Eglises d'Asie

LE CHEMIN SINUEUX La politique religieuse du Parti communiste vietnamien pour contrôler le bouddhisme après 1975

Publié le 18/03/2010




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Le bouddhisme vietnamien a eu des hauts et des bas. Prospère et considéré comme religion d’Etat sous les Ly et les Trân, il a commencé à décliner à l’époque des Lê. Puis sous la dynastie des Nguyên, il est entré en décadence: il perdit alors toute sa prééminence dans les domaines culturel, politique et social. Cet état de choses fut pour une part la conséquence de l’évolution et des troubles de la société de l’époque. Cependant, le bouddhisme lui-même en fut aussi responsable dans la mesure où il ne sut pas se réformer et s’adapter à son temps.

En étudiant l’histoire du bouddhisme, je m’aperçois qu’à toutes les époques, le pouvoir temporel a exercé son influence sur la religion. La conduite des affaires religieuses n’a jamais uniquement dépendu des religieux, y compris en 1950, à Ceylan, lors de la fondation de l’Association mondiale du bouddhisme.

La marche vers l’unification

(…) (Le mouvement de modernisation du bouddhisme qui s’est développé en Chine au début du siècle) a eu une profonde influence sur le bouddhisme contemporain. C’est sous son inspiration que des bouddhistes vietnamiens soucieux de l’avenir de leur religion lancèrent un mouvement de restauration bouddhiste. En 1932, grâce au vénérable Giac Tiên et au religieux séculier Tâm Minh était fondée l’Association des études bouddhiques … L’objectif du mouvement était d’unifier toutes les organisations bouddhistes (…)

En 1951, le premier congrès pour l’unification du bouddhisme eut lieu à la pagode Tu Dam à Huê. Six composantes bouddhistes formées de religieux et de fidèles du Nord, du Sud et du Centre se rassemblèrent pour former l’Association générale du bouddhisme vietnamien (on utilisa le terme “Association générale car, à cette époque, le décret n° 10 interdisait d’employer le terme “Eglise” en dehors de l’Eglise catholique).

En 1964, un deuxième congrès pour l’unification eut lieu à la pagode Xa Loi à Saigon après la lutte victorieuse des bouddhistes contre le régime de M. Ngô Dinh Diêm. Il réunit 11 composantes bouddhistes du grand et du petit véhicules vivant au dessous du 17ème parallèle. C’est alors que fut créée l’Eglise bouddhique unifiée du Vietnam (désormais, il n’y avait plus d’article 10 pour interdire le terme Eglise aux bouddhistes).

En 1981, un troisième congrès pour l’unification avait lieu à la pagode Quan Su à Hanoi. Il rassemblait 9 organisation et sectes du grand et petit véhicules, ainsi que les religieux mendiants du Nord comme du Sud-Vietnam. A l’issue du congrès était créée à l’intérieur du régime socialiste, l’Eglise bouddhique du Vietnam.

Cette fois-ci, l’unification n’était qu’en apparence le résultat de l’effort des moines bouddhistes. En réalité, la main du Parti communiste avait été à l’oeuvre tout au long d’un processus d’unification destiné à permettre à celui-ci de s’emparer du bouddhisme et de le transformer en une organisation fantoche du Parti.

La situation après la libération du Sud-Vietnam

Le vénérable Minh Nguyêt appartenait à l’Eglise traditionnelle du Sud-Vietnam. Il avait participé à la révolution depuis 1945, avait été emprisonné à Poulo Condor pendant 15 ans. Après les accords de Paris en 1973, il avait été libéré à Lôc Ninh. Dès le 30 avril 1975, il fondait le comité de liaison des bouddhistes patriotes, placé sous la direction du Parti communiste vietnamien, et dirigé directement et en permanence par la section communiste de Hô Chi Minh-Ville. Ce comité apparaissait davantage comme une organisation de masse menant des activités politiques que comme une organisation religieuse.

Le vénérable Minh Nguyêt aurait voulu devenir le patriarche du bouddhisme vietnamien, lui qui était déjà membre du Parti communiste. Cependant il n’avait pas les qualités requises d’un patriarche et ne rassemblait qu’une partie des suffrages des religieux et des fidèles. La plupart se détournaient de lui. En tant que membre du Parti, le religieux était disposé à adopter les positions du Parti et à appliquer rigoureusement ses directives en matière d’unification du bouddhisme.

Le vénérable Thich Dôn Hâu était secrétaire de l’Institut supérieur du clergé du bouddhisme unifié lorsqu’à l’occasion du nouvel an 1968 (3), il rejoignit le Front de libération. Il participa à l’Alliance des forces nationales pour la démocratie et la paix en qualité de vice-président, le président étant l’avocat Trinh Dinh Thao. Après la libération, le religieux envoya au secrétaire général Lê Duân, au président Tôn Duc Thang, au doyen de l’Assemblée générale Truong Chinh, ainsi qu’au premier ministre Pham Van Dông, une lettre concernant l’unification du bouddhisme. Il y déclarait sans ambages: “Quand notre pays subissait l’invasion, j’ai rempli mon devoir civique. Aujourd’hui, où notre pays à reconquis son indépendance, je me consacre désormais à la religion et avant tout je déploie mes efforts pour l’unification du bouddhismeSur le principe, tous les dirigeants du Parti et de l’Etat étaient d’accord. Mais dans la pratique, il n’approuvèrent pas la conception que le religieux se faisait de l’unification.

Selon le religieux, l’unification du bouddhisme vietnamien ne pouvait avoir lieu que par la fusion de l’Eglise bouddhique unifiée du Sud et de l’Association bouddhique unifiée du Nord en une Eglise unique. Sur le plan politique, le Parti communiste avait le droit d’avoir son opinion sur l’orientation générale de l’Eglise. Mais toutes les décisions de l’Eglise devaient émaner de la hiérarchie, des religieux et des fidèles. Sur ce point, les dirigeants communistes n’étaient pas d’accord. Car sous le régime de la dictature du prolétariat, toutes les organisations comme tous les individus devaient se soumettre à la direction du Parti dans les moindres détails de leurs activités. Ce principe s’appliquait avec encore plus de rigueur en matière religieuse. En outre, l’Eglise bouddhique unifiée était pour le moment indépendante, échappant au contrôle du Parti, alors que l’Association bouddhique du Nord n’était qu’une organisation formelle, un corps sans âme, entièrement passive entre les mains du Parti. Si on laissait l’Association bouddhique du Nord se joindre à l’Eglise bouddhique unifiée, il était facile de prévoir que la première allait être digérée par la seconde.

C’est la raison pour laquelle le Parti refusa le projet d’unification présenté par le vénérable Dôn Hâu et le soupçonna de nourrir des desseins pernicieux et de s’opposer au Parti et à l’Etat. Le religieux persista cependant dans son opinion qu’il garda sans en changer jusqu’à son décès, le 23 avril 1992 (4).

Les choses en étaient à ce point, lorsque le bureau des Affaires religieuses du gouvernement mit en circulation un projet d’unification du bouddhisme vietnamien où les trois composantes du bouddhisme, à savoir l’Association du bouddhisme unifié, l’Eglise bouddhique unifiée et le comité des bouddhistes patriotes fusionnaient pour devenir une organisation unique. Le principe du projet était approuvé par le secrétariat du comité central du Parti, qui demandait au bureau des Affaires religieuses de l’élaborer dans le détail. Je fus chargé par ce dernier de collaborer à ce travail.

C’est ainsi que trois semaines après l’attaque de la Chine contre six de nos provinces frontalières, un avion me déposait à l’aéroport de Gia Lâm, au début de l’année lunaire “Ky Mui” (1979). Hanoi avait l’apparence d’une cité à la culture millénaire, à la fois fière et troublée devant les nouvelles qui lui venaient de la frontière chinoise.

Je commençai par interroger le religieux Thanh Tu de la pagode de Quan Su au sujet de la situation militaire. Il me répondit ironiquement: “Nous avions deux bonzes, à Lang Son et à Cao Bang. L’un a disparu, l’autre s’est enfui à Hanoi et se trouve maintenant à la pagode Quan Su”.

(…) Ensuite, le bureau des Affaires religieuses du gouvernement organisa pour moi une séance où me furent exposés la situation religieuse au Nord ainsi que le travail d’action religieuse qui y était mené. Tout se

déroulait selon la directive n° 10 du secrétariat du comité central du Parti. C’était une des premières directives concernant l’action religieuse. Elle avait été élaborée par Trân Xuân Bach (5) Elle énonçait clairement la position du Parti communiste à l’égard de la religion, réglementait concrètement l’action religieuse et préparait les cadres au travail d’action religieuse au Sud pour l’époque où celuici serait libéré. On considérait alors que Trân Xuân Bach était un expert dans le domaine de l’action religieuse et on le complimentait pour cette directive.

En ce qui me concernait, je ne trouvais guère convaincantes les réalités du Nord-Vietnam pas plus que les théories de mes doyens en ancienneté dans l’action religieuse. Bien au contraire, elles m’inspiraient du dégoût. J’avais fait part de mes préoccupations à M. Nguyên Van Hiêu et à Monsieur Nguyên Quang Huy (6) qui ne m’ont jamais répondu sérieusement. Presque toutes les pagodes et les églises du Nord que j’avais visitées étaient branlantes et envahies par la mousse. Les bonzes étaient gâteux, craintifs, révérencieux à l’extrème. Les prêtres et les évêques se claquemuraient chez eux, vivant en dehors de leur époque. Des bouddhistes, ils n’en restait guère; ils se manifestaient de temps en temps pour des cérémonies superstitieuses ou diverses offrandes et se méfiaient des inconnus. Les catholiques vivaient dans la misère. On voyait briller dans leurs yeux une rancoeur rentrée qu’une simple étincelle pouvait porter à incandescence. Tout cela à mon avis constituait un grand danger et ne pouvait être compté comme une réussite du travail d’action religieuse.

Les cadres de l’action religieuse au comité central comme ceux des provinces du Nord étaient peu cultivés. Leur formation politique était élémentaire. Leur pratique de l’action religieuse était dogmatique, l’organisation religieuse mise en place par eux était relâchée et arriérée. Comment allaient-ils pouvoir faire face à l’appareil religieux moderne du Sud-Vietnam? En dernier recours, il faudrait donc appliquer la “dictature du prolétariat

Le bureau des Affaires religieuses du gouvernement porta à ma connaissance son opinion sur l’unification du bouddhisme. Je me contentai d’écouter en silence. Ensuite je rapportai à Xuân Thuy (7) les intentions du bureau des Affaires religieuses et je lui demandai de me faire part de son opinion, en sa qualité de secrétaire du comité central, et de principal responsable du comité d’Action populaire et du Front patriotique. Il me regarda un moment en silence et il me dit:

– Quel est ton avis?

– C’est une grosse affaire qui aura des conséquences sur le pays tout entier …

– Mais tu as milité sans discontinuer dans le Sud. Tu connais mieux la situation que moi.

Prenant mon courage à deux mains, je déclarai alors:

– Je ne suis pas d’accord avec le projet du bureau des Affaires religieuses du gouvernement.

– Tiens! Selon toi, que faut-il faire?

– Je veux d’abord connaître la position du Parti. Je l’étudierai concrètement et je vous répondrai plus tard. Je n’y ai pas encore réfléchi sérieusement

– A ma connaissance, le Parti préconise d’unifier “notre” bouddhisme et l’Eglise bouddhiste unifiée de An Quang (8). Notre bouddhisme, c’est l’Association du bouddhisme unifié du Nord et le comité des bouddhistes patriotes du Sud. Au Nord-Vietnam, les fidèles bouddhistes sont tous entrés dans les organisations populaires. Il ne reste plus que des vieillards qui vont accomplir les cérémonies du quinzième et du premier jours de la lune et selon les rites traditionnels. Les religieux représentatifs sont rares. Le vénérable Tri Dô est très âgé. En fin de compte, il ne reste guère que Pham Thê Long. Mais ses dispositions morales limitent son influence aussi bien dans le pays qu’à l’étranger. Le comité de liaison des bouddhistes patriotes est un peu mieux loti. Le vénérable Minh Nguyêt s’est acquis des mérites par ses quinze ans de prison à Poulo Condor. Le vénérable Thiên Hao aussi en participant à la résistance. Mais les deux ne possèdent que d’une façon limitée ce que demandent les fidèles à un religieux. L’Eglise bouddhique unifiée de An Quang est une organisation religieuse mais aussi une organisation populaire de caractère social et politique à couleur nationale. Elle attire de nombreuses personnes et jouit d’un prestige international. Nombre de ses religieux ont du talent. Si nous faisons l’unité du bouddhisme à la façon préconisée par le vénérable Thich Dôn Hâu, cela signifie que nous allons dissoudre le comité des bouddhistes patriotes, intégrer l’Association du Nord à l’intérieur de l’Eglise bouddhiste de An Quang et nous soumettre à l’autorité de leurs dirigeants. Ainsi l’organisation bouddhiste du Sud va se développer sur la totalité du territoire du Vietnam et non seulement au Sud-Vietnam comme avant 1975. L’important est que jamais le Parti ne pourra imposer sa direction à cette Eglise. Au contraire, celle-ci va devenir une immense organisation religieuse ayant avec elle une grande part de la population. Elle exercera alors une pression politique permanente sur le Parti et le gouvernement.

Par ailleurs, la solution préconisée par le bureau des Affaires religieuses n’est pas sans problèmes non plus. Car tout compte fait, elle fera de nos religieux du Nord et de ceux du comité patriotique les porte-serviette de l’Eglise du Sud. Une personnalité comme celle du vénérable Thich Tri Quang ne tardera pas à les faire disparaître dans sa manche.

C’est pourquoi, pour réaliser l’unification du bouddhisme, il est indispensable d’accomplir un certain nombre de tâches:

– Gagner les faveurs du vénérable Thich Dôn Hâu et de l’Institut supérieur du clergé, ainsi que celles du vénérable Thich Tri Quang et de l’Institut pour la propagation du Dharma (9).

– Régler la question des éléments extrémistes en tête desquels se trouvent Thich Huyên Quang et Thich Quang Dô, en usant en priorité de la persuasion.

“Que penses-tu de tout cela?” me demanda-t-il.

Je lui répondis: “Merci beaucoup. Si vous le voulez, je rédigerai pour vous un projet sommaire que je vous présenterai”.

[L’auteur expose ensuite à Xuân Thuy le projet de l’envoi d’une délégation de moines bouddhistes vietnamiens au Cambodge ayant pour objectif la restauration du bouddhisme dans ce pays. L’auteur se joindra à la délégation qui accomplira sa mission au Cambodge au cours du mois de septembre 1979.]

Naissance d’un projet d’unification

(…) Je rencontrai à nouveau Xuân Thuy et lui exposai les grandes lignes de mon projet d’unification.

Du point de vue religieux, l’unification consistait à réunir ensemble le grand véhicule, le petit véhicule, les ordres mendiants et les autres organisations bouddhistes. L’unification concernait seulement l’organisation; elle respecterait les diverses traditions. Du point de vue politique, l’unification devait renforcer les forces de la nation et créer des conditions favorables à l’intégration du Vietnam au sein des nations de l’Asie du Sud-Est asiatique.

Le centre de l’unification était le SudVietnam, sa place forte, Hô Chi Minh-Ville. L’organisation bouddhiste dont il fallait tenir compte était l’Eglise bouddhique unifiée, parce qu’elle était la plus importante, que les religieux y étaient de haut niveau, que les fidèles y étaient nombreux et organisés et qu’elle jouissait d’un prestige international. Il était donc nécessaire de gagner à soi l’Institut supérieur du clergé, l’Institut pour la propagation du Dharma ainsi que les comités provinciaux des représentants de l’Eglise, surtout leurs dirigeants. Mais la clef de tout cela, c’était le vénérable Thich Tri Quang qu’il était nécessaire de gagner à notre cause.

Si l’on voulait réaliser cela, il était nécessaire de souligner les points suivants:

1 – L’association bouddhique que l’on visait devrait être une Eglise et non pas un groupement comme les autres. Une Eglise est dotée d’une administration du même type que celle d’un Etat.

2 – Le personnel devait en être représentatif tant dans le domaine moral que dans celui de l’efficacité. Ce qui signifiait que les religieux devaient être instruits.

3 – Le contenu des activités de l’Eglise indépendante devait s’inscrire à l’intérieur de la législation de l’Etat. La liaison de la religion et de la nation constituait l’exigence principale.

Après m’avoir écouté, Xuân Thuy réfléchit, me posa une série de questions sur les affaires et les personnalités du bouddhisme. Puis, brusquement, il m’interrogea:

– Que penses-tu du vénérable Thich Tri Quang?

C’est un religieux tout imprégné de bouddhisme et très intelligent dans ses activités politiques.

-Quelles sont ses conceptions politiques?

-Je le connais depuis 1959. Dans la lutte contre le gouvernement de Ngô Dinh Diêm, en 1963, il fut l’âme du mouvement et du bouddhisme du Centre. Après cela, il est resté le stratège de l’Eglise bouddhique unifiée. Cependant l’opinion de Trân Bach Dang (10) à son sujet est différente de la mienne.

– Que dit Trân Bach Dang?

– Il prétend que le vénérable Thich Tri Quang travaille pour la CIA…

[Dans le passage qui suit, l’auteur expose à son interlocuteurs les preuves que lui a fournies Trân Bach Dang pour justifier cette affirmation, et ajoute que ces preuves ne l’ont pas convaincu. Sur ce, Xuân Thuy manifeste son désir de rencontrer le vénérable Thich Tri Quang]

(…) Cette demande de Xuân Thuy m’incita à la prudence dans mes propos:

Après la libération, Mai Chi Tho (11) et moi-même sommes allés rendre visite à l’Institut de la propagation du Dharma à la pagode An Quang. Le vénérable Thich Tri Quang était assis à côté de Thich Tri Thu. C’est lui seul qui se fit le porte-parole des autres dans la conversation avec Mai Chi Tho. Cette rencontre ne porta aucun fruit. En 1978, un soir, j’invitai à nouveau Thich Tri Quang à venir nous voir au bureau du Front Patriotique de Hô Chi Minh-Ville. Nguyên Vinh Nghiêp membre permanent de la section du Parti de la Ville et responsable du comité d’Action populaire et Phan Van Ba, vice président du comité du Front Patriotique de la ville l’y reçurent. Mais ce furent des tacticiens qui débattirent avec des stratèges. L’entretient n’aboutit à rien.

Actuellement je ne sais ni dans quelle intention, ni à quel sujet, vous voulez rencontrez ce religieux. Si vous pensez que c’est possible, informez-moi pour que je vois comment cela pourra se faire.

-Je recevrai Thich Tri Quang, en qualité de secrétaire du comité central – Le mieux sera à Hanoi – . Je l’informerai clairement de l’opinion du Parti sur le bouddhisme vietnamien et je suis prêt à entendre son avis sur la situation actuelle, sur la politique à l’égard du bouddhisme, ainsi que sur la situation et la politique générales dans le pays et dans le monde. Je le recevrai officiellement. Veux-tu t’en occuper?

– Je vais m’y efforcer.

(…) A l’approche de l’anniversaire des 49 jours du décès du vénérable Thich Tri Dô, qui avait été le maître de Thich Tri Quang, j’appris que ce dernier voulait aller à Hanoi pour les cérémonies en reconnaissance pour son maître. Je me rendis alors à la pagode An Quang où je le rencontrai comme par hasard. En réalité, le religieux était impatient de participer à la cérémonie d’anniversaire du défunt. Il ne restait plus qu’une semaine et il ne connaissait pas encore les formalités administratives qu’il fallait remplir. A cette époque, c’était très difficile. Fallait-il y aller en avion ou en train? Il me suggéra alors de l’aider si cela ne me dérangeait pas. Je lui promis de m’efforcer de l’aider en ce qu’il me demandait, espérant que ce serait possible. Il me remercia et je le quittai.

Je téléphonai alors le contenu de ma conversation à Xuân Thuy. Je sollicitai aussi par l’intermédiaire de Huy le support du bureau des Affaires religieuses. Xuân Thuy prit les dispositions nécessaires pour que partout les ordres soient exécutés. Je mis en place tous les éléments de mon plan avec beaucoup de soin, depuis les moyens de transport, en passant par les gens de service, les conditions d’accueil dans l’avion, la résidence, mon chauffeur que je mis à son service pour transporter le religieux où il voudrait à Hanoi. En même temps, je mis en place des circonstances apparemment fortuites qui devaient conduire Thich Tri Quang et Xuân Thuy à se rencontrer comme par hasard.

Deux jours plus tard, Thich Tri Quang me fit dire de venir à An Quang. Il me remercia et m’annonça qu’il avait changé d’avis, qu’il n’irait pas à Hanoi car il ne se sentait pas bien. Il se contenterait de dresser un autel sur la devant de la pagode An Quang et y ferait l’offrande pour son maître, le quinzième jour du dixième mois (le 4 novembre 1979). Je lui répondis qu’il n’avait pas à me remercier car je n’avais pas encore acheté le billet; il n’y avait encore rien de fait. C’était le cas de dire que l’homme propose et le Ciel dispose. J’avertis aussitôt Xuân Thuy et Huy du bureau des Affaires religieuses. Quelques jours plus tard, je rencontrai Xuân Thuy qui m’informa qu’un cadre de la sûreté, trop zélé, s’était de sa propre initiative proposé au religieux pour acheter un billet d’avion et l’aider en toutes choses pour qu’il puisse se rendre à Hanoi y offrir son offrande en l’honneur de son maître. Thich Tri Quang ayant appris que cet homme appartenait à la Sûreté, s’était méfié et avait deviné que quelque chose se tramait en lien avec son voyage à Hanoi. Xuân Thuy me dit alors en riant: “Le tigre avait déjà sorti la tête de la tanière. A cause de notre maladresse, il s’est retiré à nouveau! Tant pis, ce sera pour une prochaine foisIl continua alors à m’entretenir de l’unification du bouddhisme: “Sur les lignes générales, je suis d’accord avec toi. Mais toi et le bureau des Affaires religieuses devrez faire attention aux points suivants:

– Le système de l’organisation bouddhique à venir aura la forme d’une tour renversée et sera intégré à l’intérieur du Front patriotique.

– Le bouddhisme est lié à la nation. Mais notre époque est celle du socialisme. Il devra donc être lié au socialisme.

– Les personnes représentatives dans la nouvelle association viendront de l’Eglise bouddhique unifiée, mais les bonzes qui agiront effectivement seront des nôtres.

Je rapportai plus tard au bureau des Affaires religieuses du gouvernement les idées que j’avais exposées à Xuân Thuy et celles qu’il m’avait exprimées. Hiêu et Huy firent l’éloge de la finesse et de l’esprit de pénétration de Xuân Thuy et me proposèrent de rédiger le projet concret.

[L’auteur refuse alors la proposition. Suit le récit d’un voyage en Mongolie où l’auteur participe au Congrès du bouddhisme d’Europe et d’Asie. A son retour la situation a changé …]

Un événement s’était produit. Nguyên Van Linh (12) avait remplacé Xuân Thuy à la tête du comité d’Action populaire du comité central. Le second restait secrétaire du comité central et secrétaire au comité du Front patriotique du Vietnam. Ainsi, Nguyên Van Linh et Xuân Thuy se partageaient désormais la responsabilité du secteur religieux. Nous rentrions dans une époque compliquée et délicate.

Les 12 et 13 décembre 1980, Nguyên Van Linh, membre du bureau politique et chef du comité d’Action populaire, invitait les organisations et sectes bouddhiques du Vietnam à une réunion qui se tenait à Hô Chi Minh-Ville au n° 31 de la rue du 30 avril. Etaient présents les vénérables Thich Duc Nhuân (dirigeant de l’Association du bouddhisme unifié – ABU), Thich Dôn Hau, secrétaire de l’Institut supérieur du clergé, (Eglise bouddhique unifiée -EBU), Thich Tri Thu, recteur de l’Institut de la propagation du Dharma (EBU), Pham Thê Long (ABU), Thich Minh Nguyêt (comité de liaison des bouddhistes patriotes – CLBP), Thich Tri Tinh (EBU), Thich Buu Y (EBU), Thich Mat Hiên (EBU), Thich Gioi Nhiêm (EBU), Thich Thiên Hao (CLBP), Thich Giac Nhu (Branche mendiante du bouddhisme), Thich Dat hao, représentant du “Thiên Thai Giao Quan Tông”, Thich Minh Châu, recteur de l’université Van Hanh, Thich Tu Hanh (CLBP), Thich Thanh Tu (ABU), Thich Giac Toan (branche mendiante du bouddhisme). On trouvait aussi une religieuse, un intellectuel bouddhiste et deux représentants de l’Association des études bouddhistes.

Du côté communiste, participaient à cette réunion, Nguyên Van Linh, Trân Bach Dang, Nguyên Van Hiêu et Nguyên Quang Huy du bureau des Affaires religieuses du gouvernement et moi-même, représentant des Affaires religieuses de Hô Chi Minh-Ville.

Nguyên Van Linh exposa d’abord la politique de liberté de croyance et de non-croyance du Parti et du gouvernement, avec délicatesse et persuasion. Il commença son discours par une phrase célèbre: “Si vous le permettez, je parlerai de notre religion bouddhique et, vous même, si vous n’avez pas peur, vous pourrez parler de notre Parti”. A la fin, il invita les religieux présents à débattre de l’unification du bouddhisme, puis il s’en alla. Trân Bach Dang, le bureau des Affaires religieuses et moi-même restâmes sur place pour écouter les discussions. Thich Dôn Hâu s’exprima le premier. Sans rien changer de ses convictions, il posa clairement le problème. Thich Gioi Nghiêm s’opposa à la prise de position du précédent et approuva avec enthousiasme l’appel de Nguyên Van Linh. Trân Bach Dang m’exprima son contentement en disant: “Nous arriverons peut-être à les réveillerJe restai silencieux. Dôn Hâu, prétextant la fatigue, s’en alla de bonne heure dans la pagode Van Phuoc d’où il ne sortit plus durant la suite de la réunion, bien que le comité d’Action populaire soit souvent venu l’inviter à y participer. La rencontre se poursuivit pendant deux jours. On y élit un comité d’action pour l’unification du bouddhisme avec le vénérable Thich Tri Thu comme responsable principal, Thich Duc Nhuân et Thich Dôn Hâu comme conseillers.

Lorsque je rencontrai Xuân Thuy, je lui exposai toute la vérité sans lui cacher mon inquiétude. Nous n’avions en effet convaincu que Thich Duc Nhuân. Thich Dôn Hâu n’avait pas été le moins du monde ébranlé. Quant à l’opinion de Thich Tri Quang, on ne la connaissait pas. L’affaire comportait encore beaucoup d’inconnues. Xuân Thuy sourit et me dit: “L’affaire est maintenant entre les mains de Nguyên Van Linh

Pendant ce temps, le comité d’action pour l’unification du bouddhisme travaillait au rythme de son propre programme. Les religieux décidaient eux mêmes de toutes choses; mais des dissensions intérieures se produisirent. Thich Tri Thu remplissait ses fonctions de président en conformité avec la réalité et les exigences du Parti. Mais Thich Dôn Hâu n’était pas d’accord. Des éléments de l’Eglise bouddhique unifiée étaient aussi dans l’opposition, en désaccord avec l’unification telle qu’elle était proposée. Le 18 mai 1980, le comité d’action se déplaça jusqu’à Huê pour y organiser une séance destinée à s’y faire connaître. Thich Tri Thu était très inquiet et me confia qu’il allait rencontrer à Huê des difficultés qu’ils ne pourrait pas surmonter. (…) Finalement tout se passa bien.

A l’intérieur de l’Institut pour la propagation du Dharma, les vénérables Thich Huyên Quang et Thich Quang Dô s’opposaient violemment. Dans l’impossibilité de les convaincre, les autorités eurent recours à la dictature du prolétariat et les condamnèrent à la résidence surveillée, l’un dans la province de Binh Dinh, l’autre dans celle de Thai Binh (13).

Le vénérable Minh Nguyêt n’était pas lui non plus enthousiaste. Il était obligé de se plier aux ordres du Parti, mais il n’appréciait pas d’être l’adjoint de Thich Tri Thu. Il en était de même de Pham Thê Long. Le bouddhisme traditionnel ressentait un complexe d’infériorité sur beaucoup de points et était mécontent. Cependant il n’osait se rebeller contre le Parti. Ainsi le bouddhisme favorable au Parti rechignait tandis que l’Eglise bouddhique unifiée n’était pas entièrement d’accord.

Sur ces entrefaites, un événement vint troubler le Parti. Le ministre Hoang Van Hoan (14), qui allait se soigner dans la République démocratique d’Allemagne de l’Est, déserta lors d’une escale à Karachi, demanda l’asile à l’ambassade de Chine, puis se réfugia à Pékin. Du coup Xuân Thuy perdit son poste de secrétaire du comité central; Trân Quôc Hoan (15) quitta le ministère de l’Intérieur et devint responsable du comité d’Action populaire à la place de Nguyên Van Linh. Celui-ci impliqué dans une autre affaire quittait le bureau politique et devenait secrétaire de la section du Parti à Hô Chi Minh-Ville. Ainsi, celui qui pendant plus de trente ans avait dirigé et organisé le réseau de la Sûreté était chargé de l’Action populaire et par suite dirigeait directement l’action religieuse. Quant à Trân Bach Dang objet d’une mesure disciplinaire, il était écarté du poste d’adjoint à l’Action populaire. Il était remplacé par Dang Thanh Chon qui, sous la direction de Trân Quôc Hoan, s’occupait du travail d’action religieuse.

Ce bouleversement m’atteignit comme un coup de massue sur la tête et je dus prendre sur moi pour le supporter et continuer à faire progresser mon entreprise inachevée.

Je m’en allai alors consolider mes positions à Hô Chi Minh-Ville. J’y trouvai Nguyên Hô, membre permanent de la section du Parti de la ville. Comme membre du Parti, il appartenait à la classe 37, la classe de Nguyên Van Linh. Il manifestait beaucoup de confiance et de sympathie à mon égard. Trân Van Câu, membre de la section du Parti et responsable du comité d’Action populaire était d’un caractère affable et du même avis que moi. Au bureau des Affaires religieuses du gouvernement, il y avait Nguyên Quang Huy, mon ami intime, et Nguyên Van Hiêu qu’il était possible de convaincre. Malheureusement Trân Quôc Hoan était inabordable et très autoritaire. Ce qu’il avait tranché, personne n’osait le modifier.

J’appliquai immédiatement une leçon du marxisme-léninisme. “L’oeuvre révolutionnaire appartient aux masses. Le Parti est l’avant-garde en même temps que le serviteur fidèle des masses populaires”. Par l’intermédiaire du secrétaire du comité d’action, je suggérai à Thich Tri Thu de nommer Thich Tri Tinh responsable d’une sous-commission du contenu, chargé d’effectuer un large sondage d’opinion auprès des organisations bouddhiques sur le contenu réel de l’unification du bouddhisme. Un compte rendu en serait envoyé au comité d’Action populaire du comité central. Ce sondage servirait aussi de fondement à la rédaction d’une charte de l’Eglise bouddhique du Vietnam (l’association bouddhiste à venir). On s’appuierait sur lui pour convaincre Trân Quôc Hoan.

Le comité d’action entama alors une série de visites et de consultations auprès de toutes les organisations bouddhistes (…). Les opinions recueillies furent nombreuses et appropriées à la situation concrète ainsi qu’au bouddhisme vietnamien. Thich Tri Thu s’entendit avec Thich Tri Tinh pour élaborer la Charte dans la pagode Van Duc de Thu Duc. (…). Celui-ci (après avoir prié Bouddha avec ses confrères) rédigea le plan détaillé de la Charte ainsi que le préambule.

Le préambule comprenait les phrases suivantes : “… comme dans l”oeuvre de libération conduite par le Président Hô et le Parti Communiste vietnamien”Tout le pays est en train de construire le socialisme”L’Eglise bouddhique unifiée est l’unique organisation représentant le bouddhisme vietnamien dans toutes ses relations à l’intérieur du pays ou à l’étranger”L’Eglise bouddhique unifiée exerce ses activités dans le cadre de la Constitution et de la législation de la République socialiste du Vietnam”.

Cette partie avait été directement inspirée aux religieux par le bureau des Affaires religieuses afin que la charte soit en accord avec les goûts du Parti et de l’Etat communistes.

A la mi-avril 1980, M. Dang Thanh Chon, adjoint au comité d’Action populaire du comité central, vint présenter au comité d’Action populaire de Hô Chi Minh-Ville un projet d’unification du bouddhisme. Il consistait à transformer le bouddhisme vietnamien en une association de masse, moins encore puisque, selon le projet, l’association ne comprenait que des religieux et non pas les fidèles. Elle ne comportait d’organigramme détaillé que pour l’échelon supérieur et ne se préoccupait pas des échelons inférieurs. Elle s’appelait “Association bouddhiste du Vietnam”. Les statuts étaient réduits au minimum. Au sommet, on trouvait un responsable ou président, quelques adjoints, un secrétaire et ses adjoints et un certain nombre de membres. Au dessous de l’échelon provincial, il n’y avait plus d’organisation. Les provinces où les religieux étaient nombreux étaient pourvues d’un comité de liaison. Sinon, il n’y avait rien. L’activité de l’association se réduisait aux prières et aux offrandes. Elle ne menait aucune activité en rapport avec la population et la société. L’Association bouddhique était coiffée par le comité du Front patriotique, se soumettait à la législation de la République socialiste du Vietnam.

Dang Thanh Chon ajouta que ce projet avait été agréé par le comité d’Action populaire du comité central et approuvé par le Secrétariat. Il affirma que c’était un bon projet qui aiderait le bouddhisme à progresser. Cette religion étant liée à la nation et ayant acquis des mérites vis-à-vis de la Révolution, le Parti se souciait de faire en sorte qu’elle surmonte rapidement l’état d’arriération où elle se trouvait, et accomplisse des progrès afin d’être au même niveau que les autres associations révolutionnaires.

Après cet exposé, tout le bureau des Affaires religieuses garda un silence profond. Trân Van Câu m’adressa un regard interrogateur. Sans hésiter, je commençai mon intervention:

– Les opinions dont tu viens de nous faire part sont sincères. D’un point de vue communiste, elles manifestent notre générosité à l’égard du bouddhisme. Mais d’un point de vue bouddhique, elles ne peuvent être admises par les religieux et les fidèles: ceux-ci ne peuvent en aucune façon y reconnaître la bonne volonté du Parti. Au contraire, ils éprouveront de la rancoeur à son égard, considérant qu’il met en oeuvre un type d’unification à sa manière, une unification vouée à l’échec. En effet, ce que le Parti appelle arriération, ils le vénèrent comme sacré, ce que le Parti appelle libération, eux le ressentent comme une oppression. A mon avis, la Révolution ne peut se faire qu’en s’appuyant sur les aspirations des masses. Il ne faut pas les contrarier. Les masses ressemblent à un malade. Lorsque ce dernier est encore faible, il n’a besoin que de bouillon. Si on le force à prendre du poulet, pourtant meilleur que le bouillon, il en mourra. C’est bien pourquoi, je suis en désaccord avec le projet du comité d’Action populaire du comité central.

J’embrassai alors du même regard Dang Thanh Chon et l’ensemble du comité d’Action populaire de la ville. Trân van Câu souriait en approuvant du menton. Les membres du comité central se jetaient des coups d’oeil perplexes, me lançaient des regards de reproche, et semblaient chercher des arguments pour répondre à mes paroles impertinentes. Dang Thanh Chon se taisait. Apparemment, il n’avait jamais entendu des propos de ce type. Habitué à l’approbation, il ne savait comment réagir dans une situation contraire et se trouvait paralysé aussi bien dans sa réflexion que dans son expression. Dans ce climat tendu, le silence se prolongea deux, trois, cinq minutes. Enfin Trân van Câu y mit un terme: “Je propose de remettre la suite à la semaine prochaineTous poussèrent un soupir de soulagement et s’en allèrent. Trân Van Câu me souffla en particulier: “Tu as rejeté le plan du comité central. As-tu un plan de rechangeje répliquai: “Ne t’inquiète pas ; j’en ai un!”

( …) Selon Dang Thanh Chon, le projet d’unification du bouddhisme avait été approuvé par le comité d’Action populaire du comité central et agréé par le secrétariat. Cela signifiait qu’il était patronné par Trân Quôc Hoan qui lui avait donné son accord et sa signature. (…) C’est donc à lui que je me heurtai, un homme tout puissant, patron de la Sécurité. Alors que tous craignaient de se confronter à lui, j’avais repoussé son projet; c’était comme si je m’étais jeté la tête le première contre un rocher (…)

La semaine suivante, à la réunion, les deux adjoints de l’Action populaire de la ville étaient absents sans raison. Il restait Trân Van Câu, chef du comité, Huynh Van Lâm, premier adjoint chargé de l’organisation et moi-même. Dang Thanh Chon donna des explications supplémentaires sur son projet, mais voyant qu’il n’arrivait pas à nous convaincre, il dit d’un trait:

Ceci est le projet que Trân Quôc Hoan en qualité de chef du comité d’Action populaire du comité central et au nom du secrétariat du comité central, a approuvé et signé. Il ne reste plus maintenant qu’à le développer et à le mettre à exécution. Si on doit ajouter ou retrancher, cela ne peut concerner que la réalisation du projet et la distribution des divers rôles.

Devant cette dernière carte jetée par Dang Thanh Chon, le chef du comité d’Action populaire de la ville, son adjoint s’inclinèrent et se soumirent. Je me levai et déclarai:

C’est à l’esprit d’organisation et de discipline, à l’obéissance que se mesure la qualité d’un membre du Parti. En tant que membre du Parti, j’accepte cela. Mais il est des affaires où l’intérêt de l’oeuvre révolutionnaire est engagé. Dans ce cas-là, le membre du Parti doit se déterminer davantage en fonction de cet intérêt qu’en fonction de l’organisation et de la discipline. En prison, en dehors du champ de bataille, le membre du Parti doit faire preuve d’indépendance et de créativité pour continuer la lutte. C’est là une sorte d’obéissance plus élevée, plus sublime, parce qu’elle est entièrement lucide.

Dan cet esprit, je ne peux approuver le projet d’unification présenté par le comité d’Action populaire du comité central. Si celui-ci persiste à vouloir le mettre en oeuvre, dès maintenant, je demande à me retirer du travail d’action religieuse. Que la section du Parti me transfère à un autre poste.

Le climat s’était tendu à nouveau. Dang Thanh Chon ne dit pas un mot. Mes deux collègues qui avaient de la sympathie pour moi et beaucoup d’idées en commun étaient également embarrassés. L’un dit en riant: “Pourquoi être si tendu? Que Dô Trung Hiêu (l’auteur de cet exposé) ne se retire pas. Je propose que l’on arrête là la réunion pour que le bureau d’Action populaire de la ville continue à étudier le problème, l’expose à la section du Parti de la Ville et ensuite qu’il fasse son rapport au secrétariat et lui demande son avis. Nous souhaitons aussi que Dang Thanh Chon fasse un rapport au comité d’Action populaire du comité central sur la situation concrète à Hô Chi Minh-Ville ” .

[Les participants à la réunion se séparent. L’auteur fait état de ses rapports avec Nguyên Hô et Nguyên Van Linh de la section du Parti à Hô Chi Minh-Ville. Une semaine plus tard, Nguyên Quang Huy, du bureau des Affaires religieuses vient à nouveau discuter avec l’auteur.]

Il ferma soigneusement la porte et il me confia:

– Je ne sais pas dans quelle condition, Dang Thanh Chon a travaillé avec vous. Mais à son retour à Hanoi, il était très affecté. Il a demandé à rencontrer Trân Quôc Hoan et lui a révélé qu’il avait été impuissant à convaincre le comité d’Action populaire de Hô Chi Minh-Ville et qu’il présentait sa démission. Trân Quôc Hoan s’est enflammé: “Alors tu veux suivre les traces de Trân Bach Dang? Si tu veux être écarté, je le fais tout de suite”. En fin de compte, il m’a ordonné de revenir débattre avec le comité d’Action populaire de la ville et, surtout, de chercher à comprendre qui tu étais? Je dois lui faire un rapport sur tes conceptions politiques. L’affaire devient maintenant très grave (…)

Je m’inquiète beaucoup pour toi. Le Parti ne nous appartient pas, mais il est la propriété de ces gens-là et d’eux seuls, même si nous en sommes les membres. Pour eux, tous les membres du Parti ne sont que des pions qu’ils utilisent à leur gré. Notre rôle principal, c’est d’étudier les résolutions et de lever la main pour approuver leurs décisions. Le bouddhisme appartient aux religieux. Pourquoi vouloir t’en mêler? Laisse donc le Parti et le bouddhisme s’entendre entre eux. Pour nous, il nous faut résoudre à exécuter ce que nous ordonne le Parti pour avoir la paix. J’ai une famille nombreuse et toi, tu as deux petits enfants. Réfléchis donc”.

De sa serviette, il sortit alors une série de dossiers. Il en retira le projet d’unification du bureau des Affaires religieuses du gouvernement rédigé sous la direction du bureau d’Action populaire du comité central. En haut de la marge de la première page, on pouvait voir quelques lignes écrites à l’encre rouge d’une belle écriture par Trân Quôc Hoan: c’était son approbation. On pouvait y lire le lieu, la date et l’heure au-dessus de la signature.

Je pensai en moi-même. Sous le régime de la dictature du prolétariat, les cadres du Parti ont l’échine aussi souple que des pâtes de riz. Durant la résistance, c’était différent. Il se sont montrés courageux et fiers. Mais je suivrais ma conscience. Je feignis l’indifférence, ce qui étonna Huy qui s’imagina peut-être que j’étais sourd au point de ne pas craindre les fusils. Je lui répondis:

(…) Franchement, je n’ai pas l’intention de changer d’avis. Mais tu es mon ancien et mon ami. Je te propose cette façon de faire. Tu iras rendre visite au vénérable Thich Tri Thu et à l’ensemble du comité d’action pour l’unification du bouddhisme. Tu écouteras les avis de tous les membres. Actuellement, le comité d’action est en train de prendre contact avec toutes les organisations et les sectes du bouddhisme. Il sollicite, note les opinions de tous, et les rassemble. C’est sur cette base que se prépare une charte de l’Eglise bouddhique unifiée. Pour que ton jugement soit tout à fait objectif, prends avec toi quelques cadres des Affaires religieuses du comité central. Tu pourras noter et enregistrer sur magnétophone ce que vous entendrez. Ensuite, après avoir réfléchi, tu feras un rapport à Trân Quôc Hoan, auquel tu joindras tout ce que tu auras recueilli. Je suis persuadé que Trân Quôc Hoan qui est un dirigeant éclairé donnera son accord.

[Nguyên Quang Huy accepte les conseils de l’auteur et fait la tournée de tous les responsables bouddhistes de Hô Chi Minh-Ville. A son retour, il confie ses impressions à l’auteur.]

Ce fut très émouvant, tous ces vénérables ont été très sincères. C’est avec gravité qu’ils envisagent l’édification de leur religion. Ils en ont une vision à long terme. Thich Tri Thu est vraiment digne d’être le dirigeant du bouddhisme vietnamien. Dans le Sud, nous ne pouvons pas appliquer le socialisme à la manière du Nord. Ces quelques jours de contact avec les religieux de Hô Chi Minh-Ville m’ont fourni des arguments pour mon exposé à Trân Quôc Hoan. Jusqu’à présent, je n’étais pas très content du projet du comité central, mais je n’avais rien pour appuyer ma critique. Je m’étais résigné à écrire le projet selon les directives du responsable du comité d’Action populaire du comité central. Désormais, j’ai confiance en moi et peux faire connaître mon appréciation au comité d’Action populaire comme au secrétariat du comité central. (…)

[Deux jours plus tard, avant de revenir à Hanoi, Nguyên Quang Huy vient saluer l’auteur qui lui fait des confidences sur les raisons profondes de son acharnement à réaliser un projet d’unification du bouddhisme qui convienne aux religieux. Il lui confie en particulier l’affection et l’admiration qu’il nourrit pour le vénérable Thich Tri Thu qui est son principal interlocuteur en milieu bouddhiste. Tout jeune, sa mère l’avait confié au religieux. Plus tard, durant la guerre, poursuivi, il est venu chercher refuge auprès de lui, dans l’Institut d’études bouddhiques de Nha Trâng. Des liens d’amitié très intimes lient le communiste au religieux bouddhiste.

A Hanoi, Nguyên Quang Huy a un long entretien avec Trân Quôc Hoan, directeur du comité d’Action populaire du comité central. Au début de mai 1980, il est de nouveau à Saigon où il raconte cette entrevue à l’auteur. Trân Quôc Hoan, cet homme redouté de tous, l’a reçu avec beaucoup de chaleur dans sa résidence privée. Il a écouté le rapport et s’est montré satisfait de l’initiative prise à Hô Chi Minh Ville par le bureau des Affaires religieuses de la ville. Il a même reconnu que le plan du comité central est beaucoup trop simpliste. Il a exprimé le désir de venir à Saigon discuter du projet avec le comité d’Action populaire et avec l’auteur de ce récit. Cette rencontre a lieu quelques jours plus tard. Dès le début, Trân Quôc Hoan interpelle l’auteur du récit:]

Je rencontre donc aujourd’hui un spécialiste renommé. Je veux vous entendre. Je suis prêt à accueillir directement vos suggestions.

Sans hésiter, je commençai aussitôt mon exposé:

– Le Parti préconise l’unification du bouddhisme, c’est à dire la réunion de toutes les organisations bouddhiques dont la plus grande est l’Eglise bouddhique unifiée. Celle-ci possède aussi une organisation ferme, de nombreux religieux de haut niveau, cultivés, expérimentés et capables de travailler aussi bien dans le domaine religieux qu’au sein de la société. Elle a acquis un prestige international particulièrement à la suite des luttes politiques de 1963. Les autres organisations bouddhiques ou bien sont à nous, ou faciles à convaincre. L’Eglise bouddhique unifiée est loin d’être simple. Ainsi ce qui est essentiel dans l’unification du bouddhisme préconisée par le Parti, c’est l’unification de l’Eglise bouddhique unifiée. Pour cela, il faut proposer une politique acceptable par elle. Certes, je sais que les autres organisations bouddhiques, y compris l’Association bouddhique du Nord, en apparence paraissent soumises à l’autorité du Parti, même si elles ont d’autres goûts, en apparence aussi, elle rejettent l’Eglise bouddhique unifiée pour faire plaisir au Parti ou par jalousie. Mais, en réalité, essayez d’enquêter: même à la pagode Quan Su de Hanoi où on obéit sans discussion aux directives du bureau des Affaires religieuses, quand les portes sont fermées, quels livres lisent les religieux? Ils lisent des livres de Thich Tri Quang, de Thich Nhât Hanh (16). Certains vous diront qu’ils les lisent par curiosité. Mais, je sais qu’il les lisent par goût, avec ardeur, à cause de la force d’attirance de l’ouvrage, parce que pendant des années, ils n’ont rien eu à lire.

Je pense que l’unification du bouddhisme est ardemment désirée par l’ensemble des religieux bouddhistes, y compris ceux qui sont des nôtres. Il faut donc que le Parti exerce sa direction de telle sorte que l’unification vienne d’eux, qu’elle soit leur oeuvre, qu’elle ne soit pas imposée par le Parti. Le Parti jouera son rôle dirigeant en traçant le chemin et créant les conditions pour qu’eux-mêmes réalisent l’oeuvre. C’est aussi l’attitude que le Parti adopte à l’égard des masses. En les aidant à satisfaire leurs aspirations légitimes, le Parti obtiendra leur gratitude. Sinon, les dégâts politiques seront incommensurables”.

Je m’arrêtai alors pour jauger des réactions et remarquai le visage épanoui de celui dont la réputation de sévérité n’était plus à faire.

– Continue, me dit-il. Je suis d’accord avec les conceptions que tu as exposées. C’est une opinion raisonnable. Parle moi maintenant des principes, du contenu et des étapes concrètes?

Rassuré, j’exposai mon projet, élément par élément, tandis que Trân Quôc Hoan, de bonne humeur, ne cessait d’approuver du menton. C’est lui qui tira la conclusion après m’avoir écouté pendant trois heures:

– Nous abandonnons le projet que j’ai approuvé et signé. Nous adopterons celui de Dô Trung Hiêu après quelques amendements et nous le mettrons à exécution aussitôt.

[Les pages qui suivent décrivent la préparation du prochain Congrès de l’unification qui aura lieu à Hanoi durant la première semaine du mois de novembre 1981. L’auteur, les divers cadres d’Action populaire cités dans ce récit, ainsi que les religieux du comité d’action y prendront une part active. Les intervention des autorités et du Parti destinées à intégrer la nouvelle organisation à l’intérieur du régime socialiste ne manqueront pas. Les bureaux des Affaires religieuses suivront de très près le choix des représentants de toutes les régions qui iront en grand nombre participer au Congrès et créer l’Eglise bouddhique du Vietnam, fruit du travail conjoint de certains religieux de bonne volonté, de cadres communistes spécialisés dans le travail religieux et surtout de la volonté expresse des plus hautes autorités du régime.].

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