Eglises d'Asie

Un journaliste témoigne de la « purification ethnique » opérée par le régime bhoutanais

Publié le 18/03/2010




« Depuis cinq ans, 100 000 citoyens bhoutanais – le sixième de la population du Bhoutan – ont été forcés de quitter le royaume. Des centaines d’autres ont été fusillés, d’autres encore torturés, violés. Des centaines languissent dans les prisons ». C’est ce qu’affirme un journaliste de Hongkong, M. Vivek Raghuvanshi, dans le quotidien South China Morning Post du 28 mai 1995. Il a parcouru 1 000 km le long de la frontière entre le Népal et le Bhoutan et recueilli les témoignages de quelque 400 réfugiés, afin de mieux constater les effets, sur la population locale, de ce qu’il appelle la politique de « drupkanisation ». Ce terme est formé sur « drupka », le nom de l’ethnie bhoutanaise à laquelle appartient le roi Jigme Singye Wangchuk, qui règne actuellement sur le Bhoutan (1).

M. Raghuvanshi résume ainsi les résultats de son enquête: 1/ Contrairement à ce que dit le roi Wangchuk, environ 95% des Bhoutanais réfugiés au Népal sont bien des citoyens du Bhoutan. Ils peuvent montrer des certificats de citoyenneté valides, des titres de propriété au Bhoutan, des papiers d’identité. 2/ Le gouvernement bhoutanais continue de sévir très sévèrement contre certaines catégories de citoyens, bien que le nombre de gens mis à la porte du pays ait tendance à diminuer. 3/ De l’avis d’un certain nombre de fonctionnaires népalais, des organisations non gouvernementales et de beaucoup de réfugiés, seule une intervention du gouvernement indien peut mettre sur la voie d’une solution au problème.

Selon M. Raghuvanshi, tout a commencé en 1985, lorsque le roi Wangchuk inaugura sa fameuse politique de drupkanisation. A l’époque, les habitants des six districts situés le plus au sud du pays, dont beaucoup sont d’origine népalaise et de religion hindoue, ont dû établir les preuves de leur nationalité. Le Bhoutan comprend 14 groupes ethniques différents. Les « Népalais » d’origine forment environ 50% de la population.

Ces derniers ont commencé à être chassés du pays lors du lancement d’un programme de reboisement connu sous le nom de « ceinture verte ». Il s’agissait de replanter des arbres le long de la frontière sud du Bhoutan. Le projet fournit un prétexte aux autorités pour vider la région de ses habitants. Puis vint l’imposition à tout le pays d’un ancien code social particulier à l’ethnie drupka. On imposait aux gens des manières de se comporter en public, de s’habiller, de parler, de manger. Les statues elles-mêmes, dans les temples du sud-Bhoutan, ont dû se plier aux nouvelles règles…

Cette volonté d’imposer son propre mode de vie à d’autres ethnies peut sans doute être expliquée par le sentiment d’insécurité de l’ethnie drupka, à laquelle appartient le roi: elle ne forme que 15% de la population totale. La montée de la démocratie au Népal voisin, ainsi que les activités d’un mouvement indépendantiste dans une partie de l’Assam indien, n’ont fait que renforcer les craintes royales. Celles-ci se sont aggravées en 1989 lors de l’inauguration du mouvement en faveur des droits de l’homme animé par M. Tek Nath Rizal. Le roi en a conclu que le sud était en train de se révolter.

En fait, dirigées de l’extérieur du pays, des manifestations en faveur de la démocratie ont eu lieu en tous les districts du sud. Le 19 septembre 1990, une liste d’exigences était officiellement publiée. Parmi celles-ci on notait la libération des prisonniers politiques, l’établissement d’une monarchie constitutionnelle pour remplacer l’actuelle monarchie absolue, une réforme du système judiciaire et un amendement de la loi sur la nationalité. Les auteurs de la pétition demandaient encore que les habitants du Bhoutan puissent conserver leurs propres cultures et leurs traditions ethniques.

C’est alors que la terreur a commencé. Les forces armées se sont mises à chasser les habitants et à détruire leurs propriétés. Au cours de l’enquête du journaliste, 49 femmes ont témoigné avoir été violées par les soldats. On estime à 200 le nombre des fusillés et à 10 000 celui des militants emprisonnés à travers le royaume.