Eglises d'Asie

L’absence de réaction populaire à un procès pour “blasphème contre le Prophète” manifeste l’échec du gouvernement à se gagner les faveurs des musulmans

Publié le 18/03/2010




Pour ceux qui observent l’évolution du militantisme islamique en Indonésie, le procès du 31 juillet 1995 au tribunal de Sleman au centre de Java a été un révélateur. La foule rassemblée pour le procès en blasphème d’un homme qui avait traité le Prophète de “dictateur” ne déployait ni banderoles ni pancartes, et ne manifestait aucun signe de colère islamique. Les policiers qui se trouvaient là n’avaient rien à faire.

Comment expliquer cette réaction si modérée des militants musulmans indonésiens ? Un certain nombre d’observateurs estiment que si les symboles de fierté religieuse et culturelle sont devenus très importants pour les membres de la plus grande communauté musulmane du monde, l’utilisation de l’islam comme arme politique contre les opposants au régime de Suharto n’en reste pas moins mal reçue par une majorité de fidèles.

Beaucoup de musulmans ont eu le sentiment que l’accusation de blasphème lancée contre Permadi Satrio Wiwoho, mystique javanais bien connu et critique virulent du Golkar, le parti au pouvoir, n’était qu’une manoeuvre politique pour se débarrasser d’un gêneur. Permadi est accusé d’avoir déclaré à une audience d’étudiants que “le prophète Mahomet était un dictateur… Sa dictature était favorable à l’homme ordinaire; un dictateur qui utilise une main de fer pour la prospérité du peuple peut être considéré comme acceptable”. Auparavant, il avait violemment critiqué M. Harmoko, ministre de l’Information et M. B.J. Habibie, ministre de la recherche et de la technologie, considéré comme un proche du président Suharto. Il avait aussi accusé les fonctionnaires du ministère des cultes d’être corrompus.

Beaucoup d’observateurs attendaient ce procès pour mesurer la réalité du rapprochement entre le régime de Suharto et le monde longtemps hostile de l’islam indonésien. Depuis plusieurs années, une stratégie a été mise en place par le gouvernement indonésien pour se gagner les faveurs de l’électorat musulman. Si l’on en croit les réactions au procès de Permadi Satrio Wiwoho, le succès de cette stratégie est loin d’être assuré.

Des dirigeants très influents comme Abdurrahman Wahid, chef du Nahdlatul Ulama, l’organisation musulmane de masse la plus importante du pays, et Zainuddin, un prédicateur très connu, ont demandé à leurs disciples de rester calmes et de ne pas manifester dans la rue. Le même message a été transmis par les réseaux d’étudiants islamiques qui couvrent tout le pays. Un militant islamiste connu de Jakarta a déclaré: “Le gouvernement utilise l’islam pour se débarrasser de Permadi. C’est contre le gouvernement que la communauté musulmane devrait réagirAfan Gafar, professeur à l’université de Gadjah Mada à Jogjakarta, estime quant à lui que le procès de Permadi “illustre l’échec du gouvernement dans sa tentative de mobiliser les musulmans en sa faveur

En 1991, la publication d’un sondage qui mettait le Prophète au onzième rang des personnalités les plus populaires du pays avait provoqué une émotion considérable dans les milieux islamiques. Le journal Monitor avait été interdit et son rédacteur en chef condamné à cinq ans de prison, “pour calmer la colère des musulmans” selon le mot d’un intellectuel catholique (6). Des observateurs avaient alors estimé que des groupes de presse musulmans concurrents de Gramedia, groupe catholique propriétaire de Monitor et du quotidien Kompas, avaient voulu profiter de l’occasion pour enlever des parts de marché au groupe catholique et n’étaient pas étrangers à l’orchestration de cette “colère des musulmans“.