Eglises d'Asie

POUR LE RESPECT DES VALEURS MORALES ET DU DROIT Interview de Mgr Paul Marie Nguyên Minh Nhât, président de la Conférence épiscopale

Publié le 18/03/2010




Monseigneur, pourriez-vous nous faire part des idées et des impressions que vous inspire l’oeuvre de rénovation (dôi moi) de notre pays réalisée durant ces dernières années?

Vingt années se sont écoulées depuis la fin de la guerre: des progrès prometteurs ont été accomplis dans l’édification du pays si l’on tient compte de l’état de pauvreté et de destruction dans lequel il se trouvait. Il me semble que ces résultats sont dûs en premier lieu à la clairvoyance et à l’audace de l’Etat qui a su entamer le processus de rénovation à la fin des années 1980. Grâce à la traditionnelle ardeur au travail de nos compatriotes, à peine les a-t-on débarrassés des anciennes institutions paralysantes, que le développement s’est mis en marche. Puis au cours de ces dernières années, de nouvelles orientations économiques correctes ont encouragé la production, créé de l’emploi et des ressources pour des millions de personnes. La physionomie de nos villes et de nos campagnes s’est considérablement transformée. La vie culturelle et sociale, elle aussi, a accompli des avancées notables.

Dans cette oeuvre de rénovation, mon attention est surtout retenue par le fait que nous nous écartons progressivement d’une administration encombrante et écrasante. Au début de l’année, j’ai entendu le premier ministre parler d’une réforme de l’administration nationale qui comprendrait une refonte des formalités administratives. Je pense que ce sera là une grande contribution au processus de développement d’un Etat de droit. J’espère qu’ainsi le peuple aura davantage de confiance en l’Etat, que les cadres régleront les problèmes de la population dans un respect plus grand pour elle, sans craindre ses erreurs et en abandonnant toute partialité. Les besoins légitimes du peuple trouveront rapidement satisfaction, les interminables formalités administratives seront raccourcies, les tensions inutiles diminueront.

Quel jugement portez vous sur la vie religieuse de nos compatriotes catholiques ainsi que sur la contribution apportée par eux à l’édification et à la défense de la patrie au cours de ces vingt dernières années?

Pour ce qui concerne la vie religieuse des catholiques, il me semble qu’en n’importe quelle situation, c’est l’engagement au service de leur vocation à la vie chrétienne au milieu du monde qui inspire tous les catholiques. Tandis qu’il croit et vit selon les exigences de la Parole de Dieu, le fidèle s’incarne dans la vie ordinaire et apporte plus de prospérité et de puissance à son peuple et davantage de justice à la société dans laquelle il vit. Cependant, il arrive aux catholiques de ressentir que leur vie religieuse ne s’exerce pas encore normalement dans un certain nombre d’activités de caractère entièrement religieux, comme, par exemple, les ordinations et nominations de prêtres, le recrutement des étudiants dans les séminaires et l’acceptation de candidats dans les diverses congrégations. Ces activités sont soumises à certaines limitations.

Pour ce qui concerne la contribution des catholiques à l’oeuvre commune, nous pourrions faire des enquêtes pour établir des statistiques. Il est probable qu’elles ne seraient pas très fiables et, surtout, elles seraient profondément injustes pour une raison facile à comprendre. Lorsqu’ils vivent l’Evangile au sein de leur peuple, les chrétiens ne dissocient pas une activité qu’ils mèneraient en tant que catholiques d’une autre qu’ils accompliraient en tant que citoyens. En leur personne, le catholique et le citoyen sont un. Ainsi lorsque je me félicite des résultats obtenus par mon pays et que je me réjouis du dynamisme et de la richesse de la vie sociale aujourd’hui, je sais que tout cela a été obtenu grâce aux contributions de tous les citoyens ainsi que de tous les cadres et fonctionnaires d’Etat. Parmi eux, il y a les catholiques qui participent à l’oeuvre commune qui n’appartient en propre à personne.

Quelle est votre préoccupation la plus forte aujourd’hui? Quel est le message que vous aimeriez laisser à la communauté catholique vietnamienne, à travers le journal “Le catholique Vietnamien”?

Voici ma plus grande préoccupation dans le cadre de l’oeuvre de rénovation actuelle: si nous continuons à ne privilégier que les réformes économiques en oubliant d’exalter l’édification des valeurs morales, nous ressemblerons à ceux qui construisent une maison sans fondation. Même si toutes les lignes politiques de notre pays visent à satisfaire les intérêts du peuple, si elles ne tiennent compte que de l’aspect matériel, si elles ne se préoccupent que de dépasser le dénuement et d’apporter la richesse sans se préoccuper de morale, alors, j’ai bien peur que notre pays ne se développe sur de fragiles fondations. De nombreux problèmes sociaux complexes surgiront alors. La richesse accumulée ne nous sera d’aucun profit car la vie sociale souffrira alors d’un dangereux déséquilibre.

Nous avons eu de nombreuses expériences en ce domaine. Sans morale, il manquera toujours chez les hommes un frein intérieur qui puisse les empêcher de commettre des erreurs, de porter tort au prochain comme c’est le cas dans la concussion, la corruption ou le vol. Les exemples significatifs ne manquent pas: les jeunes gens qui conduisent leurs motos dans les rues avec une attitude agressive; toutes ces personnes qui foulent au pied leur conscience; d’autres qui, dans l’unique recherche du profit, fabriquent des contrefaçons; les responsables sans respect pour la loi du pays, ceux qui profitent de leur position pour faire n’importe quoi. Tous ces comportements n’ont qu’une seule cause, l’absence de moale.

Autrefois nous disions: pour édifier le socialisme, il faut édifier des hommes socialistes. Aujourd’hui, dans le cadre de l’économie du marché, je pense que l’édification de l’homme reste à l’ordre du jour, comme une stratégie prioritaire, à côté d’autres moyens plus matériels comme les capitaux et les techniques. S’il veut bâtir une société où règnent prospérité, progrès et civilisation, l’homme doit respecter les valeurs morales et le droit. Sur ce point, le catholicisme apportera une contribution positive à la société pour y faire naître un tel type d’homme. Je voudrais répéter à tous mes compatriotes catholiques que le Seigneur leur fait confiance. Il nous a donné de vivre la situation actuelle. Sans tarder davantage, faisons tout notre possible en ces dernières années du vingtième siècle, pour édifier les bases et les conditions du futur développement de notre pays. Il est urgent de le faire, car durant une dizaine d’années, nous sommes allés beaucoup plus lentement que les autres. Jeunes ou vieux, citadins ou paysans, il nous faut nous lancer dans l’étude, nous perfectionner dans une spécialité et généreusement nous engager sans peur dans le milieu de vie où le Christ nous a placés pour y vivre en chrétiens …