Eglises d'Asie

LE ROLE DE LA FEMME DANS L’EGLISE ET LA SOCIETE

Publié le 18/03/2010




DECLARATION FINALE

INTRODUCTION

1.1. Les évêques de l’Asie sont à l’écoute.

1.2. A travers tout le continent, ils peuvent entendre “les cris de douleur des femmes” (FABC 6, rapport de l’atelier “femmes”): des femmes qui, écrasées sous le poids de leur pauvreté, luttent pour leur survie; des femmes qui tombent victimes des violences physiques, psychologiques, sexuelles; des femmes à qui l’on ne permet pas de s’élever dans la vie politique et sociale; des femmes dont la contribution à la vie de l’Eglise et de la société n’est pas reconnue; des femmes qui sont opprimées au nom de la religion; des femmes qui sont sans voix.

1.3. Les évêques sont émus.

1.4. Lors de la quatrième assemblée plénière à Tokyo en 1986 (FABC 4: 3.3.5.), puis lors de la “consultation sur les femmes” en 1993 et enfin à la sixième assemblée plénière de la FABC sur “Etre chrétien en Asie” qui s’est déroulée à Manille en janvier 1995 (FABC 6, Atelier “femmes”), les évêques et les Eglises d’Asie ont réalisé qu’ils ne devraient pas fermer l’oreille aux souffrances des femmes. C’est ainsi que ce “BILA” sur les femmes est né.

1.5. Encouragés par la “Lettre aux femmes” du Pape Jean-Paul II en juin 1995 et remplis des espoirs soulevés par la conférence de Pékin ainsi que par le Forum des ONG sur les femmes en septembre 1995, 61 participants, dont 9 évêques, sont venus de 17 pays. Réunis en Thaïlande du 13 au 19 novembre 1995, ils ont réfléchi sur “Le rôle de la femme dans l’Eglise et dans la société, à l’approche du troisième millénaire”. A l’écoute de l’Esprit, ces hommes et ces femmes ont essayé:

1) de prendre plus clairement conscience de la situation des femmes et de l’injustice qui leur est faite.

2) de se mettre au courant des différentes approches utilisées par des groupes d’Eglise, des ONG (Organisations non gouvernementales) et des organismes appartenant à d’autres religions.

3) d’échanger et de découvrir ce qui peut encore être fait:

– par les groupes d’Eglise,

– pour joindre nos efforts avec ceux d’autres organismes qui oeuvrent en faveur des femmes et en union avec les hommes,

– pour favoriser un changement d’attitude à l’égard des femmes et de leur participation dans l’Eglise et la société.

1.6. La réunion elle-même a été unique. Lors des consultations organisées précédemment par la FABC, les questions concernant les femmes ne formaient qu’une partie de problèmes plus larges. Cette fois, hommes et femmes sont apparus comme co-évangélisateurs et les femmes en particulier ont été reconnues comme des agents actifs dans l’oeuvre de leur propre transformation.

2. LE DEROULEMENT DES DEBATS

2.1. Nous sommes partis de l’expérience vécue. Nous avons pris conscience de l’angoisse des femmes utilisées dans l’industrie du sexe, nous avons été les témoins de l’exploitation subie par les femmes au travail, nous avons partagé le désespoir des femmes en détresse, nous avons célébré le courage des femmes qui ont osé répondre à la douleur de leurs soeurs et nous avons admiré nos soeurs bouddhistes. Cette expérience profonde nous a éveillés à la réalité des femmes; elle a aussi donné naissance à la solidarité que nous avons forgée entre nous, alors que nous découvrions la similarité de nos situations et la nécessité d’aller au-delà de nos étroits problèmes locaux.

2.2. Au milieu des conditions misérables dans lesquelles vivent de nombreuses femmes en beaucoup de pays, nous avons vu émerger des leaders: des femmes venues de la base même; nous avons vu quantité de femmes apporter leur esprit de créativité dans l’Eglise et la société et cela nous a redonné l’espoir. Beaucoup de femmes cherchent à obtenir une formation qui leur permette d’être mieux équipées pour une mission qui consiste à transformer le monde.

2.3. L’adoration a été partie intégrante de notre réflexion théologique. Notre Eucharistie quotidienne a célébré la féminité; elle a reflété notre compréhension de Dieu et notre adoration. Ensemble, nous avons prié à partir de nos propres cultures, rendant présent le Dieu de tous les peuples.

2.4. Des experts ont partagé leur expérience et leur savoir, appelant ainsi les participants à les rejoindre avec leurs propres manières de réfléchir et leurs analyses particulières. Les discussions de groupes qui ont suivi nous ont aidés à passer d’une réflexion historique et théologique au niveau d’une spiritualité de transformation. Des tableaux vivants et des présentations audiovisuelles ont mis de la vie dans nos réunions et chaque soir des échanges culturels nous ont rassemblés dans le chant, la danse, les représentations artistiques, renforçant ainsi notre esprit d’amitié et de solidarité.

3. DECOUVERTES ET DEFIS

3.1.Cette réalité qu’est la pauvreté en de nombreux pays d’Asie affecte la vie des pauvres, des peuples indigènes et des femmes. La montée en force d’un type de développement basé seulement sur la croissance économique et le profit joue en faveur de ceux qui possèdent pouvoir et richesse. Et ceci amène l’exclusion des moins favorisés. Ces derniers n’ont pas voix au chapitre des décisions socio-économiques qui affectent leur pays. Et les femmes, qui sont bien souvent les plus pauvres parmi les pauvres, en souffrent le plus.

3.2. Le développement économique de modèle capitaliste favorise la primauté du rationalisme scientifique, aux dépens de la dignité humaine et de l’écologie. Il apporte avec lui un style de vie fondé sur le consumérisme et le matérialisme et amène une crise des valeurs dans nos sociétés.

3.3. L’esprit patriarchal de nos sociétés et son influence sur les principales religions de l’Asie contribuent à garder les femmes dans un état de subordination.

3.4. Ces facteurs de mort poussent les pauvres à vendre leurs filles et leurs femmes aux industries du sexe, ces industries qui ont changé certaines régions de l’Asie en une immense maison de prostitution au service du monde capitaliste, favorisant ainsi le trafic des femmes à l’intérieur des pays comme au plan international. Au point que le sida atteint des proportions épidémiques. Cela nous invite instamment à nous demander comment renouveler notre formation et nos approches pastorales, mais aussi les relations humaines et notre spiritualité. L’exploitation sexuelle a transformé la femme en produit de consommation, l’abaissant au niveau de “non-entité” dans l’Eglise et la société.

3.5. Tant de femmes sont aussi obligées de quitter leurs maisons pour s’expatrier vers les villes ou à l’étranger, où elles sont exploitées.

3.6. Lorsque la moitié de l’humanité se trouve ainsi déshumanisée, notre pauvreté s’accroît grandement. Nous avons perdu ce que les femmes nous donnaient: leur affection, leur beauté, leur équilibre, leur paix, leur créativité.

3.7. Ceci est évident même dans l’Eglise catholique. La moralité et la spiritualité catholiques sont aussi opposées aux femmes. La spiritualité mariale traditionnelle favorise la docilité des femmes. Une certaine interprétation de l’Ecriture renforce le stéréotype de la femme tentatrice et propriété de l’homme.

3.8. Dans cette réunion, qui a rassemblé des femmes et des membres du clergé, nous avons écouté ce que les femmes nous disaient de leurs peines et de leurs blessures, de leurs joies et de leurs luttes et nous avons découvert la puissance de l’unité. Nous avons vu naître un nouvel espoir, celui d’une solidarité entre hommes et femmes dans la mission,

– grâce à la découverte d’éléments profondément positifs dans les cultures locales, éléments qui renforcent l’unité avec la nature et tout ce qui encourage la vie;

– grâce à l’inspiration que nous avons tirée de la vie simple des religieuses bouddhistes, une vie qui peut donner naissance à une contre-culture opposée au consumérisme et au matérialisme;

– grâce à la participation des femmes à la théologie et à la réflexion théologique;

– grâce à la réflexion sur l’Ecriture étudiée du point de vue de la femme;

– grâce à l’affirmation du rôle de Marie comme premier disciple de Jésus et comme femme de foi et de courage;

– grâce à la reconnaissance de la dimension affective comme partie intégrante de la personnalité, reconnaissance qui, par la découverte de notre corps et de nos sentiments, sans ignorer le développement de notre intelligence, doit conduire à une pleine connaissance;

– grâce à l’imitation dans notre vie de la préférence marquée par Jésus pour les femmes et les pauvres.

4. RESOLUTIONS ET RECOMMANDATIONS

4.1. Dans sa Lettre aux femmes du 29 juin 1995, le pape Jean-Paul II a demandé pardon, au nom de l’Eglise, pour tous les torts et tous les manques d’attention dont les femmes ont été les victimes dans l’Eglise. “Si une faute objective, dit le Pape, a pu, spécialement dans certains contextes historiques particuliers, être imputée à plus d’un membre de l’Eglise, je le regrette vraiment. Que ce regret se transforme, de la part de l’Eglise tout entière, en une nouvelle résolution d’être fidèle à la vision de l’EvangileDe la même manière, les participants au “BILA” sur les femmes ont reconnu qu’en Asie aussi, les femmes ont souffert et continuent de souffrir toutes sortes d’indignités, l’exclusion, et même des formes subtiles ou ouvertes d’exploitation dans l’Eglise et dans la société. Cette prise de conscience n’engendre pas chez nous le désespoir: elle nous est au contraire une occasion de renouveler notre engagement à travailler à l’éradication des injustices et à l’amélioraton des relations entre les sexes.

4.2. En tant que chrétiens, nous sommes appelés à construire une communauté de soeurs et de frères qui vivent comme de vrais disciples du Christ et portent son message à notre monde. Nous cherchons par conséquent, par ces résolutions et recommandations, à devenir, grâce à notre travail commun dans le respect mutuel et dans le partage de nos dons et talents, des instruments efficaces pour l’annonce des valeurs du Royaume de Dieu dans l’Asie d’aujourd’hui.

4.3. Nous prenons la résolution:

1) de nous consacrer au maintien de la dignité de la femme considérée comme partenaire égale;

2) de combattre, dans l’Eglise comme dans la société, toutes les injustices causes de discrimination contre les femmes, les pauvres, les marginalisés, les peuples indigènes;

3) de dénoncer les pratiques culturelles qui violent la dignité humaine des femmes, comme l’avortement et l’infanticide des filles, la mutilation génitale, le travail des enfants, la pratique de la dot, la prostitution, le trafic des femmes et des enfants, le tourisme du sexe;

4) de combattre, en commun avec des groupes comme les ONG et les organisations appartenant à d’autres religions, toutes les formes de violence contre les femmes, telles que la violence domestique, les violences sexuelles, le viol, le meurtre…

4.4. Nous recommandons:

1- que dans toutes les organisations et conseils de l’Eglise, les femmes soient représentées au prorata d’au moins 30%;

2- que, au niveau des diocèses, des comités soient formés pour s’occuper des injustices contre les femmes et les enfants et pour prendre immédiatement les décisions qui s’imposent;

3- que, dans l’Eglise, les femmes, y compris les religieuses, reçoivent un juste salaire pour leur travail;

4- qu’une théologie de la femme soit introduite dans le curriculum des séminaires et des centres de formation;

5- qu’on donne aux femmes l’occasion d’étudier la théologie et qu’on les y encourage, par exemple en leur donnant des bourses, en établissant des centres d’accueil pour leurs enfants en bas âge, que l’on organise des cours à temps partiel avec des horaires qui conviennent aux femmes et en des lieux facilement abordables.

5. CONCLUSION

5.1. Entre la réunion de la FABC à Tokyo en 1986 et celle de Pattaya en 1995, nous avons assisté à la réalisation d’une aspiration.

5.2. Enfin commence à prendre forme la mise en oeuvre du désir profond exprimé lors de l’assemblée plénière de la FABC à Tokyo en 1986: désir de voir l’Eglise devenir le signe visible de l’amour de Dieu.

5.3. Nous avons vu et nous avons entendu parler des réalités dures, cruelles, que connaissent les femmes dans une société gouvernée par la soif de puissance et l’esprit de consommation et l’Esprit nous pousse maintenant à agir au nom des femmes.

5.4. Nous voulons consacrer tous nos efforts à redonner à la femme la place qui lui revient dans

notre pensée théologique et dans notre lecture de la Parole de Dieu dans le contexte actuel, mais aussi dans la mise en oeuvre des résolutions et recommandations proposées par les participants à cette réunion.

5.5. Notre message à l’Eglise en Asie sera celui d’une voix qui crie dans le désert de l’oppression de la femme et demande que soient redressés les chemins menant à la plénitude de la vie pour elle et pour les générations à venir au cours du troisième millénaire.

5.6. L’esprit religieux profondément ancré en Asie et la richesse de sa culture devraient nous aider à réclamer, puis à soutenir la dignité de la femme, et, dans une véritable communion de l’homme et de la femme, à bâtir un arc-en-ciel, signe de paix et d’harmonie, de solidarité et d’unité au sein du Peuple de Dieu.