Eglises d'Asie

POUR UN MONACHISME AUTHENTIQUE Un appel du président de la conférence épiscopale indienne

Publié le 18/03/2010




Une crise de crédibilité

On dit que quand il y a de petites réparations à faire sur une machine on appelle le technicien, mais quand il s’agit d’une panne majeure, il faut faire appel à l’ingénieur. La vie de l’Eglise en général, et la vie religieuse en particulier, font face aujourd’hui à des défis majeurs à une échelle inconnue jusqu’ici dans l’histoire. Peut-être pouvons-nous dire qu’il y a une crise de crédibilité de la vie religieuse dans l’Eglise comme à l’extérieur de l’Eglise. A l’intérieur de l’Eglise, il y a déclin des vocations à la vie religieuse dans les anciens territoires chrétiens et, même en d’autres lieux, il y a beaucoup d’insatisfaction dans ce domaine. De l’extérieur de l’Eglise, beaucoup critiquent la vie religieuse aussi bien que l’Eglise. La confiance dans le leadership religieux et celui de l’Eglise s’étiole rapidement dans l’esprit des membres de la génération présente. Peut-être que les médias ont joué un rôle dans la création de ce préjugé mais, dans beaucoup de pays, le fait est indéniable. Le monde post-moderne et post-chrétien ne comprend pas le langage que nous parlons. Nous-mêmes ne comprenons pas très bien ce monde et nous ne prenons pas en compte les besoins réels de ce temps. C’est pourquoi nous nous contentons de bricoler le renouvellement de la vie religieuse et de la vie de l’Eglise tout en continuant nos programmes habituels. Mais, ce qui est réellement nécessaire c’est de repenser radicalement notre ordre du jour.

La génération post-moderne cherche l’expérience de Dieu dans les religions orientales et exige une spiritualité authentique. Dans un livre férocement critique du travail missionnaire en Inde (EDA 169,173), un journaliste célèbre nous a récemment posé une question pertinente : “Avec tout l’argent que les chrétiens dépensent, avec toutes les publications et les institutions d’éducation qu’ils possèdent, quand ils convertissent les gens en font-ils des personnes plus ‘spirituelles’?” Les religions comme l’hindouisme et le bouddhisme ont un sens profond du spirituel. Elles respectent infiniment la figure du mendiant humble, oublieux de soi et centré sur Dieu. De telles personnes font de leurs Ecritures sacrées le centre de leur vie et trouvent leur accomplissement dans l’adoration de Dieu. Ce sont des religieux comme eux que le peuple recherche et admire.

Les chemins sans issue

De leur côté, nos congrégations religieuses multiplient leurs services et augmentent leur efficacité avec l’aide des technologies modernes. Quand nous évaluons la vie religieuse, nous ne posons même pas les bonnes questions. Nous nous occupons d’étendre notre champ de services et nous essayons de répondre à des questions apparemment plus importantes comme le féminisme. Mais ce n’est pas cela qui va augmenter notre crédibilité.

En même temps, il y a des hommes d’Eglise qui sont fascinés par la popularité des religions orientales et qui ne demandent qu’à utiliser leurs techniques et leurs Ecritures pour essayer de créer une espèce d’expérience psychologique pour notre peuple et les autres. Cela est malheureux et ne nous aide en rien. C’est la foi qui est mise de côté dans les centres où de telles expériences ont lieu.

Retour aux sources véritables

Nous n’avons donc d’autre alternative que de retourner à nos propres solides traditions, à nos propres sources originales. Au cours du premier millénaire, la vie religieuse était destinée à donner une intense expérience de Dieu et un témoignage au monde, crédible et basé sur l’Evangile et la sainte tradition. Cette pratique, mise en oeuvre en Orient mais utilisée aussi dans toutes les Eglises, maintenait la dimension verticale, contemplative et eschatologique de la vie chrétienne au centre de la scène. Le moine était un modèle privilégié de sainteté dans l’Eglise ancienne. Mieux encore, les Eglises orientales elles-mêmes étaient appelées “communautés monastiques” à cause de l’influence dont jouissait le monachisme sur toute la vie de ces Eglises et à cause de l’accent que mettaient ces Eglises sur la dimension eschatologique et contemplative.

“Notre tâche dans la nouvelle évangélisationdisait un auteur récemment, n’est pas d’élaborer une nouvelle anthropologie théologique, mais de vivre selon celle qui a déjà été élaborée“. Nous devons “présenter au monde la vie monastique actuelle authentique comme une proposition culturelle sérieuse. Nous devons rétablir le monachisme au coeur de l’Eglise aujourd’hui à l’Est comme à l’Ouest”. Le monde post-moderne ne peut être attiré que par quelque chose de radicalement différent de ses modèles de consommation, individualistes et superficiels. Seul le monachisme chrétien peut lui donner l’authenticité véritable et la communion qu’il recherche désespérément.

Le retour au monachisme aura certainement un impact positif sur l’oecuménisme, parce que c’est un retour à la source commune des Eglises de l’Orient et de l’Occident – la Bible et la sainte tradition. Ceci est plus particulièrement vrai des Eglises orientales catholiques et orthodoxes. Le monachisme a été la forme privilégiée de la vie consacrée dans les Eglises orientales. En fait, nos frères othodoxes sont scandalisés par la multiplicité des ordres et congrégations religieuses dans les Eglises catholiques orientales.

La vie consacrée doit être liturgique et ecclésiale

L’Eglise est fondamentalement une communauté eucharistique, une communauté liturgique. C’est dans la célébration de l’Eucharistie que l’Eglise est formée et se manifeste devant Dieu et le monde. La vie monastique est entièrement tissée autour de ce centre. La vie du moine est pleine de liturgie, toute sa prière s’inspire de la liturgie et le place dans le dynamisme de l’Eucharistie. C’est la raison pour laquelle le monachisme a enrichi la liturgie et la vie liturgique des fidèles. Quand le monachisme était absent, la vie liturgique en a souffert. Peut-être que l’absence de monachisme explique la superficialité du renouveau liturgique en beaucoup d’endroits.

Le chrétien est un membre de l’Eglise et il doit vivre une vie pleinement ecclésiale s’il veut être vrai par rapport à son engagement de baptême. En ceci aussi la vie monastique offre un exemple et une inspiration à tous. Le monachisme a toujours été au coeur de l’Eglise et n’a jamais eu de doute concernant sa relation à l’Eglise locale et universelle. Le moine, laïc ou clerc, était un véritable “ecclésiastique” dans le sens originel du terme. Pour lui il n’y avait pas d’autre manière d’être chrétien. Sa spiritualité était pleinement ecclésiale et donc pleinement liturgique. Le rythme de la vie monastique était le rythme de la liturgie, de la vie de sa propre Eglise individuelle.

La crise interne de l’Eglise est principalement

ecclésiologique et spirituelle. Le rétablissement du monachisme dans toute sa radicalité à l’intérieur de l’Eglise corrigera de la manière qu’il faut l’actuelle tendance à l’individualisme et à la superficialité à l’intérieur de l’Eglise. La crise de crédibilité expérimentée par l’Eglise dans le monde doit être dépassée en mettant l’accent sur la nature charismatique et spirituelle de l’Eglise. Ici aussi, le monachisme semble être la seule alternative, la manière de restaurer la dimension verticale, contemplative et eschatologique de l’Eglise.

La restauration de l’ethos

Le rétablissement et la rénovation du monachisme ne peuvent se faire de manière isolée. Toute la théologie patristique et le contenu de son authentique spiritualité doivent être ramenés à la surface pour fournir le riche humus nécessaire si l’on veut que le monachisme se développe. Un retour aux sources en théologie et en spiritualité est nécessaire si l’on veut qu’une vie religieuse authentique soit rétablie au centre de l’Eglise. Même dans les Eglises orientales, ce processus ne sera pas facile. Le nationalisme ethnique, l’activisme et l’occidentalisation – imposés ou choisis – ont été des barrières sur le chemin du progrès. tout ceci ne peut être dépassé que s’il y a une catéchèse appropriée et une nouvelle prise de conscience. Ceci signifie qu’il faut reprendre les perspectives orientales, revenir à la vie spirituelle et liturgique de ces Eglises. Une formation appropriée pour les clercs et les religieux est une condition sine qua non. Dans beaucoup de cas, ceci signifierait un souci et des directives dans la bonne direction de la part du Saint-Siège.

En ce qui concerne les nombreuses activités qui doivent nécessairement être menées dans le champ pastoral, il pourrait y avoir d’autres mesures. Dans un cercle plus large autour du système monastique, on pourrait avoir un ministère diaconal, des frères et des membres associés. Ils s’engageraient dans les services divers dont l’Eglise a besoin. Ces “communautés élargies” donneront aux laïcs la place qui leur revient dans l’Eglise et les aideront à jouer leur rôle spécifique dans l’évangélisation. Le retour aux vraies sources du monachisme dans les Eglises orientales sera un enrichissement pour la vie religieuse à l’est comme à l’ouest. C’est seulement ainsi que les Eglises orientales contribueront à l’Eglise universelle dans sa recherche de la sainteté.