Eglises d'Asie

CONFUCIANISME ET ECONOMIE EN ASIE DE L’ESTRéflexion chrétienne

Publié le 18/03/2010




Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, le Japon, Taiwan, Hongkong et Singapour ont réalisé des progrès économiques remarquables. Durant ces dix dernières années, la Thaïlande et la Malaisie aussi ont exercé une certaine influence sur les marchés mondiaux. Reconnaissant cette influence, les économistes les classent comme des “économies nouvellement industrialisées” (1). La puissance économique du Japon et de Hongkong a maintenant atteint les marchés mondiaux au plus haut niveau.

Les progrès du Japon peuvent être attribués, au moins en partie, au fait qu’il a adopté une démocratie de style américain après la deuxième guerre mondiale. Parmi les pays à économie nouvellement industrialisée, le Japon est considéré comme le plus occidentalisé mais il est difficile de mesurer concrètement cette occidentalisation puisque la culture japonaise traditionnelle est encore très vivante.

Le confucianisme lie ensemble toutes les cultures de l’Asie de l’Est. La philosophie confucéenne est intimement liée aux caractères chinois classiques qui sont communs dans toute la région. L’influence confucéenne est immédiatement perceptible dans la culture contemporaine coréenne, particulièrement dans sa vie sociale et dans ses valeurs familiales et morales. Parce que les cultures nationales des pays à économie nouvellement industrialisée sont toutes fondées sur un confucianisme semblable à celui de la Corée qui a réussi, en un temps relativement court, à introduire un système économique de type occidental tout en continuant à adhérer à une éthique confucéenne traditionnelle, beaucoup d’économistes prédisent qu’elles vont se développer très rapidement. Certains experts comparent la relation entre le capitalisme et l’éthique protestante à la relation entre le développement du capitalisme dans les pays à économie nouvellement industrialisée et l’éthique confucéenne. Ces dix dernières années, des experts économiques, politiques et culturels ont discuté de cette hypothèse et le résultat en a été beaucoup d’excellentes études du confucianisme. Les journalistes s’y réfèrent comme à une “renaissance du confucianisme”. Les intellectuels considèrent maintenant les pays de l’Asie de l’Est comme une entité culturelle autant que géographique (2).

Le confucianisme réinterprété

Pour étudier l’Asie de l’Est non seulement en termes géographiques ou anthropologiques mais aussi en termes de philosophie et de culture afin de mieux comprendre les caractéristiques communes des peuples de l’Asie de l’Est, nous avons besoin d’une nouvelle conception du confucianisme. Ceci est d’une nécessité absolue si nous voulons arriver à inculturer notre évangélisation dans la région. Ces dernières décennies il y a eu beaucoup de travaux sur le confucianisme en Chine et au Japon. Ces études concernent généralement la signification réelle du confucianisme et son influence au Japon et en Chine dans les domaines de la gestion des entreprises, de la bio-éthique, des stratégies politiques, des études sociales, de la psychologie, de la philosophie de la vie et des comportements quotidiens en famille et en groupe. Les études récentes les plus complètes concernent les relations du confucianisme et de la religion. Généralement considéré comme une philosophie, le confucianisme établit des principes de conduite sociale qui concernent la morale de la famille en tant que groupe social. Il est regrettable qu’on ait négligé l’étude du confucianisme du point de vue de la religion. Une étude chrétienne du confucianisme est aussi nécessaire afin d’examiner la conception chrétienne de la morale et comprendre les différences entre la morale chrétienne et la sorte de morale de loi naturelle que l’on trouve en Chine. Une autre raison est que cette nouvelle manière de regarder le confucianisme est nécessaire au programme d’évangélisation de l’Asie du nord-est. Un dialogue amical avec les moralistes confucéens est impératif dans un avenir proche.

Le confucianisme est né en Chine cinq ou six siècles avant le Christ. L’histoire de la Chine révèle une civilisation qui comportait une expérience religieuse de type animiste. Confucius n’était pas un leader religieux “illuminé” comme le Bouddha. Il s’est plutôt occupé d’organiser la vie politique chinoise et d’enseigner le comportement humain correct qui s’est incorporé dans la culture nationale. Inspiré par l’animisme plutôt que par un mysticisme religieux, Confucius a enseigné un culte de respect pour les ancêtres. Fondamentalement il était un philosophe dont la philosophie s’est développée à travers l’étude de la langue chinoise. Il collectait les vieux poèmes et les dires des sages anciens. Au lieu de discuter d’expériences animistes, il méditait l’aspect humain de la poésie. Il n’a jamais déprécié la piété religieuse mais il a mis l’accent sur l’étude de l’humanité en tant que telle. Ainsi sa philosophie était une anthropologie essentiellement humaniste. C’est comme cela qu’il est arrivé à un système éthique universel pour les différents peuples de Chine. En termes de politique, il a enseigné le respect d’une hiérarchie de vertus morales. Le politicien doit surtout être vertueux et respecter le culte des ancêtres.

Si nous cherchons une vision métaphysique dans sa philosophie nous trouverons un respect fondamental pour la vie humaine. Sa dévotion pour le culte des ancêtres était basée sur l’instinct vital humain. Il a ainsi encouragé la piété filiale comme une vertu fondamentale et son code de bonne conduite était dérivé d’une morale de type familial qui mettait l’accent sur le bien commun du groupe et de la famille plutôt que sur le bien de l’individu. Selon Confucius, la piété filiale était essentielle dans une société humaine et pour l’harmonie de toutes les formes de vie dans l’univers. Ancêtres et rois étaient les symboles de l’énergie vitale. Cette nouvelle interprétation de la pensée de Confucius éclaire quelque peu l’histoire du confucianisme en Chine. Le Dr Nobuyuki Kaji explique schématiquement les éléments du confucianisme d’un point de vue historique (3).

1- Avant Confucius

Le chamanisme et les pratiques chamanistes étaient basées sur le culte des ancêtres.

2- L’influence de Confucius (600 av. JC)

L’utilisation systématique par Confucius des pratiques chamanistes était évident dans la liturgie et le comportement. Il a codifié la tradition du culte des ancêtres en quatre catégories : poésie, histoire, liturgie et musique. Il était un homme de vertu, un intellectuel, un homme de lettres avec un amour particulier de la poésie et de la musique. Bien que n’étant pas chaman lui-même il respectait les pratiques chamanistes. En tant que philosophe, il a créé un code de conduite pour la famille et les philosophes politiques et fondé un système éthique, moral et politique, qui dure et exprime la pensée chinoise.

3- Systématisation du confucianisme (après 200 av. JC)

Avec la centralisation du pouvoir politique, les disciples de Confucius ont développé sa pensée de manière plus systématique. Quelques-uns d’entre eux ont approfondi les aspects métaphysiques de la pensée confucéenne alors que d’autres ont élargi ses idées sur la cosmologie. Le résultat en est que le confucianisme est resté une force dynamique pour la morale et la politique pendant deux mille ans d’histoire de la Chine. La religion chinoise cependant n’a pas été beaucoup transformée par le confucianisme. Même le bouddhisme n’a pas été capable d’influencer les valeurs religieuses chinoises traditionnelles et l’animisme continue d’exister.

4- Le présent et l’avenir du confucianisme

Le confucianisme qui est un élément tellement fondamental de l’esprit chinois est encore aujourd’hui très vivant dans le peuple chinois. Il a survécu à beaucoup de périodes historiques critiques et même les communistes n’ont pas pu le détruire complètement. Pourtant, il y a des aspects du confucianisme qui sont critiquables. En ce qui concerne l’avenir, certains intellectuels voudraient que ses doctrines soient intériorisées. Le confucianisme est plus puissant que le taoïsme ou le bouddhisme chinois. Dans la période post-industrielle, le confucianisme pourrait offrir une inspiration et une vision nouvelles du comportement humain. Des sociologues et d’autres ont certainement raison d’appeler à un renouveau du confucianisme pour les temps modernes.

COMMENT LE CONFUCIANISME CONTRIBUE-T-IL

AU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ?

L’une des raisons fondamentales pour lesquelles le confucianisme peut contribuer au développement économique se trouve dans l’attitude religieuse des Chinois vis-à-vis du monde. Pour des pays animistes, le monde naturel ou le monde des êtres humains n’est pas seulement important pour les vivants mais aussi pour les morts (c’est-à-dire les âmes des ancêtres) qui peuvent revenir dans ce monde pour être vénérés ou aimés par les vivants. Le culte des ancêtres n’est pas simplement une cérémonie de souvenir des jours anciens. C’est une expérience de communion avec les morts de la famille. Pour la communion, la famille a besoin d’être suffisamment prospère pour que la rencontre avec le mort soit joyeuse. Si la famille est fidèle à respecter ses morts, elle sera protégée par les ancêtres pour sept générations (environ 231 ans). En conséquence, la famille a besoin d’être unie autour d’une autorité que tous les membres de la famille reconnaissent. Le code originel était donc essentiellement pour la famille. Les Chinois ont une attitude positive par rapport au monde. Pour eux, la Chine est le centre du monde et une terre qui promet le bonheur humain. Cette manière de voir fait partie de leur fierté nationale. Pour les Chinois, les activités économiques ne sont jamais méprisables. L’obtention de richesses matérielles est l’un des buts de la vie au moins dans la mesure où elles aident au culte des ancêtres. Pour eux, le bonheur en ce monde est le fruit de la bénédiction des ancêtres.

Depuis la révolution industrielle le confucianisme a subi beaucoup de critiques. Il n’est plus aujourd’hui regardé comme opposé au progrès moderne. En fait les pays à économies nouvellement industrialisées, se sont rapidement développés sans avoir à rejeter le confucianisme et son code moral pratique. Des questions ont été soulevées sur la contribution possible du confucianisme au développement économique des pays nouvellement développés. Le Japon, qui est déjà un pays très développé, n’a pas encore pleinement évalué la part due au confucianisme dans son progrès économique. Beaucoup ont l’impression que le miracle économique japonais est dû à son adoption d’un système démocratique occidental. Libérés de l’humanisme traditionnel enraciné dans le confucianisme, possédant maintenant davantage de liberté et d’identité individuelles, les Japonais seraient donc capables de plus de créativité. Beaucoup de Japonais pensent que leur succès économique est dû à leur abandon du code confucéen de comportement. Pourtant une large part du progrès accompli peut être attribuée aux Japonais travaillant en groupe plutôt qu’individuellement.

En Corée du Sud, où les citoyens ont conservé leurs traditions confucéennes, le développement économique et industriel a été presque aussi étonnant qu’au Japon. Au cours de la dernière décennie, cependant, plutôt que de s’adapter au style individualiste occidental, les compagnies japonaises ont préféré adhérer aux idéaux et principes anciens du confucianisme dans leurs relations humaines et leurs principes de gestion. Même si beaucoup de capitalistes japonais ont jugé utile d’adopter certains principes occidentaux. A l’heure actuelle, à cause des différences de tradition et de culture, il existe entre le Japon et les Etats-Unis, le Japon et l’Europe, une confusion et un malentendu importants dans le domaine de l’économie. Cette situation exige de toutes les parties de se montrer plus tolérantes et patientes. La grande question demeure : est-il nécessaire d’occidentaliser complètement le Japon pour maintenir de bonnes relations avec l’Occident et réussir le progrès économique ? Les Japonais doivent-ils abandonner toutes leurs bonnes traditions ? Beaucoup de sociologues de l’ère post-industrielle sont critiques de l’accent occidental placé sur l’individu souvent au détriment de la vie de famille. Daniel Bell, dans son livre “Les contradictions culturelles du capitalisme” (1976), propose la théorie d’une “famille publique” pour la société américaine contemporaine. Ses lecteurs en majorité n’ont pas réellement accepté cette idée. En fait, même certains sociologues japonais ne sont pas d’accord avec la haute estime dans laquelle Bell tient le système japonais de la famille traditionnelle et un ordre social qui contrôle strictement les tendances individualistes pour favoriser les groupes sociaux et la sécurité nationale. Le bien-être du groupe prend le dessus sur le bien-être de l’individu. Les discussions continuent entre sociologues américains et japonais sur ce qui constitue une individualité authentique pour les Japonais. Le défi posé est celui de pouvoir trouver un équilibre heureux.

Dans beaucoup de pays démocratiques occidentaux, particulièrement aux Etats-Unis, il y a une dépréciation importante des valeurs familiales, de la sécurité et des valeurs morales en général (4). Au Japon les croyances traditionnelles semblent encore avoir l’avantage et, en dépit de ses défauts, le confucianisme maintient un idéal humaniste universel compatible avec un mode de vie chrétien.

CONFUCIANISME ET BOUDDHISME POUR LES DIRIGEANTS JAPONAIS

DANS LES DOMAINES POLITIQUE ET ECONOMIQUE

L’acceptation du bouddhisme par la Chine a toujours fasciné les chercheurs. Selon les historiens confucéens, la Chine ne s’est jamais convertie complètement au bouddhisme. C’est plutôt le confucianisme chinois qui a assimilé le bouddhisme pour améliorer le mode de vie confucéen. Nous le savons maintennant, Confucius lui-même ne s’est jamais intéressé à une étude métaphysique de l’être ultime ou dans une autre vie. Les intellectuels confucéens n’ont jamais montré aucun intérêt dans la morale de salut du bouddhisme. Le confucianisme des temps primitifs était essentiellement un mode vie pour ce monde-ci et non pas un moyen de transcender le présent.

Il est impossible pour un disciple de Confucius d’abandonner ce monde-ci pour rechercher l'”illumination”. Ceci devient très clair quand on observe des capitalistes japonais qui s’intéressent à la méditation zen. Par exemple, Yasuhiro Nakasone, ancien premier ministre, ou encore Toshimitsu Doko avaient l’habitude de pratiquer la méditation zen tous les jours. M. Nakasone et M. Doko avaient beaucoup de fidèles désirant devenir des dirigeants politiques ou économiques. Ils ne faisaient sûrement pas cela pour atteindre l’objectif bouddhiste de la vie dans un autre monde. Ils désiraient plutôt sincérement devenir de bons dirigeants et réussir dans leurs domaines respectifs d’activité en ce monde-ci, dans une société démocratique japonaise très développée. Ils étaient convaincus que leur succès dans la réalisation d’un monde idéal dépendait de leur capacité à dépasser les désirs égoïstes.

Des sociologues contemporains américains, parmi lesquels Daniel Bell et Robert Bellah, essaient de trouver une nouvelle synthèse entre les droits de l’individu et le bien de la communauté. Ils veulent retrouver les valeurs transcendantales du christianisme afin de trouver une solution à la crise communautaire de la société américaine et afin de restaurer une véritable démocratie.

En ce qui les concerne, les intellectuels d’Asie de l’Est étudient le confucianisme non seulement dans son aspect religieux mais aussi pour en retrouver les valeurs morales et sociales. Dans cette perspective, il est clair que les enseignements de Confucius conviennent mieux que les doctrines bouddhistes, mais que le fondement religieux du confucianisme est un sujet important qui mérite une recherche plus approfondie. Les cadres japonais, jeunes et vieux, étudient beaucoup la doctrine du “détachement” si fondamentale au bouddhisme. Par exemple, Hannya Shingyo (le sutra du coeur), enseignement pratique et plutôt court de cette doctrine, est très populaire parmi les hommes d’affaires. Ils étudient ses enseignements comme une prière quotidienne. Quelques-uns pratiquent aussi l’écriture de ce sutra avec un pinceau afin de méditer plus pleinement son sens profond. Est-ce que cela veut dire qu’ils veulent se détacher complètement du bonheur de ce monde ? Pas du tout. Ils méditent sur la philosophie du “détachement” afin de parvenir à une bonne position dans leur compagnie ou de concentrer toute leur attention et leur énergie pour le bénéfice de leurs compagnies respectives. Pour certains hommes d’affaires, c’est une morale du salut (5).

Dans le renouveau du bouddhisme au Japon après la deuxième guerre mondiale, la secte peut-être la plus importante a été le mouvement Sokkagakai. Le pouvoir politique au Japon a été très influencé par les membres du Komeito, la branche politique du Sokkagakai. Les électeurs qui avaient rejeté le modèle occidental de parti socialiste parce qu’il était influencé par le marxisme, ont accepté ce parti politique. Peut-être à cause de son caractère plus religieux ou culturel, le renouveau du bouddhisme zen n’a pas été aussi populaire que le mouvement Sokkagakai. La méditation zen est populaire chez les artistes et les intellectuels et est utilisée dans le but de contrer le nihilisme moderne dans les pays développés. La mentalité post-moderne au Japon est tout aussi nihiliste que celle des pays européens et elle se révèle clairement dans les activités culturelles de la jeunesse japonaise contemporaine. Le nihilisme chez les intellectuels japonais peut être empêché par la doctrine bouddhiste du “détachement” ou par la conception confucéenne de la morale. A l’origine, les Japonais ont intégré le bouddhisme dans une religion animiste, le shintoïsme, et dans une morale confucéenne. Nous trouvons la même tendance aujourd’hui dans le renouveau du bouddhisme japonais.

On ne trouve pas aujourd’hui au Japon un renouveau réel du confucianisme classique. Ce que nous trouvons plutôt est simplement la résurrection de la religion animiste qui forme la base commune du confucianisme historique. Il ne fait aucun doute que le confucianisme continuera d’exercer son influence pendant encore longtemps. Ma question est la suivante : le christianisme peut-il inculturer les traditions religieuses animistes de l’Asie de l’Est ? Les missionnaires chrétiens font une évaluation honnête et sincère de ce qui a été fait dans le passé dans ce domaine, et étudient les moyens de ce qui peut être fait à l’avenir. L’évangélisation des cultures est pour l’Eglise catholique aujourd’hui l’une des tâches majeures.

La mort cérébrale

Bien que le Japon soit parmi les pays les plus avancés dans le domaine de la bio-technologie et de la médecine, il éprouve beaucoup de difficulté à accepter la mort cérébrale comme critère pour décider du moment réel de la mort. En conséquence, le Japon est réticent à encourager les transplantations d’organes. Le gouvernement veut soutenir le principe de l’ablation des organes au moment de la mort cérébrale, mais les avocats et cinquante pour cent de la population s’opposent à cette idée (6). La raison fondamentale en est l’attitude traditionnelle par rapport à la mort et aux relations familiales. La transplantation d’organes quand le cerveau est mort mais que le coeur bat encore est, pour beaucoup de Japonais un manque de respect pour les morts. Selon l’enseignement de Confucius, un élément important du culte des ancêtres est que le corps doit être conservé dans son intégralité et enterré dans un cimetière afin de pouvoir rejoindre les ancêtres. Sans ce respect pour le corps, le lien vital avec les ancêtres est perturbé. La théorie confucéenne de l’instinct de vie est importante autant pour les morts que pour les vivants. Cette doctrine n’est pas seulement reliée à la biologie, elle a aussi des connotations religieuses. La conception confucéenne de la piété filiale maintient le lien avec les ancêtres décédés mais se préoccupe aussi des vivants et des morts et est un signe de respect pour la pérennité de la vie. En d’autres mots, la piété filiale vénère l’instinct de vie et est réeellement un acte religieux animiste. Nous pouvons alors commencer à comprendre la conception des relations humaines dans le confucianisme et voir à quel point elle est belle. L’individualité ou la personnalité sont secondaires dans l’idée confucéenne d’instinct de vie dans laquelle la vie d’un individu est plus qu’une préoccupation personnelle.

La vie humaine doit être respectée pour sa valeur collective telle qu’elle existe dans les groupes familiaux, les clans etc. On pourrait dire que nous sommes formés par ceux qui sont partis avant nous. Cette conception de la personne est différente de celle que l’on trouve dans la Bible. Dans la Bible, l’être humain a une valeur unique parce que Dieu parle personnellement à chacun individuellement. Cette conception est évidente dans l’alliance de Dieu avec la race humaine. Les Japonais occidentalisés ne comprennent pas pleinement l’idée chrétienne de respect pour la personne humaine. Que les individus eux-mêmes décident, de leur propre initiative, de la manière de régler les problèmes de la vie et de la mort, dénote un manque de respect pour les membres de la famille qui sont morts avant eux. La qualité de la vie ne peut pas être considérée simplement à partir d’un point de vue subjectif ou affectif. Les problèmes de la vie et de la mort concernent le bien-être de toute la communauté avec ses centaines ou même ses milliers d’années de traditions, de cultes et de rites. C’est la raison pour laquelle le gouvernement japonais ne force pas à une législation concernant la mort cérébrale puisque l’on dit que la mort cérébrale est seulement le commencement de la mort. Le gouvernement écoute les voix de ceux qui sont formés par des centaines d’années de tradition. Le confucianisme assure des rails de sécurité contre toute interprétation douteuse du sens de la vie et de la mort.

Cette conception de la mort cérébrale et de la transplantation des organes a fait prendre conscience à la présente génération de Japonais de leurs modes de pensée traditionnels et confucéens que beaucoup d’occidentaux estimaient avoir disparu dans le progrès technologique et scientifique. Quelques intellectuels, opposés à l’idée que la mort cérébrale soit le critère de la vie, de la mort et de la transplantation d’organes, disent qu’il est intéressant de constater que beaucoup de Japonais réaffirment aujourd’hui leur identité traditionnelle (7). Cette réaction n’est certainement pas due au nationalisme. Elle a plutôt à voir avec un choc culturel. Le moment est venu pour les Japonais de dialoguer avec les cultures occidentale, islamique, juive etc. afin de préserver et de protéger ce qu’ils croient à propos du respect de la vie. Ces différences peuvent avoir une certaine importance si l’on veut confronter le problème de l’évangélisation des cultures. Il est très important pour nous de continuer l’étude de la bio-éthique et de l’interculturation dans les diverses cultures du monde. Comment les Japonais considéreront-ils la mort cérébrale à l’avenir ? Si nous étudions l’histoire du confucianisme en Chine, nous trouvons que les enseignements confucéens ont survécu parce qu’ils prenaient en compte d’abord les intérêts de la nation, le bien de l’ensemble, avant de prendre en compte l’individu. Les Chinois ont démontré une capacité exceptionnelle d’adaptation du monde qui leur était connu lors de chaque crise de leur longue histoire. Les sages confucéens n’étaient pas seulement des penseurs adonnés à la spéculation, mais des hommes pratiques engagés dans les affaires économiques et la politique. Pendant des siècles, ils ont fait confiance à leur ruse et à leur ténacité afin de survivre sur la terre dont ils sont fiers, le pays qu’ils appellent Chine et qui est pour eux le centre du monde.

Les Japonais, consciemment ou inconsciemment, sont encore influencés par la pensée confucéenne sur la vie et sur la mort d’un être humain. Quelques traditionnalistes offrent déjà une solution confucéenne au problème. Ceux qui s’opposent à la reconnaissance de la mort cérébrale comme moment de la mort et par conséquent à la transplantation d’organes vivants, insistent pour dire que, avant de procéder à l’ablation des organes pour la transplantation, on doit faire de preuve de respect pour le corps en faisant une cérémonie, peut-être avec un prêtre bouddhiste, célébrant le culte des ancêtres. Ce que les traditionnalistes détestent avant tout, c’est l’apparent manque de respect pour le mourant dans l’organisation hautement technologique des hôpitaux d’aujourd’hui. Ils ont le sentiment que les relations entre docteurs, infirmières et patients doivent s’approfondir et se développer qualitativement. Ils estiment aussi qu’il y a besoin de consultation réelle de tous les membres de la famille concernée et que les consentements informés ou présumés doivent être surveillés attentivement. Ils rejettent l’idée de “consentement informé” qui, à leurs yeux, n’est qu’une explication médicale qui ne montre que peu ou pas de respect pour le corps humain. Ils estiment que le “consentement informé” n’est rien de plus que le moyen de justifier une opération médicale.

L’humanisme confucéen est essentiellement un type communautaire de respect pour la famille, le clan, la nation. Par conséquent, l’acceptation de la mort cérébrale comme critère de décès, et donc la possiblilité de transplantation des organes, ne seront possibles que quand de nouvelles relations familiales seront reconnues et que le progrès médical sera justifié. En même temps que la sagesse du progrès scientifique moderne et le progrès économique de l’Asie de l’Est, l’idéal confucéen devrait certainement être maintenu. Le bouddhisme et le christianisme n’ont pas d’objections sérieuses au critère de la mort cérébrale. Ils encouragent même la transplantation d’organes comme une oeuvre charitable (8).

Parmi les diverses religions japonaises, le shintoïsme en particulier est fortement opposé au critère de la mort cérébrale et à la transplantation des organes. Mais, tout comme les bouddhistes, les disciples du shinto accepteront à l’avenir un éventuel enseignement confucéen. Voici un exemple tiré de l’histoire japonaise : l’empereur au Japon a toujours agi comme un chaman dans la liturgie impériale, rôle important pour l’unité nationale du Japon. On lui a aussi donné un rôle politique sur le modèle de l’empereur de Chine. De la même manière, le problème de la mort cérébrale, gràce à la dynamique d’adaptation confucéenne et grâce aux traditionnalistes japonais, trouvera une solution qui satisfait la plupart des gens.

Depuis plus d’un siècle le Japon a été ouvert à la culture occidentale. Après la deuxième guerre mondiale, le Japon s’est ouvert spécialement à la technologie et à la science occidentales. A tous les niveaux, le Japon a subi l’influence de l’Occident. Aujourd’hui, tout comme les autres pays développés de l’Occident, le Japon doit dépasser la modernité pour que ses citoyens puissent vivre en véritables êtres humains. Il n’y a pas de modèle préexistant pour cette nouvelle manière de vivre. Afin de définir un modèle et sans nier les bénéfices de la culture occidentale, qui sont évidents dans la vie quotidienne, les intellectuels japonais cherchent à dialoguer avec les cultures japonaises traditionnelles, le shintoïsme, le bouddhisme et le confucianisme. La question de la mort cérébrale est significative dans cette perspective. Les pays de l’Asie de l’Est font face au même problème à l’heure actuelle et recherchent des solutions qui soient cohérentes avec leur propre culture et religion.

Religions animistes et christianisme

La raison pour laquelle le confucianisme est reconnu comme une force morale dynamique même dans les pays post-industriels de l’Asie de l’Est se tient dans son origine animiste. Une religion animiste ou un code moral sont toujours attrayants quand l’environnement naturel est en danger. Au Japon, des chercheurs étudient avec grand intérêt l’éthique de l’environnement que l’on trouve dans la morale religieuse animiste de la minorité aïnou. Les intellectuels japonais perdent de l’intérêt pour le monothéisme occidental et la morale humaniste. Ils considèrent les cultures occidentales, et spécialement leur culture de l’information dans une société de consommation, comme aliénant les personnes d’elles mêmes et de leur humanité.

Une fois occidentalisé, un Japonais ne peut pas revenir facilement à une religion animiste et à sa morale comme vérité ultime sans conserver de préjugé contre un naturalisme qui n’est rien de plus qu’une somme de données écologiques. Ceux qui préfèrent l’animisme au christianisme ne sont évidemment pas satisfaits de la définition doctrinale d’un Dieu suprême telle qu’elle est présentée par la philosophie occidentale des Lumières. C’est aussi une réaction au manque de spiritualité du mode de vie occidental. Si les gens arrivent à trouver dans le confucianisme, avec son arrière-plan animiste, une cohérence rationnelle de points de vue animistes, ils recommenceront certainement à apprécier le confucianisme. Il est temps pour le christianisme de développer davantage les doctrines de la création et de l’incarnation afin d’évangéliser les peuples qui possèdent une mentalité animiste traditionnelle. En ce qui concerne les cultures animistes de l’Asie de l’est, les missionnaires pourraient annoncer l’Evangile comme salut non pas seulement pour les êtres humains mais aussi comme un guide pour protéger le monde naturel. Ce serait une manière d’inculturer l’évangélisation en Asie de l’est.

Jusqu’à présent, les missionnaires chrétiens ont annoncé un Dieu personnel sans faire allusion à l’environnement naturel, sa vie animale et les autres formes de nature. Il y a eu une condamnation excessive des pratiques animistes comme étant idolâtres. Cette présentation de l’Evangile est trop simple. En ce qui concerne l’amour chrétien, l’accent a été mis sur une relation personnelle au monde naturel sans lien avec l’amour de Dieu. Dans le confucianisme l’enseignement de l’amour commence avec un code pour toute l’humanité. L’idéal de l’amour est le respect de la vie des citoyens dans la famille, le groupe ou la communauté. On est loin de l’esclavage ou de l’obéissance aveugle à l’autorité politique. Le principe fondamental de la piété filiale est basé non pas sur l’énergie personnelle propre mais plus particulièrement sur l’instinct de vie ancestral, c’est-à-dire l’énergie qui vient de ceux qui sont partis avant.

La société ne devrait pas être simplement un système ordonné de relations humaines. Ce doit être une communauté de vie recevant énergie et autorité des ancêtres qui symbolisent la continuité de la vie. N’est-il pas possible pour le Christ, Dieu incarné, d’advenir à la communauté pour renforcer sa vie d’abord, avant qu’une unité personnelle ne soit atteinte par les membres individuels de la communauté ? Le type de salut individualiste n’est pas nécessairement chrétien de manière authentique. Le concile Vatican II a pleinement pris conscience de l’importance de la communauté dans la vie de l’Eglise et du monde aujourd’hui. Le document papal Centissimus Annus insiste sur la solidarité comme étant une vertu chrétienne authentique. Oublier qui est notre prochain et qui sont nos voisins sur cette petite planète peut amener au pire des individualismes.

Les sociologues et politologues occidentaux sont en train de ré-évaluer la morale confucéenne pour le développement économique de l’Asie de l’est. En même temps, des intellectuels asiatiques, particulièrement Japonais, critiquent la technologie et la culture occidentales, en même temps que le christianisme (9). Les missionnaires ont la responsabilité d’annoncer un évangile authentique qui inclut les gens, les autres créatures vivantes et la nature inanimée. Déjà, des études récentes sur la pensée chinoise suggèrent une nouvelle orientation pour l’expression théologique de l’Evangile dans l’inculturation de l’évangélisation (10).

Robert Bellah, sociologue des religions, essaie de trouver un niveau transcendantal qui serait présent dans toutes les croyances religieuses. Dans son dernier livre, Au-delà de la croyance, essais sur la religion dans un monde post-traditionnel, nous trouvons une étude comparative des aspects fondamentaux du confucianisme et du christianisme. Un chapitre concerne le concept de famille. Il y compare la relation du père et du fils dans les deux religions pour montrer la différence entre la culture chinoise et la tradition occidentale. Pou les théologiens chrétiens, ceci peut suggérer un nouveau paradigme pour le mystère de la Trinité.

Le monothéisme biblique interprété par la pensée occidentale doit être ré-évalué afin de dépasser l’argument simpliste qui oppose le monothéisme au panthéisme. Cette tâche requiert une attention immédiate si l’on veut que l’inculturation du message chrétien sur Dieu prenne racine. Les occidentaux pensent que l’immanence est une caractéristique essentielle de la pensée chinoise alors que la transcendance serait fondamentale pour les penseurs occidentaux. Une étude récente propose une nouvelle interprétation de cette manière sclérosée de penser : Robert C. Neville observe que “selon la catégorie de la créativité ontologique, toute définition des choses est immanente dans le sens qu’elle est harmonisation entre des traits conditionnels relationnels et d’autres intégraux essentiels : aucune définition de chose ne se réfère à un créateur transcendant. En même temps, il n’y a pas symétrie dans le statut existentiel des choses” (Comprendre la pensée chinoise, p.60). Ces exemples parmi beaucoup d’autres sur la pensée chinoise nous invitent, nous théologiens chrétiens concernés, à approfondir notre pensée théologique avec un nouveau paradigme.

CONCLUSION

Ce que je propose dans cet essai est de regarder l’Asie de l’est non seulement comme une région géographique mais particulièrement comme une unité culturelle. L’existence d’une culture et d’un héritage confucéens dans la majorité des peuples d’Asie de l’est est évident. La prise de conscience que cette culture existe dans ces peuples les amènera naturellement à un sentiment plus profond de solidarité.

Comprendre les peuples par leur culture est plus important que d’essayer de les comprendre par leur anthropologie ou leur position géographique sur une carte du monde. C’est la raison pour laquelle je crois que l’évangélisation à l’avenir exigera des missionnaires un effort sérieux d’inculturation. Le confucianisme comme héritage culturel commun des peuples d’Asie de l’est doit être sérieusement étudié en dépit des préjugés populaires contre les idées morales confucéennes. L’hypothèse d’une relation effective entre le confucianisme et le développement économique des pays nouvellement industrialisés n’a pas été scientifiquement démontré. Beaucoup d’intellectuels confucéens ne sont pas favorables à cette idée mais beaucoup de journalistes et d’hommes politiques considèrent l’hypothése comme probable. Dans tous les cas, cette théorie stimule fortement la recherche qui se fait sur les relations entre le confucianisme et l’économie. L’interprétation que je viens de présenter est l’un des aspects les plus importants de la recherche récente sur le confucianisme.

Grâce à sa spiritualité sophistiquée, le bouddhisme peut être séduisant. Il en résulte que beaucoup d’intellectuels catholiques étudient sérieusement la philosophie du bouddhisme et pratiquent même ses exercices spirituels. D’un autre côté, les éléments religieux du confucianisme, particulièrement son aspect animiste, sont totalement négligés ou méprisés.

Les intellectuels s’intéressent seulement à la superstructure morale du confucianisme comme s’il s’agissait d’une espèce sophistiquée de morale. Le confucianisme n’est pas simplement, comme le bouddhisme, un système d’idées raffinées. C’est plutôt un type d’humanisme intégré et cohérent dans la mentalité des peuples de l’Asie de l’est.

Depuis Vatican II, la théologie morale comme les autres disciplines théologiques connaît un renouveau. Beaucoup affirment que la théologie morale en Asie de l’est devrait être contextualisée ou inculturée. Pour ma part, j’attends avec impatience une nouvelle manière de penser et de faire la théologie morale qui aiderait davantage à la prise de décision dans notre contexte culturel particulier, comme John Mahoney l’a suggéré dans ses écrits sur la réforme des traditions de la théologie morale en Occident (11). Pour accomplir notre tâche dans notre petit coin du monde, j’aimerais inviter nos collègues américains et européens à nous aider dans un esprit fraternel de coopération et de soutien intellectuel et moral.