Eglises d'Asie

Le gouvernement parle d’ingérence du Saint-Siège et semble amorcer une nouvelle politique religieuse.

Publié le 18/03/2010




La politique du Saint-Siège à l’égard du Vietnam vient d’être mise en cause par M. Nguyên Van Ngoc, responsable des affaires religieuses pour Hô Chi Minh-Ville et successeur probable de M. Vu Quang, directeur national. Dans une interview accordée au quotidien de Hô Chi Minh-Ville, « Saigon Giai Phong » (15), le 9 mai dernier, le fonctionnaire vietnamien s’en est pris plus particulièrement à Mgr Celli, chef de la délégation du Saint-Siège qui s’est récemment rendue au Vietnam pour des négociations. Il a accusé le Saint-Siège d’avoir violé la législation du Vietnam en nommant un administrateur apostolique à Hô Chi Minh-Ville, Mgr Huynh Van Nghi. Il a appelé le Vatican à réviser son attitude et à s’aligner sur celle, plus moderne, des autres puissances qui reconnaissent le Vietnam comme un pays souverain et indépendant. Il a fait cependant remarquer que les relations pourraient se réchauffer si le Vatican respectait la loi vietnamienne.

L’évêque de Phan Thiêt, Mgr Huynh Van Nghi, nommé administrateur de Hô Chi Minh-Ville par Rome, a fait, lui aussi, l’objet des attaques du responsable du bureau des affaires religieuses. Il est accusé d’avoir violé la législation commune à laquelle doit se soumettre chaque citoyen et d’avoir porté tort aux relations entre les religions. Selon M. Ngoc, Mgr Nghi est la cause de l’interruption d’activités religieuses dans le diocèse, interruption qui « a soulevé les protestations des fidèlesIl aurait aussi empêché des prêtres et des évêques des autres villes de s’associer aux cérémonies se déroulant à Hô Chi Minh-Ville (16).

Cette réaction virulente est un nouveau témoignage de la tension qui a régné au cours des récentes négociations et du désaccord qui oppose aujourd’hui le Saint-Siège et le gouvernement vietnamien sur la question de la liberté de l’Eglise. Il faut peut-être aussi y voir le signe d’un tournant dans la politique du gouvernement vis-à-vis du catholicisme. Le principe de négociations directes avec le Saint-Siège avait été adopté en 1990 grâce à l’insistance de celui-ci qui pensait alléger la pression à laquelle était soumise l’Eglise locale, à une époque où le Vietnam était encore dans un relatif isolement diplomatique. Le cardinal Etchegaray avait inauguré ce genre de négociations lors de son voyage au Vietnam en juin 1989. Aujourd’hui, plusieurs indices laissent présager un changement d’attitude du gouvernement vietnamien qui désormais semble préférer négocier avec les responsables catholiques sur place. Dans une récente interview au journal « Le Monde » du 5 mai 1995, le premier ministre vietnamien, Vo Van Kiêt, a eu à ce sujet des remarques significatives. Il a affirmé: « Aujourd’hui, la quasi-totalité des problèmes prétendument religieux seraient solubles, s’il n’y avait pas un coup de pouce, un coup de main de l’étranger… Tous les problèmes quels qu’ils soient peuvent être résolus dans le cadre de la communauté nationale. Si le Vatican pour évoquer ce cas précis s’en tient à ses promesses, s’il respecte notre indépendance, il n’y aura aucune difficulté à résoudre nos problèmes…  » Plus loin, il a ajouté: « Pour ce qui concerne les bouddhistes comme les catholiques, j’ajouterai qu’on doit laisser les clergés vietnamiens résoudre, entre eux, leurs problèmes, afin qu’aucune intervention étrangère ne fausse les solutions ».

Par ailleurs, des informations de source romaine (17) sur le contenu des récentes négociations renforcent l’impression que le gouvernement ne désire plus recourir directement à l’instance suprême de l’Eglise catholique. On a appris en particulier que dès avant le départ de la délégation, les autorités vietnamiennes avaient fait savoir au Saint-Siège que s’il n’avait pas changé de position concernant le diocèse de Hô Chi Minh-Ville, son voyage au Vietnam serait inutile. De plus, au cours des négociations du 29 avril 1995, après avoir refusé toutes les propositions de nominations présentées par leurs interlocuteurs, les responsables des Affaires religieuses ont prié le Saint-Siège de se conformer à une proposition du P. Truong Ba Cân, contenue dans une lettre ouverte signée de lui et publiée dans la revue « Le catholicisme et la nation » (18). Le rédacteur en chef de l’organe du Comité d’union à Hô Chi Minh-ville proposait dans cette lettre que la Conférence épiscopale négocie elle-même les nominations de nouveaux évêques avec les autorités civiles. Selon les négociateurs vietnamiens, les évêques sont mieux au courant des questions locales que la délégation du Saint-Siège.

Il est aussi révélateur que la partie vietnamienne ait montré peu d’enthousiasme devant une proposition de la délégation du Saint-Siège (19) de créer un bureau de liaison entre le Vietnam et le Vatican en attendant l’établissement de relations diplomatiques. Les exigences qu’elle a alors formulées comme conditions de cette création, à savoir le remplacement de certains ecclésiastiques vietnamiens en poste à Rome, étaient inacceptables.

Il est probable, comme l’a laissé entendre le premier ministre, que les échos soulevés dans le monde entier par la répression du bouddhisme unifié vietnamien, incitent le pouvoir civil à maintenir les diverses communautés religieuses et les problèmes posés par elles dans un cadre strictement national.

Une dépêche du lendemain, 10 mai 1995, nous a appris que, dans une nouvelle déclaration au quotidien saigonais, le responsable des affaires religieuses avait nuancé ses affirmations de la veille. Le gouvernement se préparerait à réformer la législation dans le sens d’une plus grande libéralisation. Il a cependant ajouté qu’« il espérait que les communautés religieuses étrangères respecteraient la souveraineté du Vietnam » (20).