Les procureurs de la petite ville de Banjarnegara, au sud-est de la capitale provinciale Semarang, ont depuis lors amendé l’acte d’accusation : les suspects seront jugés pour avoir propagé “des croyances religieuses trompeusesLe porte-parole militaire, le général Suwarno Adiwijoyo, maintient qu’ils faisaient partie d’une tentative du Parti communiste indonésien, interdit depuis longtemps, d’infiltrer les groupes musulmans. Pourtant, les suspects ont été étiquetés comme extrémistes islamistes par Sudibiyo, un ancien général qui dirige l’agence de renseignements Bakin.
Sudibyo a exprimé ses vues ouvertement en octobre dernier dans une interview accordée à l’hebdomadaire Tiras. Son opinion est notable en ce sens que la hiérarchie militaire a été jusqu’à présent très réticente à montrer du doigt les groupes extrémistes musulmans. Dans un pays dominé par les musulmans, il est difficile d’accuser des organisations islamiques de subversion, et le gouvernement est traditionnellement opposé à ce qu’on discute publiquement des divisions sociales, religieuses ou ethniques.
La prise de position de Suwarno est plus typique des militaires qui trouvent plus facile de jeter le blâme sur une main communiste invisible chaque fois qu’il y a un signe d’agitation sociale ou politique. Peu importe que le Parti communiste indonésien ait été mis en pièces en 1965, après sa tentative de coup d’Etat contre le président Sukarno, et que les observateurs politiques disent que les communistes indonésiens sont une race pratiquement disparue. L’armée persiste à affirmer que des extrémistes de gauche sont encore actifs dans “des organisations informellesdes bandes d’agitateurs plus ou moins en contact les unes avec les autres et sans direction centrale.
Selon l’armée, ces groupes sont presque invisibles grâce à leur absence de structure solide. “Il est difficile aux militaires de dire qui sont les agitateurs parce que la plupart des gens ont peur de les dénoncerdit Suwarno. “Nous n’apposons pas l’étiquette de communistes sur tous les critiques du gouvernement, mais si certains groupes prêchent la haine, montent les religions et les races les unes contre les autres, et organisent des actions destructrices en incendiant des usines, des mosquées et des églises, nous disons que ce sont là des méthodes communistes” (1).
Le concept d’“organisation informelleaffirme le général, faisait partie d’une doctrine appelée tripanji, qui est apparue dans une auto-critique de Sudisman, membre du politburo du parti communiste indonésien, qui essaya vainement de ressusciter le parti à la fin des années 60. Sudisman parlait d’un front révolutionnaire organisé de manière souple et dans lequel les membres du parti étaient encouragés à s’allier à d’autres éléments anti-gouvernementaux.
En dépit de tout cela, beaucoup d’observateurs politiques sont sceptiques sur la théorie militaire des cellules communistes invisibles. Juwono Sudarsono, gouverneur-adjoint de l’Institut national de la défense, et l’un des politologues les plus respectés d’Indonésie, affirme que cette idée d’organisation informelle n’est qu’un “cliché reconditionné” remis sur la place publique par les militaires pour des raisons tactiques. “Je pense qu’ils veulent faire peur aux gens, mais je pense plutôt qu’il y a réellement des raisons d’avoir peur si l’on considère notre incapacité à améliorer la situation
Cette opinion est partagée par le sociologue Loekman Soestrino : “Je leur ai dit qu’ils sont en train d’essayer de voir des fantômes en plein jour. Il n’y a plus aucune sympathie pour le communisme dans ce pays”. En privé, quelques militaires reconnaissent que la véritable menace contre la stabilité sociale ne provient pas de la gauche mais de l’extrême droite. Sudibyo a dit à Tiras que les cinq suspects arrêtés à Java sont des disciples du “Negara Islam Indonesia” (Etat islamique indonésien), doctrine appelant à la création d’un Etat islamique et qui avait été imaginée par Sekarmadji Maridjan Kartosuwiryo en 1949.
Celui-ci était alors le chef de Darul Islam, ou maison de l’islam, un groupe qui combattait les colonialistes hollandais, les armes à la main, dans l’ouest de Java et qui, plus tard, opposa aussi de la résistance à l’administration mise en place par Sukarno. Darul Islam ne fut complètement jugulé qu’en 1962 après que Kartosuwiryo ait été capturé et exécuté.
Un certain nombre de signes indiquent que les militaires traquent les extrémistes d’extrême droite alors même qu’ils disent poursuivre ceux qu’ils croient être communistes. Au moment même où l’armée capturait les cinq suspects à Java, elle gardait sous surveillance plus de 300 autres personnes soupçonnées d’adhérer à la doctrine du Negara Islam Indonesia. Elle a aussi placé en détention 66 personnes, dont la plupart sont des employés d’une usine textile de Purwakarta, dans Java occidental. Les porte-parole militaires disent que les ouvriers ont admis adhérer au Negara Islam Indonesia. Ils ont tous été libérés depuis lors mais ils doivent se présenter à la police deux fois par semaine.
A la fin du mois de janvier 1996, une commission parlementaire a révélé que le commandement militaire de Jakarta avait arrêté et interrogé 428 disciples du Negara Islam Indonesia. Dans son interview à Tiras, Sudibyo mentionne aussi la menace venant de la droite : “Il semble que l’extrême-droite devient plus forte parce que la religiosité du peuple des campagnes est en hausse et elle n’est pas canalisée par les bonnes institutions. Au contraire, les gens des campagnes sont piégés par des groupes spécifiques qui les poussent vers des attitudes politiques extrêmesSudibyo prétend que des tracts expliquant la doctrine du Negara Islam Indonesia sont photocopiés et distribués dans plusieurs régions de Java : “Si nous ne maitrisons pas cette situation à un certain niveau, elle peut créer une agitation locale, parce que beaucoup de personnes sont manipulées et amenées à commettre de mauvaises actions
Quelques observateurs estiment cependant que l’extrême droite religieuse est trop divisée pour être une menace réelle : “Ces groupes sont tellement fragmentés et fermés sur eux-mêmes qu’ils ne se parlent même pas les uns aux autresdit Ariel Haryanto, plitologue de l’université Satya Wacana à Salatiga.