Eglises d'Asie – Inde
LES MOUVEMENTS NATIONALISTES HINDOUS ET LEUR ATTITUDE A L’EGARD DES CHRETIENS Le RSS (Rashtriya Swayamsevak Sangh)
Publié le 18/03/2010
Le chef de file de ces mouvements nationalistes hindous est l'”Association des volontaires au service de la nation” (Rashtriya Swayamsevak Sangh : RSS), qu’on appelle aussi le Sangh. Le présent article présentera d’abord brièvement l’origine et le développement de cette association, en montrant sa structure et son fonctionnement, puis son attitude à l’égard des chrétiens de l’Inde et enfin les demandes qu’elle leur adresse.
I. ORIGINE ET DEVELOPPEMENT DU R S S
Arrière-plan
Pour bien comprendre un mouvement, il faut commencer par étudier son contexte historique. Subhas Chandra Bose, un des leaders de l’indépendance, affirme que le nationalisme hindou à l’époque moderne a émergé sous le régime colonial anglais. Selon lui, jusqu’à l’arrivée des Anglais, l’Inde malgré sa diversité ethnique ne s’est pas sentie menacée, parce que l’hindouisme pouvait, d’une part absorber de nombreuses ethnies et civilisations, et d’autre part leur imposer sa propre culture et sa propre tradition. Mais sous le régime anglais, les Indiens se sentaient dominés culturellement, politiquement et économiquement par un peuple qui n’avait rien à voir avec leur culture et leur religion. Cette peur d’être absorbés par une culture et une religion étrangères a provoqué une révolte dans le coeur des Indiens 5. A cette époque des leaders hindous sont apparus sur la scène politique et sociale. Ils redonnaient confiance aux Indiens, les confortaient dans leur culture hindoue ancienne et les aidaient à se battre contre la colonisation anglaise.
Le premier d’entre eux fut Raj Ram Mohan Roy, au début du dix-neuvième siècle. A la lumière du christianisme et du libéralisme européen, il a compris que quelques coutumes sociales hindoues devaient subir une réforme profonde si l’on voulait sortir le pays de l’abîme du désespoir. Dans ce but, il a fondé le Brahmo Samaj en 1828, qui a contribué à l’abolition du Sati 6, à l’égalité des femmes, à la liberté de la presse 7 et à la condamnation du système des castes 8. L’esprit patriotique semé par Raj Ram Mohan Roy et son Brahma Samaj ont fait germer plusieurs autres organisations nationalistes.
Samaj a été fondé par Swami Dayananda Saraswati le 10 avril 1875 9. Dayananda a prêché un hindouisme réformé, militant et agressif. Son slogan était : “Retour aux Vedas”, rétablir l’hindouisme sur une base védique 10. Ses militants disaient attendre le jour où ils pourraient régler leur compte aux musulmans et aux Britanniques. Les arya-samajistes ont exigé le rite de reconversion à l’hindouisme de ceux qui s’étaient convertis à d’autres religions (shuddhi) 11.
La Ramakrishna Mission a été fondée en 1897 par Swami Vivekananda, disciple de Sri Ramakrishna, afin de propager l’hindouisme 12 en Inde et à l’étranger. C’est lui qui introduit l’esprit missionnaire dans l’hindouisme.
La Hindu Maha Sabha est née sur le plan national en 1917 à Allahabad 13. Ses principaux objectifs étaient de promouvoir l’union et la solidarité entre toutes les sections de la communauté hindoue ; d’améliorer la condition de la communauté hindoue, y compris les basses castes ; de protéger et promouvoir les intérêts des hindous, quand et où cela serait nécessaire, etc. 14. En toutes ses orientations le politique prédominait et son principal adversaire a été le parti du Congrès 15, qui soutenait également les intérêts des musulmans et le “sécularisme” 16.
Le Hindu Sangathan a connu un grand développement avec V. Savarkar. Selon lui, les trois facteurs fondamentaux qui unifient les hindous sont des facteurs territoriaux, raciaux et religieux. Selon ces critères, les croyants de l’hindouisme, ceux du bouddhisme, du jainisme et du sikhisme peuvent être considérés comme hindous, mais pas les musulmans ni les chrétiens. Il a favorisé le droit des intouchables 17 à entrer dans les temples et les mariages intercastes 18.
Ainsi le nationalisme hindou de l’époque moderne a-t-il débuté de diverses manières : réforme des pratiques hindoues incompatibles avec la culture moderne, combat politique pour l’indépendance du pays, rétablissement de l’âge d’or hindou grâce à ses textes sacrés, opposition aux religions sémitiques, etc. Chaque mouvement nationaliste a essayé de combiner ces différentes expressions du nationalisme tout en privilégiant tel ou tel aspect plus que d’autres. Le RSS est né au sein de ces organisations, déterminé en partie par elles et en s’en distinguant partiellement.
La naissance du R S S
Le fondateur du RSS, Kesav Baliram Hedgewar, né en 1889 à Nagpur, a cherché à comprendre les causes de la dégradation du Bharat (l’Inde). Même si les invasions musulmane et britannique ont contribué à sa désintégration, disait-il, la vraie cause du déclin a été la faiblesse intérieure de la société hindoue. Le Bharat manquait de conscience et de cohésion nationales 19. Un autre facteur a frappé l’esprit de Hedgewar : les idées propagées contre les hindous par quelques Anglais et des Indiens élevés dans leurs écoles. En voici quelques-unes: les hindous n’ont pas de passé glorieux, le Bharat n’a jamais été une nation, les hindous deviendront plus civilisés en suivant les traces des Occidentaux, la communauté hindoue est en train de mourir, etc.20. L’attitude du Congress vis-à-vis des musulmans inquiétait également Hedgewar. Les Anglais ont promis de donner l’indépendance à l’Inde si le Congress et les musulmans proposaient un projet commun. Dès 1916, le parti du Congrès et la Muslim League ont fait des efforts communs pour trouver des consensus sur les problèmes politiques et sociaux. Hedgewar a pensé qu’à cause de sa stratégie consensuelle le Congrès serait obligé d’accorder aux musulmans toutes leurs revendications. Il a senti la nécessité de fonder une organisation qui consoliderait l’unité hindoue contre le prosélytisme des musulmans et des chrétiens, lutterait contre le régime colonial britannique et développerait en permanence l’esprit national dont l’Inde aurait besoin même après son indépendance21. En vue de cet objectif il a fondé avec ses collègues, à Nagpur, en septembre 1925, le jour de la fête hindoue de la victoire du bien sur le mal (Vijay Dashami), une nouvelle organisation 22.
Ce bref rappel de l’origine du RSS au sein des mouvements nationalistes hindous amène à s’interroger sur sa nature. Est-il un mouvement culturel, politique ou religieux? J’incline à penser qu’il est difficile de le considérer comme un mouvement à une seule face. Pour l’expliquer je préfère recourir au langage symbolique et rappeler l’hydre de Lerne 23, généralement représentée avec neuf têtes. Lorsque Héraclès a voulu lui couper la tête, deux autres ont repoussé. Il en est de même du RSS : lorsque sa tête politique est endommagée, il réagit avec d’autres têtes. L’hydre de Lerne avait une tête immortelle, le RSS aussi, la tête immortelle de . Jusqu’à présent ses facettes les plus visibles ont été culturelles, politiques, religieuses et sociales. Les pages suivantes montreront comment le RSS se sert de ses multiples facettes pour jouer de son identité en fonction des conditions favorables dans le pays.
Le développement du R S S
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Hedgewar était convaincu que pour avoir des citoyens qui agissent au-dessus de leurs intérêts personnels, des considérations de castes et de races, il fallait former d’abord un groupe de personnes attachées aux aspirations nationales. Il décida d’infuser le patriotisme aux jeunes et de leur inculquer la discipline par des exercices physiques et des exhortations patriotiques. Il a commencé la formation des jeunes en fondant une shakha à Nagpur 24.
La shakha est l’unité de base du Sangh, sa branche locale ou de quartier, qui doit beaucoup pour sa structure au système des hindous (ce terme désignant un lieu d’exercices physiques, généralement rattaché à un temple, et certains ordres d’ascètes combattants). Quand la shakha n’est pas rattachée à un temple, elle comporte un autel souvent dédié à Hanuman (le commandant-en-chef de l’armée des singes, qui aida Rama à conquérir Lanka et le symbole de la force dans le Ramayana, épopée de l’hindouisme rédigée vers le début de notre ère par Valmiki) 25. Le programme quotidien d’une shakha se déroule ainsi. Ses membres (swayamsevak)26 arrivent à l’heure fixée, le matin ou le soir. Quand l’instructeur suprême (mukhya shikshak) siffle, chacun se met en ligne. Le drapeau safran (bhagwa) est hissé et tous le saluent. Suivent les exercices, les joutes à la longue matraque (lathi) et d’autres. Ensuite, tous se mettent en rond, contrôlent les absences, accueillent les nouveaux membres s’il y en a, reçoivent l’enseignement et chantent quelques chants. Pour finir, ils se mettent encore en ligne, disent la prière, saluent le drapeau et l’amènent. Le programme est terminé, mais il reste encore un peu de temps pour discuter des nouvelles du jour 27.
Ce programme ne semble pas extraordinaire, mais il permet vraiment une formation intégrale des membres de la shakha. Les exercices physiques comme les joutes à la lathi font des corps en bonne santé et cultivent la discipline. Les discussions sur des sujets comme : le rôle joué par les grandes personnalités dans l’histoire de l’Inde, les éléments antinationalistes qui ont affaibli le pays, les défaites et les victoires qui ont façonné l’Inde, les caractéristiques de la culture hindoue, le capitalisme, le communisme, le socialisme et les programmes du Sangh… – sont de véritables exercices intellectuels. Les joutes démontrent la force d’être uni et organisé. La prière récitée chaque jour devant le drapeau inculque aux swayamsevak une nouvelle culture (samskar) et à partir de là, ils réaffirment leur foi dans l’idéologie du Sangh. En plus de la formation quotidienne dans la shakha, un camp annuel de formation a été instauré à partir de 1929. Chaque swayamsevak est obligé d’y participer pendant les trois premières années. Le camp de la troisième année est organisé à Nagpur où les participants ont l’occasion de connaître les leaders provinciaux et nationaux du Sangh. Toutes ces formations quotidiennes et annuelles leur permettent de s’investir au service de la cause nationale en oubliant leurs distinctions de castes, de sectes, de langues et de provinces 28.
Au début, le RSS n’avait pas de responsables attitrés. L'”autorité suprême” (sarsanghchalak) 29 n’est apparue qu’en 1929 quand Appaji Joshi a donné ce titre au Dr Hedgewar devant ses collègues 30. Depuis les instances hiérarchiques ont été multipliées. Le pays entier est divisé en provinces, départements, villes et villages selon le nombre de shakha. Entre le sansanghchalak et le sanghchalak 31, plusieurs instances d’administration ont été créées comme l’assemblée générale des représentants du RSS pour toute l’Inde (Akhil Bharatiya Pratinithi Sabha : ABPS); le cercle général responsable pour toute l’Inde (Akhil Bharariya Karikarya Mandal : ABKM); le cercle central exécutif du RSS (Kendriya Karikarya Mandal :KKM) et le secrétaire général (Sarkaryawahposte créé par Hedgewar en 1929.
A partir de 1928, Hedgewar a envoyé des “prêcheurs”(pracharak) dans les villes du pays pour y implanter des shakha. Sans posséder aucune position formelle dans la structure organique du RSS, ils en constituent l’armature, car ils sont considérés comme les incarnations de tout ce pour quoi le Sangh existe. Alok Kumar, vice-président de l’assemblée législative de Delhi, définit ainsi le rôle du pracharak: “Alors qu’un apparatchik communiste défend ses valeurs par des théories, un pracharak propage ses croyances par sa manière de vivre et par ses contacts”. Ils dévouent entièrement leur vie à la cause du Sangh, ils font voeu de célibat et prennent un engagement de loyalisme envers le drapeau safran 32.
L’une des missions assignées aux swayamsevaks par Hedgewar était la protection des fidèles au moment des fêtes hindoues dans les temples. Les swayamsevaks en uniforme surveillaient les queues de pèlerins, leur donnaient de l’eau, les protégeaient des faux prêtres hindous et des violences des musulmans 33. Grâce à ce service, le RSS a vite été reconnu comme une organisation de protection des hindous. Peu avant sa mort, Hedgewar nomma M.S. Golwalkar comme son successeur. Quand il mourut, le 21 juin 1940 34, il y avait presque cent mille swayamsevak qui représentaient la plupart des provinces du pays 35.
M. S. Golwalkar (Guruji), né le 18 février 1906, le deuxième sarsanghchalak, a écrit deux livres sur le Sangh: We or Our Nationhood Defined, en 1939 36, et Bunch of Thoughts qui contient la philosophie fondamentale du RSS. L’une des meilleures contributions de Golwalkar au Sangh est de lui avoir donné un fondement philosophique 37. Il a fait des tournées dans le pays, fortifiant les shakha et les swayamsevak. Grâce à ses efforts, de nouveaux corps de pracharak sont partis dans plusieurs autres villes et le nombre de shakha s’est multiplié 38. K.R. Malkani, l’un des théoriciens du RSS, explique que cette croissance accélérée des shakha a été due en partie aux agressions des musulmans. Pendant la partition (1946-47), les hindous et leurs propriétés ont été attaqués par des musulmans. Dans ce contexte, lorsque le RSS est entré en scène pour unifier les hindous et les protéger, ils ont répondu favorablement à son appel, le considérant comme une organisation visant le bien de la communauté hindoue 39. Selon Andersen et Dalme l’augmentation du nombre des swayamsevak est due aussi au fait que les propositions du Sangh correspondaient au désir des jeunes de s’engager pour un idéal auquel ils pouvaient donner soutien et obéissance. Cela leur permettait de s’identifier à un groupe qui les intégrait à la communauté hindoue en affirmant le loyalisme envers la nation 40.
Le Mahatma Gandhi a été assassiné le 30 janvier 1948 par Nathuram Vinayak Godse, qui avait été membre du RSS dans les années 30 et qui appartenait alors à un groupe extrémiste de la Hindu Maha Sabha, Hindu Rashtra Dal. Or, dans une interview accordée récemment à Aravind Rajagopal, Gopal Godse, le plus jeune frère de Nathuram Godse, a affirmé qu’à l’époque du meurtre de Gandhi, Nathuram n’avait pas quitté le RSS et était même instructeur des swayamsevak (baudhik karyawahC’est pour sauver l’image de Golwalkar et celle du RSS que Nathuram a dit à son procès qu’il avait quitté le RSS 41. Quoi qu’il en soit, le gouvernement a déclaré le 4 février 1948 que le RSS était une organisation illégitime et la mort de Gandhi a été interprétée comme un résultat des violences cultivées par le Sangh. Patel, alors ministre de l’intérieur, a proposé à Golwalkar de rédiger pour le RSS des statuts conformes à la constitution de l’Inde et de modifier son fonctionnement selon des principes démocratiques. Le RSS s’est donné une constitution expliquant ses buts telle que l’unification des divers groupes hindous et s’est engagé à recourir, pour les atteindre, à des méthodes légitimes et non-violentes. Il a réaffirmé sa volonté d’être une organisation culturelle et d’éviter tout engagement politique. En conséquence le gouvernement a levé son interdiction le 12 juillet 1949 42.
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Dès la levée de l’interdiction, Golwalkar fit une tournée dans tout le pays pour revifier le mouvement et discuter de son avenir. A la lumière de ces discussions, le RSS adopta une nouvelle stratégie: rendre visible sa présence dans tous les domaines de la vie humaine. Cette stratégie s’est appuyée sur l’utilisation des médias et sur des associations filiales dans les différents domaines de la vie dont voici les plus importants.
Les médias Les critiques émises après l’assassinat du Gandhi ont poussé le RSS à fonder des journaux pour mieux défendre ses idées. Ainsi l’hebdomadaire Panchjanya, en hindi, a été créé à Lucknow en 1948 43 et Organiser, hebdomadaire fondé à Delhi en 1947, commença de paraître. Un grand nombre de publications quotidiennes, hebdomadaires, mensuelles, de brochures… ont paru à partir de 1948 dans toutes les langues vernaculaires dans tout le pays. Egalement ont alors été fondés les organismes d’édition comme Suruchi Prakashan à New Delhi, Bharaiya Vichar Sadana à Nagpur, Jagarana Prakashana à Bangalore, etc.44.
Dans le milieu scolaire, le Akhil Bharaiya Vidharti Parishad (A.B.V.P.) fondé en 1949 vise à la fois les enseignants et les élèves. Il attire aujourd’hui les étudiants qui optent contre l’intouchabilité et le système de la dot. Ses programmes “Vie interprovinciale” et “Bharat est ma famille”, qui permettent aux étudiants de passer leurs vacances en d’autres provinces et de s’y enrichir ont un succès fou aurpès des étudiants 45.
Le parti politique Jana Sangh. L’interdiction prononcée après la mort de Gandhi, les conséquences de la partition, etc. ont convaincu le RSS de l’importance d’avoir un parti qui soutiendrait ses intérêts dans le domaine politique. A ce moment-là le Dr Shyama Prasad Mookerjee, ancien membre de la Hindu Mahasabha et ancien ministre du gouvernement de Nehru, ambitionnait de son côté de fonder un nouveau parti politique. Il rechercha le soutien du RSS et donna son accord à la notion du Hindu Rashtra du Sangh. Golwalkar choisit alors des swayamsevak qui pourraient l’aider à fonder un nouveau parti. Celui-ci, le Jana Sangh, fut créé le 21 octobre 1951 46. Deux mois plus tard l’élection était contestée et le Jana Sangh ne gagna que trois sièges au parlement central de Delhi (Lokasabha) 35 dans les chambres des Etats. Par contre, aux élections de 1967, le parti a obtenu 35 sièges à la Lokasabha et 268 sièges dans les chambres législatives des États. A travers le Jana Sangh, le RSS a joué un rôle quasi politique comme conseiller des gouvernements.
Au plan social et caritatif : Le Bharatiya Vanavasi Kalyan Ashram (BVKA ou VKA) a été fondé par Ramakant Keshav Deshpande en 1952 à Jashpur, petite ville d’une région tribale de l’Etat du Madhya Pradesh. Cet avocat de Nagpur, inspiré par Golwalkar, est allé à Jashpur dans le but de faire progresser les populations des tribus et de résister au prosélytisme des missionnaires chrétiens auprès d’elles 48. A l’origine du BVKA est la mise en oeuvre d’une “stratégie caritative” 49 du Sangh. Malgré la réticence des rajahs de Jashpur, les missionnaires luthériens et catholiques avaient réussi à acheter des terres et à s’implanter dans l’est de l’Etat en 1893. A partir de 1935, les missionnaires luthériens, par leur Chhota Nagpur Unnati Samaj, et les catholiques en toute discrétion, ont aidé le mouvement Jharkhand 50 qui réclamait un Etat indépendant pour les aborigènes. Après l’indépendance, le prosélytisme chrétien a continué auprès des groupes défavorisés de la société indienne, avec de l’argent venu des pays d’Europe et d’Amérique 51. Le Sangh, prenant conscience de la forte présence chrétienne dans les tribus, a essayé, au moyen du VKA, d’éveiller en celles-ci, selon le mot de Deshpande, “un esprit hindou qui sommeillait”. A travers plusieurs projets culturels, sociaux et caritatifs, il les attire et les intègre à l’hindouisme. Il essaye aussi d’y ramener les tribus converties au christianisme, par le programme de la “purification” (shuddhi) 52.
Action syndicale : Bharatia Maedoor Dangh (BMS) a été fondé par Dattopant Thengadi le 23 juillet 1955 afin de rassembler les ouvriers et les fonctionnaires de tous les secteurs selon l’esprit nationaliste. Le BMS considère les ouvriers et les patrons comme des membres d’une seule famille et essaie de satisfaire à la fois les intérêts des ouvriers et ceux des patrons afin d’éviter les conflits entre les deux groupes. Il instruit ses membres de leurs devoirs autant que de leurs droits. Il s’efforce aussi de former le caractère des ouvriers en dénonçant l’alcoolisme, la corruption, etc. Selon les statistiques de 1989 le BMS est devenu le premier syndicat de l’Inde avec 3 117 324 membres 54.
A l’égard des sectes : La Vishva Hindu Parishad (VHP) est née de la volonté du RSS de fédérer toutes les sectes hindoues sous un seul sigle. Sa création a procédé, dit Jaffrelot, d’une réaction du “complexe d’infériorité majoritaire hindou” 55. L’annonce par le pape du congrès eucharistique international organisé à Bombay en août 1964 a incité les nationalistes hindous à se hâter de doter leur religion d’un corps ecclésiastique, d’une Eglise. Cela a abouti à la fondation de la VHP 56 qui convoqua une première assemblée mondiale des hindous en 1966. La deuxième assemblée en 1979 à Prayag a réuni des shivaites, des vishnouites, des arya samajistes, des sikhs, des jainistes, des bouddhistes, des lingaïstes, etc. qui ont condamné l’intouchabilité. L’assemblée de New-York de 1984 a rassemblé 4 000 participants venus de 25 pays 57. Le résultat a été un code de conduite des hindous, qui exige d’eux qu’ils saluent le matin le dieu Surya (soleil) (Suryapranamlisent la Bhagavad Gita et disent la prière (PrartanaIl leur demande de porter une chaîne au cou avec le symbole Om et de planter un tulasi devant leur maison 58.
Ecoles Le Vidhya Bharati a été fondé en 1978 pour coordonner les nombreuses écoles et les écoles maternelles (Shisus Mandirs) fondées depuis 1950 par le RSS afin de faire évoluer un modèle d’enseignement conforme au hindu-rashtra contre l’éducation chrétienne. Il y a actuellement environ 3 000 écoles et 40 instituts qui délivrent le diplôme et la maîtrise sous la conduite du Vidya .
Durant cette période, le RSS a acquis un certain poids dans les classes moyennes et les professions intellectuelles : avocats, enseignants, étudiants, fonctionnaires, etc., poids dû en partie, ainsi que l’écrit l’auteur du livre Khahi Shorts and Saffron Flags, au déclin de l’importance des sanyasin et des sadhu traditionnels dans les classes moyennes au cours des années 50 et 60. La révolution agricole et industrielle, le progrès technique et la naissance de nombreuses petites villes ont changé la mentalité de populations en quête d’une nouvelle conscience collective et d’un nouveau système de valeurs qui les aideraient à s’intégrer dans un monde de compétition. La discipline, la solidarité, la fraternité, et l’initiation aux samskara par le RSS correspondaient à ce besoin de la classe moyenne hindoue. Elle a donc adhéré à ce mouvement 60.
Cette deuxième étape nous a surtout montré le développement du Sangh à travers ses filiales, associations ou mouvements. Mais comment le Sangh fonctionne-t-il avec ses filiales? Les chefs du Sangh l’expliquent par ce qu’ils appellent le Sangh-Pariwar : les mouvements nationalistes se considèrent comme une famille dans laquelle le RSS joue le rôle du père. Il y réussit parce que c’est lui qui fournit le cadre nécessaire, en particulier les pracharak, pour former ses associations dans .
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Après la mort de Golwalkar en juin 1973, Balasaheb Deoras prit la charge de Sarsanghchalak. Dans les années 1973 régnait une forte insatisfaction dans le peuple suite à la hausse des prix, à la corruption des gouvernants du parti du Congrès dans les Etats, etc. Jaya Prakash Narayan (JP), l’un des anciens dirigeants du Congrès qui a beaucoup contribué à la lutte pour l’indépendance, lança un programme de “révolution totale” contre le gouvernement. Le RSS comprit alors que la situation était favorable au jeu de sa carte politique et permit au Jana Sangh de rejoindre le mouvement du JP. Les quatre partis d’opposition de l’époque (Congress O, BLD, Swatantra Party et Jana Sangh) lancèrent un “Front du peuple pour le combat” (Loka Sangharsha Samiti : LSS) contre le pouvoir central 61.
Mme Gandhi, prenant conscience du succès du mouvement de “Révolution totale” et du danger qu’il présentait pour son gouvernement, déclara l’état d’urgence le 26 juin 1975. Environ 35 000 swayamsevak furent arrêtés. Les autres agirent sous le sigle du LSS. Ils organisèrent les étudiants, les ouvriers, les populations des tribus, les agriculteurs, les industriels et les commerçants en vue de la lutte contre le régime d’Indira. Le LSS décida de lancer des satyagraha 62 dont la responsabilité échut au Sangh, le seul mouvement capable de résister durablement à l’épreuve de la clandestinité 63. La lutte des swayamsevak contre l’état d’urgence, leur capacité d’organisation, leur courage extrême et leur esprit de sacrifice contribuèrent à faire disparaître la mauvaise réputation du RSS. En conséquence, à la fin des 1970, le nombre des shakha passait de 10 000 à 13 000 64.
Dès que l’état d’urgence fut aboli, les quatre partis du LSS renoncèrent à leurs identités distinctes et fondèrent en mai 1977 un nouveau parti: Janata Party. Lors des élections de 1977, parmi les 89 membres de l’ancien Jana Sangh élus à la Lokasabha, une grande partie venait du RSS. Cette configuration politique permettait au RSS de jouer le rôle du sage dans l’histoire ancienne de l’Inde, garant du dharma auprès du roi 65. La domination du RSS dans le parti gênait ses partenaires. De plus, les émeutes intercommunautaires se multipliaient, passant de 169 en 1974 à 304 en 1979, ce que le Congress mit sur le compte du RSS. Pour sauver l’image du parti, les membres du Janata Party soulevèrent le problème de la double appartenance des swayamsevak, au le RSS et au Janata Party. Cela aboutit à la dissolution du Janata Party 66.
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Son expérience dans le Janata Party a conduit le RSS à renoncer à sa carte politique. Il revint à sa vocation première: renforcer le nationalisme hindou par sa méthode sangathaniste. En même temps, les anciens jana sanghi ont cherché à promouvoir un nouveau parti. Ainsi est né le 5 avril 1980 le Bharatiya Janata Party (BJP), avec Attl Bihari Vajpayee comme président. Sous sa direction, le BJP a subi une dilution de son identité nationaliste hindoue au profit d’un retour à la stratégie populaire et à la recherche d’alliances. Cette stratégie d’intégration a gêné le Sangh 67.
A partir de 1980 le Sangh a utilisé la VHP comme principal moyen d’action. En fait, lorsqu’il a vu sa tête politique endommagée, il a essayé de soulever une autre tête, plutôt religieuse celle-là, à travers le VHP. Il a créé au sein de la VHP deux instances importantes pour réunir les leaders religieux hindous: Marg Darshak Mandal, qui se réunit une ou deux fois dans l’année, et Dharm Sansad, qui se rassemble seulement quand il y a un besoin spécial. Dans ces instances les Shankaracharya ou chefs de haut niveau des monastères (math) jouent un rôle majeur et sont amenés à être en relation avec la politique du RSS et de la VHP. En 1984, la VHP a développé un autre département, le Bajrang Dal (BD), en vue de former des jeunes à la protection des temples. Le RSS a voulu garder ses militants comme un groupe idéologique discipliné, alors que la VHP a considéré le BD comme une force indispensable à ses activités d’agitation. C’est le BD qui à partir de 1986 a mené le combat pour la construction d’un temple à la place de la mosquée d’Ayodhya 68.
Le fait que le BJP se soit éloigné de lui n’a pas eu d’effets négatifs pour le RSS. Le succès que les minorités religieuses ont obtenu dans la vie sociale et religieuse a augmenté la peur du Sangh, ce qui a maintenu la flamme du nationalisme. La conversion de milliers d’intouchables à l’islam, le 19 février 1981 au Tamil Nadu 69, et l’action pro-musulmane du gouvernement dans l’affaire Shah Bano70 ont permis au RSS de tenir ses troupes en haleine contre le danger d’islamisation du pays. Le 27 février 1986, à la satisfaction des musulmans, le gouvernement du Congrès a introduit le Muslim Women Bill, qui n’obligeait le mari musulman à ne verser une pension que durant le temps de . Cette décision gouvernementale a donné aux milieux hindous l’impression d’être les victimes d’une discrimination du pouvoir central 71.
En 1986, la visite du pape a mobilisé les communautés catholiques dans toute l’Inde et le Sangh y a vu une menace missionaire. Deoras interpréta l’invitation adressée au pape par le gouvernement du Congrès comme un geste du sympathie envers les catholiques indiens. Son aversion à la visite du pape s’exprima dans son discours, que je résume ainsi: “J’ai une demande à faire au pape. Nous ne vivons ni au dix-huitième ni au dix-neuvième siècles mais au vingtième. Le christianisme est en perte de vitesse, même en Europe. Il n’a pas de prêtres ni de religieuses. Ses églises sont désertées. Pour sauver le christianisme, je souhaite que les prêtres chrétiens aillent en Europe et vivent là-bas. Mais ils viennent au contraire ici en Inde et se soucient des tribus. Ce n’est pas nécessaire. Peut-être les gens des tribus adorent-ils les pierres, les arbres et les animaux : ils y voient des expressions de dieu. Donc, monsieur le pape, utilisez s’il vous plaît dans votre discours le langage de l’égalité de toutes les religions. Si vous chantez uniquement la gloire de votre religion, les chrétiens d’ici seront encouragés à intensifier leurs efforts de conversion. Nous savons d’expérience que les convertis sont très actifs en faveur du séparatisme. Les organisations chrétiennes des pays d’Occident aident ces convertis et cela crée des problèmes pour l’Inde. Je demande donc au pape de ne rien dire qui encouragerait la conversion” 72.
Depuis 1985 le BJP a paru vouloir se rapprocher du Sangh, car il a constaté, lors des élections à la Lokasabha en 1980 et en 1984, que sa politique de distance à l’égard du nationalisme hindou n’avait pas eu d’effet. Le rapprochement s’est accéléré grâce à Advani, interprète fidèle de la ligne du RSS, secrétaire général du BJP dès 1985 et son président en 1986. A partir de 1985, le RSS a travaillé en symbiose avec le BJP et la VHP 73. Profitant de conditions favorables, le Sangh-Parivar a adopté une nouvelle stratégie que j’appellerai “symbolique” 74, en vue d’établir le hindu rashtra. La stratégie symbolique a pris son expression la plus vive dans la décision du Sangh de construire un temple sur le site disputé d’Ayodhya 75. La VHP, visage religieux du RSS, a introduit l’utilisation des icônes hindoues. Epinglettes et médailles de Ram, de temples, et de bhagwa dhwaj ont été distribuées en grande quantité dans tout le pays pour que les hindous puissent les fixer aux véhicules, aux maisons, dans les bureaux et les écoles, etc. La VHP a également organisé des rites comme les sacrifices (Yajna) et les pélerinages (yatraPendant les pèlerinages ont été promues la collecte d’objets symboliques comme les briques pour la construction du temple, la vente de l’eau du Gange 76. La construction en bordure des routes de petites mandirds pour Hanuman, l’organisation de bhajan mandali au cours des soirées, la restauration de temples et les fêtes dans les temples se sont développées. Par son influence sur le gouvernement, le Sangh a pu faire diffuser par la télévision les épopées hindoues Ramayana et Mahabharata.
Le combat du Sangh-Parivar au moyen de sa stratégie symbolique a eu des effets positifs pour toutes ses filiales. Le RSS a lui-même fait un énorme progrès. De 1 million en 1979, le nombre de swayamsevak est passé à 1,8 million en 1988, réparti en 25 000 shakha dans 18 890 localités du pays 77. Aux élections de 1989, le BJP est passé de 88 à 119 sièges et est devenu depuis lors le parti le plus fort de l’opposition. En même temps, il a pu former des gouvernements dans les quatre États du nord du pays 79.
En prenant ses fonctions de chef du gouvernement du BJP de l’Etat d’Uttar Pradesh, Kalyan Singh a annoncé qu’il était déterminé à construire à Ayodhya, sur le site disputé, un temple pour Ram 80. La VHP, le RSS et BD ont mobilisé les sadhou et les shankaracharya par les yatra et les yajna pour réaliser leur rêve de construction d’un temple à Ram, en profitant du pouvoir politique du BJP. Le 6 décembre, en jàournée de fête de Geeta Jayanti, premier jour de la guerre du Mahabharata 81, les “soldats de Ram” ont détruit la mosquée 82.
Les chefs du Sangh ont présenté cette destruction comme une grande victoire. Selon K.S. Sudarshan, l’incident d’Ayodhya a été le signe de l’unité de la communauté hindoue. Le communisme est mort, le capitalisme est sur son lit de mort. Seul Bharat (l’Inde) peut guider le monde dans le futur. Le siècle prochain ouvrira l’ère de 83. Mais une bonne partie des hindous modérés qui votaient pour le BJP ont pris leurs distances à son égard, ce qui a provoqué la défaite du BJP aux élections des Etats du Madhya Pradesh, Uttar Pradesh et du Himachal Pradesh, en novembre 1993. La campagne anti-BJP menée par le Samajwadi Party (SP) qui regroupe des basses castes sous la conduite de Mulaym Yadav Singh, et par le Bahujan Samaj Party (BSP) qui regroupe les harijans et les tribus sous la conduite de Kanshi Ram, a également aidé à chasser les nationalistes hindous du pouvoir. Dans leurs Etats respectifs les musulmans et les chrétiens ont soutenu le Congress, le SP et le BSP 84.
Depuis 1 9 9 3
En mars 1994, Deoras décida de démissioner pour raison de santé de son poste de Sarsanghchalack. Le Sangh comptait alors 30,888 sakha principales et 42 682 shakha secondaires. Le professeur Rajenda Singh, né en 1922, connu comme Raju Bhaiyya, succéda à Déoras. Son élection est révélatrice des changements apparus dans le Sangh, remarque un observateur, Prasun Sonwalkar, selon qui, dans le contexte actuel de l’Inde où les basses castes et les intouchables deviennent une force non négligeable sur la scène politique et sociale et où le Sangh-Parivar est critiqué pour ses options en faveur des hautes castes, surtout de la caste bhramanique, le Sangh veut, en choisissant Singh qui est de caste kshatriya se défaire de l’image “brahmanique” exploitée par ses adversaires85. Rajju Bhayya a affirmé que l’une de ses priorités serait d’élargir son activité aux populations des tribus et aux dalits des bidonvilles afin de les intégrer dans le courant dominant du pays 86. Voilà un nouvel exemple qui apporte de l’eau à notre moulin et vérifie notre hypothèse : le Sangh change de visage et s’adapte aux nouvelles conditions du pays. Etant donné que sa tête politique (BJP) et sa tête religieuse (VHP) ont subi des défaites, il relève sa tête sociale !
Néanmoins ne concluons pas que le Sangh a complétement laissé do côté ses ambitions politiques. Dans l’immédiat, il lui est difficile de conserver à se servir des événements d’Ayodhya pour mobiliser les hindous dans le nord, à cause de ses défaites électorales et de l’interdiction du VHP. Il a décidé de se concentrer davantage sur les Etats du sud. Au Karnataka, il a su profiter d’une querelle entre les musulmans et le gouvernement au sujet d’un terrain d’un demi-hectare appelé Idgah Maidan, à Hubli. Les musulmans disent que l’Anjuman-e-Islam a été autorisé à utiliser ce terrain. Le gouvernement précise qu’il n’a été mis à sa disposition que pour faire des prières deux fois par an. Le 15 août, des militants du BJP sous la conduite de B.S. Yediyurappa, vice-président du BJP au Karnataka, et d’Uma Bharati, ont voulu hisser le drapeau national sur ce site contesté. Leurs chefs ont été arrêtés par la police, qui a tiré sur la foule. Le BJP a provoqué cet incident avant les élections du mois de décembre afin d’influencer les électeurs hindous 87.
De même le Sangh-Pariwar multiplie-t-il ses activités dans l’Etat du Tamil Nadu. Au début de l’année 1994, Munnani 88 a affirmé que l’église de l’Immaculée-Conception de Pondichéry avait été construite après la démolition du temple Vedapurit Iswaran en 1748, et que ce site devait donc être redonné aux hindous pour qu’ils y reconstruisent un temple. Le Hindu Munnani a fondé ses allégations sur le journal de Pillai, l’interprète local du gouverneur Joseph Francis Dupleix, qui a raconté les événements de Pondichéry entre 1736 et 1761. Selon Pillai, lorsque l’armée anglaise a cerné Pondichéry en septembre 1746, les chefs hindous ont quitté la ville et Dupleix en a profité de démolir le temple qui se trouvait à côté de l’ancienne église Saint-Paul. Selon Selvam, président du Comité pour la récupération du temple, les jésuites, après la démolition du temple, ont agrandi l’église en empiétant sur le site de l’ancien temple. Munnani avait prévu un rite de deepa aradhana (adoration par la lumière) le 10 mars 1994 devant l’église, mais l’intervention du gouvernement central n’a pas permis la cérémonie. Selvam a nénmoins affirmé: “Nous ne retirons pas notre revendication: le temple doit nous être restitué” 89.
Le résultat des élections régionales du mois de février 1995 montre que le Sangh-Parivar a redressé son image politique. Il a gagné dans les Etats du Gujerat et du Maharashtra. Au Maharashtra, dont Bombay est la capitale, le BJP partage le pouvoir avec l ‘”Armée de Shivaji” (Shiva Sena) 90. Il avait gardé le pouvoir aux élections de 1993 dans l’Etat du Rajasthan, où il est solidement implanté depuis 1989. Il faut noter qu’il est aussi au pouvoir dans le district de Delhi, capitale de l’Inde 91.
Concluons cette première partie par deux remarques. L’histoire du Sangh montre que son objectif est de développer à la fois toutes les facettes du nationalisme hindou, pour diverses raisons: 1) pouvoir absorber les diverses sensibilités des nationalistes hindous et devenir le seul et vrai garant du hindu-rashtra; 2) exister dans tous les domaines de la vie et réussir ainsi à rassembler tous les hindous sur l’idéologie du hindutva; 3) surmonter les étapes critiques de son existence en se transformant en telle ou telle figure du nationalisme selon les conditions favorables dans le pays. Parmi les diverses stratégies qu’il a adoptées au cours de son histoire, la “stratégie symbolique” s’est avérée efficace pour la mobilisation massive des hindous en vue de la construction du Hindu Rashtra dans les années 80. Quand cette stratégie est bloquée par les forces du “sécularisme”, le Sangh privilégie les stratégies caritatives afin de reconquérir une image légitime aux yeux des hindous.
Deuxième remarque : dans l’Inde indépendante, ce qui a le mieux servi au développement du Sangh est la peur mutuelle de la communauté majoritaire hindoue et des communautés religieuses minoritaires. Les privilèges accordés dans la constitution aux minorités religieuses, et leurs réussites en divers domaines de la vie avec le soutien de la politique de concessions du Congrès ont créé un complexe d’infériorité chez les hindous, tandis que le caractère largement majoritaire des hindous produit chez les autres le même complexe. La majorité hindoue et les minorités religieuses sont vouées à subir successivement les conséquences de ces hantises qui les poussent à se battre pour leur propre existence. Dans ce combat, le Sangh utilise parfois les armes de ses opposants pour mieux leur résister, et lorsque les forces séculières faiblissent dans le pays, il en sort vainqueur.
II. LES ATTITUDES DU R S S A L’EGARD DES CHRETIENS
Les attitudes du RSS à l’égard des chrétiens peuvent s’étudier sous divers angles : sa politique en ce qui concerne la liberté religieuse, le “sécularisme” et les privilèges des minorités selon la constitution indienne ; ses réactions par rapport à l’évangélisation et aux activités ecclésiales dans la société indienne, etc. Les limites du présent dossier nous imposent de ne traiter ici que de l’attitude du Sangh à l’égard des trois types de services chrétiens : ceux des institutions d’enseignement et de santé, l’aide caritative, les actions pour la justice et la liberté…
Plusieurs approches sont possibles: les politiques du RSS vis-à-vis des chrétiens telles qu’elles sont présentées dans ses ouvrages, son comportement envers les chrétiens sur le terrain, ses commentaires des activités chrétiennes dans le pays… Je voudrais combiner ces trois approches de la manière suivante : en partant d’interviews que j’ai obtenues de dirigeants du Sangh, je verserai à l’appui des textes du Sangh parus sur le sujet, avant de montrer comment il agit concrètement sur le terrain envers les chrétiens.
Vis-à-vis des services chrétiens
Les services rendus par les institutions Les membres du RSS sont reconnaissants à l’Eglise des services que rendent ses institutions. Voici quelques exemples de leurs appréciations: “Je pense que les chrétiens ont donné une nouvelle perspective au service de l’humanité”. “Il y a beaucoup d’hôpitaux et de cliniques dirigés par les chrétiens et ces établissements sont efficaces. Leurs clients sont entourés d’attention”. Quelques chefs du Sangh montrent qu’ils gardent de bonnes relations avec les institutions chrétiennes. Par exemple le fondateur et patron de l’organisation du RSS pour les enfants (Balakokulam) au Kerala dit : “Balakokulam organise des programmes pour aider au développement de la personnalité des étudiants. Des étudiants venus d’écoles chrétiennes y participent. Il n’y a pas de tension entre les institutions chrétiennes et nous. De plus notre assemblée départementale de Balakokulam s’est tenue dans une école chrétienne, St Albert School à Ernakulam. Le directeur de l’école, Fr. Francis Xavier Thannickaparambil, a assisté à la cérémonie d’ouverture et a bien coopéré avec nous”92.
Mais ces points positifs n’empêchent pas les dirigeants du Sangh de faire de nombreuses critiques aux services des institutions chrétiennes. Ils sont nombreux à remarquer que le but de ces institutions est de convertir des gens. Voici un exemple d’une telle critique: “Sous prétexte de service, le seul but des chrétiens est de convertir les hindous. A travers leurs institutions, ils créent des sentiments hostiles à la société hindoue et à sa philosophie. Ils conseillent aux étudiants hindous de ne pas respecter Shiva, Ram, Hanuman, Krishna, Shankaracharya, le Gange etc., et de ne vénérer que le pape et le Christ. Ces idées sont enseignées dans leurs écoles. Ils emmènent les élèves en autobus.Après un moment le chauffeur arrête le bus, dit que le bus a un problème, demande aux élèves de le pousser. Ils le poussent mais le bus ne redémarre pas. Peut-être, dit alors le chauffeur, leur dieu Ram ou Hanuman peuvent -ils les aider. Les élèves poussent le bus en invoquant le nom de Ram. Mais le bus ne redémarre toujours pas. Le chauffeur leur conseille alors d’invoquer le nom du Christ en poussant le bus. Le bus démarre aussitôt” 93.
Une autre critique des institutions chrétiennes est qu’elles détruisent les coutumes hindoues. “Selon notre coutume nous incitons les enfants à vénérer la terre, Bharat Mata, avant de quitter leur lit le matin. Mais dans les écoles chrétiennes, on dit aux enfants de ne pas le faire. Selon notre coutume, en digne de salutation les enfants et les jeunes gens touchent les pieds de leurs aînés. Mais dans les écoles chrétiennes il est leur dit: “Si vous touchez les pieds de quelqu’un, vous vous comportez comme un esclave. Or vous n’êtes pas des esclaves” 94. Ces témoignages correspondent à ce que Golwakar écrit dans Bunch of Thoughts. Les chrétiens, explique-t-il, ne sont bienfaiteurs qu’en apparence. Ils fondent des écoles, des hôpitaux et des orphelinats. Mais en réalité leur intention véritable n’est pas de servir le peuple, c’est d’augmenter le nombre de chrétiens. Ils utilisent leurs institutions comme moyens de conversion. Dans leurs écoles, ils enseignent que le Christ est le seul Rédempteur, que la religion hindoue est une somme de superstitions et que si on ne devient pas chrétien on ira en enfer. Leur but est de créer un vide dans le coeur des gens et, plus tard, de le remplir avec les dogmes du christianisme 95.
Le RSS a donc une attitude ambivalente à l’égard des services des institutions chrétiennes. Il pourra les tolérer les institutions chrétiennes pour en tirer un maximum d’avantages pour les hindous et gardera de bons rapports avec elles dans le but d’élargir son champ d’influence auprès des chrétiens. Mais il restera très vigilant et veillera à ce que les missionnaires ne récoltent pas de fruits de leurs services sur le plan religieux.
Les services sociaux L’attitude du Sangh à leur égard est également positive et négative. Leurs appréciations positives sont très courtes, fort peu motivées, parfois conditionnelles et froides : “Ce sont de bons services. Mais mon opinion est conditionnelle. Si les chrétiens travaillent sans perturber l’harmonie sociale, il n’y a pas de problème. Il n’y a rien de mal dans ces services et personne ne les refuse.” Quant aux critiques, nombreux sont les membres du Sangh qui ne considèrent pas les oeuvres sociales des chrétiens comme un service. Selon eux, c’est une stratégie pour créer des liens avec les pauvres et les séduire, dans l’intention de les convertir plus tard. Voici quelques témoignages: “Ils ne font pas d’oeuvres sociales. Ils distribuent des médicaments qu’ils reçoivent de l’étranger. Ils obtiennent du gouvernement une pension pour les adivasis. Dans les foyers d’étudiants dirigés par les missionnaires, le ménage est fait par les étudiants. Dans leurs écoles, ils demandent des dons aux parents des étudiants”96. “Dans le département de Vayanad, au Kerala, je vois des chrétiens qui font ce type de service et qui soignent des malades. Mais petit à petit ils donnent aux gens des images, des photos et des croix. Je connais un prêtre ici qui a donné des maisons à toutes sortes de personnes. Mais il y a mis une condition : mettre dans leur maison l’image et la croix du Christ. Ce type de service est égoïste, pour satisfaire leurs intérêts religieux. Même mère Teresa, qui a obtenu le prix Nobel, a dit: ‘Je suis catholique. Je fais ce service pour Jésus’. J’ai entendu aussi que, lorsqu’elle reçoit un bébé, elle le baptise d’abord et après seulement le soigne. Ce n’est pas bien. Dans ce cas l’inspiration du service, c’est la religion. Il n’y a rien de mal à ce que l’inspiration soit religieuse. Mais il n’est pas bien de rendre des services pour la religion.” 97
La justice sociale A la différence des services rendus par les institutions chrétiennes et de leur action sociale, seul un petit nombre de membres du Sangh interprète l’action en faveur des opprimés comme un moyen de séduire les gens et de les convertir au christianisme. Dans leur majorité, ils voient dans cette action une stratégie de désintégration de la société hindoue et du pays sous couvert de défense des droits de l’homme: “Là où leurs religieuses travaillent, elles essayent de séparer les gens du courant culturel principal de notre pays. Une fois qu’ils en sont détachés, ils perdent leur amour pour le pays. La première chose que ces missionnaires apprennent aux gens des tribus, c’est qu’ils ne sont aujourd’hui ni chrétiens ni hindous. ‘Vous êtes, leur disent-ils, les premiers habitants de ce pays. De même que nous avons subi un gouvernement étranger anglais, vous êtes soumis actuellement à un régime hindou qui lui aussi est étranger. Il vous faut regagner votre liberté” 98. A cause peut-être des effets politiques de l’action pour la libération, M. Sharma, vice-président du centre national de recherche du RSS (Deendayal Institut) à Delhi, observe que travailler pour la justice est une activité politique et que les chrétiens ne doivent pas la mener au nom de la religion: “Le christianisme est une foi religieuse. Travailler pour donner leurs droits aux gens des tribus est une activité politique”.
Si nous comparons entre elles les attitudes du Sangh à l’égard des trois types de services les plus importants rendus par l’Eglise, des remarques intéressantes se présentent. Le Sangh fait une distinction entre ces services des chrétiens, en dosant son appréciation dans l’ordre suivant: le travail des institutions, l’action caritative, la lutte pour la justice. Pourquoi le Sangh apprécie-t-il moins les services caritatifs des chrétiens que ceux de leurs institutions ? La raison la plus valable me semble la suivante : il trouve les oeuvres caritatives plus “dangereuses”. Certes, selon des membres du Sangh, les établissements chrétiens détournent leurs élèves de l’hindouisme et du patriotisme et les conduisent sur le chemin de la christianisation. Mais un tel “danger” est bien plus réel dans le cas des services caritatifs, parce qu’ils sont offerts à des personnes qui sont dans des situations précaires, prêtes à se convertir facilement pour obtenir des avantages matériels.
Pourquoi la lutte des chrétiens pour la justice est-elle presque totalement rejetée par le Sangh ? Pour deux raisons au moins, très évidentes dans les réponses. 1( L’instruction des gens des basses castes et des tribus dans leurs droits les conduit à remettre en cause l’autorité des hautes castes et la structure même de la société hindoue. Le Sangh voit là une déchirure de la cohésion sociale hindoue. 2( Les gens des tribus et les intouchables qui prennent conscience de leurs droits se détachent de la société hindoue, s’attachent à des sentiments chrétiens et étrangers et dans certains cas mènent des combats politiques contre l’Union indienne. Le Sangh voit là un danger pour le maintien de la nation hindoue et même un risque de voir s’établir en Inde des Etats chrétiens.
Les pratiques du RSS à l’égard des chrétiens
Voyons maintenant ce que le Sangh fait concrètement sur le terrain à l’égard des chrétiens.
Bien se tenir au courant . Pour qui lit les ouvrages du Sangh, il est évident que ses membres font effort pour connaître le christianisme et ses activités. Le Deendayal Research Institut à Delhi et beaucoup d’autres font dans ce domaine un travail remarquable. Des livres comme Politics of Conversion 98b, Catholic Ashrams 98c, History of Hindu-Christian Encounters (Sita Ram Goel), Missionnaries in India (Arun Shourie), etc. révèlent l’intérêt que le Sangh-Parivar prend à bien connaître les théologiens de la mission chrétienne et ses activités missionnaires. Le RSS est également informé des activités chrétiennes dans le domaine politique. Après les élections partielles de novembre 1993, un sympathisant du Sangh m’a dit : “Selon le RSS, l’échec du BJP aux élections partielles est dû aussi aux efforts des chrétiens. Il semble que les chrétiens, les musulmans, les adivasis, les basses castes et les harijans se sont dit que, s’ils s’organisent, ils représentent 78% de la population indienne. Ils ont soutenu le Bahujan Samaj Party et ont réussi dans un combat quadrangulaire: BJP, Congress, BSP et Janata Dal.” 99
Imiter les bons côtés des chrétiens Le Sangh prête grande attention aux méthodes missionnaires chrétiennes, il leur emprunte leurs bons éléments, les modifie en fonction de sa philosophie et les emploie dans ses activités sociales. On peut affirmer sans hésiter que le Sangh, pour son engagement dans le domaine caritatif à travers le Seva Bharati et le VKA, s’est inspiré en grande partie des services sociaux animés par les missionnaires chrétiens. Voici ce que dit Lilatai Wakankar, une des membres de la formation féminine du RSS (Rashtriya Sevika Samithi) à Ujjain : “J’ai travaillé pendant quelque temps dans les hôpitaux de lépreux dirigés par les chrétiens. J’ai noté que les infirmières étrangères étaient nombreuses dans ces hôpitaux tandis que les infirmières indiennes ne l’étaient pas. C’est de notre part une limite. Nous pensons que ce type de service doit être fait aussi par les infirmières indiennes. Nous encourageons maintenant les filles à visiter les hôpitaux, à devenir infirmières, à aider à l’alphabétisation, etc. Nous organisons des sessions dans le Vanavasi Kalyan Ashram parce que nous voulons étudier ces problèmes. Une organisation qui s’appelle “Seva Bharati” a entrepris ce service dans le cadre du Sangh”.
Détourner les hindous de l’influence des chrétiens Interprétant toutes les activités chrétiennes comme une action de conversion, le Sangh interdit aux hindous d’y participer. Par exemple, les écoles chrétiennes organisent des séminaires et des camps spéciaux pour les élèves afin de les mobiliser contre la drogue et l’alcool et pour une bonne conduite dans la vie. Les élèves hindous, qui représentent souvent plus de cinquante pour cent de l’effectif des écoles chrétiennes, y particpipent aussi. Le Sangh prétend que sous couvert d’enseigner aux jeunes à bien se conduire ces camps ne sont qu’une nouvelle tactique de l’Eglise pour les amener au christianisme grâce à l’argent reçu d’Amérique et d’Allemagne en faveur des oeuvres de christianisation 100.
Reconvertir les chrétiens à l’hindouisme Depuis quelques années le Sangh fait un grand effort pour ramener les chrétiens à l’hindouisme. Pour les motiver, il organise des services caritatifs. “Grâce à notre travail les chrétiens des tribus sont éveillés à leur propre identité. Nous leur rendons des services. Nous avons par exemple des hôpitaux ici. S’ils pensent y être mieux soignés qu’à l’hôpital chrétien, ils y viennent. Nous ne faisons aucune discrimination.” 101 Parfois le Sangh culpabilise les convertis : “Nous faisons comprendre aux convertis chrétien qu’ils étaient hindous et ne sont allés au christianisme que pour des vêtements, de la nourriture… et par ignorance. Quand ils en prennent conscience et que nous sommes prêts à les accepter, ils rentrent dans la société hindoue.” 102 Les soirées organisées pour ce retour se déroulent ainsi : “Nous préparons un grand feu. Le adivasis font arati autour du feu et ils font l’offrande à dieu. Un de nos responsables leur lave les pieds en signe de purification. Car laver les pieds est aussi un signe d’accueil selon la tradition indienne. Nous faisons des rites qui comportent la récitation des shlokha et l’aspersion d’eau du Gange. Nous donnons un repas à tout le monde. S’il y a des bénévoles ils distribuent des vêtements à tous ceux qui sont revenus dans l’hindouisme” 103.
Ridiculiser l’image du christianisme Pour le Sangh toutes les occasions sont bonnes pour dénigrer l’image du christianisme et réduire ainsi son influence dans la société hindoue. Il attaque des personnalités chrétiennes qui ont bonne réputation, par exemple mère Teresa : “Prenons le cas de mère Teresa. Quand les journalistes l’ont interrogée à Indore au sujet de la conversion, elle a répondu qu’il n’y a rien de mal à convertir par son dévouement. Quand elle est venue à Bhopal, nos délégués l’ont rencontrée et lui ont donné notre point de vue : ‘Nous n’admettons pas ce type de service. Vous pouvez servir les gens, mais pas changer leur foi’. Elle n’a rien répondu.”104 Le Sangh se sert aussi des images négatives que donnent des chrétiens en d autres pays. Par exemple, , se référant aux journaux américains, a publié qu’aux Etats-Unis deux cents prêtres catholiques ont attrapé le sida par le sexe, vingt prêtres ont été reconnus coupables d’abus sur les enfants et que la moitié seulement des pretres pratiquent le célibat. a également noté qu’aux Etats-Unis le pourcentage de la pratique religieuse a baissé de 78% en 1958 à 35% en 1990 105.
Empêcher les chrétiens d’acquérir des terrains Le Sangh-Parivar essaie d’empêcher que les chrétiens étendent leur territoire. Il s’oppose à la construction d’une chapelle ou à l’aménagement d’un cimetière chrétien, en interdisant l’achat du terrain. Par exemple, à Edavoor, près de Perumbhavoor au Kerala, les militants du BJP ont manifesté contre un projet de cimetière chrétien au motif que les chrétiens en avaient déjà un à Koodalappatt 106. A Gwaloir au Madhya Pradesh, le Sangh-Parivar a organisé des manifestations contre le transfert d’un terrain municipal à mère Teresa qui voulait y établir des oeuvres au service des pauvres 107.
Utiliser les forces poliques et des appareils gouvernementaux Le Sangh-Parivar n’a pas toujours eu sa propre formation politique au pouvoir. C’est alors par l’intermédiaire des dirigeants d’autres partis politiques de même sensibilité que lui ou qui veulent faire plaisir aux hindous qu’il agit contre les chrétiens. Les témoignages qu’a donnés au Telegraph Kailaspati Mishra, ministre des finances du MP dans les années 1977-1978 et membre du BJP au parlement du même Etat en 1986, en sont un bon exemple. Pendant l’état d’urgence de 1975, deux enseignants qui appartenaient au RSS ont été écartés d’une école chrétienne à Hazaribagh. Même après l’arrêt de l’état d’urgence et l’arrivée du Jana Sangh au pouvoir, la direction de l’école a refusé de les reprendre. Kailaspati Mishra, alors ministre des finances, a demandé à Ghulam Sarwar, ministre de l’enseignement, d’user de son influence sur la direction pour qu’elle les reprenne. Sans résultat. Kailaspati a donc envoyé une équipe de contrôleurs pour étudier les comptes de l’école. La direction de l’établissement a refusé ce contrôle. Kailapati a ordonné à la police d’arrêter ceux qui empêchaient de vérifier les comptes. La direction s’est inclinée et a permis le contrôle. Comme elle a également repris les deux enseignants, le contrôle n’a pas eu lieu 108.
Le gouvernement use de sa force politique pour frapper fort quand les chrétiens essayent de se battre contre le RSS. Par exemple, il a inculpé de crime deux prêtres catholiques, John Lakra et Patric Tete, en disant qu’ils ont distribué de la littérature subversive pour diviser la population des tribus 109. Par contre, quand les chréitens sont victimes des agressions du Sangh, l’Etat ne bouge pas. Pra exemple, un journal quotidien de Chottanagpur, Aaj, a publié que l’Eglise est un pouvoir parallèle dans les régions tribales de Bihar, Orissa et de Madgya Pradesh et qu’elle s’efforce de former des extrémistes chrétiens. Ni l’administration locale ni la presse n’ont réagi contre ces accusations calomnieuses du RSS 110.
Expulser des missionnaires Un autre moyen brutal que le Sangh utilise pour affaiblir les chrétiens en Inde est de refuser le visa de séjour. Au Madhya Pradesh quatre prêtres catholiques, jésuites étrangers – Francis John Wynant (76 ans ), Luc Verstratete (62), Luis de Raedt (71) et Jaak Semers (66) – et un couple missionnaire protestant – B.E. Getter (60 ans) et Mrs. S.J. Getter (59) qui enseignaient depuis plusieurs années dans le département de Sarguja, ont été priés discrètement de quitter le pays en 1985, sans être accusés du moindre crime. Motilal Vora, le chef de l’Etat du Madhya Pradesh a d’abord refusé de les recevoir ainsi que les représentants du Madhya Pradesh Christian Association (MPCA) qui voulaient lui en parler. Mais quand l’affaire a été rendue publique, il les a reçus et leur a accordé la permission de rester dans le pays jusqu’à ce qu’une décision ultérieure soit prise 111.
Entretenir chez les chrétiens un climat de peur Le Sangh essaie d’entretenir une certaine peur chez les chrétiens et de faire ainsi pression sur eux pour qu’ils rejoignent la société hindoue. Par exemple, les militants du Sangh ont été soupçonnés d’avoir empoisonné des puits dans la région majoritairement chrétienne de Chotanagpur (qui se répartit entre les Etats de Bihar, d’Orissa et de Madhya Pradesh). Au Bihar, dans le département de Goumla, à la suite de ces rumeurs, les autorités gouvernementales ont fait vérifier les puits où fut trouvé un produit chimique de couleur violette qui les rend inutilisables. Les chefs du Sangh ont imputé le crime aux chrétiens eux-mêmes, en soutenant qu’il était impossible à ses militants de pénétrer dans la région chrétienne et de perpétrer ce forfait. Les chrétiens l’avaient commis pour accuser le Sangh. Mais les chrétiens du village Tenser ont surpris deux individus non-chrétiens en train de verser un produit chimique dans un puits. Ils ont avoué devant les villageois et le chef (Mukhia) du village qu’un saddhu hindou leur remettrait six cents rupies s’ils faisaient la même chose dans quelques puits de la région. Ils furent remis par les villageois à la police 112. Un événement semblable est survenu à Patratoli, village du département de Jashpurnagar au Madhya Pradesh. Les villageois ont arrêté deux enfants hindous en train de mettre une poudre chimique dans les puits. Les enfants ont avoué qu’ils étaient envoyés par un certain monsieur Babulal, le chef local du RSS, qui voulait stériliser les chrétiens des tribus 113. Selon un magazine chrétien, Nishkalanka, tous ces faits relèvent d’une stratégie mise en place par les extrémistes hindous pour exterminer les chrétiens des tribus 114.
Recours à la violence Dans les régions où les chrétiens sont une toute petite minorité, il arrive que les missionnaires et les chrétiens soient l’objet d’attentats mortels et que leurs biens soient détruits. A Chiurgaon, dans le département de Bastar, au Madhya Pradesh, un couvent et une église ont été détruits par les militants de l’hindutva 115. En Orissa dans le département de Phulbani, les militants du Sangh-Parivar, en particulier ceux du VHP, se sont livrés à une série d’attaques : le 16 janvier une église catholique à Latingia et un village près de Balliguda ont subi des dommages ; le lendemain quatre églises détruites à Budamaha. Le 10 avril suivant une église a été brûlée à Asurokup, près de Balliguda, etc. Satyavati, une victime de l’incident de Burbinaju, a témoigné qu’une centaine de membres armés du RSS ont fait irruption dans le village et menacé les chrétiens qui ne redeviendraient pas hindous de ne pas rester dans leur village 113. Le 3 novembre 1992, le jour du Bharat-Bandh organisé par le BJP, environ vingt-cinq militants du BJP et du VHP ont attaqué le personnel de l’école chrétienne de Shujalpur dans le département de Shajapur au Madhya Pradesh et arrêté le prêtre. Grâce à l’aide des religieuses et des enseignants, celui-ci put s’enfuir. Les assaillants furieux de cette fuite ont cassé les portes des locaux, frappé les religieuses et les maîtres. La police, arrivée juste après le départ des aggresseurs, ne les a pas arrêtés 117.
III. LES DEMANDES DU R S S AUX CHRETIENS
Celui qui étudie les attitudes du RSS vis-à-vis des chrétiens et sa façon de se comporter avec eux sur le terrain ne manquera pas de se poser la question suivante: qu’est-ce que le RSS demande aux chrétiens? Lorsque je posais moi-même une telle question aux responsables du RSS, ils me parlaient souvent de ce qu’ils redoutent chez les chrétiens. Voici les principales demandes du Sangh aux chrétiens, ainsi que les critiques qu’il leur adresse en divers domaines.
Renoncer à dénationaliser et à désintégrer le pays
L’une des demandes du RSS aux chrétiens est de ne pas s’engager dans des actions qui désintègrent le pays. Il pense en effet que l’objectif des chrétiens est d’établir en Inde un Etat chrétien. Voici ce que m’a dit H. Sharma, ancien pracharak (1942) et membre de l’assemblée législative du Madhya Pradesh élu par le biais du Jana Sangh d’Indore en 1952: “Je me souviens d’une parole que j’ai lue: ‘Quand le clergé chrétien est venu en Afrique et nous a convertis, il avait la Bible dans ses mains et nous avions dans nos mains notre terre. Aujourd’hui, la Bible est dans nos mains et notre terre, dans les leurs.’ Les chrétiens veulent faire exactement la même chose en Inde: y fonder un empire chrétien”. Golwakar indique que les chrétiens dépensent des millions de roupies pour faire en Inde une nation chrétienne. Les problèmes qui ont surgi dans les montagnes du Nagaland sont d’une façon ou de l’autre planifiés par les missionnaires chrétiens. On a trouvé des armes fabriquées en Amérique aux mains des missionnaires. Il y a actuellement des demandes pour créer un Etat autour de Shillong en Assam. Ils ne sont pas de ceux qui donent leur sang pour les gens, ils sont ceux qui boivent le sang des autres. Ils ne sont que des agents d’une organisation internationale pour la propagation du christianisme. 118 A cause de cette vision qu’il a des activités missionnaires, le RSS demande aux chrétiens d’arrêter celles qui séparent les chrétiens de notre nation.”
Devenir tolérants
Une autre critique du RSS aux chrétiens est qu’ils sont exclusifs dans leur vision de Dieu et de la religion. I