Eglises d'Asie

INQUIETUDE ET ESPOIR (Lettre pastorale de carême de l’épiscopat indonésien)

Publié le 18/03/2010




Chers frères et soeurs dans la foi, communauté catholique d’Indonésie, en ces jours commence pour nous, communauté catholique, le temps du Carême : ce temps où, de façon toute spéciale, nous renouvelons notre désir de conversion, de façon à pouvoir célébrer, avec un coeur purifié et l’attitude qui convient, la rédemption que le Christ a opérée par sa passion, sa mort et sa résurrection. C’est donc un moment opportun pour approfondir notre réflexion, non seulement sur notre relation avec le Seigneur, en tant qu’individus, famille et communauté ecclésiale, mais aussi en tant que citoyens qui s’engagent concrètement dans la vie de la communauté ecclésiale, comme dans celle de la nation. Il est bon de méditer et de voir où voir où nous en sommes et ce que le Seigneur attend de nous.

Frères et soeurs dans la foi, nous sommes actuellement dans une période difficile et inquiétante. La société a été ébranlée par une suite d’événements qui nous ont surpris. La crise qui secoue le Parti démocrate indonésien (PDI), crise dont le paroxisme fut atteint dans “les événements du 27 juillet”, est lourde de signification sociale, politique, juridique et économique. Ces événements ont été marqués par la violence qui a fait plusieurs morts et de nombreux dégâts matériels. Il est clair qu’il y eut une volonté de se faire justice soi-même sans respect des droits et de la dignité de l’homme, de la loi et de la justice la plus élémentaire. D’autres événements sont venus blesser notre peuple, comme l’incendie et la dégradation de lieux de culte et d’un certain nombre de facilités publiques en divers endroits. Citons seulement les plus importants comme Surabaya et Situbondo. Et, le lendemain de Noël, un événement semblable se produisait à Tasikmalaya. Un certain nombre d’églises, postes de police, banques, magasins, usines et autres bâtiments, furent détruits ; des milliers de gens se trouvent désorientés, parce que devenant sans travail et sans ressources. A cette liste vinrent s’ajouter les événements de Sanggau Ledo à Kalimantan, de Tanah Abang à Jakarta, de Rengasdengklok à Java occidental, avec toutes les détériorations que cela entraîne.

Chers frères et soeurs, quelles conclusions pouvons-nous tirer de tous ces événements ? Ils nous font prendre conscience qu’actuellement nous sommes en face d’un problème grave, fondamental et qui a de vastes répercussions. Nous sommes de plus en plus convaincus que nous sommes en face d’un déclin moral dans presque tous les domaines de la société, déclin qui peut mettre en danger, voire anéantir l’unité, l’avenir et le salut de notre nation.

Avec une profonde inquiétude, force nous est de constater que cette suite d’événements est intimement liée à plusieurs autres problèmes importants auxquels nous sommes confrontés actuellement. Nous pouvons mentionner entre autres les points suivants : le droit n’est pas appliqué de manière ferme, juste et cohérente; les droits et la dignité de l’homme ne sont pas respectés ; la justice semble n’avoir cours que pour les forts, les riches et les puissants ; dans différents domaines, il existe encore trop souvent une discrimination à l’égard de certains groupes de citoyens ; les droits des petites gens ne sont ni respectés ni protégés ; dans la pratique, le peuple est celui qui doit servir et non celui qui doit être servi; il y a un abîme entre les belles paroles et les actes, et rares sont ceux qui donnent l’exemple; corruption, collusion, manipulation semblent de plus en plus s’enraciner et devenir monnaie courante. Face à une telle situation, les gens se sentent désorientés. Ces événements blessent et heurtent leur sens de la justice. Ils vivent souvent un drame de conscience : ou bien vouloir pratiquer les valeurs morales que leur enseignent leur religion ou leurs croyances respectives, ou bien laisser faire, voire encourager et même poser des actes qui vont à l’encontre de la loi et de la morale.

Chers frères et soeurs, nous, vos pasteurs, ressentons les joies et les peines que vous ressentez. Nous les ressentons avec la société. Cependant nous vous invitons tous à ne pas sombrer dans le désarroi, la peur et le découragement. Si nous voulons comprendre de façon exacte la situation, il importe aussi de regarder en toute honnêteté les résultats positifs déjà obtenus et d’en rendre grâce. Plus d’un demi-siècle après la proclamation de l’indépendance, la nation indonésienne est toujours une ; elle est reçue dans la grande famille des nations comme un partenaire honoré, spécialement dans la région du sud-est asiatique et du Pacifique. Le développement mené par “l’Ordre Nouveau” durant presque trois décennies a réussi à enrayer la pauvreté, à sortir de la pauvreté une grande partie de la société et à poser des bases solides pour le développement à venir.

Nous pouvons être fiers du développement des infrastructures, routes et moyens de transports, réseau de communications et moyens mis en place pour l’éducation et la santé; il en va de même pour l’amélioration du droit et des lois. Malgré quelques événements déplorables, nous pouvons aussi nous réjouir de ce que notre pays, sur la base du Pancasila, continue de garantir la liberté de religion et de croyances ; de ce que, sauf exceptions qui malheureusement sont de plus en plus fréquentes, la communauté catholique, dans toute l’Indonésie, est toujours libre de pratiquer son culte et de vivre selon sa foi. Les obstacles que nous continuons de rencontrer de temps en temps, ne peuvent voiler l’évidence que nous, communauté catholique, faisons toujours partie intégrale de la nation indonésienne et que nous prenons une part active dans la vie sociale, nationale et politique.

Chers frères et soeurs, voilà pourquoi nous demandons à nouveau à toute la communauté catholique, spécialement à la jeune génération, de ne pas dédaigner l’engagement dans la vie sociale, y compris dans le domaine politique. A ce sujet, nous voudrions insister sur le sens de la vie politique. Faire de la politique devrait être une tâche noble ; car cela signifie travailler au salut et au bien-être de toute la société pour assurer le progrès de la vie de la nation, dans la dignité de l’homme et au nom de l’amitié et de la paix entre les peuples. Encore une fois, faire de la politique signifie mettre toutes ses forces au service du bien et du développement de la nation. C’est donc une grave erreur de profiter d’un poste ou d’une force politique pour son seul avantage ou profit soit personnel, soit celui de sa famille ou de son groupe, attitude qui se rencontre de plus en plus ces derniers temps. Faire de la politique signifie être au service de la société, et non pas s’ériger en potentat. Il est donc clair qu’un catholique qui veut faire de la politique doit vivre selon la morale, éviter le mensonge et la corruption, l’intimidation et la force, ne pas chercher à atteindre ses objectifs en sacrifiant le bien-être ou l’intérêt général, le droit ou le bonheur d’autrui, à plus forte raison celui des petites gens. La politique doit être pratiquée selon le principe d’une humanité juste et civilisée. Dans la vie politique nous avons besoin de gens qui aient un idéal élevé. Nous encourageons donc la communauté catholique, spécialement la jeune génération, à s’ouvrir à la politique, pour se dépenser, avec nos frères de tous les groupes, courants de pensée et religions qui mettent très haut l’idéal national et humanitaire, au service de la nation.

Chers frères et soeurs, l’Eglise catholique ne prône aucun modèle ou concept susceptible de gérer les problèmes de développement social, économique et politique de notre nation. Cependant, nous sommes convaincus que le Pancasila demeure une base et une référence fortes et sûres pour résoudre les problèmes, et favoriser la vie et le développement de la nation. Donc, le Pancasila ne doit pas être qu’un slogan, il doit, au contraire, être réalisé concrètement dans notre vie. A partir du Pancasila et en prenant en considération les espoirs de notre société, perçus très clairement à la lumière de l’Evangile, il nous semble nécessaire, en toute humilité et par amour de toute la nation, de réaffirmer les principes suivants :

1. Le développement doit toujours se faire dans le respect de la dignité humaine de tout citoyen, groupe ou fraction de la société.

2. Les buts politiques ne peuvent être atteints en négligeant, à plus forte raison en violant, les droits fondamentaux de tout citoyen, groupe ou fraction de notre nation.

3. Il est nécessaire de développer l’effort de fraternité et de solidarité entre groupes culturels, ethniques et religieux comme cadre de notre vie communautaire.

4. Le développement doit concrétiser la solidarité avec nos frères et soeurs les plus faibles et les plus pauvres, ceux qui sont sans force, ceux qui sont des proies faciles du développement. L’effort de développement ne peut en aucune manière sacrifier les petits. Il nous faut prendre conscience que le sérieux et la pureté de notre volonté pour concrétiser l’union de la nation indonésienne sont évalués sur la base de notre solidarité avec la partie la plus pauvre de la population.

5. La vie ensemble de la nation indonésienne doit avoir pour base un droit équitable. Voilà pourquoi le droit doit refléter le sens de la justice, parce que nous sommes vraiment convaincus que l’Indonésie est un Etat de droit et non un pays fondé sur la puissance. Chers frères et soeurs, cette exigence d’une éthique de vie sociale et politique, nous la proposons, non pas au nom de l’intérêt d’un groupe donné, mais au contraire au nom de la valeur humaine, de la dignité, du salut et du bien-être de notre nation. Voilà pourquoi nous, évêques indonésiens, ne pouvons cacher notre angoisse et notre inquiétude au vu des événements récents et de l’évolution de la situation ces derniers temps. Nous proposons quelques pistes de réflexion de façon à prendre ensemble des mesures pour améliorer la situation :

1. Corruption, collusion et manipulations sont de plus en plus ancrées dans le tissu de la vie nationale. Beaucoup de gens éprouvent de moins en moins de honte à profiter de leur poste, de leur situation et des occasions qui se présentent pour s’enrichir personnellement ou enrichir leur famille, leurs parents, leurs amis ou leur propre groupe. Un tel phénomène est une menace pour la moralité et les valeurs morales de la nation.

2. Corruption et collusion sont souvent accompagnées de violence sociale. Les petits sont facilement les victimes de diverses formes d’intimidation, de manipulation et d’expropriation forcée, qui trop souvent anéantissent les bases de la vie personnelle, familiale ou bien du bien du groupe social.

3. Notre pays est un pays de droit. Mais les décisions de justice ont été violées de nombreuses fois et ne sont pas toujours appliquées de façon cohérente et définitive. A plusieurs reprises, le jugement rendu par une instance juridique elle-même heurte de front la perception qu’a la société de la justice. On a l’impression que la justice et le droit sont facilement exploités pour des intérêts politiques étroits, et non pas au nom de la justice, de l’honnêteté, de l’humanité et de la civilisation. A plusieurs reprises on a entendu dire que les prisonniers avaient été torturés, en contradiction avec leurs droits les plus fondamentaux, et même parfois torturés à mort.

4. Nous sommes persuadés que la jeune génération est l’espoir de la nation. Nous devons apprendre à écouter et à bien comprendre l’idéal, les espoirs et les critiques de nos jeunes, même si ce qu’ils expriment et la façon de le dire nous surprennent. Cela nous fait mal qu’on ne se comporte pas comme il faut avec eux, qu’on les soupçonne ou les accuse facilement, et à plus forte raison qu’on les torture. Cela nous fait mal que, simplement à cause de la forme de leurs revendications qui nous surprend, nous ne puissions pas saisir ce que, au fond, ils veulent exprimer. Nous regrettons vivement aussi que nos jeunes soient exploités par qui que ce soit pour des intérêts particuliers ou de groupes.

5. Plus d’une fois, en toute illégalité, des fonctionnaires ont agi avec brutalité, entraînant ainsi la mort de l’inculpé. Malheureusement de tels agissements restent souvent impunis, si bien que cela donne l’impression qu’il s’agit là de faits négligeables et de peu d’importance.

6. Nous regrettons aussi que la presse et les médias soient souvent empêchés de donner une information aussi objective que possible. Bien sûr, nous souhaitons que les journalistes soient honnêtes et responsables en tant qu’agents de communication sociale qui doivent avoir leur place normale dans notre société. C’est pourquoi nous, les évêques, demandons à la communauté de savoir choisir et sérier l’information et de soutenir tous les efforts entrepris en vue d’une information exacte et complète. L’article 28 de la constitution de 1945 stipule que le pays garantit le droit de se syndiquer et de s’associer, ainsi que la liberté d’expression, orale aussi bien qu’écrite. Par conséquent, tout effort visant à donner une information exacte, vraie et responsable doit être soutenu. Une information exacte et immédiate est un des droits de la société. L’information contribue à forger les attitudes et les décisions de conscience. Au contraire, une information tronquée, manipulée, et non conforme à la réalité, n’amène finalement chez les gens que confusion, incertitude et indifférence.

7. De nombreuses voix se sont fait entendre, exprimant le souhait que le DPR (Assemblée Nationale) et le MPR (instance suprême du pays) assument pleinement leur rôle et leur responsabilité en veillant aux espoirs et aspirations de la société et en les défendant vigoureusement.

8. En même temps, se manifestent dans la société des signes de plus en plus nombreux d’une régression de la dicipline nationale et du respect d’autrui, et même d’une recrudescence de la violence collective. Il n’est pas rare que des citoyens, voire des membres des forces de sécurité, soient victimes de la violence ; de nombreux bâtiments, usines, édifices publics et religieux, ont été détruits.

9. En raison de ces différents événements, la communauté catholique, parfois, se sent dans l’insécurité. Nous nous posons la question : est-ce que la liberté de culte, dont nous jouissons actuellement, nous sera encore accordée dans l’avenir ? Nous sommes convaincus qu’une telle question est également présente chez nos frères musulmans, protestants, bouddhistes, hindous, là où ils sont une minorité. Cela devient une question commune à nous tous : est-ce que l’unité de la nation est vraiment considérée comme importante ? Est-ce que l’égalité des droits et des devoirs pour tous est devenue une conviction sincère et est vécue de façon sérieuse ?

10. Nous voulons mentionner aussi le cas du Timor Oriental. Nous prions le Seigneur de lui accorder la paix et la sérénité, ainsi que l’amour à nous tous. Nous souhaitons que chacun réfléchisse sérieusement et se demande pourquoi après 20 ans d’intégration, une partie de la population du Timor Oriental ne connaît pas encore la paix. Nous pensons que pour mettre un terme à cette situation il serait bon de passer de l’approche “sécuritaire” à celle de l’instauration d’un climat social qui permette au peuple du Timor Oriental de vivre concrètement son identité culturelle, religieuse et historique comme reconnue, appréciée et protégée. Il est très important de veiller aux aspirations profondes du peuple du Timor Oriental.

Chers frères et soeurs, nous ne mentionnons qu’une partie de l’inquiétude que nous partageons ensemble, non pour en rester là, mais parce que nous sommes convaincus qu’une attitude positive et responsable ne peut croître que si nous avons le courage de regarder en face les faiblesses et les mensonges qui vivent en chacun de nous et au sein de la société. Nous croyons que le Seigneur accompagne de sa grâce et de sa force les gens droits et de bonne volonté. Bannissons donc tout pessimisme et toute peur, et tournons-nous vers l’avenir, remplis d’espérance. En ce moment il est très important de ne pas nous laisser paralyser par le négatif. Ne refusons pas de regarder et d’apprécier ce qui est positif. Dans notre pays, dans toutes les religions, dans la société comme dans les instances gouvernementales, civiles ou militaires, il y a beaucoup de gens de bien qui aspirent à la vérité et à la justice, et qui luttent pour l’honnêteté et la fraternité. Les difficultés et les échecs que nous ressentons tous très vivement ne doivent pas jeter en nous le trouble et nous faire perdre tout espoir.

Nous le savons, suivre Jésus-Christ peut susciter méfiance et parfois rejet à notre égard, y compris lorsque nous nous efforçons loyalement de contribuer au bien-être de toute la nation. Comme Simon de Cyrène (Lc 23,26), nous sommes aussi appelés à porter notre part de la croix de Notre-Seigneur. Nous pouvons y trouver joie et sens pour l’existence. Même s’il existe encore des pressions, des menaces, des violences, n’ayons pas peur, ne soyons pas déçus ou désespérés, même si cela peut se reproduire. La société indonésienne, et nous catholiques y compris, a besoin de temps pour pouvoir vivre ensemble en frères, malgré nos nombreuses différences, comme le demande le Pancasila. Pour cela, il nous faut beaucoup de patience, de sérieux, d’ouverture et de bonté de coeur. L’attitude chrétienne par excellence n’est pas le désespoir, mais au contraire l’espérance (Rm 5, 24a).

Chers frères et soeurs, spécialement dans nos relations avec les croyants des autres religions, nous devons avoir un esprit ouvert et positif. S’il reste de la peur ou de la méfiance, essayons de la surmonter en nous rapprochant les uns des autres et en dialoguant. Ecoutons leur inquiétude tout en exprimant la nôtre. Travaillons ensemble à faire le bien.

Avec la communauté musulmane, beaucoup de points nous rassemblent, concernant la foi et la morale. Depuis des dizaines d’années, dans des milliers de villes et de villages, nos communautés ont toujours vécu dans la bonne entente et la paix. Comme le souligne le Concile Vatican II, l’Eglise regarde l’islam avec un grand respect. Oublions l’inimitié et les oppositions qui ont pu se manifester autrefois et efforçons-nous de nous comprendre mutuellement. Luttons ensemble pour garantir et inculquer les valeurs sociales, de justice et de vie communautaire (Nostra Aetate, n°3). N’oublions pas que nos relations sont bonnes en général, même s’il existe parfois des tensions, et que parmi les musulmans et leurs leaders bon nombre nous traitent en amis. Prenons les événements de Situbondo, par exemple : la protection et l’abri accordés aux catholiques, les déclarations faites par des leaders musulmans et leur participation à reconstruire les bâtiments incendiés et détruits, nous ont profondément touchés. Soyons constamment attentifs et pleins de sagesse de façon à ne pas politiser la religion et ne la laissons jamais politiser par qui que ce soit. Ainsi la religion ne sera utilisée par personne comme instrument politique.

Avec nos frères protestants, musulmans, hindous, bouddhistes et ceux des autres croyances, nous devons avec sérieux rechercher la réponse aux questions concernant le sens et le but de la vie, approfondir notre vie religieuse, nous libérer de la peur et de nos entraves dans l’amour et la foi pour Dieu (Nostra Aetate n°2). Aussi, poursuivons sans relâche et à tous les niveaux notre effort de dialogue entre croyants. Que les responsables catholiques fassent connaissance avec les responsables des autres religions. Là où nous sommes majoritaires, que les fidèles des autres religions se sentent en sécurité et accueillis sans arrière-pensée. Là où nous sommes minoritaires, restons ouverts; ayons même l’initiative de rencontres et d’une collaboration avec les fidèles et les responsables des autres religions.

Nous devons prendre conscience que les bonnes relations entre les différentes religions peuvent être dues à l’initiative du gouvernement, mais leur mise en oeuvre et leur essor reviennent aux communautés elles-mêmes. Une attitude d’ouverture et un désir de travail en commun ne sont d’aucune manière une tactique pour rechercher la sécurité. En tant que citoyens, nous sommes convaincus que c’est là une exigence pour former et développer le sens d’une fraternité nationale, et en tant que catholiques nous voyons là une exigence de notre foi chrétienne.

Chers frères et soeurs, nous ne pouvons pas terminer cette lettre sans parler des élections qui vont avoir lieu dans trois mois. Des élections libres, honnêtes et justes sont l’un des principaux moyens d’expression de la souveraineté populaire. Voilà pourquoi vouloir sous-estimer, manipuler ou arranger d’avance les élections est une violation grave du droit des électeurs et de la dignité des citoyens, et, à un certain niveau, peut réduire à néant la souveraineté populaire elle-même. Comme pasteurs, nous affirmons que la communauté catholique doit se sentir vraiment libre dans son choix aux prochaines élections générales. Vous êtes libres de choisir, parmi les trois formations en présence, celle qui vous parait la meilleure. Mais si vous ne vous sentez représentés par aucune et que vous êtes certains en conscience que vos aspirations ne sont pas prises en considération, nous comprenons que vous exprimiez votre responsabilité et votre liberté en ne votant pas, et s’abstenir ne constitue aucunement un péché. Au contraire, si vous êtes soumis à de très fortes pressions, il vaut mieux suivre ce qu’on vous dit de faire plutôt que d’avoir à subir des torts hors de proportion. L’important

est que vous puissiez rendre compte moralement de votre choix. Avec l’ensemble de la nation travaillons à ce que les droits du peuple soient respectés, la liberté davantage garantie et toute infraction évitée. Et s’il se produit des infractions, qu’on s’en remette aux instances compétentes.

Chers frères et soeurs, nous devons avouer humblement que nous, les catholiques, avons encore beaucoup à faire. Dans nos relations avec les autres religions et dans notre propre religion, nous avons parfois des réactions émotionnelles, nous sommes trop fermés ou indifférents. Comme citoyens, nous ne donnons pas toujours le meilleur de nous mêmes. Il nous faut toujours apprendre et apprendre beaucoup, y compris de nos frères des autres religions. Nous, les évêques, demandons aussi pardon pour toutes les déceptions que nous avons pu causer aussi bien parmi les catholiques que dans la société en général. Voilà pourquoi, en ce temps de carême, il nous faut nous convertir. Ecoutons le conseil du prophète : “Déchirez votre coeur et non vos vêtements ; revenez au Seigneur votre Dieu” (Joël 2, 13). Nous demandons à Dieu que le coeur sacré de Jésus sauveur devienne pour nous, ses disciples, notre modèle de vie.

Nous pouvons dire que le chemin sur lequel nous avançons actuellement est une partie du chemin de croix du Christ lui-même en marche vers sa gloire au jour de Pâques. En suivant le Seigneur, ce qui nous advient, quoi qu’il arrive, ne nous remplira pas d’amertume, de colère, de haine ou de désespoir. Du Seigneur lui-même nous avons appris que l’amour est plus fort que la haine, que le pardon est plus fort que la vengeance (Lc 23, 34). Donc ensemble, avec toute la nation indonésienne, luttons pour la justice sociale, les valeurs morales, la paix et l’indépendance, avec un coeur rempli d’espoir (Nostra Aetate). Chers frères et soeurs, tout au long de cette année 1997, adressons de façon spéciale nos prières au Seigneur bon et miséricordieux pour la fraternité et l’unité, la paix et le bien-être de notre nation. Vous pouvez pour cela utiliser la prière ci-jointe.

Salut et Bénédiction.

Jakarta, carême 1997

La conférence épiscopale d’Indonésie

PRIERE POUR LA PATRIE

Père très aimant et miséricordieux,

Nous te rendons grâce pour notre patrie.

Des milliers d’îles, une multitude d’ethnies,

Et une variété de religions et de cultures,

Que tu rassembles en un archipel, une nation et une langue.

Nous te louons pour le développement

et le progrès déjà accomplis.

Louange et gloire à Toi, Seigneur.

Cependant, Père très aimant et miséricodieux,

Nous sommes aussi assaillis par la peine et le malheur.

L’union et la fraternité nationales sont déchirées

par des conflits politiques,

Des écarts sociaux dans de nombreux domaines,

Notre dignité nationale est souillée par la violence et l’oppression,

Maculée par l’hypocrisie et l’injustice, obscurcie par des crimes divers.

Notre image comme nation religieuse est ternie,

Parce que les édifices que nous construisons à ta gloire

sont endommagés et détruits.

Nous nous sentons soucieux et nerveux.

A cause d’un manque de fermeté dans l’exécution de la loi ;

Nous sommes inquiets et angoissés,

Parce que la dignité de l’homme et ses droits fondamentaux

ne sont pas respectés.

Prends pitié de ton peuple, Seigneur.

Père très aimant et miséricordieux,

C’est toi notre espoir, tu es notre rocher et notre refuge.

En ton Fils tu as promis :

“Je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin des siècles

Cette promesse nous réconforte réellement et

suscite en nous l’espérance.

Oui, accompagne toujours notre nation.

Daigne fortifier la foi et la piété en chaque Indonésien

Afin que ceux qui t’adorent, Toi, comme unique Seigneur,

Vivent toujours dans la paix et la fraternité

en se respectant et s’entr’aimant.

Que l’amour soit plus fort que la haine,

Le pardon plus fort que la vengeance,

De façon à ce que notre nation soit toujours une,

En accord de pensée et de coeur,

Pour bâtir un avenir serein, une vie heureuse et prospère.

Prends pitié de ton peuple, Seigneur.

Père très aimant et miséricordieux,

Accompagne nos dirigeants pour qu’ils soient remplis

d’esprit de service.

Nous te demandons spécialement ta grâce

Pour nos frères faibles, pauvres, et étouffés

par toutes sortes de souffrances :

Que leurs souffrances et leurs angoisses soient prises

en considération par toute la communauté.

Accorde-nous la sagesse pour que nous puissions servir

en toute sincérité

Au nom de la vérité et de la justice.

Prends pitié de ton peuple, Seigneur.

Père très aimant et miséricordieux,

Nous confions notre nation entre tes mains.

Aide-nous à construire une patrie juste et prospère,

calme et florissante,

Pour qu’elle soit à l’image de la patrie céleste,

Lieu d’éternel bonheur en ta présence.

Nous te le demandons par le Christ Notre Seigneur.

Amen