Eglises d'Asie

LE RETOUR DE LA DIASPORA LAOTIENNE

Publié le 18/03/2010




Soumieng Deapjnayanam avait 13 ans en 1975 quand sa famille et elle ont fui le Laos en train d’être occupé par les forces communistes. Ils étaient paysans avant la révolution et le voyage leur a coûté toutes leurs possessions en dehors des vêtements qu’ils portaient sur eux et d’une petite statue de Bouddha. Après avoir passé quelques mois dans un camp de réfugiés de Thaïlande, la famille s’est établie à Sydney en Australie où elle a prospéré dans l’importation de produits d’épicerie destinés aux vagues successives d’émigrants asiatiques qui fuyaient le chaos indochinois de l’après-guerre.

Maintenant, elle est retournée au Laos comme directrice des entreprises Gateway, consortium australien de promotion immobilière, qui a ouvert son premier centre commercial de style occidental à Vientiane en décembre 1995. Bien qu’elle possède la citoyenneté australienne, elle insiste pour affirmer : « Je suis toujours Laotienne et, cette fois, je suis ici pour resterElle n’est pas la seule dans ce cas. Bien qu’il n’y ait pas de statistiques officielles, de plus en plus de jeunes Laotiens d’outremer reviennent à la recherche de leurs racines familiales et d’une occasion d’utiliser les techniques apprises et le capital gagné pendant leur séjour en Occident, afin de créer des entreprises commerciales. « Généralement, ils réussissent biendit Mary Flipsy, jeune Laotienne revenue elle aussi de l’étranger et qui travaille comme juriste à Vientiane. « Ils parlent la langue et ils peuvent établir des contacts qui nécessiteraient des années de travail à des étrangers

La très importante diaspora laotienne aux Etats-Unis, au Canada, en France et en Australie trouve son origine dans les trois décennies de guerre civile au Laos entre le Pathet Lao, soutenu par les communistes vietnamiens, et le régime monarchique aidé par les Français et les Américains. « La révolution ici n’a pas fait couler beaucoup de sang contrairement à ce qui s’est passé au Vietnam, mais elle a divisé les familles sur le plan politiquedit Mary Flipsy. « Il y a beaucoup de personnes dans les sphères dirigeantes du régime qui ont des parents vivant outremerD’autres comme la famille de Soumieng ont simplement fui les turbulences politiques et la sévère austérité économique qui s’est emparée du Laos après 1975. « Nous sommes partis à cause des incertitudes » se souvient Soumieng. « Nous avions tous entendu parler des horreurs qui s’étaient produites en Chine après la révolution. Nous avions peur car nous ne savions pas ce qui allait se passer ».

Ces années de guerre civile ont laissé le Laos exsangue. La situation n’a fait qu’empirer quand le gouvernement militaire thaïlandais a imposé un blocus économique et qu’un système politique stalinien rigide a placé toute l’économie sous le contrôle de l’Etat.

En fin 1976, les nouveaux dirigeants avaient lancé une campagne destinée à éradiquer toute trace d’influence culturelle occidentale. Trente à quarante mille personnes furent alors placées en camps de rééducation pour avoir travaillé au service de l’ancien régime, mais aussi quelquefois parce qu’elles portaient des jeans ou gardaient les cheveux longs. Cette campagne a marqué le début de l’exode de 300 000 Laotiens sur une population de moins de trois millions d’habitants. Parmi eux se trouvaient pratiquement tous ceux qui possédaient une instruction formelle. Cet exode a donc été une véritable fuite des cerveaux et le pays ne s’en est pas encore tout à fait remis.

« Je suis d’abord revenue en juillet 1993 pour quelques jours afin de jeter un coup d’oeildit Soumieng. « Ce fut un choc. Dans l’imagination, tout ce qui se rapporte à l’enfance paraît bon et propre. Mais ce que j’ai trouvé ici c’était une ville où il n’y avait pas de voitures et où il n’y avait aucune activité économique ». En plus du choc culturel expérimenté par beaucoup à leur retour, il y avait la suspicion affichée par Vientiane à l’encontre de la communuaté laotienne à l’étranger qui était, autrefois, une source de financement et de soutien à l’insurrection anti-communiste au Laos. « Il y avait, au début, beaucoup de méfiance politique envers nous de la part du gouvernement laotienraconte l’un de ceux qui sont revenus et qui n’a accepté de parler qu’à condition de garder son anonymat. « Au début nous étions suivis par la police qui voulait juste se rendre compte de ce que nous voulions ».

Selon Mary Flipsy, des problèmes se sont aussi posés à cause d’hommes d’affaires malhonnêtes qui faisaient partie de la première vague des retours en 1989 : « Il y a eu des expériences regrettables avec le retour de certains Laotiens sans scrupules et le gouvernement a commencé à faire davantage attention en accordant les visasDes observateurs bien informés estiment que ces tensions se sont aggravées après le soulèvement prodémocratique de Bangkok en 1992 qui avait vu les classes moyennes thaïlandaises jouer un rôle-clé. C’est un scénario que Vientiane ne désire pas voir se reproduire au Laos.

Depuis lors, les attitudes se sont modifiées des deux côtés. Des visiteurs laotiens aux Etats-Unis, en France et en Australie estiment que les communautés laotiennes de l’étranger jugent généralement que la résistance n’a plus de sens et hésitent à lui donner leur soutien politique et financier. « Bien que quelques Laotiens restent convaincus que le gouvernement n’a pas changé de ligne politiquedit Mary Flipsy, « leurs enfants sont ici et ne sont pas préparés à continuer le combat de leurs parents

Conscient de la faiblesse de ses ressources humaines, le gouvernement laotien s’est montré très intéressé par ce que les communautés laotiennes de l’étranger représentent comme réservoir de techniques et d’expertise. Elles pourraient par ailleurs former un pont entre la communauté internationale d’expatriés et le régime de Vientiane. Depuis deux ans, le gouvernement a lancé une série d’appels de haut niveau pour demander aux Laotiens de l’étranger de revenir. Le plus récent a été lancé par le ministre des Affaires étrangères, Somsavat Lengsavad, au cours d’une conférence de presse, à la veille du vingtième anniversaire du régime. « La politique du gouvernement est de faire en sorte que les Laotiens vivant à l’étranger et désirant revenir au pays soient les bienvenusa-t-il déclaré.

Dans un discours à l’assemblée nationale à Vientiane, pour commémorer l’anniversaire, le premier ministre Khamtay Siphandone a exprimé « son appréciation au peuple laotien de l’étranger pour son patriotisme, son souci du pays, et sa contribution au développement national en conjonction avec les compatriotesLes Laotiens qui sont revenus d’Occident, parmi lesquels des membres de familles traditionnellement hostiles au Pathet Lao, sont maintenant nombreux parmi les principaux conseillers du gouvernement en matière économique. Le gouvernement a aussi organisé une série de consultations discrètes avec des groupes de Laotiens d’outremer au moment de la rédaction du plan de développement pour les années 1996-2000.

Soumieng pense que le seul élément majeur qui retienne encore un certain nombre de Laotiens de revenir au pays est la lenteur du processus de réforme économique. « Faire des affaires au Laos reste très difficile. Il n’y a pas de procédures claires et la bureaucratie n’arrête pas de se contrediredit-elle. Elle est d’accord pour dire que la ligne officielle du gouvernement a changé, mais les réactions vis-à-vis des Laotiens de l’étranger restent mitigées dans la population locale. « Beaucoup de gens sont curieux de savoir ce que nous avons fait à l’étranger mais d’autres pensent que je suis une étrangère parce que je ne possède pas de passeport laotien

Il est vrai que tous les Laotiens ne voient pas d’un bon oeil le retour de leurs « cousins » de l’étranger. Cela est vrai particulièrement parmi les Laotiens, formés dans l’ancien bloc soviétique, qui se trouvent de plus en plus marginalisés au profit de ceux qui possèdent une formation occidentale. « Beaucoup de Laotiens reviennent pour revendiquer leurs biens et puis repartentse plaint un intellectuel local. « Les enfants des Laotiens d’outremer qui viennent ici ne savent rien du Laos et ils ne se considèrent pas comme Laotiensajoute un autre. « Tout ce qu’ils font c’est apporter ici des modes et des coutumes occidentales