Eglises d'Asie

ENTRETIEN AVEC UN SYNDICALISTE CHRETIEN EMPRISONNE

Publié le 18/03/2010




Quelle est la motivation principale de votre lutte pour les droits des travailleurs ?

En tant que citoyen, je me sens appelé à lutter pour le succès de notre idéal national d’une société juste et prospère matériellement autant que spirituellement. Pour atteindre cet idéal, il faut que les droits de l’homme soient protégés, que la loi soit respectée, que le peuple participe au développement et puisse jouir de ses fruits.

Mais ce que je vois est une réalité consternante. Alors que le pays entre dans son sixième plan quinquennal de développement, l’idéal d’une société juste et prospère continue de s’éloigner de nous. L’abîme social qui sépare les riches et les pauvres devient de plus en plus profond, et les pauvres sont la majorité du peuple indonésien.

Pourquoi est-ce à travers les luttes des travailleurs que vous poursuivez cet idéal national?

Je fonde mon engagement dans les luttes ouvrières sur ma conviction que ce sont les travailleurs qui ont contribué le plus à la croissance économique des cinq derniers plans quinquennaux de développement. Pourtant, en dépit de leur contribution ils continuent à vivre dans la misère. Ils sont même très souvent menacés et réprimés quand ils osent demander un juste salaire.

Depuis que j’ai commencé à m’engager auprès des travailleurs en 1978, je suis convaincu que la situation des travailleurs peut seulement être améliorée s’ils possèdent leurs propres syndicats indépendants. Le syndicat doit être fort, démocratique, indépendant et se suffire à lui-même. Il ne doit pas dépendre d’un quelconque pouvoir extérieur. C’est appuyé sur cette conviction que j’ai organisé en 1990 une réunion de travailleurs pour fonder le SBSI.

Pourquoi ne vous joignez-vous pas au “Serikat Pekerja Seluruh Indonesia”, (association de tous les travailleurs indonésiens) qui est le syndicat reconnu par le gouvernement?

Nous avons besoin d’avancer afin d’aider les travailleurs à s’exprimer sans peur des menaces et de la répression. Avec un syndicat indépendant comme le SBSI, les travailleurs jouissent d’une position plus solide pour négocier avec les patrons de l’industrie.

Vous êtes passé au tribunal pour avoir organisé une grève que l’accusation prétend avoir été antigouvernementale. Quelle est votre réaction?

Je ne pense pas que je me sois opposé au gouvernement, même si c’est là l’accusation qui a été formulée. Ce que j’ai fait, c’est d’aider le gouvernement à gérer les problèmes du travail dans la justice, sur la base de l’idéologie nationale du Pancasila (les cinq principes). Armé de ces principes, je n’ai pas l’intention de reculer dans mon combat pour défendre les droits des travailleurs.

Qu’est-ce qui vous motive ?

Quand j’étais âgé de 11 ans, mon père est mort. Quand j’ai eu 18 ans, c’était au tour de ma mère de mourir. Ma vie a été difficile depuis l’école secondaire. J’ai travaillé dur pour me donner une éducation. J’ai vendu du pain et des journaux. J’ai pédalé sur un becak (tricycle-taxi) et j’ai fait d’autres travaux manuels juste pour pouvoir aller à l’université. Dans cette lutte, j’ai expérimenté la présence de Dieu dans ma vie. J’ai pris conscience que ma vie est une bénédiction, j’ai donc promis à Dieu que je me dévouerais toute ma vie pour aider les petites gens.

En prison, je m’inspire de la lettre de Saint Pierre qui conseille aux chrétiens de rester fermes quand ils sont persécutés à cause de la vérité et de ne pas avoir peur de ce dont les autres ont peur. Je suis heureux en prison parce que je crois que j’y suis pour avoir défendu la vérité.

Vous semblez aimer la Bible. Y trouvez-vous une inspiration pour vos activités syndicales ?

Certainement. Je m’inspire beaucoup des livres des Nombres et du Lévitique, spécialement de ces passages où l’auteur dénonce les riches qui oppriment leurs travailleurs et ne les paient pas en temps voulu. Avec cette spiritualité, je n’ai pas peur de prendre tous les risques en dépit de mes faiblesses dans mon combat aux côtés des travailleurs.

Vous avez dit au tribunal que vous interjetiez appel. Pourquoi ?

Je vais en appel auprès d’une juridiction plus haute parce que je ne crois pas que le verdict qui est tombé sur moi soit juste. Il y a des vérifications à faire. Je regrette de dire que le président du tribunal qui m’a jugé et condamné est un chrétien comme moi. Il sait certainement qu’il a donné son jugement contre sa propre conscience. Il est certainement conscient du fait que l’engagement dans un syndicat indépendant n’est pas un crime. Il a agi comme Ponce Pilate qui porta un jugement injuste sur Jésus afin d’assurer sa propre position.

Quelle est votre attitude à l’égard de ceux qui, selon vous, vous ont maltraité ?

Cette épreuve a fait mûrir ma foi chrétienne. Je voudrais imiter David qui respecta son ennemi Saul. Comme David qui n’avait aucun désir de vengeance contre Saul parce qu’il croyait que Saul était l’oint de Dieu, en dépit de ses erreurs, je n’ai pas de haine contre le gouvernement légal. Je conserve le droit de dénoncer les erreurs du gouvernement.