnamien est capable d’efforts, de sacrifices, de renoncement. Le sublime l’attire. On peut en voir un témoignage dans le grand nombre de personnes répondant généreusement à la vocation sacerdotale ou religieuse.

La famille vietnamienne est restée relativement stable, surtout à la campagne, grâce à ses conditions de vie et au respect qu’elle professe pour les valeurs traditionnelles. Elle est encore une précieuse pépinière de vocations. Les parents loin de s’opposer à la vocation de leurs enfants s’en trouvent honorés et les encouragent volontiers à persévérer.

Le contexte religieux dans lequel vivent les chrétiens est déjà naturellement favorable à la vie consacrée. Mais les difficultés auxquelles ils ont dû faire face ont paradoxalement joué en faveur de la vie consacrée. Cela a favorisé la purification des motivations et empêché les religieux de se contenter d’une vie médiocre. Ils étaient sans cesse entourés de non-chrétiens et de fidèles qui leur rappelaient les exigences de leur vie consacrée.

Enfin, ces mêmes difficultés ont poussé les religieux et les religieuses à travailler ensemble et à collaborer avec le clergé comme avec les laïcs. Cette collaboration fraternelle a donné d’excellents résultats aussi bien dans le domaine de l’éducation de la foi que dans la catéchèse, ce dont nous devons nous féliciter.

Telles sont les raisons naturelles de notre espérance. Elles s’ajoutent à notre confiance en Dieu, en son dessein de salut, en sa fidélité et en son amour. Tout nous encourage et nous incite à regarder le présent avec sérénité.

Ainsi, bien que les difficultés restent nombreuses, nous les considérons avec sang-froid. Seule la vérité pourra nous libérer.

Même si elle n’est pas menacée d’étouffement, la vie religieuse au Vietnam a souffert de restrictions. Bien des problèmes en résultent : les insuffisances de la formation initiale et permanente, le manque de locaux, de moyens et de personnel, les difficultés de la mission. Les congrégations consacrées à l’éducation des jeunes ou à l’action caritative ne peuvent remplir leur mission selon leur charisme propre à cause du monopole de l’Etat en ces divers secteurs d’engagement.

S’il y a eu un certain assouplissement du régime à partir de 1986, nous sommes encore loin de disposer d’une pleine liberté d’action : il y a des réglements administratifs à respecter. Ainsi le système du livret familial (Hô Khâu) restreint la liberté de déplacement et de résidence et gêne l’organisation des communautés. En principe les instituts religieux sont autorisés à recevoir des sujets en formation, mais, en pratique, il faut encore une autorisation pour se réunir.

Il existe aussi une difficulté d’un autre ordre. A la suite des bouleversements sociaux qui sont des conséquences de la guerre mais aussi, paradoxalement, des effets de la paix, commencent à se répandre des tendances incitant à l’affirmation de soi, à la recherche des réalisations individuelles, au culte des vertus de l’action, telles que la liberté, l’esprit de responsabilité et d’initiative. Elles charrient du bon et du moins bon. L’ouverture vers l’étranger n’apporte pas que du positif; elle risque aussi, à la longue, si l’on n’y prend garde, de détruire les valeurs traditionnelles du pays et, par contre-coup, de nuire à la vie consacrée elle-même.

Quel est donc notre vision de l’avenir?

Le Vietnam est en pleine évolution. Il est en train de passer de l’isolement à l’ouverture sur le monde, d’un socialisme dur à un socialisme assoupli, d’une société agraire à une société industrielle, d’une économie centralisée à une économie de marché. Bref, un nouveau Vietnam est en train de naître. Les portes sont en train de s’ouvrir, lentement; mais c’est là faire preuve de sagesse.

Qu’on le veuille ou non, ce mouvement est irréversible, Il se manifeste par des phénomènes très apparents, comme l’urbanisation, l’industrialisation, la démocratisation. Les capitaux étrangers affluent. Les investissements se multiplient. A cause de sa tendance à gagner le plus d’argent possible, l’économie de marché creuse de plus en plus profond le fossé entre riches et pauvres et multiplie le nombre des personnes marginalisées. Les massmedia en s’étendant constituent une menace pour les valeurs d’intériorité et émoussent l’esprit de discernement. Le spectacle de la multiplication des produits de toutes sortes, servi par une publicité habile, ne manque pas de produire un puissant effet sur tous ceux qui en ont été privés si longtemps. Il les entraîne sur la voie de la jouissance et de la consommation sans frein.

C’est en tenant compte d’une telle situation que l’on doit se poser la question. Que doivent faire les religieux et religieuses vietnamiennes pour devenir au sein de leur peuple, des signes crédibles et perceptibles? ( …)