Eglises d'Asie – Vietnam
RICHESSE ET PAUVRETE DANS LE CADRE DE L’ECONOMIE DE MARCHE
Publié le 18/03/2010
Le niveau de revenus concrets à partir duquel quelqu’un est considéré comme pauvre, lui non plus n’est pas fixe. Un certain niveau de revenus que l’on tenait pour moyen durant les années précédentes, peut aujourd’hui être regardé comme pauvre. Les riches d’aujourd’hui ne seront que moyennement aisés demain ou même pauvres. On peut prendre comme exemple le seuil de pauvreté pour une famille de quatre personnes aux Etats-Unis. En 1963, ce
seuil était de 3 100 $; en 1982, il était passé à 9 862 $; en 1984, il s’élevait à 10 600 $; en 1993, il atteignait 14 763 $. La détermination de la richesse et de la pauvreté est en relation étroite avec les conditions économiques et sociales concrètes de chaque pays. C’est pourquoi, en l’absence de critères unifiés, il est difficile de comparer les situations de pauvreté entre les pays, ou même entre les régions d’un même pays à des époques différentes.
Dans notre pays, selon les rapports officiels, les pauvres constituaient 20 % de la population rurale en 1990. En 1992, cette proportion avait diminué pour atteindre 15 %. Mais en 1993, la courbe s’était inversée et la proportion s’était élevée à 22,14. Ces chiffres peuvent apparaître contradictoires. En 1993, la situation économique et sociale de notre pays s’étant améliorée, comment la pauvreté a-t-elle pu augmenter? Si l’on examine le seuil de pauvreté fixé pour chaque année, on s’aperçoit qu’il n’y a là rien que de très normal. Le seuil de pauvreté était fixé à 13 kg de riz par mois et par tête en 1990, tandis qu’en 1993, ce seuil avait été porté à 25-30 Kg de riz. Il avait été doublé par rapport à celui de 1990.
Considérant que la nourriture minimale pour subsister est l’équivalent de 2 100 calories par personne et par jour, l’Office général des statistiques du Vietnam a fixé les niveaux de revenus suivants pour définir les diverses catégories de riches et de pauvres.
Classement des diverses catégories de familles selon les revenus mensuels moyens par tête
PRIVATE Catégories de familles
Revenus à la campagne
Revenus en ville
1.Très pauvres
moins de 30 000 D
Moins de 50 000 D
2.Pauvres
moins de 50 000 D
Moins de 70 000 D
3.sous la moyenne
De 50 à 70 000 D
De 70 à 100 000 D
4.Moyennes
De 70 à 125 000 D
De 100 à 175 000 D
5.Au-dessus de moy.
De 125 à 250 000 D
De 175 à 300 000 D
6.Riches
Plus de 250 00 D
Plus de 300 000 D
7.Très riches
Plus de 350 000 D
Plus de 400 000 D
Source: Enquête sur la richesse et la pauvreté au Vietnam pour l’année 1993. Service général des statistiques, Août 1994
A l’aide des critères définis ci-dessus, une enquête effectuée sur un échantillon représentatif de 91 732 familles donne les résultats suivants.
PRIVATE Catégories de familles
% dans tout le pays
% en ville
% à la campagne
Familles pauvres
dont très pauvres
19,98
04,36
10,10
03,31
22,14
04,58
Sous la moyenne
22,27
17,95
23,21
Moyennes
36,46
26,27
38,67
Au dessus de la moyenne
17,19
33,24
13,69
Riches
dont très riches
04,1
01,87
12,44
06,29
02,29
00,91
Source: Enquête sur la richesse et la pauvreté au Vietnam pour l’année 1993. Service général des statistiques, Août 1994
A la même époque une enquête portant sur un échantillon représentatif de 4 800 familles, réalisée par le Comité de statistiques d’Etat (projet VIE 90:007) a analysé le niveau de vie de la population en 1992-1993, en prenant comme critère les ressources nécessaires équivalant à la consommation de 2 100 calories par personne. Elle a conclu que 50 % de la population vivait au dessous du seuil de pauvreté (57% de la population rurale et 26% des habitants des villes). Les ruraux représentaient 90% du nombre de démunis de tout le pays. En dehors de cette disparité entre familles démunies et aisées, un autre écart est apparu, celui qui sépare les régions pauvres des régions riches.
Répartition des revenus mensuels moyens par tête en fonction des diverses régions du Vietnam (en milliers de dôngs)
PRIVATE Régions
Très riches
Riches
Au-dessus
de la moy.
Moyens
Sous
la moy
Pauvres
Très
pauvres
Tout le pays
743,74
530,21
188,94
100,65
65,82
40,87
27,51
Région monta.
du Nord
670,87
461,83
173,73
95,20
61,77
39,03
25,22
Plaine du
fleuve rouge
765,06
496,48
176,67
95,74
62,66
40,06
25,64
Région nord
Centre Viet.
526,66
378,78
170,87
92,70
61,72
37,86
22,14
Centre Viet. (côtes)
629,43
461,43
180,42
97,53
63,49
40,01
27,41
Centre Viet.
Hauts plat.
680,58
465,69
179,17
96,86
62,61
38,01
25,17
Cochinchine
orientale
877,88
636,05
219,94
115,08
78,58
48,18
33,63
Plaine du
Mékong
744,35
568,80
209,43
112,03
77,46
47,45
33,31
Source: Enquête sur la richesse et la pauvreté au Vietnam pour l’année 1993. Service général des statistiques, Août 1994
Grâce à ce tableau, on peut remarquer que c’est dans les plaines de Cochinchine orientale que l’on trouve le niveau de revenus mensuels moyens par tête le plus élevé. Viennent ensuite les régions du delta du fleuve rouge et celles du delta du Mékong. La région où le revenu mensuel moyen par tête est le plus bas est l’Annam septentrional (Thanh Hoa, Nghê An), l’ancienne quatrième région. En poussant l’analyse plus loin dans chaque région, on constate que plus on se rapproche des villes et des agglomérations urbaines plus le revenu s’élève.
Les quelques années qui ont suivi le changement de la gestion économique de notre pays ont suffi pour créer un écart entre pauvres et riches. Il est inutile de dire que si l’on accepte le régime du marché, il faut aussi se résigner à cette disparité. Mais le problème reste posé: notre objectif affiché, à savoir, « un peuple riche, une nation puissante, une société juste et civilisée » exige que nous trouvions des solutions efficaces capables de limiter cette différenciation. Réduire peu à peu l’écart entre les riches et les pauvres est, selon moi, l’un des impératifs de l’orientation socialiste. Les résultats de l’enquête le montrent: ces dernières années, la proportion des familles riches a augmenté de 10,15 % tandis que celle des pauvres s’élevait de 12,04 %. Sans l’intervention de l’Etat, la tendance actuelle conduit vers une distance de plus en plus grande entre riches et pauvres. Le revenu moyen des familles riches est treize fois plus élevé que celui des pauvres et 19 fois plus élevé que celui des « très pauvres ». Le revenu moyen des très riches peut être évalué en affectant le revenu des très pauvres d’un coefficient de 27, 03.
Naturellement, la pauvreté a un caractère relatif et historique. On n’a jamais pu éviter qu’une partie de la population ait un revenu très bas et qu’une autre jouisse du revenu le plus élevé. Par ailleurs, le revenu moyen s’élève plus ou moins rapidement en fonction du développement général de l’économie. Cependant, si l’on veut que la société soit raisonnablement structurée, il faut créer les conditions pour augmenter la proportion des foyers appartenant aux classes moyennes, diminuer l’écart entre les très riches et les très pauvres, selon une composition que les sociologues appellent « en losange ».
Autopsie de la richesse et de la pauvreté
Les causes de la pauvreté
L’analyse des causes de la pauvreté a été le sujet de beaucoup d’études et d’analyses. On pourrait les résumer ainsi:
– A la campagne:
Les observations effectuées dans un certain nombre de régions nous apprennent que les pauvres se recrutent essentiellement au sein des travailleurs de profession uniquement agricole. Dans les familles dont les revenus ont pour unique source l’exercice de la profession agricole, le degré de pauvreté varie en fonction de la situation géographique de chacun. D’autres éléments rentrent en compte comme le niveau d’études, le nombre d’enfants, la santé …
Selon une enquête, les motifs qui entraînent les foyers de producteurs agricoles dans une situation de pauvreté sont les suivants: le capital nécessaire à la production agricole fait défaut pour 93,530 % d’entre eux; 45,77 % sont dépourvus d’expérience professionnelle; 43,6 % sont sans emploi. Les foyers pauvres ont, en général, un grand nombre de bouches à nourrir et disposent de peu de force de travail. La surface agricole moyenne exploitée par bouche à nourrir dans un foyer pauvre correspond seulement à un quart de celle dont disposent les membres d’une famille riche. A côté de cela, le niveau culturel des membres des familles pauvres est très bas. 28,8 % d’entre eux sont illettrés; 53, 72 % sont de niveau primaire, 1, 7 % sont de niveau secondaire.
Une enquête effectuée en décembre 1992 dans le district de Xuân Thuy, province de Nam Ha a relevé les caractéristi-ques suivantes: 16, 7 % des familles pauvres le sont devenues à cause de leur manque de capacités de production; 33 % parce qu’elles n’ont pas d’emploi, 73,3% ne possédaient qu’un capital insuffisant. La pauvreté de certaines familles n’est due qu’à une seule des causes précédentes, pour d’autres plusieurs de ces causes entrent en jeu en même temps.
A côté des raisons objectives de la pauvreté, certains motifs subjectifs sont mis en avant par les familles recensées comme pauvres: 61 % d’entre elles attribuent leur difficultés au prix trop élevé du matériel agricole, 36,7 % en rejettent la faute sur les prix de vente anormalement bas des produits agricoles; 52 % se plaignent des banques qui limitent les emprunts; 38, 3 % d’entre elles tiennent que les formalités exigées pour des emprunts bancaires sont trop complexes, ce qui les oblige à emprunter directement dans le privé, avec des intérêts très élevés.
– En ville :
Les enquêtes font apparaître que dans les deux grandes villes du Vietnam, les causes fondamentales de la pauvreté sont, dans l’ordre d’importance, le chômage, la précarité de l’emploi, le faible niveau de connaissances, le mauvais état de santé, le grand nombre d’enfants, etc. Dans les villes, la faiblesse du niveau culturel constitue un important facteur de pauvreté. Les familles illettrées représentent une importante proportion de l’ensemble des familles pauvres (31,4 % à Hanoi, par exemple). En second lieu, on trouve les familles dont le niveau culturel est faible (premier et deuxième cycle du primaire) (21,4 % à Hanoi).
Les illettrés ou les personnes ne bénéficiant que d’un faible niveau culturel sont souvent au chômage ou n’obtiennent que des emplois précaires. Ils ne peuvent accomplir que des tâches simples ne nécessitant pas une haute technicité. Par suite, leurs revenus sont peu élevés. Leurs rémunérations étant directement liées à leurs efforts physiques, ils ne peuvent refaire leurs forces en prenant des congés. Ainsi leur santé laisse vite à désirer, les obligeant à s’arrêter de travailler très souvent: ce qui diminue d’autant plus leurs revenus et rend leur vie encore plus difficile. C’est un cercle vicieux dans lequel ils sont entraînés et auquel ils ne peuvent échapper.
A Hanoi, les chefs de familles pauvres, dans leur grande majorité, appartiennent au monde ouvrier et travaillent dans les entreprises d’Etat dont l’existence est mise en péril dans l’économie de marché. Presque tous ont un salaire très bas. D’autres encore, lorsqu’ils ont perdu leur emploi (parce que rayés des effectifs des entreprises d’Etat) n’ont pu faire face à la nouvelle situation. Parmi les chefs de familles pauvres recensés au sein de l’échantillon qui a été l’objet de l’enquête, 48 % avaient perdu leur emploi et subsistaient en assurant certains « services » dans les rues de la ville (gonfleur et réparateur de pneus, réparations diverses, vente de boissons rafraîchissantes … etc). Il faut dire cependant que les personnes classées dans la catégorie des pauvres ne le sont que relativement aux autres groupes recensés en ville.
Les causes de la richesse
Il faut souligner en premier lieu que cette question de l’origine de la richesse en notre pays reste obscure car il nous manque encore beaucoup d’enquêtes officielles sur ce sujet. Une des raisons pour lesquelles les enquêtes officielles ne fournissent que peu de conclusions satisfaisantes tient au fait que nous ne pratiquons pas encore le système de déclaration des biens et des revenus. Les résultats de l’enquête actuelle ne sont que la partie immergée d’un iceberg dont la partie enfouie reste toujours très difficile à connaître. On peut cependant, à partir de l’enquête, mettre en lumière un certain nombre de causes responsables de l’enrichissement de certaines familles.
A la campagne:
L’enrichissement dans les campagnes est lié à la capacité de s’adapter rapidement à la production industrielle. Les riches ne se sont pas cantonnés dans l’agriculture, mais ont exercé encore d’autres professions (fourniture de services, petite industrie, industrie de transformation, meunerie, gestion). Les foyers riches utilisent généralement les revenus provenant de l’exploitation agricole aux dépenses de la vie quotidienne, tandis que les revenus obtenus dans l’exercice d’autres professions sont consacrés à l’achat de biens immobiliers destinés à élever leur niveau de vie, ou encore sont investis pour augmenter la production de type industriel.
Une petite partie des familles riches se sont enrichies grâce à des parents vivant et exerçant leur profession à l’étranger. Grâce à cette aide extérieure, un nombre non négligeable de familles a bénéficié de conditions leur permettant d’élever leur niveau de vie, d’investir dans la production industrielle et d’augmenter ainsi leurs revenus.
Il existe, par ailleurs, des familles dont des parents participent au travail de gestion ou de direction à divers niveaux de responsabilité. Il ne faut pas éloigner la possibilité que certaines d’entre elles se soient enrichies en légalisant habilement, sous le couvert de subventions de diverses espèces, certaines sources illégitimes de revenus. C’est une question qui reste posée et exige que soit rapidement publié un décret prévoyant l’enregistrement et la déclaration de biens des fonctionnaires d’Etat.
En ville:
Dans presque tous les cas, l’origine de l’enrichissement est à chercher dans le commerce ou la fourniture de services.
Il y a très peu d’enrichissements dans le secteur de la production. Parmi ceux qui se sont enrichis grâce au commerce, nombreux sont ceux qui ont profité des failles de la législation pour échapper à l’impôt ou aux diverses espèces de taxe. Il faut parler ici d’une partie importante des fonctionnaires d’Etat chargés de ce que l’on appelle « les services généraux » dans les entreprises à responsabilité limi-tée, dans les centres de consultation. Il suffit de la moindre ambiguïté lors de l’élaboration ou de la signature des grands contrats pour que puissent être détournées de som-mes allant de 5 à 20 % de la somme totale du contrat. Il y a là des pôles de concussion extrêmement dangereux auxquels l’Etat et le Parti devraient se hâter de trouver des solutions.
Une enquête effectuée en 1992 à Hanoi laisse apparaître, que 50 % des familles riches ont un ou plusieurs parents proches travaillant dans le secteur d’Etat. Dans 80 % des cas, ces parents proches sont des cadres supérieurs employés à un haut niveau, du district jusqu’à celui du ministère. Leurs secteurs d’activités sont souvent les services bancaires, les finances, le commerce extérieur, les affaires étrangères, la marine, les transports aériens, maritimes …, en résumé, des secteurs liés à l’argent et à l’étranger. Il faut ajouter que le niveau culturel de ces familles est assez élevé (90 % des chefs de familles étaient diplômés de l’université). Ce sont de telles conditions qui ont permis l’enrichissement de ces familles. Une autre cause de l’enrichissement rapide de certaines familles peut être trouvée dans le changement de statut économique. Passant de l’ancien régime autoritaire à celui de la prise en compte des résultats réels de l’entreprise (par la comptabilité), beaucoup d’organisations et d’organes ont essayé de réaliser des bénéfices, en louant leurs bureaux par exemple, … pour augmenter leurs revenus et peu à peu. Les ressources officielles sont devenues une petite part de leurs revenus véritables. Aujourd’hui, parmi, les plus de 20 000 entreprises à responsabilité limitée, et entreprises privées en activité, les entreprises travaillant réellement pour la production en créant de nouveaux biens, n’occupent qu’une infime proportion. La plupart font du commerce et servent d’intermédiaires. D’autres sont devenus riches en gérant de l’immobilier.
Pour mener à bien la politique de rénovation et perfection-ner la nouvelle gestion, il nous faut accepter de payer le prix. Cependant, pour que ce prix soit le moins élevé possible, il nous faut comprendre les tendances entrant en jeu dans cette répartition des riches et des pauvres. Ainsi nous pourrons établir une politique économique et sociale adaptée, destinée à assurer la justice sociale en essayant de diminuer la distance entre les pauvres et les riches, sans toutefois gripper le moteur de la croissance économique et sociale. L’incitation à s’enrichir honnêtement ira de pair avec la création de conditions permettant aux pauvres de sortir du dénuement et de participer au développement avec toute la communauté. Ainsi deux aspects inséparables seront pris en compte, le développement et l’humanité.