Eglises d'Asie

Réhabilitation : le P. Alexandre de Rhodes préféré à un héros de la résistance

Publié le 18/03/2010




Le journal Tuôi Tre du 23 septembre 1995, a rendu publiques trois mesures émanant du premier ministre, destinées à réhabiliter le P. Alexandre de Rhodes, un des premiers missionnaires au Vietnam, à qui l’on attribue le principal mérite dans la transcription du vietnamien en alphabet latin, écriture devenue officielle aujourd’hui sous le nom de Quôc Ngu. Il est prévu de remettre en place dans la cour de la bibliothèque nationale de Ho Chi Minh-Ville une stèle qui y était auparavant et qui célèbre la contribution du missionnaire à la langue vietnamienne moderne. Il a été demandé au Centre national des sciences sociales et humaines d’organiser dans les jours à venir un séminaire d’études au sujet d’Alexandre de Rhodes, destiné à permettre une évaluation complète de ses mérites dans le domaine de la culture vietnamienne.

La principale mesure prévoit de redonner le nom de l’illustre père jésuite à la rue du centre de Saigon qui l’avait porté jusqu’en 1975. Le symbole est d’autant plus fort que cette artère est parallèle à une rue qui porte le nom de Han Thuyên, l’ancêtre des anciens caractères nationaux appelés “nôm“, formés à partir des caractères chinois et supplantés aujourd’hui par le “quôc ngu“. L’initiative, cependant, n’est pas allée sans poser de problèmes car l’actuel nom de la rue est celui d’un avocat, Thai Van Lung, héros de la résistance, mort pour la patrie. Dans une lettre envoyée en 1993 au P. Truong Ba Cân, directeur de la revue “Le Catholicisme et la nation“, le président du Conseil des sciences sociales, le professeur Trân Van Giau exprimait son inquiétude à l’idée d’accorder au P. de Rhodes la priorité sur un héros révolutionnaire (11). Le premier ministre, lui, a tranché pour le père jésuite. Il faudra désormais chercher une autre rue pour le héros de la résistance.

L’actuelle réhabilitation d’Alexandre de Rhodes est le résultat d’une campagne qui date aujourd’hui de plus de trois ans (12). En décembre 1992, dans un colloque international à Hanoi, le professeur Hoang Tuê avait prononcé une conférence sur le quôc ngu. Conformément au jugement très négatif porté sur le jésuite par le régime communiste depuis le début, l’orateur avait laissé entendre que “la création du “quôc ngu” pourrait avoir une signification politique”. Dans les milieux intellectuels, un certain nombre de voix s’étaient élevés alors pour défendre la mémoire d’Alexandre de Rhodes. Durant l’année 1993, la campagne pour sa réhabilitation a repris de la vigueur. Dans son journal, le P. Truong Ba Cân demandait de restaurer la rue portant son nom et d’élever à nouveau sa statue à Hanoi où elle avait été érigée en 1941. Par deux fois, le journal Lao Dông mettait en cause le jugement défavorable de l’historiographie officielle, accusant même un manuel d’histoire de se servir de fausses citations pour le discréditer.

La vraie réhabilitation officielle a été l’article consacré à Alexandre de Rhodes par l’encyclopédie culturelle du Vietnam parue en décembre 1993, qui ne laisse plus planer de doutes sur ses arrière-pensées.