Eglises d'Asie

Début de réhabilitation du grand érudit catholique Petrus Ky

Publié le 18/03/2010




Le mouvement de réhabilitation des personnalités catholiques ayant apporté leur contribution à la formation et au développement de la culture vietnamienne moderne se poursuit. Après Alexandre de Rhodes, le principal artisan de la création de l’écriture nationale, c’est aujourd’hui le tour du père de la prose moderne vietnamienne, Truong Vinh Ky, aussi appelé Petrus Ky (1837-1898). L’hebdomadaire “Tuôi Tre chu Nhât” (Jeunesse, édition dominicale) (21) vient d’attirer l’attention sur ce personnage dont l’oeuvre et les mérites étaient reconnus depuis longtemps au Vietnam avant le changement de régime. Jusqu’en 1954 au Nord et 1975 au Sud, les manuels d’histoire et de littérature commentaient son oeuvre; beaucoup de rues et d’institutions portaient son nom. Dès la mise en place du gouvernement communiste, son nom disparut totalement des édifices publics, tandis que les manuels ne signalaient plus son existence que pour le critiquer.

Puis est arrivée l’époque du “dôi moi”. Déjà en 1993, l’encyclopédie de la culture vietnamienne, lui avait consacré un article de près de trois colonnes reconnaissant le rôle essentiel joué par lui dans le développement de la littérature vietnamienne moderne (22). Le récent article de l’organe des “Jeunesses communistes”, signé Son Nam, rappelle ses mérites et signale que cet homme qui a enseigné et fait aimer le Vietnam au colonisateur français comme “le caneton se fait aimer de la mère poule qui a couvé son oeuf”, a toujours refusé de demander la nationalité française alors qu’il remplissait toutes les conditions pour l’acquérir. L’article évoque aussi la statue élevée à Truong Vinh Ky, en 1926, dans un jardin public de la ville, près de l’actuel service de l’émigration. Elle le représentait coiffé d’un turban et vêtu d’un costume traditionnel. Par bonheur, la statue que l’on croyait disparue a été soigneusement conservée dans une salle d’un musée de la ville (23). L’auteur de l’article affirme qu’il n’en coûterait rien au gouvernement pour remettre la statue à son ancienne place tout près de l’ancienne rue Alexandre de Rhode. “Puisque le jésuite a été réhabilité, pourquoi ne pas honorer en même temps un de ses modestes disciples ?” conclut l’article.

Truong Vinh Ky est né en 1837 d’une famille chrétienne, dans le hameau de Cai Mon, province de Bên Tre, autrefois Vinh Long. Il fut remarqué dès sa petite enfance par les prêtres vietnamiens et français à cause de sa très vive intelligence. Les prêtres des Missions étrangères l’envoyèrent poursuivre des études d’abord au Cambodge puis en 1852 au grand séminaire de Penang en Malaisie. Revenu au Vietnam muni d’une solide culture chinoise, d’une profonde connaissance de la langue et de la culture française, parlant un nombre considérable de langues occidentales (six) et orientales (neuf), il apparut comme l’intermédiaire idéal pour l’administration française qui commençait alors à se mettre en place au Vietnam. Il fit partie de la délégation vietnamienne de Phan Thanh Gian qui se rendit en France en 1863 pour essayer de négocier avec le gouvernement français le retour à l’empire vietnamien des trois provinces orientales de la Cochinchine. Il y rencontra de grands écrivains parmi lesquels Victor Hugo et Renan. Il occupa ensuite de nombreuses fonctions: directeur du premier journal en langue vietnamienne, “Gia Dinh Bao”, enseignant de vietnamien, professeur à l’école des interprètes et au collège des stagiaires de Saigon. Il fut ensuite pendant quelques mois membre du “Conseil secret de la Cour d’Annam” à Huê. Puis il revint à Saigon où il se consacra surtout à ses recherches et à la rédaction de ses livres.

Son oeuvre est immense et il est considéré comme un des plus grands érudits que le Vietnam ait connu. L’encyclopédie culturelle vietnamienne parle de 118 ouvrages en vietnamien et en français (24). Les dernières recherches évaluent le nombre de ses livres à 150. Son grand mérite est d’avoir donné ses titres de noblesse à l’écriture nationale, le “Quôc Ngu”, qui avec lui entre dans la littérature. Il a ainsi popularisé en les transcrivant en écriture nationale un certain nombre de chefs d’oeuvre de la littérature vietnamienne, mais aussi quelques classiques chinois. Une partie de ses recherches est consacrée à la langue vietnamienne. Il est l’auteur d’un dictionnaire et d’une grammaire. Enfin, il a recueilli de très nombreux récits et traditions de son pays (25).