Eglises d'Asie

L’IMPACT DU CONFUCIANISME sur l’usage des technologies industrielles en Asie du sud-est

Publié le 18/03/2010




Y a-t-il une relation entre la technologie et la religion ? La religion influence-t-elle l’usage des technologies et l’innovation technologique? S’agit-il d’un impact positif ou négatif ? Le développement extraordinaire de certains pays a-t-il quelque chose à voir avec leur religion ? Nombreux sont les scientifiques et les sociologues qui se posent aujourd’hui ces questions.

Notre recherche concernera l’impact du confucianisme sur l’usage des technologies industrielles en Asie du sud-est, et plus précisément dans les cinq “petits dragons” : Singapour, Hongkong, Taiwan, Japon et Corée du Sud.

La relation de la technologie et de la religion

Pour certains, il n’y a aucun lien entre la technologie, science en pleine mutation, et la religion, qui est souvent considérée comme rigide, ancrée dans le passé. Pour les uns, la technologie disqualifie

la religion tandis que pour d’autres, les valeurs spirituelles de la religion n’ont rien à voir avec l’évolution matérielle de la technologie. D’aucuns attribuent à la religion un rôle moteur dans le développement des sciences.

Cependant, les scientifiques se penchent de plus en plus sur la dimension culturelle et religieuse de l’homme au moment où ils étudient l’évolution de la technologie ainsi que ses applications industrielles. Ils se posent des questions capitales : comment se fait-il que certains peuples développent leur technologie et qu’ils appliquent rapidement les découvertes scientifiques tandis que d’autres pays de culture différente se montrent très lents dans ces domaines-là ? N’y a-t-il pas des raisons religieuses ? Ne faudrait-il pas prendre en compte les religions et leur influence sociale et économique ?

Mais il faut tenir compte aussi d’un autre courant d’opinion qui accorde une place aux religions dans la réflexion sur les nouvelles technologies. Déjà Heidegger, le grand philosophe allemand, aimait à dire que “l’essence de la technique n’est rien de technique” (1). Pour les scientifiques, la solution des problèmes technologiques passe de plus en plus par une étude pluridisciplinaire des problèmes (2). Et la religion fait partie de cette approche à plusieurs facettes. Il est impossible de comprendre les réalisations de l’homme d’aujourd’hui sans étudier l’histoire, la sociologie, la culture et la religion qui marquent sa manière de penser et d’agir. Les scientifiques considèrent de moins en moins la science et la technologie comme des réalités neutres et objectives.

Aux Etats-Unis, des études sont aussi faites sur la relation de la technologie et de la religion. Pendant deux étés (1991-1992), l’Institut de Kalamazoo Valley (Michigan) a examiné les voies par lesquelles les sciences humaines, la science et la technologie peuvent contribuer à la compréhension de l’homme (3). Un autre centre de technologie, l’Université de Lehigh, a favorisé une série de publications sur le contexte social de la technologie dans la société contemporaine (4).

L’ignorance du rôle joué par les religions semble entretenir aussi une fermeture d’esprit dans l’approche des réalités sociales et scientifiques. Les écoles sont appelées à préparer les élèves aux changements technologiques en leur montrant le fonctionnement des institutions et des idéologies qui peuvent bloquer leur application. L’homme ne se réduit point à “l’homo oeconomicus”, rationaliste et toujours à la recherche du plus grand profit. Ce type d’homme, étudié dans les modèles économiques mathématiques, n’a jamais existé. L’économie est une science humaine où les facteurs culturels jouent un grand rôle.

Max Weber a développé une thèse opposée à celle de K. Marx. Pour Weber, l’économie est marquée par les croyances religieuses. Dans son ouvrage célèbre, “L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme” (5), il a étudié la morale économique des grandes religions en montrant comment la foi religieuse détermine une éthique.

Parmi les religions abordées, M. Weber a étudié aussi le confucianisme. Les études de Max Weber ont donné naissance à beaucoup d’autres enquêtes aussi bien en Occident qu’en Orient. En ce qui concerne l’Asie du sud-est, il est bon de souligner l’apport du travail réalisé par S. Gordon Redding, professeur à l’université de Hong-Kong. Son enquête auprès de soixante-douze hommes d’affaires de plusieurs pays (Hongkong, Taiwan, Indonésie, Philippines, Malaisie et Thaïlande) l’a conduit à relier l’esprit d’entreprise, la morale et la religion (6). Dans sa recherche il a posé quarante-deux questions dont trois sur la religion au sens large: appartenance à un groupe religieux, relation entre la religion et le travail, traditions… G. Redding utilise la notion de “culture économique” qui conditionne à travers les valeurs sociales le développement économique et l’innovation technologique.

Le rapport de FAST

La Communauté Européenne est en train d’étudier à son tour le rapport de la technologie et de la religion dans son programme FAST (Forecasting and Assessment in Science and Technology) (7). Il s’agit d’une recherche très intéressante sur les grandes religions et leur influence sur la technologie (8). Marc Luyckx, son auteur, a consulté les experts des principales religions. Cette étude montre que les religions ne peuvent pas être traitées uniquement comme une affaire personnelle et intime mais qu’elles relèvent aussi d’une réflexion collective. Dans la préface à ce travail, Riccardo Petrella, directeur du Programme FAST, présente les quatre questions majeures auxquelles il faut trouver une réponse :

1) L’homme est-il une ‘ressource’ dont la valeur et la pertinence seraient déterminées par les systèmes techno-scientifiques de plus en plus complexes et (considérés) ‘intelligents’?

Qu’est-ce que le corps humain? Est-ce surtout de la matière à manipuler, à expérimenter, à échanger, à vendre? Qu’est-ce qu’une personne humaine au travail? Est-elle une ‘ressource’ au même titre que les ordinateurs, les machines-outils, les plantes…?

2) Quels sont les rapports entre les humains, entre les habitants de la planète d’aujourd’hui? Peut-on, doit-on accepter les inégalités profondes et croissantes entre les individus, les pays, les continents sur le plan des conditions qualitatives d’existence; inégalités rendues encore plus significatives et marquantes par les développements puissants de la science et de la technologie? Les 6 milliards environ de personnes qui habitent la terre actuellement font-elles ou non partie de la même histoire humaine?

3) Quelles sont les relations entre les humains d’aujourd’hui et les générations futures? Les humains d’aujourd’hui peuvent-ils, ont-ils le droit de situer leur action uniquement dans les limites de la ligne d’horizon de leur perception? Peuvent-ils agir sans évaluer les conséquences de leurs actes pour les générations à venir?

4) Quelles sont enfin, les relations entre l’homme (la société humaine) et la ‘nature’. Cette dernière est-elle surtout le champ ouvert à la ‘conquête’ et à la déprédation de la part du premier? 

Cette recherche constitue un point de référence pour notre travail car elle relie la technologie à son contexte social, culturel et religieux. Elle ne sépare pas l’éthique de la science ni la question du sens de la vie du progrès technologique. Il s’agit d’une approche synthétique, globale, des problèmes humains et sociaux . La technologie y trouve un statut de moyen et non de fin et elle ne s’avère pas neutre ni dans ses buts ni dans les conditions de sa naissance.

Il ne s’agit pas d’une analyse exhaustive des religions et des sciences. Cette recherche appelle des approfondissements. Par exemple, l’auteur reconnaît ne pas avoir étudié suffisamment les religions asiatiques. Le confucianisme est à peine traité.

La science, la technique, la technologie et la technoscience

Etude des concepts

Il est nécessaire d’apporter ici quelques précisions de vocabulaire même s’il n’est pas toujours possible de donner des définitions exactes, définitives et acceptées par tous.

Le dictionnaire le “Petit Robert” (9) donne la définition suivante de la science: “Connaissance exacte, universelle et vérifiable, exprimée par des loisLa science traite les questions du point de vue théorique et abstrait tandis que les arts et les techniques abordent l’application de celle-là. Le Petit Robert définit les techniques dans ce sens: “Ensemble des procédés méthodiques, fondés sur des connaissances scientifiques, employés à la production

Les difficultés apparaissent quand on cherche une définition de la technologie. Ce mot varie d’une langue à une autre et il rend compte des choses anciennes et modernes. Les historiens des techniques reconnaissent que la technologie ne peut pas être définie avec précision.

Le Petit Robert la définit comme ceci: “Etude des techniques, des outils, des machines, des matériauxDans l’article consacré à la technologie dans l’Encyclopaedia Universalis cette dernière comprend dans sa difficile définition le contexte socioculturel et les choix économiques liés au processus de production. J.Y. Goffi, dans son livre, “La philosophie de la technique” (10), essaie de trouver la définition la plus juste de la technologie. Il évoque deux définitions données au cours de l’histoire. Pour la première d’entre elles, la technologie serait une application de la science à la technique, c’est-à-dire la technologie serait de la “science appliquée” (p.25). Dans la deuxième définition, la technologie apparaît comme “une étude systématique et rationnelle des procédés techniquesEn réalité, il y a un va-et-vient entre la science et la technique. Parfois les découvertes techniques précèdent les découvertes scientifiques. Les premiers avions ont volé avant l’existence de l’aérodynamique. A d’autres moments, ce sont les découvertes scientifiques qui ont abouti aux changements techniques. La technologie se situe précisément entre la science et la technique et participe à leur pénétration mutuelle. Jean-Jacques Salomon, dans son ouvrage, “Le destin technologique”, place la science au coeur des structures économiques, sociales et culturelles: “La technologie c’est toujours la technique qui passe par la science, qui associe le travail du laboratoire à celui de l’usine, pour agir non seulement sur la nature et les choses, mais aussi sur les hommes et la société, leur mode de production et de consommation, leur organisation et leur système de communication, finalement leur vision d’eux-mêmes: la technologie n’est pas seulement création et transformation d’objets physiques, elle est aussi création et transformation d’objets matériels” (11). La technologie se caractérise par le rationalisme scientifique à la différence des techniques anciennes.

L’usage des technologies

L’usage des technologies relève non seulement des possibilités techniques mais aussi des valeurs et des coutumes sociales. Pierre Bourdieu a montré, par exemple, comment l’usage de l’appareil-photo dépendait aussi bien des caractéristiques techniques que du contexte culturel. Beaucoup de produits auraient pu être fabriqués à partir des découvertes scientifiques et ils ne l’ont jamais été car ils ne correspondaient pas à un besoin, à un rêve ou à une coutume de la société. La logique de l’usage des technologies est aussi une logique sociale. En ce sens, Jacques PerriaultXE “Perriault” affirme dans son ouvrage “La logique de l’usage” : “Bien des facteurs interviennent dans la décision de se servir d’un appareil, de l’abandonner ou d’en modifier l’emploi. Ils ne ressortissent pas tous, et de loin, au registre technologique. Ils sont liés pour une bonne part à la société globale, à son imaginaire, à ses normes” (12). On aurait pu imaginer que les gens allaient garder des enregistrements des voix des membres décédés de la famille dans une cassettothèque ou que toutes les familles allaient faire leur comptabilité à l’aide d’un ordinateur. Pourtant ces possibilités techniques n’ont pas trouvé l’écho escompté par certains dans la population. Le développement des technologies est commandé par conséquent par le marché. Par ailleurs, certaines machines sont utilisées d’une manière différente de celle qu’avaient préconisée leurs concepteurs.

Il est donc nécessaire de placer la technologie dans son contexte social, culturel, politique et économique. Il est impossible de comprendre l’évolution technologique en-dehors du processus social qui l’engendre. La société est marquée par le progrès technologique et celui-ci est influencé par la société. L’application d’une nouvelle technologie correspond à un choix de société et à des valeurs culturelles. Ce processus de sélection et d’innovation n’est pas linéaire et il est difficile de le prévoir à l’avance.

CONFUCIUS ET LE CONFUCIANISME

Le confucianisme est d’actualité. Nombreuses ont été les conférences organisées au cours des dernières années sur les valeurs confucéennes et sur le rôle qu’elles jouent dans le développement en Asie du sud-est.

Qu’est-ce que le confucianisme ? Ce terme est ambigu. Les Chinois préfèrent employer le terme de “rujia” ou “rujiao“, “l’école” ou les “enseignements des lettrés”. Par conséquent, le confucianisme n’est pas tout à fait “la doctrine de Confucius” mais “la doctrine des lettrés”.

Qui était Confucius ? “Confucius” est la forme latinisée par les jésuites humanistes du XVIIè siècle de Kongfuzi, ou Maître Kong (551-479 av. J.C.). Il est né dans le petit Etat de Lu, près de l’actuelle ville de Qufu dans la province de Shandong. Au cours de sa vie, il voyagea beaucoup pour proposer des réformes. Les “Entretiens” de Confucius avec ses disciples rendent bien compte de sa doctrine.

Quant aux Cinq Classiques, considérés comme les textes fondateurs du confucianisme, ils n’ont pas été rédigés, selon les critiques contemporains, par Confucius : le “Livre des mutations” ou Yijing, le “Livre de l’histoire” ou Shujing, le “Livre des poésies” ou Shijing, le “Classique des rites” ou Liji et les “Annales des printemps et automnes” ou Chunqiu. Un sixième classique, le “Livre de la musique”, a été perdu.

Le confucianisme repose sur cinq principes fondamentaux :

la bonté (ren),

l’idéal moral de droiture et de sagesse (yi),

les relations humaines hiérarchiques et respectueuses (xiao) : père-fils, frère plus âgé-frère plus jeune, mari-femme, personne âgée-personne plus jeune, législateur-sujet,

le gouvernement fondé sur l’honnêteté,

les rites (li) : culte des ancêtres, harmonie sociale, discipline…

Mencius proposait la formulation suivante des Cinq Relations : “Entre le père et le fils il doit y avoir l’affection, entre le souverain et le sujet la droiture, entre le mari et l’épouse la distinction appropriée, entre le plus jeune et le plus âgé l’ordre requis, entre les amis la fidélité” (13).

L’essentiel du confucianisme apparaît dans les “Entretiens”. Voici quelques pensées de Confucius qui nous feront mieux comprendre les sources de cette culture (14) :

Sur la piété filiale :

“L’homme de bien travaille à la racine. C’est sur des racines bien ancrées que la Voie peut croître et s’épanouir. Piété filiale et respect des aînés ne sont-ils pas la racine même du ren?” (Livre I, 2).

“Un jeune doit être respectueux, chez lui envers ses parents, en société envers ses aînés. N’étant pas prodigue en promesses, il tient celles qu’il a faites” (Livre I, 6).

“Un homme qui, à la compagnie de femmes, préfère celle des sages, qui se dévoue tout entier à son père et à sa mère, qui met sa vie au service de son prince, qui avec ses amis tient toujours parole, je dis que cet homme-là, même s’il manque d’instruction, a vraiment étudié” (Livre I, 7).

Sur les rites :

Les rites doivent correspondre à des sentiments, sinon l’homme tombe dans l’hypocrisie : “Les plus hauts postes occupés par des hommes bornés, les rites exécutés sans recueillement, les morts honorés sans réelle affliction : comment soutenir un tel spectacle!” (Livre II, 26).

Le respect des traditions ne doit pas être opposé à l’innovation : “Le bon maître est celui qui, tout en répétant l’ancien, est capable d’y trouver du nouveau” (Livre II, 11) (15) .

Sur l’innovation :

“Qui peut extraire une vérité neuve d’un savoir ancien a qualité pour enseigner” (16).

Sur les richesses :

“S’il était possible de s’enrichir sans compromissions, dussé-je me mettre au rang d’un palefrenier maniant le fouet, je serais le premier à le faire. Mais comme tel n’est pas le cas, je poursuivrai sur la Voie qui me tient à coeur” (Livre VII, 11).

“Richesses et honneurs mal acquis ne me sont pas plus que le nuage qui passe” (Livre VII, 15).

“L’honnête homme aspire à la justice, le médiocre aspire au profit” (Livre 4, ch.15).

Sur les relations humaines :

“Ce que je n’aimerais pas que les autres me fassent, pour rien au monde je ne voudrais le faire aux autres” (Livre V, 11) (17).

“Exige beaucoup de toi-même et peu des autres, c’est le moyen d’écarter toute animosité” (Livre XV, 14).

Sur l’amitié :

“J’aimerais posséder chevaux, voitures et manteaux de belle fourrure pour les partager avec mes amis et trouver tout normal qu’ils me les rendent usés” (Livre V, 25).

Sur la loi et l’amour :

“Celui qui connaît la Voie ne vaut pas celui qui l’aime. Celui qui aime la Voie ne vaut pas celui qui y trouve la félicité” (Livre V, 18).

Sur les femmes :

“Les femmes et les gens médiocres sont les moins faciles à traiter : de trop près, ils se croient tout permis; de trop loin, ils vous en gardent rancune” (Livre XVII, 25).

Le confucianisme est-il une philosophie ou une religion ? Il est souvent présenté comme un humanisme. En ce qui concerne la dimension religieuse du confucianisme il y a eu des interprétations différentes, voire opposées. Le discours sur le Ciel demeure quelque peu ambigu. S’agit-il d’un Dieu personnel ou d’une dimension transcendante ? En tout cas il ne s’agit pas d’une religion au sens des grandes religions comme le judaïsme, le christianisme ou l’islam. Il ne ressemble pas non plus au taoïsme, ni au bouddhisme où les croyances religieuses jouent un grand rôle.

Son aspect transcendant a décidé certains spécialistes à classer le confucianisme dans les religions tandis que d’autres experts préfèrent le qualifier d’humanisme ou d’une sagesse.

Dans le confucianisme, il n’y a pas de clergé et le culte officiel revêt un caractère civil. Aujourd’hui, les vrais temples confucéens ont un aspect très dépouillé. Leur sanctuaire central ne présente pas la statue de Confucius, mais une tablette de bois où sont inscrits les mots suivants : “Tablette du maître souverainement sageDans certains temples asiatiques se trouvent ensemble les statues de Confucius, de Bouddha et de Laozi.

Aujourd’hui, le culte des ancêtres reste vivant en Asie. De nombreuses maisons de Hongkong, Taiwan, Corée, et du Japon accordent une place privilégiée à l’autel des ancêtres. On y trouve des tablettes ou des photographies qui évoquent les membres décédés de la famille et à qui sont présentés des offrandes et de l’encens.

Eléments favorables et défavorables attribués au confucianisme

L’influence du confucianisme est aussi certaine que difficile à expliciter. Il est surtout transmis comme système de valeurs par la famille. Cette influence s’avère implicite, diffuse et inconsciente. Les Chinois, les Coréens et les Japonais sont dans le confucianisme comme un poisson dans l’eau.

Cependant, le confucianisme comme culture et système de valeurs ne fait pas pour autant l’unanimité. Ses valeurs sont ambivalentes. Par exemple, l’accent mis sur l’obéissance peut aboutir à une absence d’initiative.

S’il est vrai que “les petits dragons” de culture confucianiste ont connu une grande progression de la productivité, la Chine continentale, berceau du confucianisme, apparaît comme le contre-exemple de cette thèse. Peut-être le confucianisme chinois s’est-il trop cantonné à la sphère familiale ? , s’interrogeait FAST.

Pour les uns, le confucianisme représente un frein et un carcan. Les marxistes ont été particulièrement hostiles à son égard. Le Mouvement du 4 mai 1919 criait le slogan : “A bas Confucius et compagnie!”. La Révolution Culturelle a endommagé ou détruit beaucoup de temples confucianistes. Pour d’autres, son “éthique du travail” joue un rôle moteur dans le développement économique.

Voici la liste de griefs et d’éloges adressée au confucianisme en général. L’étude faite pour chaque pays permettra une prise de position à son égard comme nous le verrons lors des conclusions. Dans les chapitres qui vont suivre, j’aborderai cette problématique en fonction des réponses reçues dans chaque milieu original.

Critiques faites au confucianisme

On a reproché au confucianisme les aspects suivants :

– Caractère féodal et agricole de la société au temps de Confucius. Il y avait peu d’intérêt pour le développement de la production. Pour Confucius, l’harmonie sociale est plus importante que la performance économique (18).

– Aspect trop vertical et hiérarchisé de la société confucianiste. Inégalité dans les relations humaines : homme-femme; père-fils.

– Justification de la polygamie dans l’histoire imputable à une conception extrême du devoir de piété filiale pour assurer le culte des ancêtres.

– Tendance à la rigidité dans les relations sociales par l’ordre confucianiste qui tendrait à favoriser les droits des pères, des maris et des souverains tandis que les devoirs et la soumission seraient davantage le lot des partenaires inférieurs.

– Etouffement de la liberté humaine et de l’initiative individuelle, si nécessaire à l’esprit capitaliste, au nom des vertus passives et conformistes. Par exemple, les employeurs aux U.S.A. ont besoin de montrer aux employés asiatiques que l’initiative fait partie de la loyauté.

– Récupération du confucianisme comme élément de manipulation et de justification par les classes conservatrices au pouvoir.

– Domination des enfants par les parents, des femmes par les hommes. Un ordre social tourné vers le passé et non pas vers l’avenir.

– Dans le domaine de l’éducation, tendance à privilégier l’apprentissage par coeur (esprit conservateur) au lieu de développer l’esprit de raisonnement et d’innovation.

– Patriarchalisme et autoritarisme.

– Absence de rationalisation, avec des exceptions historiques comme le gouvernement de l’empereur Tang Tai Zong ( dynastie Tang). A cette époque-là le confucianisme était très créateur par rapport à la vision économique de la bureaucratie chinoise.

– Vision élitiste de l’homme.

– Vision anti-féministe. Confucius vivait dans une société de type patriarcal où la fille était considérée comme “une marchandise sur laquelle on perd de l’argent”, puisque la fille quittait la famille pour se mettre au service du mari tandis que le garçon qui se mariait devait veiller au bien-être des parents. Investir dans l’éducation des filles équivalait par conséquent à travailler au bénéfice des autres.

– Formalisme et rigidité.

– Hypocrisie. Au lieu d’être exigeant envers soi-même, on le serait envers autrui.

– Absence de démocratie. Les examens n’empêchèrent pas le système d’engendrer des inégalités et des groupes de pression.

– Paternalisme et népotisme. Despotisme éclairé.

– Légalisme.

– Encouragement de l’amour hiérarchique et non de l’amour universel.

– Fatalisme. Acceptation des abus et des erreurs des supérieurs.

Avantages attribués au confucianisme

– Harmonie et stabilité sociales.

– Source d’innovation et de dynamisme économique (19).

– Mise en valeur de l’éducation et de l’étude (20).

– Importance accordée au respect, à l’ordre et l’obéissance.

– Développement de l’esprit communautaire et de la solidarité face à l’individualisme contemporain (21).

– Ethique du travail bien fait.

– Sens de la dignité humaine et des valeurs morales par rapport à la permissivité extrême.

– Source d’identité culturelle face à l’Occident.

– Facteur de sagesse, le confucianisme peut apporter un idéal moral aux systèmes éducatifs asiatiques et occidentaux (22). En ce sens, France H. Conroy plaide pour l’incorporation des principes de Confucius dans le système éducatif des Etats-Unis afin de parer aux défauts de l’école : instrumentalisme, manque d’ouverture pour l’auto-réalisation, trop de pragmatisme, carriérisme, consumérisme, recherche de l’argent et du statut personnel, égoïsme… (23).

– Elément culturel favorable à l’épargne, à la sobriété et à la prévoyance. Confucius exhortait les personnalités de son temps à restreindre leurs désirs.

– Défense de l’honneur familial qui peut pousser les hommes à entreprendre. Le confucianisme serait alors une “force d’appoint” pour le développement. Il encourage l’individu à travailler pour sa famille (24).

– Loyauté, sincérité et sens des responsabilités, qualités qui facilitent la bonne gestion des entreprises.

– Mise en valeur non seulement du “dire”, mais aussi du “faire”.

– Dans le contexte d’une éducation multiculturelle, le confucianisme soutient les “valeurs humaines” : sincérité, égalité, justice, courage, compassion (25).

– Le confucianisme reste vivant chez les immigrés asiatiques aux Etats-Unis. Il devient nécessaire de tenir compte de cette donnée dans les pays qui accueillent ces réfugiés, surtout dans les méthodes pédagogiques appliquées aux enfants. Les Etats-Unis ont beaucoup réfléchi à cette question (26).

– Le confucianisme accorde un rôle aux personnes âgées dans la transmission de la sagesse (27).

– Solution des conflits grâce au système de la médiation. Vu le coût élevé des procès, il serait intéressant d’examiner cette possibilité offerte par la tradition confucéenne (28).

Le confucianisme tel qu’il est vécu et pensé dans les “cinq petits dragons”

Singapour

Cette ancienne colonie anglaise représente un mélange de culture occidentale et asiatique. Elle a été considérée comme un laboratoire de la modernisation chinoise. Ayant bénéficié du système légal et éducatif de tradition britannique, Singapour souhaite aujourd’hui parvenir à l’harmonie sociale et religieuse, tout en acceptant les différentes religions qui y sont présentes. Cela ne va pas sans difficultés. Les intellectuels de formation occidentale trouvent le système actuel trop rigide et paternaliste. Ils aspirent à un système davantage libéral et démocratique. Le gouvernement, de son côté, défend le système corporatiste au nom de l’efficacité économique.

Dans le contexte pluri-ethnique de Singapour, le gouvernement veille à sauvegarder l’harmonie religieuse, toujours fragile. C’est ainsi qu’il a publié il y a quatre ans un texte officiel où il essaie de mettre des limites à l’action des religions (29). Les autorités du pays craignent l’utilisation de la religion à but politique et le prosélytisme agressif de certaines confessions religieuses. Mais il est aussi des Singapouriens qui se plaignent du manque de liberté et de justice.

La majorité de la population, d’origine chinoise, est marquée par le confucianisme. Depuis une dizaine d’années, le gouvernement de Singapour favorise l’étude et la diffusion de la tradition confucéenne. Lee Kwan Yew, qui avait travaillé à l’occidentalisation de la république et qui avait fermé en 1980 l’Université chinoise de Nanyang sous prétexte que la langue de l’économie était l’anglais, a créé en juin 1983 un Institut des Philosophies de l’Asie Orientale avec le but suivant : “Faire progresser la compréhension de la philosophie confucianiste à Singapour et clarifier ses applications pratiques de manière à dégager de quelle façon une philosophie ancienne (et souvent discréditée) peut être réinterprétée pour répondre aux besoins des sociétés modernes de l’Asie orientale. Le champ des recherches pourra éventuellement être élargi, au-delà du confucianisme, aux autres philosophies orientales” (30). Dans une interview accordée au journal Le Monde, Lee Kwan Yew pense qu’il existe un modèle asiatique de développement : “Nous avons un dénominateur commun, une tradition culturelle qui place l’intérêt commun au-dessus de celui de l’individu. Ce qui a grandement facilité l’épargne ou les investissements d’infrastructure” (31).

Le terme “culture confucéenne” a été utilisé pour distinguer Singapour des cultures islamiques environnantes (Indonésie, Malaisie).

En 1984, le gouvernement de Singapour avait préparé le lancement d’un programme scolaire sur le confucianisme de manière à réactualiser l’ancienne culture chinoise. Il ne s’agissait pas tant de fonder les bases d’une nouvelle éthique de développement que de contrecarrer l’influence négative du matérialisme ambiant, de développer la cohésion sociale et l’identité chinoise (32).

Ce projet a été abandonné avant même sa mise en application. Mais sa préparation a donné lieu à toute une réflexion sur le confucianisme dans la presse et dans les milieux intellectuels. Des personnalités des universités asiatiques et américaines se sont exprimées à cette occasion sur les avantages et les inconvénients du confucianisme.

Jean Charbonnier, des Missions Etrangères de Paris, spécialiste de la Chine, m’a facilité l’accès à toutes ces publications sur le confucianisme. Un véritable débat public sur la morale confucéenne a eu lieu dans la presse singapourienne pendant plusieurs années. Pour Jean Charbonnier, le confucianisme comporte des limites pour le développement parce qu’il n’accorde pas assez d’importance au profit.

Par ailleurs, Victor T. ValbuenaXE “Valbuena” (Ph. D. Senior Progamme Specialist. Asian Mass Communication Research & Information Centre) me rappelait lors de notre entretien à Singapour, que le confucianisme est un facteur positif pour les affaires en fonction de la stabilité qu’il apporte, de sa conception positive du travail et des richesses. En revanche, il le considère négatif pour la démocratie sociale (société confucéenne hiérarchisée).

Le Dr. Gwee Yee Hean, directeur de la Banque Industrielle et Commerciale de Singapour, pense que les vertus confucéennes de loyauté et de travail bien fait peuvent favoriser le développement. Mais il estime qu’il n’y a pas dans Confucius de véritables enseignements pour le développement et le monde des affaires d’aujourd’hui. Le confucianisme, d’après lui, devrait absorber d’autres sources de valeurs. A lui seul, il serait insuffisant et inadapté aux besoins contemporains (33).

Elwing Thomas (34) considère que la modernisation de Singapour n’a pas influencé la piété filiale, concept-clé de son développement moral.

Pour certains économistes, le culture de la piété filiale s’avère incompatible avec le libéralisme. Tout ceci fait resurgir un vieux contentieux (35).

L’étude représente à Singapour une valeur sacrée (36).

Tous les observateurs de la société singapourienne ne sont pas d’accord avec la thèse qui fait de l’éthique confucéenne la clé du succès à Singapour : paix sociale, absence de délinquance et de drogue, plein emploi… Janamitra Devan aime à rappeler que cette théorie est récente puisque les fondateurs de la nouvelle société singapourienne n’ont jamais fait officiellement mention du confucianisme. Leur idéal reposait sur un équilibre philosophique et religieux qui éviterait de donner la prééminence à l’une ou l’autre des religions et qui faciliterait ainsi le progrès économique et la cohésion sociale (37).

Tu Wei-MingXE “Tu Wei©Ming”, professeur de philosophie et d’histoire de Chine à l’université de Harvard, a étudié le confucianisme à partir de la thèse de Max Weber, pour qui la Chine ne s’était pas développée à cause du confucianisme qui ne favorisait pas la spécialisation dans le travail. Selon M. Weber, les Chinois étaient des humanistes qui cherchaient leur auto-réalisation en étant poètes, artisans, artistes, philosophes… Mais ce qui apparaissait comme un obstacle à Max Weber est considéré par le “management” d’aujourd’hui comme une chance. Les nouvelles méthodes de direction d’entreprise comporteraient une dimension sociale plus large et une vision pluridisciplinaire.

Dans les années 1960, tout un groupe d’intellectuels (historiens, sociologues, spécialistes des sciences politiques) se mirent à étudier le confucianisme aux U.S.A. A quelques exceptions près, ils étaient arrivés à la conclusion que l’éthique confucianiste est incompatible avec la modernisation et que son niveau de rationalisation appliqué à l’économie était bas (38). Ceci ne veut pas dire que le confucianisme soit une philosophie à écarter d’office face aux besoins du développement. Tu Wei-Ming plaide pour une combinaison des qualités occidentales pour l’utilisation rationnelle des ressources et des qualités éthiques confucianistes. L’ingrédient confucianiste pourrait jouer alors un rôle bénéfique.

En guise de conclusion, nous pouvons dire que le confucianisme est vivant à Singapour. Il marque les mentalités et le comportement des Chinois. Les valeurs évoquées (respect filial, étude, harmonie et stabilité sociale…) favorisent la création d’entreprises et l’usage des technologies nouvelles. Mais le confucianisme fait figure alors d’élément positif parmi d’autres. Il n’explique pas à lui seul le développement et l’usage des technologies industrielles. L’idéologie capitaliste joue un grand rôle dans l’essor économique de cette île.

Hongkong

Hong Kong vit des temps difficiles. Ce pays est en crise. Mais pour les Chinois, le mot “crise” est fait de deux caractères : danger et opportunité d’avenir. Face au danger, les habitants de Hongkong réagissent en travaillant de façon ardue et tenace et en faisant preuve d’une grande capacité d’adaptation aux situations nouvelles.

Ambrose Yeo-chi King, professeur de sociologie à Hongkong, a écrit plusieurs articles pour expliquer l’évolution du confucianisme au cours des dernières années. Il rappelle que la culture confucianiste fait de l’homme un être en relation permanente avec les autres, d’où l’importance de la “face” et des relations personnelles (39). Le réseau de relations établies est un facteur de réussite sociale : culture, famille, religion, formation, études, langues…

A. King n’est pas d’accord avec M. Weber qui voyait dans la piété filiale confucéenne un obstacle au développement du capitalisme en Chine. Pour A. King, les Chinois ont su adapter les relations familiales aux nécessités et aux enjeux économiques (40).

Le confucianisme serait ainsi devenu “un traditionalisme rationaliste” (“rationalistic traditionalism”). Il entend par là que les traditions ont été adaptées aux besoins économiques. Par exemple, l’esprit de famille est utilisé quand il est rentable et non de manière obligatoire. Le peuple chinois a su faire preuve de pragmatisme : “En Asie les choses pratiques sont la vérité” (A. King). Les gens gardent les traditions, mais ils ne sont pas traditionalistes. Pour A. King, M. Weber n’avait pas compris cet aspect. A. King estime que la société chinoise actuelle se trouve dans une phase “post-confucéenne”. Le confucianisme n’est plus “un monde possible”, mais il peut apporter ses valeurs morales.

Selon A. King, le confucianisme connu par M. Weber pourrait s’appeler “confucianisme impérial” ou “confucianisme institutionnel”. Il était formé d’un ensemble d’institutions bureaucratiques comme le système d’examens. Tandis qu’aujourd’hui le confucianisme de Hongkong est “un confucianisme social” (“social confucianism” or “vulgar confucianism”), c’est-à-dire un ensemble de valeurs vécues par l’homme de la rue. Ces valeurs sont transmises par le système d’éducation familiale puisque le confucianisme ne fait plus partie de l’Etat. Il n’agit plus en tant que force vivante, à l’état pur. Il est mélangé avec d’autres valeurs. Il s’agit d’un arrière-plan culturel.

Les auteurs qui ont étudié les causes du non-développement de la Chine peuvent être classés en deux catégories. Ceux qui attribuent l’échec aux institutions et aux structures seraient appelés “l’école institutionnalise” tandis que ceux qui l’attribuent aux valeurs confucéennes seraient désignés comme “culturalistes” (41). M. Weber attribuait l’échec de la Chine à son système de valeurs.

La famille revêt une grande importance à Hong Kong où la vie est dure. Il n’y a ni sécurité sociale ni retraite. La solidarité familiale remplit ces fonctions (42). Il existe beaucoup d’entreprises familiales, ce qui entraîne souvent le paternalisme et le népotisme. Les crises parviennent souvent à la troisième génération (cf. M. Brosseau) (43). Les Chinois vouent leurs forces à la famille dans une perspective à long terme (44).

Les entreprises sont de plus en plus attachées aux valeurs morales qui ne sont plus considérées comme idéal abstrait et irréalisable, mais comme une garantie de succès dans les relations économiques (45).

Pour Kwok-Wing Chau (46), la philosophie confucéenne accentue l’harmonie et le compromis lors des conflits sociaux.

A Hongkong, le confucianisme ne se trouve pas à l’état pur. Il connaît des adaptations aux nouvelles situations économiques. Ses valeurs traditionnelles sont en baisse à cause de la destructuration familiale et de la société matérialiste de consommation. La recherche du gain est particulièrement accentuée dans ce pays marqué par un futur incertain et une idéologie capitaliste forte. C’est dans ce contexte que la base culturelle confucéenne exerce une influence relative et positive sur l’usage des nouvelles technologies industrielles à travers les entreprises familiales et le désir d’apprendre et de réussir.

Les intellectuels chinois y réfléchissent au confucianisme sans vouloir le présenter comme un système d’identité culturelle comme avait essayé de le faire Singapour, puisque ces deux pays n’ont pas les mêmes problèmes d’harmonie religieuse.

Taiwan

Daniel Ross S.J., directeur du Département de Sociologie à Fu Jen University, estime que le développement de Taiwan ne dépend pas des valeurs morales, ni des religions, mais de la recherche de l’argent qui est aussi considéré comme une valeur importante. Il interprète le regain du confucianisme comme “un besoin ressenti par les Chinois de se prouver à eux-mêmes que la tradition confucéenne est bonne

Les valeurs confucéennes n’ont pas pour autant disparu. A Taiwan, l’anniversaire de la naissance de Confucius, “le professeur des professeurs”, “le sage des sages”, est célébré comme fête nationale, le 28 septembre, en présence du maire et des hauts fonctionnaires en robe bleu sombre et jaquette noire. Du vin et de la viande sont offerts rituellement au temple de Confucius tandis que des jeunes étudiants dansent un répertoire datant de la dynastie des Ming.

Le gouvernement souhaite développer ces traditions confucéennes. Par exemple, la présidence du Yuan des examens (organe de l’Etat qui contrôle tous les concours nationaux de recrutement) a été confiée en août 1984 à un descendant de Confucius, de la 72ème génération, le professeur Kong Decheng.

Conformément à la tradition confucéenne, Taiwan accorde la priorité à l’éducation. L’éducation morale à Taiwan promeut l’altruisme et la discipline personnelle (47).

A Taiwan il y a le désir explicite et officiel d’honorer la culture confucéenne. Celle-ci influence l’usage des technologies industrielles à partir des valeurs éducatives et de l’entreprise familiale. La conception capitaliste de la direction des entreprises, importée des Etats-Unis, est beaucoup dans le développement de cette île.

Le confucianisme favorise les relations internationales entre les Chinois de Taiwan et ceux du reste du monde. Ce fond culturel ancien et commun , mélangé au désir de gagner la bataille économique mondiale, joue un rôle positif dans l’application des nouvelles technologies découvertes dans le monde entier.

Japon

Le confucianisme a été la première religion étrangère à pénétrer dans le pays. Il fut introduit de Chine, via la Corée, en 284 ap. J.C. Le bouddhisme fut aussi introduit par la Corée en 552 ap. J.C.. Une haine féroce oppose ces deux peuples, malgré ces liens historiques et religieux.

Nakane Chie, sociologue japonaise, définit son pays comme une société verticale et hiérarchisée, où l’âge, l’ancienneté et le grade jouent un rôle social important. Comment ne pas y voir une influence du confucianisme ?

Malgré la politique laïque en matière d’éducation, le confucianisme reste influent dans l’éducation familiale ou à l’école .

Michio Morishima, professeur à la London School of Economics and Political Science, a étudié les rapports entre la technologie et le confucianisme (48). Le Japon a adopté la technologie occidentale en gardant ses propres valeurs culturelles. M. Morishima réfléchit, à la manière de Max Weber, sur l’influence de l’éthique japonaise sur ce succès économique.

Les premiers “modernisateurs” du Japon jouissaient d’une formation littéraire confucianiste et d’une formation scientifique occidentale. Leur but était “l’enrichissement du pays et le renforcement de l’armée” en accord avec la tendance confucianiste assez utilitaire à cette époque-là (49). Le nationalisme a joué un rôle moteur dans le développement du Japon.

C’est ainsi qu’il arrive à répondre à la question qui revient chaque fois qu’il est question du confucianisme et du développement : “Comment se fait-il que la Chine, de tradition confucianiste, ne soit-elle pas développée alors que d’autres pays asiatiques de culture chinoise connaissent une grande croissance économique Pour M. Morishima l’explication se trouve dans les valeurs différentes qui caractérisent le confucianisme japonais. Le mot-clé de celui-ci est la loyauté, tandis que le confucianisme chinois soulignait l’importance de la bonté : “En outre, la signification de la loyauté (en chinois, chung, en japonais, chu) n’était pas la même au Japon qu’en Chine (…) Etre loyal en Chine signifiait être honnête vis-à-vis de soi-même et de sa propre conscience, tandis qu’au Japon, même si le mot était aussi employé dans le même sens, dans le langage courant, il comportait en plus des notions de sincérité et de total dévouement au service d’un seigneur, dévouement qui allait jusqu’au sacrifice de soi, à l’abnégation personnelle” (p. 22). L’obéissance de type militaire aux ordres comptait davantage que la conscience de l’individu. Aujourd’hui encore, nous constatons la supériorité du groupe par rapport à l’individu dans l’entreprise.

Max Weber attribuait à l’attitude mentale des confucianistes l’échec économique de la Chine. Selon cet auteur, le confucianisme favorisait l’adaptation rationnelle de l’homme au monde, mais il ne suscitait pas la maîtrise du monde de manière rationnelle, caractéristique de l’éthique protestante.

M. Morishima prouve à travers l’étude du confucianisme dans l’histoire du Japon comment la valeur de la loyauté a marqué les mentalités des Japonais et comment elle a façonné le système économique japonais.

Il est bon de rappeler ici l’influence du confucianisme sur la bureaucratie de l’administration alors que la religion de l’empereur restait le shintoïsme.

De son côté, Julia Ching confirme cette différence entre le confucianisme chinois et le confucianisme japonais : “Tandis que les confucianistes chinois et coréens étaient des fonctionnaires-intellectuels, les confucianistes japonais étaient des intellectuels-samouraïs, des guerriers ne se séparant jamais de leur épée et toujours prêts à mourir glorieusement, selon le code éthique appelé Bushido (la voie des guerriers). C’est là une différence essentielle entre le confucianisme au Japon et la tradition correspondante en Chine et en Corée. S’agissant des Cinq Relations, les Chinois ont mis l’accent sur la relation parents-enfants, célébrant ainsi la piété filiale, tandis que les samouraïs japonais se sont davantage attachés à la relation souverain-ministre, avec l’engagement d’une fidélité absolue de génération en génération” (50).

A la lumière du confucianisme, axé sur la vertu de loyauté, nous pouvons comprendre le fonctionnement de la société japonaise : fidélité à l’entreprise (“On reste dans une entreprise comme on reste dans une famille”), dévouement au travail, esprit nationaliste et guerrier, sobriété et frugalité, anti-individualisme, paternalisme des supérieurs… Au Japon, le confucianisme était militaire et nationaliste tandis que la Chine vivait un confucianisme civil. Cet esprit nationaliste subsiste. Schoichiro Toyota, directeur de Toyota, a déclaré que l’entreprise ne deviendra pas tout à fait une multinationale afin de ne pas sacrifier l’intérêt national en faveur de celui de l’entreprise (51). M. Morishima voit donc dans le confucianisme la clé du système japonais. Un autre auteur, Frank Gibney, pense aussi que les Japonais sont des “capitalistes confucéens” : “Alors que notre sphère économique s’est développée à partir de l’éthique chrétienne de l’individu, la leur (celle des Japonais) s’est développée à partir de l’éthique confucéenne des relations” (52).

L’armée a servi de modèle pour la société japonaise depuis le XVIIe siècle. Le sens de l’étiquette, le loyalisme et le penchant pour la vie de groupe sont des caractéristiques qui rappellent les sources confucianistes. Pour José de Vera, “le confucianisme constitue la moelle de la culture japonaise, mais il s’agit d’un phénomène inconscient

Selon M. Bourène, le système d’éducation japonaise forme les gens aptes à obéir. Il en résulte une société fiable, mais non-inventive. Au Japon, on se sent en sécurité. Le terme “sûr” est un mot-clé : travail sûr, précis, professionnel. Dans certains pays d’Europe, l’éducation fondée sur la valeur de la personne développe l’instabilité et l’innovation en même temps.

Les avantages de l’harmonie et de l’uniformité sont doublés de plusieurs inconvénients dont celui d’une absence inquiétante de créativité. Les experts se demandent si l’absence de création ne mettra pas un frein au développement du Japon qui a excellé dans l’art d’améliorer la production de produits créés par d’autres : “Il s’agit d’un peuple qui n’invente pas de théories” (53).

Le travail représente une valeur capitale au Japon. Le devoir public ou professionnel passe même avant les devoirs familiaux (par exemple, s’occuper des membres malades de la famille). Le rôle social et le travail accompli pour le pays font partie de l’épine dorsale de la culture japonaise. Le Japonais estime que travailler pour son pays ou pour son entreprise donne un sens à la vie. Le travail fait figure parfois de valeur religieuse. Dans la tradition shintoïste, le travail peut être envoyé par les ancêtres (54). Des entreprises comme Minolta, Canon, Nissan et Kirin Brewery ont installé des lieux de prière où les employés peuvent honorer leurs collègues décédés et prier aussi pour la croissance de la société (55).

L’employé reste normalement dans l’entreprise. S’il en change souvent, il n’est pas considéré comme un homme stable, digne de confiance. Cela dit, les Japonais changent maintenant deux ou trois fois d’emploi dans leur vie.

Le travail en équipe constitue la force du Japon. Il met en synergie les dons de chacun. La tradition confucianiste a apporté le sens du travail et le sens de la responsabilité collective. Les Japonais n’ont pas habituellement une productivité supérieure à celle des Occidentaux, mais ils travaillent longtemps.

Au Japon les bureaux ne sont pas séparés. Les employés s’aident. Ils se surveillent, mais il y a entre eux une constante communication. L’information est mise à jour de manière permanente. Ils communiquent beaucoup avant de prendre une décision. Les responsables prennent tout leur temps pour expliquer les problèmes et les solutions possibles. Chacun peut poser des questions et donner son avis. Une fois que la décision est adoptée, elle ne sera pas remise en question. Combien de fois dans les entreprises françaises, les employés ne renversent-ils pas les décisions prises par les supérieurs ? Serge Platard, Conseiller pour la science et la technologie à l’ambassade de France (Tôkyo) estime que les Français ne sont pas loyaux : “En France il y a dichotomie entre production et éthique. Aussi sommes-nous souvent en porte-à-faux. Les décision sont imposées tandis qu’au Japon on cherche davantage le consensus

Les Japonais ne parlent pas de vacances, mais de travail (56). Jusqu’à une époque récente, ils ne prenaient généralement que dix jours de vacances par an. Les heures supplémentaires ne sont pas nécessairement rétribuées. La notion de grève leur est étrangère : “Au Japon, quand un ouvrier est en grève, il le manifeste en portant un brassard. Mais il continue de travailler” (G.Tranchant, associé de Sony France) (57). Dans ce contexte, les Occidentaux sont souvent considérés par les Japonais comme des dilettantes ou des paresseux.

Les Japonais trouvent tout de même qu’ils travaillent excessivement. La vie dans leur pays est dure. Si le Japonais n’a pas l’habitude de se plaindre, cela ne signifie pas nécessairement qu’il est heureux. D’autre part, le manque de liberté gêne les aspirations d’un certain nombre de jeunes (58). Le mot “karôshi” désigne la mort causée par l’excès de travail. Aujourd’hui les Japonais aspirent à améliorer la qualité de leur vie en menant une existence plus calme et dans des maisons plus spacieuses.

Sur le plan de la communication, le système “ringi” permet à chacun d’émettre une idée et de proposer aux collègues un changement qu’il retranscrit sur une feuille de façon à recevoir toutes les remarques éventuelles. Ce processus fonctionne jusqu’à la prise de décision au moment du consensus et de l’approbation générale (59). Ceci correspond à la maxime de René Mc Pherson : “La seule façon de rester en éveil est de ne jamais cesser de demander aux gens ce qu’ils pensent” (60).

Le Japon s’est développé après l’humiliation de 1945 en relevant le défi économique face à l’Occident. S’il est vrai que les Japonais ont l’impression d’avoir atteint le sommet, comme le pense le professeur Tomomasa Imai de l’Université de Tôkyo, il devrait s’ensuivre un déclin progressif. Ce manque de motivation les empêcherait d’aller plus loin, alors que de “petit dragons” comme Hong Kong et Taïwan aspirent à monter dans l’échelle économique mondiale. Selon Serge Platard, dans dix ou quinze ans il y aura en Asie plusieurs “Japons”.

En apparence, les religions et la culture traditionnelle du Japon n’ont pas grande influence sur la technologie et l’économie. Pourtant, il y a une influence implicite forte : “Les Japonais n’y pensent pas, mais ils ressemblent au poisson dans l’aquarium. Ils sont plongés dans une société marquée par des valeurs religieuses. En Europe on a pensé la question de la technologie et de la religion en s’en éloignant. Au Japon, il n’y a pas cette distance. On y baigne” (61).

Malgré l’ignorance religieuse des Japonais, leur société est marquée par le caractère sacré et éternel du monde : “La soi-disant occidentalisation ou américanisation est superficielle. De même qu’il a adopté et assimilé dans son magma culturel et religieux toutes les divinités venant de l’extérieur (Bouddha, Empereur céleste chinois, Christ) au cours de son histoire, le Japon continuera à le faire tant qu’il n’aura pas de conquête d’envergure. Cela signifie que la probabilité est grande pour que la société japonaise reste longtemps stable et conserve sa structure fondamentale, car le caractère sacré de ses édifices structurels trempe ses racines dans la dimension profonde du religieux qui n’est pas susceptible de changer brusquement. La seule possibilité de changement à ce niveau est le relâchement de ce caractère sacré, comme par le passé, il entraînerait la réaction “restauratrice” de la société comme se sont succédé toujours la croissance et la décroissance régulière de la lune” (62).

Maurice Bourène (63) pense aussi que les changements au Japon sont très lents malgré les apparences. Il y aurait trois cercles concentriques pour expliquer l’évolution du Japon. Un premier cercle, assez superficiel, d’une durée d’un an correspondrait aux modes : musique, publicité… Un deuxième cercle concernant la vie familiale et sexuelle changerait tous les dix ans. Le troisième cercle, beaucoup plus profond et imperceptible, constituerait le coeur de la culture japonaise. Très lent, il comprendrait une centaine d’années (64).

Serge Platard, Conseiller pour la science et la technologie à l’ambassade de France à Tôkyo, distingue deux générations au Japon. Les jeunes consomment beaucoup. Une autre génération, plus âgée, produit de la haute technologie, mais elle est moins portée à la consommation. Il est des patrons qui vivent comme des ascètes. Ils constituent la force du pays (65).

Dans ce contexte, des questions surgissent : Si le Japon se lance dans la consommation, que deviendra-t-il ? Le Japon arrivera-t-il à produire et à garder son éthique ? Les Japonais vont-ils vers un affaiblissement ? Les jeunes vont-ils remettre en cause les valeurs confucéennes ? Serge Platard pense que la société japonaise est d’une certaine manière une société féodale où l’on travaille pour un supérieur. L’autorité hiérarchique est bien vue au Japon. Les supérieurs travaillent au développement de la production. A la lumière de l’histoire, il est permis d’imaginer pour le Japon une absorption des changements sociologiques à l’intérieur de sa culture.

Le système confucianiste a favorisé à travers ses valeurs l’application des nouvelles technologies industrielles.

Corée du Sud

L’influence du confucianisme a été plus forte en Corée qu’au Japon. Ce sont surtout les générations nées avant 1950 qui sont marquées par ses principes (66). Deux fois par an a lieu la cérémonie en honneur de Confucius dans la Sung Kyun Kwan University (Séoul). A cette occasion, les Coréens confucianistes participent à une fête truffée de sermons, d’offrandes et de musique. Comme dans les autres pays visités, le confucianisme reçoit des critiques et des éloges. La loyauté et le paternalisme qu’il est possible de retrouver dans les entreprises coréennes proviennent du confucianisme (67).

Il demeure une controverse. En effet, les Coréennes reprochent au confucianisme son attitude négative envers la femme. Dans l’ancienne doctrine confucéenne, il était dit au sujet de la femme : “Quand elle est jeune, la femme doit suivre son père; quand elle est mariée, elle doit suivre son mari; quand elle est veuve, elle doit suivre son fils aîné” (68).

Dans le domaine de l’éducation, les garçons recevaient une formation et faisaient l’objet de l’admiration, tandis que les filles restaient éloignées de la culture (69). Aujourd’hui l’influence du confucianisme sur l’éducation des enfants est reconnue par des auteurs comme Myunghee Han (70).

Il est un proverbe sur les relations humaines en Corée : “Quand quelqu’un a deux fois ton âge, traite-le comme un père; quand il a dix ans plus que toi, traite-le comme s’il s’agissait de ton frère aîné; s’il a cinq ans de plus que toi vous pouvez marcher ensemble mais tu dois rester un peu en retrait par rapport à lui

Au cours d’un séminaire qui s’est tenu à Séoul en 1990, quatre professeurs, deux Coréens et deux Allemands, se sont exprimés au sujet du confucianisme (71). Im Dong-Cheoll de l’Université Sung Kyun Kwan, a plaidé pour les bienfaits du confucianisme : liens familiaux, valeurs éthiques… Rolf Trauzettel de l’Université de Bonn a soutenu la thèse opposée. Le confucianisme serait plutôt un obstacle au développement à cause de son système féodal, rigide et patriarcal, son éthique conservatrice et son élitisme. Il a mis en garde contre toute idéalisation du confucianisme.

Song Young-Bae de l’Université Nationale de Séoul a critiqué le confucianisme qui réduirait les problèmes sociaux aux dimensions de l’éthique individuelle. Mais il a trouvé dans cette tradition une bonne voie spirituelle, opposée au matérialisme. N’oublions pas que la Corée du Sud arrive en tête pour le pourcentage des suicides dans le monde (72). Ces problèmes sociaux graves appellent le correctif éthique des valeurs culturelles. En effet, ces suicides, qui ont surtout lieu au printemps, correspondent à un état social de découragement et de manque d’espoir.

Quant à Helwig Schmidt-Glinzer de l’Université de Munich, il a dénoncé l’absence de démocratie de la Chine, de tradition confucéenne, ainsi que l’élitisme social comme moyen de salut.

Norbert Tracy, professeur à l’Université de Sogang, m’a rappelé que les Japonais avaient utilisé l’idéologie confucianiste pour opprimer la Corée. Il est opposé aussi à toute vision idéaliste du confucianisme qui ne tiendrait pas compte de son histoire marquée par la corruption et l’injustice. D’après ce professeur de l’Institut d’éducation (Université de Sogang), le confucianisme constitue encore aujourd’hui une seconde nature pour les Asiatiques.

Le confucianisme a été dénoncé aussi en tant que vision fermée de la société, intolérante et autoritaire, au point que certains parlaient il y a vingt ans du sadisme des classes dirigeantes et du masochisme des dirigés (73). Le “management” confucéen étoufferait l’innovation et la créativité (74).

Selon MacMahon (75), “le confucianisme est contre la production, le travail manuel, le commerce et les affaires. L’essentiel se trouve dans le développement personnel, ce qui n’est possible quand l’homme s’occupe des affaires. Cela dit, il défend des valeurs qui aident la croissance : travail bien fait, respect de la hiérarchie, amour de l’étude, loyauté…” (76).

Nous pouvons conclure que le confucianisme coréen favorise l’usage des nouvelles technologies industrielles à travers ses valeurs traditionnelles: étude, droiture, respect… Mais l’impact de la culture américaine est fort dans ce pays. L’esprit capitaliste y figure comme un grand moteur de développement ainsi que le désir de revanche sur le Japon.

Conclusions générales et prospective

Après avoir fait la présentation des différentes théories sur l’influence, les avantages et les inconvénients du confucianisme, il me semble que nous pouvons tirer les conclusions générales suivantes :

1) Aujourd’hui la technologie n’est plus considérée comme neutre et objective. Elle naît et se développe en fonction du contexte social et culturel. La “culture économique” avec ses valeurs et le réseau de relations économiques et sociales qu’elle crée marque l’usage des technologies, l’innovation technologique et le développement.

Le confucianisme n’apporte pas de réponse directe aux questions actuelles de la technologie et du développement. Il n’a pas élaboré de théorie à cet égard. Il n’y a pas non plus de projet confucéen de société pour aujourd’hui.

Son influence dans la culture et dans l’entreprise est bien réelle, même s’il s’agit la plus part du temps d’un phénomène inconscient pour les personnes elles-mêmes. Un Chinois disait; “Nous faisons du confucianisme comme Monsieur Jourdain faisait de la proseSon impact sur l’usage des technologies est indirect par l’entremise de l’éducation et de l’éthique. La valeur attribuée à l’étude a favorisé l’application des découvertes scientifiques. Le travail en équipe et la loyauté envers les responsables ont joué comme des éléments multiplicateurs dans l’économie, particulièrement au Japon.

2) Le confucianisme coexiste et il partage son influence avec d’autres religions comme le taoïsme pour les pays de culture chinoise ou le shintoïsme pour le Japon. Le confucianisme comporte une dimension transcendante qui enracine les valeurs culturelles dans une vision religieuse de l’homme et du monde.

3) Il n’y a pas eu un type de confucianisme unique, mais plusieurs types de confucianisme en fonction des pays et de leur histoire : la Chine, le Japon … Il met toujours en valeurs les relations humaines par rapport à l’individu.

4) Le confucianisme manifeste son ambivalence à l’égard de la technologie et du développement. Il se méfie du profit, mais il limite les désirs et favorise ainsi l’épargne qui sera investie. Il encourage la stabilité et l’obéissance mais il freine l’initiative privée et l’esprit de création. L’honneur familial peut promouvoir les affaires et l’investissement, mais la structure familiale de l’entreprise est susceptible conduire aussi au patriarchalisme et à la rigidité. Il respecte les personnes âgées, mais il peut entraver l’élan des jeunes. Dans certaines circonstances, il peut constituer un frein au développement comme l’estimait Max Weber, mais à l’heure actuelle ses valeurs morales positives l’emportent sur ses limites.

5) Très souvent, les limites du confucianisme sont corrigées de manière pragmatique par les autres courants culturels : le libéralisme économique, la culture occidentale, les autres religions du même pays…

6) Le modèle de fonctionnement des “petits dragons” n’est pas transposable partout ailleurs. Leur sens de l’obéissance, de la loyauté et de la vie en groupe serait difficilement accepté en Occident.

7) L’Occident peut aussi apprendre de cette sagesse confucéenne : le respect des aînés, l’attachement à l’étude, l’idéal humain… Elle demeure aussi un idéal à pratiquer pour les Asiatiques eux-mêmes qui connaissent des difficultés morales dans leurs propres pays : corruption, individualisme, abandon des personnes âgées…

8) Le confucianisme reste présent chez les immigrés asiatiques en Occident. Il faut le connaître pour bien entrer en communication avec eux.

9) Il serait illusoire de viser aujourd’hui l’instauration d’une société confucéenne. D’une part, le confucianisme n’a jamais existé à l’état pur. Il a revêtu des formes différentes au cours de l’histoire. D’autre part, il serait tout à fait insuffisant et inadapté vu l’évolution de la société.

10) Les valeurs confucéennes doivent être mises à jour en fonction des données nouvelles de la société. La piété filiale ou la vision du rôle de la femme, par exemple, ne pourront survivre que dans des conditions différentes de celles du passé. Le confucianisme est appelé à se renouveler.

11) D’ailleurs, il connaît déjà un renouvellement chez certains intellectuels avec “le nouveau confucianisme”. En tant que tradition de sagesse, il peut favoriser l’identité des civilisations asiatiques à condition de ne pas vouloir en faire un modèle. La redécouverte par les jeunes générations des racines de cette sagesse chinoise ne peut qu’être bénéfique pour la vie morale et les relations humaines.

12) L’avenir du confucianisme dépendra du dialogue entre les différentes religions d’Asie. Dans le fleuve culturel contemporain, le confucianisme fait figure d’affluent. Mais il peut constituer un apport important pour la société d’aujourd’hui. Il doit aussi apprendre des autres cultures et religions. L’harmonie sociale si chère aux civilisations asiatiques en sortira affermie.

13) En Occident, il sera nécessaire d’étudier le confucianisme de manière à bien connaître les interlocuteurs économiques de l’Asie du Sud-Est : leur mentalité et leurs valeurs, leurs coutumes d’achat et leurs systèmes d’organisation, leur marketing… Cette connaissance pourrait éviter certains conflits et favoriser les relations culturelles et économiques.

14) Les universités devraient intégrer l’étude des religions dans l’approche pluridisciplinaire des technologies et de la veille technologique pour mieux comprendre l’évolution des sciences et des systèmes économiques dans leur contexte culturel. La séparation de l’Eglise et de l’Etat n’empêche pas la prise au sérieux des cultures religieuses et le dialogue avec elles dans le cadre des recherches scientifiques.

15) A l’heure actuelle, nous sommes en période de mutation culturelle et sociale. Les hommes éprouvent le besoin de réfléchir sur leurs racines culturelles et religieuses. Beaucoup de peuples ont l’impression de perdre leur culture et leurs traditions qui sont remplacées par la culture occidentale de type américain. Le progrès de l’homme passe certes par l’innovation technologique, mais aussi par l’innovation sociale. D’après les scientifiques, l’innovation, en ce qui concerne leur domaine, elle est maintenant bien lancée. Elle avance sur son élan. Une forte attente se fait sentir à l’égard de l’innovation sociale. Les religions peuvent jouer un rôle important à ce sujet : lutte et prévention envers la corruption, confiance dans les investissements, harmonie sociale, solution des conflits, limitation des désirs, partage du travail, un sens pour l’homme, des raisons de vivre et d’espérer… Le confucianisme situe son action à la racine des motivations de l’homme. Si son efficacité peut paraître invisible, elle n’e