Eglises d'Asie

COMMUNIQUER L’EVANGILE EN ASIE La FABC (fédération des conférences épiscopales d’Asie) face à la pauvreté, la religion et la modernité

Publié le 18/03/2010




Une année après la rencontre du Pape Jean-Paul II à Manille avec les évêques asiatiques à l’occasion de la Journée mondiale de la jeunesse 1995, 25 ans après la fondation de la FABC et à moins de cinq ans du synode spécial pour l’Asie de l’an 2 000, nous publions une brève synthèse des origines, des objectifs et des résultats de l’organisme qui réunit les Conférences épiscopales de l’Asie.

Manille, novembre 1970. A l’occasion d’une première rencontre presque informelle des évêques asiatiques avec Paul VI, sont jetées les bases de la Fédération des Conférences épiscopales d’Asie (Federation of Asian Bishops’ Conferences, FABC). Le but est de donner naissance pour la première fois à une coordination entre les Eglises du continent, généralement petites et minoritaires, et de promouvoir un itinéraire commun de réflexion et d’annonce chrétiennes. On veut aussi souligner la maturité atteinte par ces mêmes Eglises, fruits des dites “missions modernes”, mais orientées désormais vers une substantielle autonomie d’organisation et de gestion par rapport aux Eglises mères occidentales.

En 1972, le Saint-Siège approuve les statuts de la FABC.

En 1974, se tient à Taipei (Taiwan) la première assemblée plénière sur le thème : “L’Evangélisation en Asie aujourd’hui”. Le souci principal émerge aussitôt: promouvoir une étude approfondie du contexte et du destinataire du message chrétien; message qui, déclaré de fait immuable, passe, en un sens, au second plan. A l’avenir, les évêques devront revoir leur engagement missionnaire. La première considération est celle d’un changement d’époque en cours dans le continent. Des valeurs et des conditions de vie traditionnelles persistent, mais le nouveau “scénario” introduit par la modernité se présente avec de déchirantes contradictions internes et des effets encore plus graves sur la traditionnelle organisation sociale et culturelle des populations orientales.

Au cours des années 70, la réflexion de la FABC se concentre sur le destinataire “pauvre” de l’évangélisation (en fait la très grande majorité de la population en Asie reste pauvre).

Dans les années 80, l’accent est mis par contre sur les traditions religieuses et culturelles (l’Asie est le berceau de toutes les grandes religions et le sentiment de ses habitants est profondément religieux.)

Dans les années 90 émerge toujours plus le défi du nouveau, le destinataire “moderne” évolué et mobile d’un message qui de toutes façons a atteint jusqu’ici une minorité tout à fait réduite des populations d’Asie.

La recherche de la FABC, qui dure désormais depuis 25 ans, complexe et, il faut le dire, parfois un peu répétitive, peut se résumer autour de l’idée d’un triple destinataire (pauvre, religieux et moderne) de l’évangélisation. Celui-ci est perçu à travers une dynamique double d’observation phénoménologique et de réflexion pastorale et théologique. Il est important de noter que le premier élément est toujours prioritaire. Comme l’explique le P. Domenico Colombo PIME, “il est dans les traditions des Eglises d’Asie, comme du reste de celles d’Afrique et d’Amérique Latine, de procéder dans la réflexion avec la méthode inductive, en partant des situations, des faits, des expériences et en construisant sur elles les lignes d’actions pastorale. Naturellement, dans cette élaboration, les grands principes, les fondements doctrinaux ne sont pas oubliés, mais restent à l’arrière-plan. On donne plus de poids aux renvois bibliques, aux intuitions sapientielles, au vécu humain et ecclésial pour arriver à des résolutions et orientations concrètes. On craint, autrement, de rester prisonnier de proclamations belles mais abstraites

Un continent des pauvres

Dès leur première rencontre en 1970, les évêques asiatiques réalisent qu’ils vivent dans un continent en réveil, qui aspire au développement et à l’autodétermination après des siècles de sujétion coloniale (européenne, américaine, japonaise). En reconnaissant non seulement la réalité du fait, mais donnant beaucoup d’espace à la sensibilité du temps et aux échos de l’Encyclique “Populorum progressio” (1968), l’expression “Eglise des pauvres” fut créée, tandis que les droits de l’homme, le développement, la défense de la vie, les moyens de communication sociale… entrent pour la première fois dans l’ordre du jour des travaux des leaders catholiques en Asie.

Le concept de “pauvre” est tiré au clair dans une rencontre de mars 1974 à Novaliches (Philippines) entre évêques, prêtres, religieux et laïcs convoqués par le nouveau Bureau pour le développement humain de la FABC. C’est la première rencontre de la série BISA (Bishops’ Institute for Social Action). A la fin de cette rencontre, les délégués concluent entre autres: “La très grande majorité de notre peuple est pauvre, mais il faut clarifier ce que cela signifie. Notre peuple n’est pas pauvre en traditions culturelles, valeurs humaines et contenus religieux. Dans la sphère spirituelle, il est même très riche. Notre peuple est pauvre dans le sens que la très grande majorité est privée de la possiblité d’accès aux biens matériels nécessaires à une vie vraiment humaine et même à l’accès aux ressources nécessaires pour produire ces biens…” L’invitation pour les chrétiens est de travailler non “pour” les pauvres mais “avec” les pauvres.

Pour BISA II (Tokyo, Japon, avril 1975), l’analyse de la pauvreté doit être poussée jusqu’à sa racine. Il est demandé à l’Eglise de revoir son propre style de vie pour embrasser une pauvreté réelle, et pas seulement écrite et proclamée.

Encore plus incisives sont les observations de BISA III (Kuala Lumpur, Malaisie, novembre 1975): “L’Eglise s’est toujours dédiée aux pauvres, mais nous, nous avons observé que nos institutions et services ont donné une image de richesse et même de distance par rapport aux pauvres; créés dans le but d’aider les pauvres, non seulement ils ne le font pas mais beaucoup, de fait, travaillent involontairement contre les pauvres: c’est-à-dire qu’ils se trouvent intégrés dans les structures et les systèmes sociaux injustes de notre temps

Avec la victoire du bloc communiste sur les Etats-Unis par la prise de contrôle de la péninsule indochinoise en 1975, l’Asie se trouve de fait coupée en deux comme le reste de la planète. 46% de la population vit sous des régimes qui s’inspirent du collectivisme marxiste et du centralisme économique du parti-Etat (Chine, Vietnam, Corée du Nord, Cambodge, Laos, Birmanie). D’autres pays (Corée du Sud, Philippines, Indonésie, Thaïlande, Singapour, Taiwan…), acceptent le défi capitaliste et depuis de nombreuses années sont gouvernés par des régimes ou des dictatures directement appuyés par l’armée. Ce sont des pays où, selon la FABC, prédomine le “laissez-faire”, comme dans l’Europe du XIX( siècle. Le bien-être économique auquel la majeure partie de ces pays arrivent en quelques décennies, comporte des conséquences négatives pour les sujets personnels et sociaux plus faibles, en plus de répercussions graves sur l’environnement. Le BISA IV (Antipolo, Philippines, mars 1978) arrive à la condamnation tant du capitalisme qui “créé la pauvreté” que du communisme qui “détruit la liberté“.

Eglise et politique en Asie

Dans les années 80 émerge à l’intérieur de la FABC la priorité du destinataire “religieux” de la mission chrétienne. On note que l’appartenance des peuples orientaux aux antiques et solides traditions religieuses et culturelles pose à l’annonce de l’Evangile encore plus de questions que n’en pose la condition – pourtant grave – de pauvreté diffuse dans le continent. Le thème central de la décennie précédente n’est pas abandonné. On constate même les premiers essais d’approfondissement pastoral et théologique.

La IV( Assemblée plénière de la FABC à Tokyo (1986) sur le thème “Vocation et mission des laïcs de l’Eglise et le monde d’Asie” met en premier lieu l’accent sur le problème politique, cause de beaucoup de conflits et de violences en Asie et à cause de cela ayant besoin de l’engagement des laïcs chrétiens. Cet intérêt direct est même un signe de leur “enracinement dans le Christ, qui a appelé ses disciples à être levain dans le monde et donc à s’engager pour le bien commun… Se tenir éloigné des exigences de la transformation politique en Asie est certainement une négation de l’identité chrétienneOutre la politique, le monde du travail aussi est un défi pour les laïcs chrétiens: d’autant plus que l’ambition de libération est frustrée par des pouvoirs fuyants, situés à des niveaux plus hauts, internationaux, pouvoirs que les travailleurs en général ne peuvent pas conditionner. Face au travail humain utilisé à la seule fin de produire de la richesse pour quelqu’un, la mission des laïcs est celle d’en récupérer le sens religieux comme expression de la créativité humaine et participation à l’oeuvre du Créateur.

Les catégories les plus exposées en Asie à l’exploitation dans les milieux du travail sont les enfants, les femmes, les travailleurs domestiques, les migrants et naturellement les chômeurs et les sous-employés. Selon la FABC IV, c’est à eux qu’il faut penser quand on parle d’option préférentielle pour les pauvres. La célébration des 100 ans de l’encyclique “Rerum Novarum” et l’invitation de Jean-Paul II à faire de 1991 l’Année de la Doctrine sociale de l’Eglise, sont l’occasion pour un travail d’approfondissement et de synthèse d’une réflexion qui se poursuit désormais depuis 20 ans à intérieur de la FABC et de ses organismes. Et la publication de l’Encyclique commémorative “Centisimus Annus” offre de nouvelles impulsions pour la réflexion et la critique, qui se condensent dans un document du comité théologique consultatif de la FABC, publié en avril 1992 à Hongkong avec pour titre: “Perspectives théologiques asiatiques sur Eglise et politique”.

Le problème politique est considéré de deux points de vue: avant tout, comme l’organisation dynamique de la société en vue du bien commun; puis, les initiatives conduites par des personnes, groupes ou partis dans le but de conquérir ou de conserver le pouvoir. La politique partisane n’est pas toujours en harmonie avec le bien commun. “L’Asie éclate de vie – dit le même document – mais c’est aussi un continent de conflits sociaux qui semblent ne plus finir…. Si d’un côté de nouvelles alliances politiques sont promues et de vieux ennemis apprennent à vivre ensemble, de l’autre côté, de nouveaux conflits ethniques et sociaux éclatent et se développent. A côté des essais pour éliminer la pauvreté et atteindre à une plus grande prospérité économique, nous avons des situations de misère croissante et d’appauvrissement: les droits fondamentaux continuent à être refusés à des millions de personnes

La vie, comprise au sens large (et ainsi se fait jour un thème destiné, comme nous le verrons, à d’importants approfondissements), subit en Asie des menaces de diverse nature: humaine (la division des familles, l’avortement), économique (le néocolonialisme), politique (la corruption, le favoritisme, le népotisme), social (la mobilité industrielle, le sans-gêne des médias commerciaux, le tourisme sexuel), religieuse (le fondamentalisme, les conflits ethnico-religieux), écologique… Les signes d’espoir, avec une plus grande conscientisation et mobilisation de la base, ne manquent pas mais paraissent toujours inadéquats par rapport aux urgences. A l’adoption de systèmes économiques et politiques d’importation, comme le capitalisme et le communisme, le Comité théologique consultatif de la FABC oppose l’idée selon laquelle l’Asie doit trouver en elle-même les ressources idéales pour la solution de ses problèmes, et cite le cas de l’Indonésie qui a mis à la base du développement et de la vie commune au point de vue social, ethnique et religieux l’idéologie d’Etat du Pancasila (“Cinq principes”): foi en un Dieu suprême, coexistence juste et civile, unité de la nation, démocratie guidée par une sage unanimité obtenue par des délibérations, justice sociale pour tous les citoyens indonésiens. La réponse des Eglises chrétiennes à la question sociale est faible, au dire du Comité théologique consultatif de la FABC, et cela pour divers motifs: leur physionomie coloniale et étrangère persistante, la rigidité des institutions, le peu de formation des prêtres, religieux, laïcs, en la matière. Sans parler du fait que “le pouvoir de décision et d’enseignement dans l’Eglise est exercé par une hiérarchie qui, à cause de son style de vie et de son contact insuffisant avec les gens, très souvent ne perçoit pas l’impact des réalités sociales et politiques dans sa propre existence. Elle ne peut donc pas motiver fortement les laïcs à leur mission dans le domaine socio-politique“. Les rencontres et les réflexions autour du centenaire de “Rerum Novarum” constatent en outre que la doctrine sociale de l’Eglise a toujours suivi une ligne strictement européenne. Spontanément donc surgit la demande d’un élargissement des horizons dans la rédaction des documents sur le sujet, en incluant également la perspective asiatique et celle d’autres continents qui ne doivent plus être considérés comme secondaires dans la pratique et la réflexion ecclésiales.

Un continent religieux

Pour prêcher l’Evangile en Asie aujourd’hui – lit-on dans le document final de la Première Assemblée plénière de la FABC en 1974 – nous devons rendre le message et la vie du Christ réellement incarné dans l’esprit et la vie de nos peuples. Le premier souci de notre devoir d’évangélisation doit donc être, en ce moment de l’histoire, la construction d’une Eglise vraiment locale

C’est de cette exigence vitale que vient pour l’Eglise la nécessité de connaître et de se confronter avec les traditions religieuses et culturelles du continent. Et si en 1974 la réflexion ne va pas plus loin, cela suffisait pour identifier dans la destination asiatique de l’évangélisation un élément qui se révèlera essentiel et deviendra prioritaire dans la réflexion future de la FABC: il s’agit d’un individu qui provient et appartient encore à des traditions culturelles et religieuses très anciennes, organisées, fières, très différentes du christianisme qui, en Asie, a pénétré seulement dans des milieux minoritaires de tribus, liés au contexte un peu vague et moins solide de ce que l’on appelle les religions naturelles.

Par contre, la première constatation de l’Assemblée plénière suivante de la FABC en Inde en 1978 sur le thème: “Prière: la vie de l’Eglise en Asie” peut paraître choquante. Dans le continent de la contemplation et de l’Absolu, l’Eglise catholique donne d’elle-même une impression totalement différente: grandes institutions, sécurité économique garantie de l’étranger, un travail social inlassable et frénétique… Tandis qu’un peu partout dans le monde, l’Eglise post-conciliaire se reproche un spiritualisme excessif et son peu d’enracinement dans les affaires du monde, en Asie, l’examen de conscience a produit des effets opposés: l’Eglise a besoin de se révéler plus proche de Dieu que des hommes.

La première prise de conscience du contexte multireligieux auquel s’adresse l’évangélisation en Asie, porte avant tout la FABC à des approfondissements spécifiques des principales traditions religieuses du continent: dans l’ordre chronologique: l’islam (Kuala Lumpur, Malaisie, 1979 et Varanasi, Inde, 1983), l’hindouisme (Madras, Inde 1982) et le bouddhisme (Pattaya, Thailande, 1992). Il s’agit de rencontres à caractère pastoral, d’échanges d’expériences et de sensibilisation réciproque, dénommés BIRA (Bishops’ Institute for Inter-religious affairs).

La première constatation, à cheval entre les années 70 et 80, est que les contacts interreligieux sont au stade absolument initial. Il manque tant une pratique qu’une réflexion théologique qui reste embryonnaire, tandis que les interrogations ne tardent pas à se présenter: l’absolu du christianisme, la dialectique Christ, Eglise, Règne et autres concepts-clés comme la conversion, la proclamation et l’annonce. Pour le moment, surtout par rapport aux musulmans, on vise au dépassement des méfiances et des conflits historiques, des triomphalismes indûs, de l’ignorance réciproque, source d’incompréhensions.

A Kuala Lumpur (BIRA II, 1979) on dit que “chrétiens et musulmans ont le même désir de servir le Dieu unique, dans l’attente du jugement et dans l’espérance de la récompense éternelle. Les uns et les autres recherchent les vraies valeurs morales… Les uns et les autres s’engagent à établir un ordre social plus juste et plus humain

Mais on ne va pas plus loin. Il faudra attendre 1987 (Document du Comité théologique consultatif) et 1990 (FABC V) pour les premiers approfondissements théologiques de la FABC sur le dialogue interreligieux et sur son rapport avec la mission.

Entre Annonce et Mission

Le fait que le Comité théologique consultatif de la FABC consacre précisément au dialogue son premier travail (Thèses sur le dialogue interreligieux, Singapour, avril 1987) est la preuve de l’absolue priorité de ce sujet pour les Eglises asiatiques. La rencontre BIMA 1 (Bishops’ Institute for Missionary Apostolate) en 1978 avait déjà dit que le dialogue était à considérer comme la clé d’accès chrétienne à la réalité culturelle, religieuse et sociale du continent. La BIRA 2 indiquerait, l’année suivante, trois formes de dialogue: “La promotion de la compréhension mutuelle et de l’harmonie; le dialogue de vie dans lequel les personnes s’unissent pour promouvoir tout ce qui conduit à l’unité, à l’amour, à la vérité, à la justice et à la paix; le dialogue de la prière et de l’expérience religieuse dans le partage des richesses de nos héritages spirituels“.

Il s’agit d’une perspective “révolutionnaire” pour les petites Eglises asiatiques, habituées depuis quelques siècles à conserver jalousement leur différence chrétienne propre. Le Comité théologique consultatif de la FABC déclare en 1987 que “dans les sociétés d’Asie en voie de développement, plurireligieuses et en lutte pour la libération, toutes les religions sont appelées à fournir un fondement moral et religieux commun et complémentaire pour cette lutte et à être des forces de progès et de communion, plutôt que des sources d’aliénation et de conflit” (Thèse n°1).

Le même document peut à juste titre être considéré comme une vaste ouverture des théologiens de la FABC au dialogue interreligieux; “une exigence de notre foi chrétienne dans la Trinité, qui est un mystère de communion dans le dialogue interpersonnel” (Thèse n°3). Cela est souligné au moins autant que la mission. De même le thème du Royaume est central, sans cependant arriver au point de relativiser le rôle de l’Eglise, laquelle est plutôt ordonnée au Royaume: “Le dialogue avec les autres religions, qui sont des éléments significatifs et positifs dans l’économie du dessein de salut de Dieu, est une dimension intégrale de la mission de l’Eglise, qui est le sacrement du Royaume de Dieu proclamé par Jésus” (Thèse n°2). Selon les théologiens FABC, l’Eglise est servante de la communion entre les peuples et Dieu. Au niveau pratique, “le dialogue interreligieux est une communication et un partage de vie, d’expériences, de vision et de réflexion de la part des croyants de diverses religions, qui cherchent à découvrir l’oeuvre du St Esprit au milieu d’eux. Faisant disparaître les préjugés, le dialogue porte à une mutuelle compréhension et à un enrichissement, à travers un témoignage et un discernement communs, et à un engagement à promouvoir et défendre les valeurs humaines et spirituelles qui mènent à de plus profonds niveaux d’expérience intérieure. C’est marcher ensemble en communion d’esprit et de coeur vers le Royaume auquel Dieu appelle tous les peuples” (Thèse n°4).

Le débat sur dialogue et mission explose dans la FABC à l’occasion de la Vème Assemblée plénière en Indonésie (1990). C’est le cardinal Tomko, préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, qui met le feu aux poudres: “Abstraction faite des défis d’ordre social, économique, culturel et religieux – dit le cardinal dans son discours d’introduction – et par certains côtés au-dessus de ces défis, il y a le défi de l’évangélisation de cet immense continent qu’est l’Asie et que l’Eglise doit affronter. C’est le défi de la mission chrétienne en Asie, le défi de la proclamation de Jésus-Christ, sauveur de tous et de l’unité des communautés croyantes des disciples du ChristLe cardinal Tomko dénonce aussi un ralentissement de l’activité missionnaire en Asie, qui se ramène à des raisons diverses, parmi lesquelles, et non des moindres, certaines déviations théologiques qui tendent à relativiser l’annonce, la centralité du Christ et le rôle de l’Eglise dans le mystère du salut universel.

FABC V tente une synthèse selon laquelle la proclamation de Jésus-Christ reste, certes, le centre et l’élément premier de l’évangélisation, mais cela, “en Asie, signifie, avant tout, de la part des chrétiens et des communautés chrétiennes, rendre témoignage aux valeurs du Règne de Dieu, une proclamation à travers des actions semblables à celles du Christ. Pour les chrétiens d’Asie, proclamer le Christ signifie avant tout vivre comme lui au milieu de nos voisins d’autres croyances et convictions et accomplir les mêmes actions que lui avec le pouvoir de sa grâce. La proclamation, à travers le dialogue et les faits est le premier engagement pour les Eglises en Asie

Un continent moderne

Tandis que la II( Assemblée plénière de la FABC en 1978 affirme que la prière peut être un terrain privilégié de dialogue et d’enrichissement interreligieux en Asie, la constatation de la modernité, même si elle en est encore à ses débuts, devient un défi pour tous et préfigure un scénario “post-asiatique”.

“Le monde moderne, malgré des conquêtes indéniables et significatives, conduit à la désintégration graduelle de nos sociétés traditionnelles, avec des conséquences évidentes pour la vie des gens. La perte du sens de l’appartenance à une communauté, les relations dépersonnalisées, la désorientation et la solitude font désormais partie intégrante de la vie de beaucoup. Avec la sécularisation qui s’ensuit, le culte de la technologie, le matérialisme et le sécularisme, la fièvre de la société de consommation, le pluralisme idéologique, notre époque érode les valeurs religieuses et souvent étouffe les aspirations de l’esprit humain, spécialement chez les jeunes. Les générations qui grandissent à notre époque risquent de perdre le sens de Dieu, de sa présence au monde, de sa providence dans leur vie. Les croyants de toutes les religions, y compris les chrétiens, ne sont pas à l’abri de ces influences. Eux aussi sont tentés de renoncer à la prière et aux choses de l’esprit

Parmi les divers problèmes liés à la modernité ou fortement conditionnés par elle, la FABC attire aussitôt l’attention sur la situation des jeunes, de la femme, de la famille, sur les migrations, la dégradation de l’environnement, les nouveaux moyens de communication de masse… Ce n’est que rarement qu’il s’agit d’une réflexion vraiment approfondie, mais les allusions sont nombreuses et toutes ont en vue une synthèse qui aura lieu avec la VI( Assemblée plénière à Manille en janvier 1995.

Déjà dans leur première rencontre de 1970, les évêques reconnaissent certes que l’Asie est le continent des pauvres et des antiques traditions culturelles et religieuses, mais aussi le continent des jeunes, une catégorie qui comprend la majorité absolue de la population, contrainte par les temps modernes à vivre à ses dépens le passage de la vieille organisation sociale aux nouvelles conditions de vie de l’industrialisation, des communications en temps réel, de la globalisation de l’économie.

Cela fait dire à la IV( Assemblée plénière de la FABC (1986) qu’“une face de la médaille de la vie des jeunes en Asie est visiblement négative. Beaucoup vivent dans des situations précaires, incapables à cause de la pauvreté de se libérer de l’oppression, de l’ignorance et de l’analphabétisme… Ils sont vulnérables aux tentations du matérialisme et de la société de consommation. Ils deviennnent la proie d’idéologies diverses qui promettent de les libérer de la pauveté et de l’injustice… Beaucoup parmi eux qui ont bénéficié de l’éducation se retrouvent inemployés ou sous-employésL’autre face de la médaille, par contre, est positive parce que “dans la lutte en cours dans diverses parties de l’Asie pour la transformation sociale, les jeunes jouent un rôle essentiel… organisant et mobilisant des groupes qui travaillent pour la justice et la paix; en servant comme acteurs de base, catéchistes et leaders des communautés chrétiennes, organisateurs et membres de groupes pastoraux

De graves tensions et des changements importants sont en cours également dans le monde féminin. Même en Asie, les femmes conquièrent, bien qu’avec du mal, un plus grand espace dans les professions, tandis que prospèrent les organismes de promotion et de défense de leurs droits. La FABC cependant pointe le doigt contre l’industrie du tourisme et des loisirs, de la commercialisation de l’image et de la sexualité féminines. Et c’est non seulement la femme mais la famille en général qui est aujourd’hui parmi les premières victimes de la mobilité moderne des personnes, de la promiscuité dans les contextes urbains, de la contraception et de l’avortement comme moyens de contrôle des naissances, des nécessités d’émigrer en recherche de travail.

Et à propos de migrations pour motifs économiques et politiques, même si les chiffres sont difficiles à calculer en Asie, on considère qu’elles concernent plusieurs dizaines de millions de personnes.

Le phénomène des réfugiés enregistre maintenant une baisse, mais pendant des décennies, il a été très aigu à cause des guerres ou conflits en Chine, Corée, Indochine, Philippines, Sri Lanka, Afghanistan… Mises à part quelques références sporadiques, la FABC commence seulement en 1992 à s’occuper des migrants et réfugiés en Asie avec la “Rencontre consultative sur la pastorale des migrants et réfugiés en Asie” qui s’est tenue à Manille avec la participation de 70 représentants des Conférences épiscopales d’Asie et du Pacifique. Ce sera la VI( Assemblée plénière (1995) qui approfondira le problème en parlant de façon plus générale et englobante de “personnes déplacées”, un qualificatif difficilement traduisible dans notre cas, mais qui inclut les travailleurs migrants, les réfugiés politiques et, pour la première fois, les victimes des dommages à l’environnement provoqués par la nature ou toujours plus fréquemment par l’homme (réfugiés écologiques).

La “Vie” reconnue ou niée

La VI( Assemblée plénière de la FABC (“Le disciple chrétien en Asie aujourd’hui, service à la vie”, Manille, janvier 1995), peut être considéré comme la première approche organique et comme une prise de conscience globale de la part de la Fédération des problèmes posés par la modernité en Asie.

Préparée également à distance par un Colloque théologique international organisé par le Comité consultatif en avril 1994 en Thaïlande, elle tourne autour du thème de la “vie”, reconnue ou niée dans une phase de transformation radicale de l’organisation sociale, culturelle et religieuse du continent. Et en partant de la constatation de globalisation générale de l’économie et de toute l’organisation sociale, les évêques reconnaissent cinq domaines principaux d’engagement pour les disciples du Christ en Asie aujourd’hui. Cinq domaines où les effets de la modernité se manifestent de façon plus déchirante, équivoque et dramatique comme des forces de mort: la famille, la condition des femmes et des mineurs, la défense de l’environnement et les réfugiés, selon la triple typologie déjà mentionnée.

“C’est l’amour – écrivent dans la déclaration finale les participants à la VI( Assemblée plénière de la FABC – qui nous pousse comme communauté des disciples de Jésus à affronter et à agir contre les forces de mort, injustice et oppression, discrimination et exploitation, contre la destruction de l’environnement et la manipulation de la vie. Comme disciples, nous ne pouvons pas servir à la fois la vie et la mort

Vers le synode pour l’Asie

Comment juger 25 ans de travail de la FABC? Si l’on considère l’étendue et la variété du continent, certains défauts de répétition dans les rencontres et les documents doivent être relativisés. Ils sont le résultat d’un effort, encore à ses débuts, pour mettre en contact et aider à réfléchir ensemble des communautés jusqu’ici isolées et immergées dans des contextes sociaux, politiques et religieux très divers. Qu’y a-t-il de commun entre l’Inde et le Japon? Bien que faisant tous les deux partie du continent asiatique, ils ont moins de mal à parler avec l’Occident qu’entre eux.

Après un premier effort de contact et de relation, la FABC doit trouver une pensée et une action plus organisées.

Il faut dépasser une certaine réserve orientale pour l’action directe et, même dans des formes de dialogue et

d’harmonie, dire avec clarté ce que l’on veut faire face à l’injustice encore présente dans tous les pays, au fondamentalisme ethnico-religieux qui monte, aux jeunes, à la famille devant le risque de désagrégation, aux moyens de communication de masse. La modernité modèle un nouveau scénario dans lequel les traditions religieuses et culturelles originelles se révèlent de moins en moins déterminantes, se réduisant au rôle de variables qualitatives. La base ecclésiale n’est pas dépourvue de prises de position et d’actions courageuses et clairvoyantes. L’engagement dans les moyens modernes de communication sociale, par exemple, est certainement supérieure à ce qui apparaît de la lecture des documents de la FABC. La même chose vaut de l’apostolat auprès des jeunes, de la présence dans le monde de la culture, de la défense de l’environnement. Mais les initiatives de la FABC semblent conserver encore un objectif de sensibilisation et de découverte pour la direction ecclésiale elle-même, tandis que peut-être le temps est venu de faire des propositions concrètes.

On énumère souvent, comme dans la dernière Assemblée plénière de Manille, des domaines d’engagement mais le moyen de procéder à cet engagement est renvoyé aux réalités locales particulières. Quelqu’un s’en préocupera-t-il ensuite vraiment? C’est la logique même du procédé suivi jusqu’ici qui suggère une phase de plus grande concrétisation et un processus de communication commun. Il est plus qu’opportun, avant de lui donner une nouvelle impulsion, de s’arrêter sur une étude détaillée et une observation précise du destinataire. C’est ce que la FABC a fait de 1970 à 1995. Mais il s’agit d’une phase préalable. La phase opérationnelle commence tout de suite après. En ce sens la proposition d’un synode extraordinaire pour l’Asie revêt une particulière importance. La FABC a déjà mené une recherche de base sur la situation du continent. Le Synode peut indiquer comment procéder dans les étapes ultérieures à un effort missionnaire renouvelé. Equipé d’instruments plus grands et d’une importance ecclésiale plus claire, le Synode peut faire beaucoup plus que chacune des Assemblées plénières de la FABC échelonnées tous les 4 ans. Celles-ci pourraient même devenir des instruments réguliers de contrôle, d’approfondissement et de relance des propositions synodales. Ce serait aussi une occasion pour que les Eglises asiatiques fassent leur entrée définitive sur la scène mondiale.