Eglises d'Asie

L’AMERTUME DU FRUIT DU SAVONNIER QUELQUES REMARQUES A PROPOS DES EXCUSES DE RADIO VERITAS ASIE

Publié le 18/03/2010




“Radio Veritas-Asie vient de faire amende honorable pour avoir diffusé une information erronée au sujet de la réunion annuelle de la Conférence épiscopale du Vietnam qui s’est déroulée du 5 au 12 octobre 1994. Dans une lettre envoyée à M. Vu Quang, directeur des Affaires religieuses du gouvernement, le père Nguyên Van Tai, directeur des programmes en vietnamien de radio Veritas-Asie, a écrit: ‘J’en assume la responsabilité et présente mes excuses sincères …’. Il a aussi écrit à Mgr Nguyên Minh Nhât : ‘Je présente mes excuses aux évêques et espère que ces commentaires n’auront pas de conséquences fâcheuses, qu’ils ne nuiront pas au programme pastoral et aux activités de l’Eglise catholique vietnamienne'” (Saigon libéré, 05.11 1994).

Au sujet de cette réunion de la Conférence épiscopale à Hanoi, il n’y a eu en tout et pour tout que deux informations publiées par le journal “Saigon libéré” (Saigon Giai Phong), la seconde étant analogue à la première (1). En effet, la première relatait la rencontre “amicale” du secrétaire général, Dô Muoi, et des membres de la Conférence épiscopale dans l’après-midi du 9 octobre 1994 (SGP, 10 octobre); la seconde faisait état d’une autre rencontre, elle aussi résolument et naturellement “amicaleentre le premier ministre Vo Van Kiêt et les évêques dans l’après midi du 10 octobre (SGP, 11 octobre). A cela, il faut ajouter un recueil de 16 pages, intitulé “documents d’études”, publié par le bureau des Affaires religieuses. Ce recueil commence par 10 lignes reproduisant le commentaire de radio Veritas-Asie sur la réunion en question. Viennent ensuite quelques textes en rapport avec cette réunion, lus au cours de l’émission de radio Veritas du 20 octobre: la lettre envoyée par Mgr Lê Phong Thuân, secrétaire de la Conférence, au directeur des Affaires religieuses, exposant le contenu et le déroulement de la Conférence (2); la lettre de Mgr Nguyên Minh Nhât, envoyée au chef du gouvernement au nom de la Conférence, “pour lui faire part des soucis et des voeux (de celle-ci) … afin que soient normalisées les activités religieusesles allocutions prononcées par Mgr Nguyên Minh Nhât lors de la rencontre du 9 octobre avec le secrétaire général et de la rencontre du lendemain avec le chef du gouvernement (3). Le recueil comprend encore la transcription du bulletin d’information de radio Vatican du 19 octobre, rendant compte de cette même réunion de la Conférence épiscopale, ainsi qu’un exposé intitulé, “Contenu de la déclaration de politique internationale des évêques américains, concernant la liberté religieuse au Vietnam” (4), exposé également diffusé par radio Vatican, le 28 octobre 1994.

Enfin vient – et c’est le morceau de choix du recueil – la lettre du bureau des Affaires religieuses du gouvernement envoyée aux “vénérés” (5) président et secrétaire général de la Conférence épiscopale, leur “proposant d’examiner le commentaire diffusé le 20 octobre par radio Veritas sur la réunion de la Conférence et de donner leur opinion à ce sujet“. Les propos tenus par la radio sont qualifiés d’“extrêmement grossiers et agressifs … calomniant sans vergogne non seulement l’Etat, mais aussi l’Eglise catholique vietnamienne La lettre manie aussi la menace: “Est-il vrai que Radio Veritas veuille s’opposer et faire obstacle à une évolution conduisant vers des relations régulières entre l’Etat et le Vatican, saboter les relations qui s’améliorent chaque jour entre l’Etat vietnamien et la communauté catholique?”.

Il semble que le texte du commentaire de radio Veritas ait été soigneusement transcrit dans les dix premières lignes de notre recueil. Les voici: “En examinant les comportements en usage lors de ces réunions, on peut constater que le pouvoir communiste fourre son nez dans les affaires intérieures de l’Eglise catholique vietnamienne avec cynisme et barbarie. Il contrôle, limite et dirige de près les activités, même à l’intérieur de l’Eglise. La preuve en est qu’avant la réunion officielle, les évêques doivent aller présenter leurs souhaits de bonne santé et de prospérité à ‘leurs majestés, le secrétaire général et le premier ministre’. Après la réunion, ils doivent leur faire parvenir un rapport exposant dans le détail les sujets qui ont été discutés. Ainsi, sans aucune pudeur, les communistes ont transformé l’Eglise vietnamienne en Eglise nationalisée. Bien qu’en théorie, ce rapport ne soit pas nécessaire, en réalité il existe, et la pratique a toujours été plus importante que la théorie. A cette occasion, nous nous permettons de lire ce rapport ….”

Certes, le commentaire de radio Veritas enfonce le clou à grands coups de marteau. Mais sur ce point, la lettre des Affaires religieuses ne le cède en rien; elle non plus ne fait pas dans la nuance. Au moins, le commentaire de radio Veritas a le mérite de la franchise. Quant aux “vénérés” président et secrétaire général de la Conférence, ils ne semblent pas s’être empressés d’examiner les faits et d’émettre une opinion puisque, au lieu d’envoyer directement leur réponse au bureau des Affaires religieuses, ils viennent de transmettre celle-ci au prêtre responsable du programme vietnamien à radio Veritas-Asie. Ce dernier, le P. Nguyên Van Tai s’est, par la suite, repenti si chrétiennement de sa faute que, par lettre, il a fait amende honorable non seulement devant le bureau des Affaires religieuses mais aussi devant la Conférence épiscopale, remplissant ainsi avec un égal bonheur ses devoirs profanes et religieux.

En fin de compte, c’est le bulletin d’information de radio Vatican sur la réunion de la Conférence épiscopale qui est le plus intéressant. Le bureau des Affaires religieuses n’a pas protesté contre lui. Plus encore, il semble bien qu’il ait fait connaître ce bulletin d’information de radio Vatican pour que tout le monde puisse aisément constater sa supériorité en le comparant à celui de radio Veritas. Mais si les responsables des Affaires religieuses le lisent avec plus de soin, il risque de ressembler pour eux au fruit du savonnier dont l’amertume persiste si longtemps dans la bouche. Oui, l’information de radio Vatican est supérieure non seulement parce qu’elle est plus exacte et plus complète, mais surtout parce que la critique y est plus incisive bien qu’elle ne s’y manifeste qu’indirectement par la narration des faits …

C’est en effet grâce au bulletin d’information de radio Vatican que l’on a pu apprendre que le bureau des Affaires religieuses a prié les évêques de ne pas discuter davantage de la question de la succession dans le diocèse de Hô Chi Minh-Ville mais de laisser l’Etat et le Saint-Siège s’en occuper. De l’allocution de Mgr Nguyên Minh Nhât lors de la visite à Dô Muoi, radio Vatican n’a retenu que ce qui était digne d’être retenu, à savoir: ” A cette occasion, Mgr le président de la Conférence épiscopale a répété la phrase significative prononcée par le secrétaire général, le 17 août de cette année, sur la place Ba Dinh: ‘La croyance est un besoin spirituel du peuple … (Il ne faut) pas intervenir dans les affaires intérieures des religions …'”. La visite au premier ministre Vo Van Kiêt a été relatée de la même façon. “A cette occasion, le président de la Conférence épiscopale a affirmé: ‘Nous avons confiance dans la bonne volonté éclairée et dans la sincérité des dirigeants de notre pays. En tant que Vietnamiens, nous sommes fiers de l’esprit de ténacité que nous ont transmis nos ancêtres. En tant que Vietnamiens catholiques nous voulons que notre foi puisse vivre et s’exprimer dans une existence libre et épanouie que rien ne vienne limiter'”.

Ainsi c’est le bureau des Affaires religieuses (et non pas le Saint-Siège) qui a demandé aux évêques de ne pas discuter … N’est-ce pas là ce que signifie “fourrer son nez dans les affaires intérieures de l’Eglise catholique au Vietnam.”. Lorsque les évêques affirment leur fierté pour “l’esprit de ténacité que nous ont transmis nos ancêtres” les ancêtres dont il est question sont, pour des catholiques vietnamiens, leurs ancêtres martyrs bien entendu. L’information de radio Vatican montre à l’évidence que s’il y a calomnie de la part de radio Veritas-Asie, c’est au détriment de la Conférence épiscopale et de l’Eglise catholique, beaucoup plus que de l’Etat vietnamien.

Les informations de radio Vatican concernant la déclaration de politique internationale des évêques des Etats-Unis risquent elles aussi de laisser dans la bouche des responsables des Affaires religieuses le goût amer du fruit du savonnier : “Le 15 septembre dernier, les évêques des Etats-Unis ont publié une déclaration appelant les autorités vietnamiennes à étendre la liberté de pratique religieuse aux fidèles de toutes les religions du pays; en même temps, ils ont affirmé que la liberté religieuse devait rester le critère essentiel pour l’amélioration des relations entre les Etats-Unis et le Vietnam. La déclaration porte la signature de Mgr Daniel Branly, évêque du diocèse de Novia, Etat du Connecticut, président de la commission épiscopale pour la politique internationale et elle est publiée au nom du conseil catholique des Etats-Unis. Mgr Branly reconnaît qu’un certain nombre de progrès ont été faits dans la liberté religieuse, en comparaison des très sérieuses limitations qui l’entravaient autrefois. Toutefois, jusqu’à présent l’Eglise catholique manque encore de liberté d’action. L’Etat intervient dans le recrutement des séminaristes, dans la nomination et le déplacement des prêtres, dans la nomination des évêques, ainsi que dans d’autres activités pastorales

Radio Vatican a aussi lu le texte intégral de la déclaration. Nous ne citons ici que quelques passages significatifs : “Le 3 février , le président Bill Clinton a levé l’embargo des Etats-Unis sur le Vietnam (…) Tout en nous réjouissant de ce changement de politique de la part de notre gouvernement, nous voulons émettre un certain nombre de remarques concernant les domaines qui nous préoccupent le plus, surtout le problème de la liberté religieuse en ce pays et le sort non encore réglé des milliers de réfugiés (…).

La déclaration des évêques américains (déclaration pastorale publiée en 1989) avait fait remarquer que peu de personnes s’intéressaient à la liberté de religion du peuple vietnamien et spécialement au fait que l’Eglise catholique ne jouissait pas de la liberté d’action. (…). L’hostilité du Parti communiste vietnamien à l’égard des croyances et de la pratique religieuses est devenue particulièrement vive dans les années qui ont suivi la fin de la guerre. De l’avis général, même si elle laisse encore à désirer, en comparaison avec l’époque précédente, la situation actuelle laisse apparaître des améliorations : la délégation du cardinal Etchegaray en 1990, la visite ad limina de 21 évêques à la fin de la même année, la délégation de Mgr Celli en 1992 et 1994, les pétitions de la Conférence épiscopale en 1992 et 1993, la nomination de l’archevêque de Hanoi et d’un certain nombre d’évêques. Cependant le gouvernement continue d’intervenir dans les affaires intérieures de l’Eglise d’une façon inacceptable. Comme l’a déclaré Mgr Celli, c’est à contre-coeur que le Saint-Siège se soumet aux exigences de l’Etat, bien qu’il continue de souhaiter pouvoir nommer librement les évêques. En outre, les diverses déclarations internationales sur la liberté religieuse reconnaissent aux religions le droit de nommer, elles-mêmes, leurs propres dignitaires (…) La pratique religieuse est toujours sévèrement limitée. Notre préoccupation en matière de liberté religieuse concerne d’abord les membres de la famille de ceux qui partagent la même foi que nous. Mais elle ne s’arrête pas là. De récentes persécutions religieuses ont frappé des membres de l’Eglise bouddhique unifiée et le mouvement des églises domestiques des protestants. Elles méritent nos protestations tout autant que les limitations imposées à l’Eglise catholique. Il est inacceptable que les autorités vietnamiennes cherchent à intervenir dans la vie intérieure des organisations religieuses.

Pour ce qui concerne l’Eglise catholique, le gouvernement n’a pas compétence pour accepter ou refuser les candidats à l’ordination sacerdotale. L’Etat n’a pas pour mandat de limiter la liberté des évêques dans la nomination ou le déplacement des curés de paroisse. Il ne peut non plus limiter la liberté des ecclésiastiques en les empêchant de circuler à l’intérieur de leur diocèse pour y exercer leur ministère. Il n’y a que l’Eglise qui possède le pouvoir d’accomplir les tâches qui lui sont propres comme la nomination des évêques, l’ordination des prêtres, et l’Etat n’a pas à intervenir. Ce sont des problèmes que les évêques du Vietnam ont exposés au gouvernement vietnamien au mois d’octobre 1993. Ils ont aussi prié les autorités de permettre aux catholiques de contribuer à l’éducation de la jeunesse grâce à l’ouverture d’écoles, et à l’Eglise de posséder ses propres établissements d’édition” etc.

Le bureau des Affaires religieuses n’a pas envoyé de lettre de protestation contre le bulletin d’information de radio Vatican, pas plus d’ailleurs que contre la déclaration de la Conférence épiscopale américaine. Il ne pouvait pas en effet leur reprocher leur grossièreté, leur inculture ou leur agressivité. Il lui était aussi difficile de crier à la calomnie. Il fallait donc qu’il se résigne à en accepter le goût amer, aussi amer que le fruit du savonnier.

En réalité, la question n’est pas de savoir quel est le degré d’amertume ressenti, mais bien plutôt de déterminer la source d’où elle provient, à savoir une réalité ou plutôt un défaut de réalité, un défaut profond de liberté et de démocratie, plus particulièrement de liberté religieuse. Ce n’est pas parce que l’on a reçu des excuses que l’on peut passer outre. Il faut corriger ce défaut, il faut corriger l’erreur. Il faut se repentir, puis se renouveler.