Eglises d'Asie – Corée du Nord
L’EGLISE SOUTERRAINE DE COREE DU NORDDes chrétiens s’accrochent à leur foi en dépit de cinquante années d’oppression
Publié le 18/03/2010
Deux mois plus tôt, un lieutenant de l’armée de Corée du Sud, âgé de 64 ans, Cho Chang-ho, était triomphalement rentré chez lui, en dépit du fait que sa famille avait à peine pu le reconnaître : capturé en 1951 en pleine guerre de Corée, il venait de passer 43 ans comme prisonnier de guerre dans les infâmes goulags de Corée du Nord. Son propre gouvernement l’avait classé depuis plus de quarante ans dans les « disparus présumés morts ». Cho Chang-ho s’est évadé par la Chine pour atteindre la Corée du Sud. Quand on lui demande ce qui l’a soutenu à travers ces longues années de tourment et d’isolement, le vieux soldat sourit et répond simplement : « DieuBien que Cho n’ait eu aucun contact avec des chrétiens nord-coréens et qu’il n’ait pas eu accès à une bible pendant ses quarante-trois ans de prison, il dit que sa foi en Jésus-Christ a été sa plus grande force.
Le courage et la ténacité de Cho reflètent d’assez près l’histoire des chrétiens souterrains de Corée du Nord. Bien que beaucoup d’observateurs étrangers se demandent si le christianisme existe toujours à l’intérieur des frontières bien gardées du pays, des rapports récents indiquent qu’au moins 400 000 chrétiens nord-coréens continuent bravement de s’accrocher à leur foi. En rassemblant les rapports des réfugiés et des Chinois d’origine coréenne qui vivent le long de la frontière sino-coréenne, le tableau se dessine d’une foi opprimée mais non détruite, d’un peuple oublié par le monde extérieur mais toujours fidèle après presque cinquante années d’oppression.
La tentative de déraciner le christianisme
La survie de l’Eglise nord-coréenne est un fait remarquable dans tous les sens du terme si l’on considère les efforts considérables qui ont été faits pour déraciner le christianisme des coeurs et des esprits de la population.
En 1948, quand Kim Il Sung fut choisi par l’Union soviétique pour diriger l’Etat socialiste nord-coréen nouvellement fondé, quelque 2 000 églises parsemaient les campagnes de Corée du Nord. Un vent de renouveau chrétien avait balayé la péninsule coréenne en 1907, enracinant profondément la foi dans l’âme de la nation. Pyongyang, qui allait devenir la capitale nord-coréenne, était souvent appelée « la Jérusalem orientale » par beaucoup de missionnaires occidentaux. Cependant, en dépit de l’adhésion au christianisme de sa mère, Kim Il Sung ne pouvait faire aucune place à une telle « superstition » dans le « monde nouveau » qu’il était en train de forger. Pour le jeune dirigeant révolutionnaire, le christianisme était simplement « un frein à la révolution socialiste
Dès le début des années 60, la police secrète de Kim avait fermé systématiquement tous les bâtiments d’Eglise et détruit toutes les bibles. Ceux qui étaient identifiés comme croyants d’une religion étaient, soit exécutés pour « crimes contre-révolutionnairessoit envoyés dans des camps de concentration en vue d’un endoctrinement idéologique.
Afin de combler le vide spirituel ainsi créé, les propagandistes de l’Etat commencèrent rapidement à développer un culte de la personnalité autour de Kim et le transformèrent en une sorte de divinité virtuelle. Pour renforcer sa nouvelle dynastie socialiste, Kim créa la philosophie du « Juche », une idéologie qui affirme que « l’homme est maître de sa propre destinée » et que les Coréens « doivent compter sur eux-mêmes pour créer un paradis sur la terreCependant, selon le dogme de Kim Il Sung, un tel « paradis » ne peut s’accomplir que quand le « grand dirigeant » (titre de Kim en Corée du Nord) reste au centre de l’équation. L’ironie de la situation ferait même Marx se retourner dans sa tombe. En dépit du mépris de Kim pour la religion, sa philosophie a effectivement transformé la Corée du Nord en l’une des sociétés les plus « religieuses » du monde. Les statues du dictateur ornent toutes les villes. Des boutons « Kim Il Sung » sont portés fièrement à tous les revers de veste et les livres d’histoire ont été réécrits pour présenter le « grand dirigeant » comme le sauveur de l’humanité. Une grande partie de la propagande qui décrit la relation entre Kim, le Parti communiste et les masses s’inspire des concepts trinitaires de la théologie chrétienne.
Selon le professeur Suk Ryul Yu, de l’Institut des affaires étrangères et de la sécurité nationale, de Séoul, cela explique que Kim soit si hostile au christianisme. « C’est une idéologie exactement opposéedit le professeur. Comme on pouvait le prévoir, la mort de Kim Il Sung en juillet 1994 a provoqué beaucoup de larmes dans les rues de Pyongyang et beaucoup de joie à Séoul. Selon les observateurs de la situation nord-coréenne, la disparition de l’homme fort à 80 ans ne génère pourtant que peu d’espoir d’un changement rapide, étant donné le choix de son successeur. Agé de 52 ans, fils de Kim Il Sung et héritier désigné, le « cher dirigeant » Kim Jong Il a été porté par les propagandistes au statut de demi-dieu, en prévision de la succession.
Selon les analystes politiques, Kim Jong Il est aussi dogmatique et sectaire que son père mais semble posséder moins de charisme personnel que lui. Toute critique de la famille Kim ou de la politique gouvernementale est considérée comme un crime en Corée du Nord. Une remarque mal placée peut valoir à son auteur et à sa famille quinze ans ou plus dans un camp de concentration. Selon l’Institut de recherche pour la Corée du Nord, de Séoul, 200 000 Nord-Coréens environ (1% de la population totale du pays) sont emprisonnés dans douze camps de concentration. Dans le système tel qu’il est, beaucoup de ces condamnés ne sont ensuite jamais libérés. Les descendants de dirigeants religieux, les parents de ceux qui ont fait défection, de l’intelligentsia occidentalisée et des anciens propriétaires terriens sont classés par le gouvernement comme « éléments hostiles » et on leur donne souvent des travaux dangereux à accomplir. Selon certains observateurs, presque 20% de la population (quatre millions de personnes) sont ainsi classés comme « hostiles » dans une société qui se prétend sans classe.
Garder la foi
En dépit de la lourde atmosphère politique, de petits groupes de chrétiens continuent à se réunir secrètement dans les maisons, par petits goupes dépassant rarement six personnes. Il y a peu de relations entre les groupes car toute découverte par les autorités serait suivie d’emprisonnement ou d’exil pour les membres.
Selon le Rév. Isaac Lee, directeur de « Cornerstone Ministries International », l’une des rares organisations chrétiennes qui s’intéresse activement à la Corée du Nord, les chrétiens « souterrains » de Corée du Nord n’ont pas de bibles en dehors de celles qui sont passées en contrebande depuis la Chine. La seule possession d’une bible imprimée à l’étranger est passible d’une longue peine de prison en cas de découverte. Néammoins, l’Eglise en Corée du Nord est vivante et attend le jour où elle pourra célébrer son culte librement. Lee dit qu’il a reçu une lettre d’un chrétien qui illustre l’impatience de l’Eglise nord-coréenne : « Pasteur Lee, s’il vous plaît, frottez la poignée de porte de votre église avec un mouchoir et ramenez le mouchoir avec vous. Serrez les mains d’autant de chrétiens que vous pouvez et ramenez les à nous. Nous voulons sentir la chaleur des croyants dans le monde libre ».
Lee raconte aussi l’histoire d’un pasteur coréen de l’étranger en visite en Corée du Nord en 1992, qui a rencontré secrètement des chrétiens du pays. Apprenant qu’il était un pasteur chrétien, le groupe avait insisté pour qu’il célèbre un baptême. « Etes-vous prêts à mourir pour Jésus », demanda-t-il à chacun des nouveaux baptisés ? Tous répondirent par l’affirmative. Plus tard, le jeune pasteur distribua la communion, la première eucharistie que les plus vieux chrétiens aient reçue en plus de quarante ans. Quelques jours plus tard, plusieurs chrétiens arrivèrent dans le village venant de la ville voisine après avoir entendu parler de la présence du pasteur. Quand on leur dit qu’il était déjà reparti, plusieurs des plus vieux chrétiens tombèrent à genoux et se mirent à frapper la terre du poing.
Liberté religieuse ?
Les autorités gouvernementales persistent à dire qu’il n’y a pas de problème des droits de l’homme en Corée du Nord, et que la constitution permet clairement la liberté religieuse. Depuis 1988, deux églises protestantes et une église catholique ont été construites à Pyongyang. Ces églises ont bénéficié d’une large publicité, en particulier à l’occasion des visites en 1992 et 1994 de l’évangéliste américain Billy Graham. Si l’apparence de ces églises peut tromper quelques visiteurs étrangers, beaucoup d’analystes estiment que la supercherie est grossière. Selon Yu, ces églises ne sont ouvertes que quand un visiteur étranger demande à assister au culte. Les visiteurs peuvent aussi remarquer que beaucoup de ceux qui participent au service religieux à l’église protestante de Bong-su sont les mêmes que ceux que l’on trouve à celui de l’église catholique de Chang-chung. Un groupe d’hommes politiques sud-coréens qui visitaient Pyongyang en 1991 a remarqué aussi que le Rév. Li Sung-bong, le seul pasteur de Corée du Nord, ne citait jamais les Ecritures ou ne mentionnait aucun sujet religieux durant son sermon, mais se contentait d’attaquer le gouvernement « fantoche » de Corée du Sud.
Les observateurs de la Corée du Nord affirment que l’objectif principal de la construction de ces trois églises est de ramasser autant de devises étrangères que possible chez les touristes étrangers. Le gouvernement coréen contrôle aussi trois organisations prétendument religieuses : la fédération bouddhiste, la fédération chrétienne de Corée et la fédération catholique de Corée. La fédération chrétienne de Corée revendique dix mille membres, un chiffre que la plupart des analystes mettent en doute. En 1974, la fédération essaya d’entrer dans le Conseil oecuménique des Eglises, mais sa demande fut rejetée parce qu’elle ne put fournir aucun détail sur le nombre d’églises, d’assemblées et de pasteurs en Corée du Nord.
Dans certains milieux, on prédit que le pays connaîtrait des changements substantiels si Kim Jong Il devait quitter le pouvoir. Des rumeurs circulent chez les observateurs étrangers selon lesquelles le nouveau dirigeant aurait de sérieux problèmes de santé ou bien serait engagé dans une intense lutte pour le pouvoir. Depuis la mort de son père, Kim Jong-il est peu apparu en public et il n’a pas fait le discours traditionnel de nouvel an à la nation. De plus, le jeune Kim n’occupe toujours pas les postes les plus élevés du régime, à savoir le secrétariat général du Parti communiste et la présidence. Cependant, selon Yu, Kim Jong-il contrôle fermement l’armée qui est la base de pouvoir la plus importante en Corée du Nord. Yu spécule que Kim Jong-il attend simplement que l' »esprit » toujours influent de son père s’en aille pour prendre la présidence.
L’un des éléments qui font penser à beaucoup d’observateurs que le pays devra obligatoirement s’ouvrir au monde extérieur est l’état de banqueroute de l’économie. Alors que 21% du produit national brut continuent à être utilisés pour les forces armées, les Nord-Coréens de base deviennent de plus en plus pauvres. La fin de l’aide russe en 1993 suivie par l’exigence chinoise que toutes les importations soient payées en devises ont forcé Pyongyang à se mettre à la recherche d’investisseurs étrangers. Deux zones économiques spéciales ont été ouvertes récemment en Corée du Nord, mais elles ont été aussitôt clôturées de fil barbelé. Le gouvernement est prêt à accepter une aide américaine de quatre milliards de dollars pour construire des réacteurs nucléaires qui présentent des risques moindres, mais, en même temps, l’emprise du régime sur la société est toujours aussi ferme.
« Nous devons nous souvenir que Pyongyang n’est toujours pas prêt à libéraliser la société nord-coréennedit Yu. « Ils savent que s’ils libéralisent la société, le vieux système n’y résistera pasKim Jong-il n’est pas non plus prêt à changer d’attitude à l’égard des activités religieuses. Le christianisme continue à être perçu par le régime de Pyongyang comme un élément dangereux qui pourrait démolir tout le fragile château de cartes de la famille Kim.