Eglises d'Asie

LE THEME DE L’INCULTURATIONdans les documents de la FABC

Publié le 18/03/2010




Cette étude essaiera de présenter la notion d’inculturation dans les documents de la Fédération des conférences épiscopales d’Asie. Dans la première partie, les fondements théologiques de l’inculturation seront examinés.

La réflexion de la deuxième partie commencera avec la description d’une approche d’ensemble de

la complexe réalité asiatique des religions, des cultures et des contextes de vie et aussi spécialement des pauvres et de la pauvreté. Dans l’étape suivante, la réflexion essaiera de présenter la méthode de l’inculturation en Asie. Enfin, nous essaierons d’expliquer l’objectif de l’inculturation en Asie tel qu’il est compris dans les documents de la FABC.

I – Fondements théologiques de l’inculturation

dans les documents de la FABC

A-La théologie de l’Eglise locale

1- La terminologie

En analysant les divers documents de la FABC et ceux des différentes commissions de la fédération, on découvre une certaine cohérence dans l’utilisation et la signification du terme “Eglise localeC’est un terme appliqué analogiquement à différentes formes de communautés chrétiennes qui, à des niveaux divers et à des degrés variables, réalisent dans leurs vies les exigences d’une communauté ecclésiale (1).

Dans les documents, il y a trois formes analogues de communautés ecclésiales appelées Eglises locales : le diocèse, la paroisse et les petites communautés de base (2). A partir du contexte, on peut établir de quelle sorte d’Eglise locale le texte parle.

Selon les documents, l’adjectif “local” a une signification théologique. L’histoire et la géographie sont des éléments intrinsèques de la création et de l’économie active de Dieu. Ainsi, l’idée de “local”, bien qu’appartenant aux catégories des réalités socio-culturelles, prend une certaine importance aussi dans le domaine théologique (3).

Le terme “Eglise locale” semble être le concept ecclésiologique fondamental de la FABC qui sert de principe unificateur de tous les modèles ecclésiologiques utilisés dans les différents documents. Ces modèles sont différents les uns des autres, mais tous sont des expressions, fonctionnelles ou ontologiques, de la réalité unique des Eglises locales.

Le terme d'”Eglise particluière”, bien que rarement utilisé dans les documents de la FABC, décrit toujours un diocèse organisé autour d’un évêque (4). Cette utilisation du terme correspond au nouveau code de droit canonique publié en 1987.

2- Une Eglise incarnée dans la réalité locale

Au cours de sa première assemblée générale de 1974 à Taipei, la FABC a affirmé que “l’accent premier de notre devoir d’évangélisation à ce moment de notre histoire est sur la construction d’une Eglise réellement locale” (5). Cette affirmation a été l’un des principes directeurs de tous les documents des évêques asiatiques, faisant ainsi de l’ecclésiologie l’un des domaines les plus importants de la réflexion théologique et le fondement de tout effort d’inculturation.

Pourquoi la construction d’une telle Eglise est-elle la tâche première en ce moment en Asie ? Par ailleurs, comment se construit une telle Eglise ?

En analysant la nature et les structures des Eglises locales nous découvrons deux sources à partir desquelles s’originent les éléments décisifs pour la construction de l’Eglise locale. Ces deux origines d’éléments “ecclésiogénétiques” peuvent être résumées de la manière suivante : “Ecclesia ex Trinitate” et “Ecclesia ex hominibus

C’est le Dieu trine qui, dans un acte d’amour totalement libre et gratuit, appelle des hommes et des femmes à devenir parties prenantes de son plan éternel de salut. Ce plan prend des formes concrètes quand l’Evangile est proclamé dans la puissance de l’Esprit dans un moment historique concret à des peuples de différentes races, cultures et origines. L’Evangile éveille une réponse de foi qui amène les croyants à former une communauté de personnes adorantes. Un groupe de personnes invitées et touchées par l’expérience du divin, reconnaissant les mêmes valeurs, partageant le même idéal, devient une communauté de croyants unis par les liens de l’amour, du service et de la communion (6).

Relier les origines de chaque communauté ecclésiale à la Trinité reste une entreprise partielle si elle n’est pas équilibrée par la deuxième source de l’ecclésialité : chaque Eglise locale a son origine dans une réalité historique et socio-culturelle concrète. Il est important de souligner ici que nous ne parlons pas seulement d’individus mais de groupes qui s’organisent selon la culture et les coutumes locales. Ce fait dérive de la nature sociale des hommes et des femmes.

C’est quand la réponse à l’initiative divine à travers l’Evangile est explicitement exprimée par ceux qui entendent la Parole que le processus de naissance d’une Eglise locale commence.

La rencontre entre différents éléments “ecclésiogénétiques” provenant de deux sources différentes devient un processus constant, un dialogue salvifique constant entre Dieu et des hommes et femmes historiques. Cette rencontre n’est pas un moment statique de l’histoire, arrivé une fois pour toutes. Elle survient chaque fois que Dieu appelle des hommes et des femmes au salut et chaque fois que quelqu’un répond à cette invitation. Ainsi “construire une Eglise locale” est un processus jamais fini de “devenir une Eglise locale” (7).

Cette idée de “devenir une Eglise locale”, dans la plupart des cas, ne signifie pas qu’on part de zéro. Il y a déjà beaucoup d’Eglises locales bien formées et l’Evangile lui-même, quand il arrive au contact d’une personne concrète ou d’un groupe de personnes, est déjà formé selon des incarnations culturelles précédentes. Etant un processus toujours en voie de réalisation, le “devenir une Eglise locale” signifie que l’Evangile rencontre un groupe de gens vivants à chaque moment de l’histoire.

Une forme privilégiée de communauté ecclésiale est la communauté chrétienne de base. La signification et l’importance de la communauté chrétienne de base sont dans le fait que tous les membres d’une telle communauté sont engagés dans la construction de l’Eglise en la mettant en oeuvre dans leurs situations de vie concrète.

B- Christ en Asie

Le mystère de la Trinité est intrinséquement lié à la naissance et au développement des Eglises locales. Si le mystère de la Trinité est si important pour l'”être” et “l’agir” d’une Eglise locale, une question se pose : quels sont les rôles spécifiques des personnes divines dans cette rencontre entre Evangile et cultures ?

Il semble qu’il n’y ait pas d’indication pour une idée claire et élaborée du rôle du Père dans la théologie de l’inculturation des documents de la FABC. Cependant, la christologie des documents de la FABC peut être résumée en une seule idée: “Christ a signification universelle pour toute la création et pour tous les peuples, qu’ils Le connaissent ou non” (8).

La signification universelle de Jésus-Christ est basée sur la totalité de l’événement-Christ. Cette totalité requiert le développement d’une christologie dans laquelle la christologie cosmique de Paul, le Logos du prologue de Jean et la lettre aux Hébreux ont la même importance et centralité que les événements survenus au Jésus de l’histoire : son incarnation, sa vie, sa mort et sa résurrection (9).

Ces derniers éléments du Christ-événement sont particulièrement importants en Asie : dans un continent marqué par la pauvreté, la souffrance et la grande espérance de millions de gens, l’exemple de Jésus, son acceptation de la souffrance et de la mort, sa lutte pour une libération totale de tous les exclus pauvres, abandonnés et marginalisés, signifient l’avènement d’une nouvelle espérance pour l’Asie : une vie nouvelle de paix, de justice et d’amour (10).

Les documents de la FABC reconnaissent clairement le rôle et la centralité de Jésus en Asie, à cause du salut de toute la création par Lui, en Lui et vers Lui. Dans cette approche théologique, l’inculturation signifie une évaluation de toute la création et du salut présents dans l’Eglise et dans le monde d’une manière mystérieuse “qui nous est inconnue” (11) parce que tout a son origine dans l’événement-Christ.

C- L’Esprit Saint présent dans le monde et dans l’Eglise

Le concept d’inculturation suppose une interaction entre Evangile et culture, interaction qui mène à une nouvelle création. Cette nouvelle création est rendue possible par et est le fruit de l’action de l’Esprit Saint qui “appelle chaque peuple et chaque culture à répondre à sa manière, nouvelle et créative, à l’Evangile” (12). Toute créativité, que ce soit dans l’Eglise ou dans le monde, qui met sur le chemin d’une réalisation d’un processus d’inculturation s’origine dans l’Esprit Saint (13).

La présence et l’action de l’Esprit dans et pour le processus d’inculturation se manifeste différemment selon la double localisation : dans l’Eglise et dans le monde.

L’Esprit Saint est la force qui unit les éléments “ecclésiogénétiques” dans une communauté ecclésiale. Il est la force d’inspiration qui met en marche hommes et femmes touchés par la Parole de Dieu pour former une communauté et devenir un groupe de disciples du Seigneur. L’Esprit exige de chacun qu’il exprime sa foi par des moyens et des symboles qui sont propres à sa mentalité, avec de nouvelles formes de pratique de l’autorité et de sens de la mission (14).

L’action de l’Esprit n’est pas limitée seulement au moment de création d’une communauté ecclésiale. La rencontre continue entre Evangile et cultures dans le processus d’inculturation requiert de l’Eglise locale un discernement prudent des valeurs impliquées dans ce processus, des signes des temps, des attitudes humaines dans l’Eglise et en dehors, des réalités qui bénéficient ou non à l’Eglise (15).

Ce don du discernement est présent dans toute la communauté des croyants quand ceux-ci vivent leur foi en tant que communauté ecclésiale. La présence de l’Esprit Saint dans une communauté en même temps que celle de la Parole vivante du Seigneur ressuscité fait de la communauté l’agent principal de la parole théologique, réalisant pleinement le sens du vieux principe du “sensus fidei fideliumLe sensus fidei fidelium est une importante manifestation de l’Esprit qui amène à un discernement constructif, mais seulement quand les fidèles sont unis avec leurs pasteurs. Les pasteurs, qu’ils soient des évêques ou d’autres ministres ordonnés, sont appelés à interpréter l’activité de l’Esprit dans le monde et dans l’Eglise, à aider les membres de leurs communautés ecclésiales à comprendre les défis du temps présent, et à écouter attentivement la voix du même Esprit, agissant chez les fidèles (17).

L’attitude d’écoute et d’accompagnement de la communauté est tout à fait nécessaire dans une Eglise comprise comme communion, dans laquelle tous les membres sont appelés à la participation et au partage des responsabilités. Elle ne signifie pas que la responsabilité finale de la décision ne se trouve pas dans les mains des pasteurs, et particulièrement des évêques, mais elle signifie que ces décisions sont les fruits de délibérations et de soucis communs et non pas un exercice arbitraire du pouvoir de la part des ministres ordonnés (18).

L’Esprit est présent dans le monde depuis le commencement de la création. Plus spécifiquement, de la même manière, l’Esprit a été présent dans les cultures, les peuples, les religions même avant que l’Evangile ne soit proclamé dans un environnement donné. L’Esprit se manifeste dans les “semences de la Paroledans les traces de vérité qui sont présentes dans chaque culture et religion de ce monde (19).

Ces manifestations de l’Esprit dans le monde d’une part, et l’action du même Esprit dans les Eglises locales d’autre part, amènent la réalisation d’une véritable catholicité de l’Eglise, l’intégration des éléments nobles du monde dans une nouvelle synthèse de l’Evangile pour une nouvelle création dans une Eglise locale (20).

D- Le pluralisme de la création

Un trait fondamental de la réalisté asiatique est l’omniprésence de la diversité et de la pluralité : pluralité de religions et de cultures, de langues et de traditions (21).

Les documents de la FABC font une approche positive de ce pluralisme en Asie et, par conséquent, dans le monde. Le pluralisme est un don de l’amour révélé du Père, créateur de toute chose, qui veut partager sa plénitude de vie avec toute la création. C’est un acte original de l’acte créateur de Dieu le Père, quelque chose qui est affecté partiellement mais pas totalement détruit par le péché originel (22).

Le pluralisme et la diversité ne nient pas une autre vérité fondamentale, à savoir que toutes les créatures, humaines ou non, bien que différentes par la race, le langage, la culture sont appelées à une destinée et une unité communes par le Père dans son royaume. Le Père, par son Fils et par la puissance de l’Esprit, appelle toute la création au salut et promet une libération intégrale à la création toute entière (23).

Cet appel est universel. Cela veut dire qu’il ne peut pas être réduit à un salut individuel,

connaissant la mentalité asiatique et ses valeurs de communauté, le sens d’une approche d’ensemble de la réalité, la communauté et la famille. Par ailleurs, la pluralité des religions dans ce contexte signifie que chaque religion est plus qu’un chemin naturel et humain vers Dieu (24).

La création, comprise comme diversité et pluralisme de toutes choses créées, a une valeur positive fondamentale parce que chaque chose est créée par le Père. Ce fait relativise le rôle de la soi-disant “culture chrétienne” comme une forme plus haute de culture. La culture chrétienne devient l’un des chemins possibles d’expression de la recherche immémoriale de l’humanité pour organiser sa vie comme expression de l’esprit humain.

II – Le processus d’inculturation en Asie

A- Le contexte spécifiquement asiatique de “l’activité d’inculturation”

L’inculturation en Asie doit partir de la réalité asiatique présente. Cette réalité se caractérise par divers éléments que l’on peut définir, si l’on en croit la première assemblée générale de la FABC, comme “les traditions vivantes, les cultures, les religions, toutes les réalités de la vie du peuple au milieu duquel l’Eglise locale a planté ses racines profondément, et dont elle fait siennes l’histoire et la vie” (25).

Cette réalité complexe de l’Asie est néammoins opératoire comme une à chaque moment de l’histoire. S’il y a une tentative de spécifier, de diviser et d’analyser les trois éléments différents de la réalité asiatique comme des entités séparées, elle s’inspire et se justifie davantage par un effort de clarification des différents éléments plutôt que par une affirmation de leur existence séparée dans une situation de vie réelle. Cela signifie que si elle aspire à être authentiquement asiatique dans sa nature profonde, l’inculturation doit approcher la réalité asiatique de manière globale (26).

Mais cette approche globale a aussi une autre signification : elle n’est pas seulement caractéristique de la réalité asiatique, elle est aussi caractéristique de la mentalité des Asiatiques. Cela signifie que l’homme est toujours partie de la totalité de l’univers, du cosmos et de la terre, impliqué dans tous les aspects de la vie, dans sa pleine complexité (27).

1-Les grandes traditions religieuses

Les grandes traditions religieuses jouissent d’une place privilégiée dans le processus d’inculturation. La compréhension du rôle des grandes religions

et comment l’Eglise est supposée se mettre en relation avec elles sont des sujets qui se sont constamment développés dans les divers documents de la FABC. Il y a deux points de départ : d’abord, les grandes religions sont des expressions de la volonté salvifique de Dieu aussi bien que celle d’une réponse libre des hommes à un appel divin. Cette idée est constante dans tous les documents de la FABC. Ensuite, dans toutes les religions, la présence des semences de la Parole est reconnue, tout en mettant l’accent sur le devoir de l’Eglise de reconnaître ces semences et les porter dans l’Eglise pour enrichir les Eglises locales, et à travers celles-ci, l’Eglise universelle. Ceci implique que, à cause de la présence de l’Esprit Saint dans ces religions, celles-ci sont une manière authentique de vivre, menant les disciples vers Dieu; et en interaction et dialogue avec eux, les chrétiens peuvent découvrir de nouvelles expressions et révélations dans leur propre foi (29).

De manière explicite, cette perception mène à un “pluralisme réceptif : c’est-à-dire que les nombreuses manières de répondre à l’initiative de l’Esprit doivent continuellement être en conversation l’une avec l’autre” (30). Ici, nous trouvons un déplacement d’accent de la collection des semences de la Parole dans les religions pour les insérer dans l’Eglise locale, à une collaboration et un dialogue constructifs qui peuvent amener à la reconnaissance des valeurs et des aspirations les plus profondes des peuples asiatiques, à la clarification des significations et des symboles, à la possibilité de travailler la main dans la main à la réalisation de la destinée commune de toutes les nations et peuples du continent. Cette perception amène lentement à la prise de conscience que toutes les religions sont complémentaires dans “les modes historiquement et culturellement conditionnés à travers lesquels des hommes pèlerins expérimentent et expriment leur relation à l’absolu dans sa signification vitale” (31).

Le critère principal de cette interaction et de cette collaboration est l'”orthopraxis”, l’authenticité des participants à servir les membres de la communauté pour construire une société meilleure et plus humaine dans la plénitude de la vie.

Dans un tel contexte, l’inculturation ne signifie pas l’extraction d’éléments choisis de différentes religions, que ce soit des notions purement philosophiques ou des valeurs religieuses, puis leur incorporation dans le christianisme. Mais c’est un processus dialogal de collaboration et d’interaction critique pour réaliser la plénitude de la vie en Asie.

2-Cultures et inculturation

Les documents de la FABC ne fournissent pas une définition de la culture. C’est compréhensible puisque ces documents ont une orientation pastorale et ne sont pas des traités de doctrine. Pourtant, à partir de diverses affirmations, une certaine idée de la culture émerge, comprise dans un sens global comme un ensemble de significations et de valeurs qui forment la conscience humaine, qui s’expriment dans les modes de pensée, dans l’art, la langue et les aspirations d’un groupe donné ou d’une nation (32). La culture est une réalité en mouvement constant, formée par des générations d’ancêtres, transmise comme traditions, coutumes qui changent sous l’impact d’influences variées dans le temps et dans l’espace. Même à l’intérieur de la culture très compacte d’une nation ou d’un groupe ethnique, il existe de nombreuses sous-cultures conditionnées par différentes conditions de vie dans des groupes plus petits qui constituent et forment une entité plus vaste. Ainsi, à l’intérieur d’une culture nationale on peut trouver des sous-cultures dans la jeunesse, les citadins ouvriers, les pauvres, les paysans, les classes moyennes, les minorités ethniques et beaucoup d’autres (33).

L’apport des technologies et la modernisation rapide posent de nouvelles questions pour l’annonce de l’Evangile en Asie et défient les efforts d’inculturation de l’Eglise pour trouver une solution adéquate à ces problèmes (34). En conséquence de ces changements dans les sociétés asiatiques, l’Eglise est appelée à travailler à la création d’une nouvelle identité pour les chrétiens d’Asie, une identité qui inclut des éléments des traditions anciennes, une réponse aux questions de la modernité et un ajustement constant aux exigences de l’Evangile (35).

Bien qu’acceptées avec respect et dans un esprit d’ouverture, les cultures sont soumises à une approche critique : les documents recommandent de les examiner à la lumière de l’Evangile pour y découvrir ce qui pourait être négatif et incompatible avec le message et le mode de vie de l’Evangile (36). De plus, les sciences sociales et les outils scientifiques modernes sont mis aussi au service de cette approche critique, amenant ainsi une compréhension plus détaillée des phénomènes culturels. Cette approche critique présuppose une attitude “d’écoute des cultures” (37). C’est une attitude fondamentale d’une Eglise locale et de ses membres qui fait que la communauté locale doit décider ce qui est bon pour elle dans le moment de l’histoire et le contexte socio-culturel donnés.

En même temps, les cultures sont utilisées comme critères herméneutiques dans la compréhension de l’Evangile tel qu’il a été et qu’il est prêché, le libérant autant qu’il est possible de ses incarnations historiques et culturelles précédentes, et le mettant en pratique. Dans ce processus, le rôle des Eglises locales et spécialement des communautés chrétiennes de base est très important. Dans les réalisations concrètes de la vie et de l’expériences de foi des membres de ces communautés ecclésiales de base, la culture et l’Evangile entrent en contact de manière décisive, amenant ainsi une compréhension nouvelle des deux réalités (38).

Nous avons dit au début de cette section de notre étude qu’il n’y a aucune définition officielle de la culture dans les documents de la FABC. Evidemment, une idée plus claire de la culture pourrait être utile au processus d’inculturation.

3- Les situations de vie en Asie

En dehors des cultures et des religions comme élements constitutifs de la réalité asiatique, il y a un autre facteur qui caractérise et influence de manière décisive les Eglises locales et leurs efforts d’inculturation sur ce continent : la pauvreté et les pauvres. La moitié des habitants de cet immense continent vivent dans la pauvreté. Dès 1970, la réunion des évêques d’Asie à Manille a pris ce problème en compte. Depuis lors, la question de la pauvreté et des pauvres occupe une position très importante dans les documents de la FABC. Généralement, la pauvreté en Asie a une double origine : elle peut être volontaire, telle qu’elle est pratiquée et très appréciée dans les grandes religions, ou bien elle est structurelle : “Notre peuple est pauvre en ce sens qu’il est délibérément dépossédé ” (39).

Par suite de cette double compréhension de la pauvreté, les Eglises locales doivent porter différentes réponses aux défis posés par la pauvreté. Les approches critiques des cultures et des religions ne peuvent pas se limiter seulement à une analyse scientifique de la situation. La pauvreté structurelle, souvent le fruit de la convoitise et de l’injustice, doit être combattue de toutes ses forces par l’Eglise (40).

En même temps, les Eglises locales doivent entrer dans un dialogue de vie avec les pauvres afin de se mettre à l’écoute de leurs aspirations et de leurs besoins, afin de pouvoir proclamer l’Evangile à l’intérieur de leurs attentes. Une meilleure compréhension des pauvres et de la pauvreté à travers des contacts directs est nécessaire à tous ceux qui représentent l’Eglise : ministres, missionnaires, religieux, prêtres, évêques (41). A travers ces contacts et ces expériences, les pauvres peuvent enseigner à l’Eglise l’humilité, la solidarité et le détachement de la richesse matérielle. Si une Eglise locale veut réellement devenir inculturée, réellement indigène, elle doit devenir une Eglise des pauvres, avec les pauvres et parmi les pauvres et pas seulement pour les pauvres.

En fin de compte, nous pouvons poser la question : jusqu’à quel point une culture ou des cultures peuvent-elles influencer l’interprétation de l’Evangile dans un contexte nouveau ? Malheureusement, les documents de la FABC ne donnent pas de réponse claire à cette question.

B – Le dialogue comme modus operandi du processus d’inculturation

La méthodologie fondamentale de l’inculturation, selon les documents de la FABC, est une rencontre dialogale de tous les éléments du processus d’inculturation (42). L’inculturation est un dialogue entre d’une part l’Evangile, vécu individuellement ou dans une communauté de croyants comme une Eglise locale, et d’autre part la réalité asiatique.

Ce processus dialogal de l’inculturation se produit dans des communautés où les gens vivent leurs situations de vie habituelles au milieu de la réalité asiatique. Ce processus d’inculturation commence à la base dans un dialogue de vie constant avec les religions, les cultures et les pauvres (43). Il doit être ensuite filtré – avec l’aide d’experts – à travers les sciences théologiques, ethnologiques, anthropologiques, pour déterminer la compatibilité du processus et de ses résultats avec la tradition vivante de l’Eglise. De cette manière, le résultat final ne sera pas “un syncrétisme douteux (que nous rejetons tous) mais une intégration profonde et de caractère organique de tout ce qu’il y a de meilleur dans nos chemins traditionnels… à l’intérieur du trésor de notre héritage chrétien” (44).

Comment un processus dialogal peut-il mener à l’inculturation ? Qu’advient-il des valeurs et des significations contenues dans l’Evangile et dans les cultures ou religions engagées dans ce processus de dialogue ?

Le dialogue se produit dans une rencontre entre individus ou groupes où la communication entre les différents participants de la rencontre joue un rôle essentiel. De cette manière, le dialogue et le processus de dialogue peuvent être compris comme un problème de communication entre deux individus ou communautés, ou davantage (45). Le dialogue comme communication peut se réaliser à différents niveaux : à un premier niveau, il peut s’agir d’un simple discours argumenté, d’une présentation de deux points de vue, ce qui peut ensuite amener à un deuxième niveau; une rencontre plus en profondeur d’idées, de significations et des réalités différentes des partenaires du dialogue. Cependant, ce dialogue sert à délimiter les frontières entre les partenaires en clarifiant les limites et la compréhension de chacun par lui-même. A un troisième niveau, le dialogue est une interaction des partenaires qui s’obligent à entrer dans le monde des significations et des symboles de l’autre. Ils essaient de trouver de nouveaux symboles et de nouvelles significations qui peuvent être comprises dans les deux mondes symboliques des partenaires, amenant ainsi une possibilité d’interaction, d’échange et d’enrichissement mutuel (46).

Une inculturation significative se produit à ce troisième niveau de dialogue perçu comme une compréhension des deux différents systèmes de valeurs et de significations impliqués dans le processus d’inculturation, trouvant des symboles communs qui peuvent former la base d’une nouvelle création.

En ce qui concerne les fondements théologiques du dialogue et du processus dialogal d’inculturation, les documents de la FABC les voient dans la vie dialogale trinitaire du Père du Fils et de l’Esprit qui enrichit chacune des personnes divines (47).

Un processus dialogal d’inculturation présuppose certaines attitudes humaines, pratiquées dans une atmosphère de liberté et de respect mutuel, une connaissance de l’Evangile et de ses implications en même temps que des cultures locales, des religions et des situations de vie. C’est la raison pour laquelle les acteurs réels de l’inculturation doivent être d’origine locale, connaissant les arrière-plans culturels et religieux locaux qui sont nécessaires à la découverte de significations et de valeurs communes utilisables plus tard dans le processus d’inculturation (48).

C – Le but de l’inculturation en Asie

Il semble que dans les premiers documents de la FABC, l’idée dominante en ce qui concerne le but de l’inculturation était centrée sur l’Eglise : l’objectif principal était de construire une Eglise réellement locale.

Vers le milieu des années 70, une nouvelle notion a commencé d’émerger dans les documents de la FABC : l’idée du Royaume de Dieu. Dans les documents de la FABC, le Royaume de Dieu devient le but à atteindre et doit être étendu au monde entier par le travail d’évangélisation des Eglises locales (49). Le Royaume est présent dans le monde, même en dehors des limites de l’Eglise visible. Le Royaume est une création du Père, présentée et réalisée dans la prédication, la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ. Le Royaume est présent dans le monde entier, en chaque homme et femme de la terre et est vivifié par l’Esprit (50). La présence du Royaume se découvre dans les “semences du Royaume” (51) qui agissent dans le monde entier, indépendamment des frontières de l’Eglise.

Les valeurs ou les semences du Royaume sont exprimées dans les espérances humaines, les aspirations et les actions en faveur de la justice, de la paix, de la solidarité avec les pauvres, de la non-violence. Ces valeurs ou semences sont l’héritage de tous les hommes de bonne volonté, qu’ils soient religieux, athées, chrétiens ou non-chrétiens. Leur présence dans le monde ne signifie pas que les hommes n’ont pas à travailler à leur pleine réalisation. Il faut lutter pour amener le Royaume à se réaliser dans nos vies, dans les société, dans les groupes et les nations.

Ainsi, la présence du Royaume, agissant dans le monde, loin de mettre de côté la mission de l’Eglise en Asie, exige d’elle qu’elle se trouve un nouveau rôle pour elle-même et pour ses efforts d’inculturation en Asie. Dans cette nouvelle situation, l’Eglise doit se mettre au service du

Royaume, au service de la réalisation du Royaume du Père et de ses valeurs avec tout le reste de l’humanité (52). Ce travail consiste à construire “une nouvelle communauté humaineavec tous les hommes de bonne volonté, et “il implique nécessairement le processus d’inculturation dans lequel les religions s’incarnent dans une culture et la transforment de l’intérieur en lui proposant un nouveau système de valeurs” (53).

Le processus d’inculturation n’est plus concerné par la recherche d’une adaptation externe à la réalité et au mode de vie asiatiques, mais plutôt par une question de nature existentielle : être et vivre en Asie et avec les Asiatiques, s’engager dans tous les aspects de la vie, collaborer avec toutes les forces qui travaillent activement à construire le Royaume. Une Eglise locale inculturée au service du Royaume est finalement le sacrement de ce même Royaume (54).

CONCLUSION

On peut dire que la notion d’inculturation dans les documents de la FABC a beaucoup évolué dans le temps depuis les premiers documents jusqu’aux derniers.

Le terme “inculturation” a été utilisé pour la premièer fois dans le document final de la réunion des évêques d’Asie à Manille en 1970. Depuis lors, il a été utilisé très fréquemment en Asie et dans les documents de la FABC, bien qu’il ne fasse pas l’unanimité. En analysant la réalité complexe de l’Asie, on comprend mieux cette méfiance. Comme le dit F.X. Clark, “il est important de reconnaître que ce terme d’inculturation provient des langues européennes, il coule d’une certaine métaphore implicite, une manière particulière d’interpréter la réalité” (55). L’inculturation implique une interaction entre l’Evangile ou la foi chrétienne et la culture, mais, en Asie, ceci peut être perçu comme une simplification de l’ensemble du problème. Les documents de la FABC affirment clairement que l’inculturation est une rencontre plus complexe entre l’Evangile et une Eglise locale dans la réalité globale de l’Asie qui est faite de religions, de cultures, de pauvreté et de pauvres. Il y a besoin de remplacer le mot par un autre terme plus approprié qui pourrait éviter ce malentendu (56).