Eglises d'Asie

Le Parti communiste vietnamien et les instances internationales se préoccupent de la pauvreté dans le pays

Publié le 18/03/2010




Une première transformation structurelle de la société vietnamienne avait eu lieu au Nord-Vietnam en 1954 et, à partir de 1975, au Sud-Vietnam. Le collectivisme économique préconisé par le régime communiste avait totalement bouleversé une société encore marquée par la tradition, mais ayant déjà entamé sa modernisation dans le sillage de l’économie libérale occidentale. Depuis l’introduction de l’économie de marché à la fin des années 80, une nouvelle transformation non moins importante est en train de remodeler la société civile. L’apparition d’une nouvelle classe de riches, la distance, chaque jour plus grande, entre les nantis et les démunis ont été depuis longtemps dénoncées par beaucoup d’instances sociales. Ce nouvel état de choses a provoqué l’inquiétude des divers responsables religieux, des tenants de la tradition nationale et des cercles politiques conservateurs du pays qui ne cessent de manifester leur pessimisme devant les effets néfastes de l’économie de marché sur la société vietnamienne, en multipliant les avertissements et mises en garde.

Il est cependant rare que la distribution actuelle des richesses dans le pays fasse l’objet d’une étude systématique, détaillée et respectueuse des exigences de la rigueur scientifique. Une première étude de ce type avait été présentée en 1994 par l’Office des statistiques (19). Le document annexe du présent numéro reproduit un point de vue officiel sur la question, qui vient d’être publié dans l’organe théorique du Parti communiste vietnamien (20). Estimant que le seuil de pauvreté équivaut aux ressources nécessaires pour se procurer l’équivalent de 2 100 calories par jour, l’analyse classe parmi les pauvres 20 % de la population du Vietnam. Ils sont 22 % au sein de la population rurale et 10,10 % dans les villes. L’article propose ensuite diverses analyses géographiques et sociales de la répartition de la pauvreté et des causes qui la provoquent. Enfin, il se livre, en conclusion, à une très intéressante recherche des divers facteurs qui ont provoqué la naissance de la nouvelle classe de riches au Vietnam.

Il est instructif de voir que les problèmes de pauvreté au Vietnam sont aussi examinés avec beaucoup de soin par diverses instances internationales impliquées dans le développement du Vietnam. Une analyse de la pauvreté au Vietnam publiée au mois de mars par la Banque mondiale (21) s’appuyait, semble-t-il, sur les mêmes données que celles qui ont été publiées par la revue théorique du Parti communiste. Cependant, situant le seuil de pauvreté à un niveau beaucoup plus élevé, l’étude aboutit à des conclusions très différentes. En se basant sur des critères internationaux, le rapport soutient que 51 % des vietnamiens vivent au-dessous du seuil de pauvreté. L’organisme international reprend aussi une constatation de l’Office des statistiques du Vietnam selon laquelle le nombre de pauvres dans les campagnes représente 90 % du chiffre total de pauvres du pays.

Un rapport publié par le Programme de développement des Nations Unies le 9 novembre 1995 (22) ne contient pas de statistiques aussi précises mais affirme que “au moins deux cinquièmes de la population sont assez pauvres pour que l’on s’en soucieComme la publication de la Banque mondiale, ce rapport refuse le “bouc émissaire” généralement mis en avant par l’idéologie officielle, y compris dans l’article de la revue communiste cité en annexe, à savoir l’économie de marché qui ne favoriserait que les riches et nuirait aux pauvres. Il affirme au contraire que, depuis les premières réformes économiques du milieu des années 80, la pauvreté qui touchait alors 70 % des familles vietnamiennes a sensiblement reculé. Cependant, faute de données certaines, le rapport s’estime incapable de préciser si l’écart entre les riches et les pauvres augmente ou diminue dans la période actuelle de libéralisation économique.

A la suite de leur analyse, les divers rapports sont d’accord pour affirmer que la seule croissance économique ne pourra résoudre le problème de la pauvreté. Ils mettent en cause la politique actuelle du gouvernement vietnamien, en particulier l’ordre de priorité adopté en matière d’investissements publics. Les objectifs de la croissance et ceux de la justice sociale pourraient s’accorder, disent ces rapports internationaux, si le gouvernement consacrait davantage de ses ressources à l’aide de l’agriculture plutôt qu’à des projets grandioses. Les deux grandes métropoles de Hanoi et de Hô Chi Minh-Ville absorbent une grande partie de l’aide et des investissements étrangers, alors que 80 % de la population vit dans les campagnes qui abritent aussi 90 % des pauvres du pays.

La conclusion du rapport du Programme de développement est d’ordre politique. L’emprise de la pauvreté sur le pays ne pourra être desserrée que lorsque l’Etat manifestera une volonté réelle de se mettre à l’écoute des déshérités. “On ne peut aider quelqu’un que si l’on connaît ses besoinsLe jugement paradoxal porté par les économistes des instances internationales sur le gouvernement socialiste vietnamien est bien résumé dans le diagnostic ainsi exprimé par le représentant du Programme de développement à Hanoi: “Le Vietnam manque d’un bon système de communication d’informations, aussi bien à l’intérieur du gouvernement, qu’entre le gouvernement et le peuple”.